Rue89 Strasbourg : Vous avez repris la structure du roman en chapitre par personnage, comment avez-vous abordé cette construction ?
Dominik Moll : Avec Gilles Marchand, le co-scénariste, on a effectivement respecté cette structure où chaque personnage apporte son point de vue sur l’histoire. On est juste passé de 5 chapitres à 4, en mixant les deux derniers, Armand et Michel, qui dialoguent par internet entre l’Afrique et la France, pour rendre la partie plus dynamique. Ce qui est intéressant c’est qu’on commence à s’identifier à un personnage et on le perd plus ou moins, donc il faut toujours trouver une relance afin que le spectateur se plonge rapidement dans la nouvelle trame. La structure n’est pas linéaire, les histoires se superposent, nous entraînent forcément sur des fausses pistes. Par exemple, le spectateur est bousculé avec le chapitre sur Evelyne, jouée par Valéria Bruni-Tedeschi, qu’on a vue morte dans le chapitre précédent. Et puis cinématographiquement, quand les mêmes scènes se reproduisent d’un autre point de vue, il faut les réinventer.
Les coïncidences sont fortes, ce qui donne au film un côté surnaturel, un personnage annonce comme un oracle : « le hasard est plus fort que toi » : nous sommes guidés par le destin ?
Les actions de chacun ont des répercussions sur la vie des autres sans qu’ils le sachent, ils sont en apparence tous liés les uns aux autres. Mais si l’on regarde bien, ce sont surtout ce que se racontent les personnages qui créent du drame. Le film parle avant tout de désir, l’amour que chacun cherche. Ce désir est tellement puissant chez Michel par exemple (Denis Menochet) qu’il imagine que la femme qu’il aime est bien venue le retrouver dans les Causses. Il se fabrique un destin.
Plus que le thriller, c’est l’originalité et la profondeur des personnages qui saisissent : ils espèrent, croient, pensent être liés. Mais chaque lien est tissé pour mieux se défaire. Est-ce qu’on va tous finir seul ?
Non ! (rires) Ce n’est pas ma vision des relations humaines ! Mais c’est vrai qu’il n’y a que des amours contrariés. C’est la base de l’intrigue : chaque relation amoureuse fait avancer l’histoire.
La partie française est tournée dans les Causses, c’est un endroit que vous connaissiez, que vous aviez envie de filmer ?
Oui j’y suis allé en vacances et ça a participé de mon envie de faire le film. Le Causse Méjean est un plateau entouré de gorges, c’est un endroit isolé auquel on ne peut accéder que par quelques routes qui montent en lacet. Il y a ces grandes étendues enneigées et des grottes très sombres, cela collait parfaitement avec la solitude, l’éloignement des personnages les uns des autres, le contact n’est pas facilité.
Et Abidjan, aviez-vous des craintes de tomber dans les clichés sur l’Afrique ?
Absolument, je ne voulais surtout pas tomber dans le folklore, surtout qu’il y a cette histoire de féticheur auquel le personnage d’Armand, un jeune homme qui usurpe des identités sur Internet, va demander conseil. En lisant le roman, je me demandais si ce n’était pas un fantasme de Blanc… Sur place on s’est documenté, on a rencontré ces jeunes arnaqueurs qu’on appelle des « brouteurs » là-bas et effectivement ils sont tous en contact avec ces féticheurs. Cela créait un contraste intéressant entre la dimension magique espérée quand même par Armand et l’arnaque bien réaliste.
Comment est venue la chanson « Tu t’en vas », tellement belle et tellement triste dans les scènes entre Damien Bonnard et Valéria Bruni Tedeschi ?
Au départ on était parti sur une chanson un peu au hasard des Bee Gees mais ça ne fonctionnait pas et puis le monteur, Laurent Rouan, est arrivé avec ce duo entre Alain barrière et Noëlle Cordier, que je ne connaissais absolument pas. Et tout collait : le fait que ce soit un duo, les paroles qui évoquent la séparation, l’hiver. Pour le générique de fin, Bertrand Belin et Barbara Carlotti ont réinterprété la chanson et j’adore cette version.
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