Nicolas a 25 ans. Après un DUT info-com et une année d’Erasmus en Allemagne, il intègre à l’automne 2019 l’équipe de la galerie d’art contemporain Stadtgalerie de Sarrebruck. « Mon travail, c’était de monter des projets, parfois binationaux, et de gérer les réseaux sociaux. C’était très complet et chargé. Les semaines où je ne pouvais pas être là, ils avaient besoin de moi car ils étaient incapables de le faire » raconte le jeune homme. « J’avais presque une position de salarié au sein de l’équipe. » Mais Nicolas n’était pas salarié, ni en CDD, ni en CDI. Il était engagé dans une mission de Service Civique, pour 12 mois.
Des jeunes diplômés en responsabilités…
Après une licence en Humanités à l’Université de Strasbourg, et pendant la rédaction de son mémoire de Master 2 d’écologie, Joni, 25 ans, cherche une occupation. À la rentrée 2019, une connaissance lui propose un Service Civique dans une école primaire. Le jeune étudiant accepte, d’autant plus qu’il a déjà gardé des enfants auparavant, et a travaillé dans l’animation. Il se souvient : « La directrice de l’école me disait qu’elle avait besoin de quelqu’un tout le temps, au moment de la cantine et de la garderie du soir, ou pour faire de l’administratif ». Ses missions correspondent en réalité au travail d’un assistant maternelle.
Même chose pour Marine, 24 ans et une licence de psychologie en poche. En 2019, elle décide elle aussi de réaliser un Service Civique dans l’Éducation nationale, à l’école élémentaire Albert-le-Grand, dans le quartier du Neudorf à Strasbourg. Elle explique : « Tu n’as pas le droit de faire les tâches des employés, tu es juste une personne de plus, pour mieux encadrer les enfants. Soit tu es avec eux, soit tu fais de l’administratif. » Avant le début de sa mission, elle travaillait déjà comme vacataire dans le périscolaire. Son volontariat et son emploi sont donc deux postes très similaires.
Vincent, lui, est « volontaire » au Mémorial de l’Alsace-Moselle à Schirmeck depuis octobre 2020. Après une licence professionnelle en tourisme, le jeune homme enjoué de 23 ans y effectue d’abord un stage, à l’issue duquel on lui propose une mission de Service Civique : « Je fais un boulot de médiateur culturel, j’occupe un poste vraiment défini » précise-t-il.
… pour des missions censées « ne pas être indispensables »
Pourtant, parmi les huit principes fondamentaux du Service Civique, le cinquième établit que les missions « ne peuvent être indispensables au bon fonctionnement habituel des organismes ». Mis en place avec la loi du 10 mars 2010 par Martin Hirsch, le Service Civique offre une « opportunité de servir les valeurs de la République » en s’engageant « en faveur d’un projet collectif en effectuant une mission d’intérêt général […] auprès d’une personne morale agréée ». Pour accéder aux missions, aucune condition de diplôme : il faut juste avoir entre 16 et 25 ans (30 ans pour les jeunes en situation de handicap).
Sur son site web, l’agence du Service Civique dit vouloir également « valoriser les acquis professionnels des volontaires ». Ces derniers doivent être accompagnés par un tuteur, et bénéficient normalement de journées de formation. D’après le texte de loi relatif à ce dispositif : à la fin de la mission, sont évaluées « les aptitudes, les connaissances et les compétences acquises pendant la durée du Service Civique. »
En 2019, ce sont 140 000 jeunes qui ont effectué un Service Civique : 33% d’entre eux étaient diplômés d’un établissement d’enseignement supérieur, 40% étaient demandeurs d’emplois et 33%, étudiants.
580 euros par mois « pour une étape de vie »
Avec des missions dont la durée varie entre 6 et 12 mois, pour 24 à 40 heures de travail hebdomadaire, l’indemnité proposée aux « volontaires » (terme employé dans le dispositif pour désigner les jeunes) est payée par l’État et se chiffre à 473,04 €. Elle est ensuite complétée par un apport de 107,58 € minimum par la structure encadrante. Cet apport peut être versé en argent ou en nature, et est indépendant du nombre d’heures effectuées. Joni, Marine et Vincent percevaient donc 580,62 € par mois.
Nicolas lui, dans le cadre de la mission franco-allemande, bénéficiait d’une rallonge de 100 € – un total donc d’environ 680 € : « Ça allait, j’avais déjà un peu d’argent de côté, je m’en sortais assez bien », tient à préciser Nicolas.
Selon l’INSEE, le seuil de pauvreté en France est fixé à 1 041 € par mois. Quasiment deux fois plus donc que l’indemnité donnée aux « volontaires » pour leur temps. Les bénéficiaires du RSA, eux, s’ils effectuent une mission de service civique, voient leur indemnité augmentée de 107,68 € mensuels. Un volontaire en Service Civique, bénéficiaire du RSA, perçoit donc 688,30 €, soit 124,30 € de plus que le RSA seul.
Pendant la période de la mission, les indemnités chômage sont par ailleurs suspendues. Un Service Civique n’ouvre pas de droit au chômage, car le « volontaire » ne « travaille » pas : il « effectue une mission » régie par le Code du Service National, et non par le Code du travail. Dans la synthèse de la consultation citoyenne de 2020 élaborée à l’occasion des 10 ans du Service Civique, les volontaires demandent justement à ce que les missions ouvrent à posteriori le droit à l’indemnisation du chômage. Une autre proposition est la possibilité de créer un CDD après la mission : pour l’instant, c’est impossible.
Si le Service Civique « doit constituer une étape de vie » (comme l’indique son site internet), il revient surtout pour ces diplômés à accepter un statut précaire et une rémunération très en-dessous des normes salariales.
Des jeunes reconnaissants, faute de mieux
« Quand on s’inscrit à un Service Civique, on sait directement qu’on ne vient pas pour l’argent mais pour les compétences. On le sait à l’avance, on ne nous le cache pas » relativise Nicolas. Marine, elle, a cumulé son Service Civique dans l’Éducation nationale (un contrat de 24 heures par semaine), avec un poste de vacataire dans le périscolaire. Le cumul de ses deux activités, revenant environ à 35 heures hebdomadaires, lui suffisait également pour subvenir à ses besoins : « Quand on a choisi, c’est difficile de se plaindre, » confie Joni, sur la même longueur d’ondes que ses « collègues ».
Lorsqu’il consulte les missions de Service Civique offertes dans le Bas-Rhin, Joni cherche au début à intégrer une association. Mais il ne trouve alors que des contrats de 35 heures : « Pour moi, ce n’était pas normal, ni possible de faire un temps plein, payé la moitié du prix ». Il trouve au final une mission de 24 heures par semaine, plus acceptable selon le jeune homme.
Vincent quant à lui, bénéficie en principe également d’une indemnité de 580,62 € par mois, de laquelle est déduite environ 80 € de tickets-restaurant. La structure prend également en charge la moitié de son abonnement de transport – trois heures par jour pour effectuer l’aller retour entre Strasbourg et Schirmeck : « J’ai la chance qu’ils me prennent après mon stage, donc je ne vais pas cracher dessus. Vu l’état du tourisme actuel, c’est une bonne expérience » explique-t-il. Soutenu par ses parents et par sa compagne, Vincent dit ne pas avoir vécu de précarité.
Une « chance », une « opportunité », une « expérience »… ou un choix par défaut ?
Malgré une indemnité dérisoire, des charges de travail importantes et de réelles responsabilités professionnelles, aucun des jeunes interrogés par Rue89 Strasbourg n’a semblé critique du Service Civique. Au contraire. C’est comme s’ils le défendait.
Les termes d’ »opportunité », d’ »expérience », ou de « chance » reviennent d’ailleurs souvent pendant les entretiens : « Après une licence de psycho, tu ne peux rien faire », témoigne ainsi Marine qui parle « d’opportunité. » La jeune femme raconte même avoir pris conscience de son désir de travailler dans l’enseignement grâce à son Service Civique, et a décidé de se réorienter.
Si Marine a choisi le Service Civique parce qu’elle « saturait » des études et du manque de débouchés pratiques, Nicolas parle lui de « réalisme ». Intégrer le monde professionnel sans expérience lui semblait impossible. Dans le milieu culturel, « les places sont chères » lâche-t-il. « Pour moi c’était une chance incroyable, utiliser le Service Civique pour rentrer par la petite porte, mais rentrer quand même. »
Joni quant à lui explique avoir effectué un Service Civique car « l’opportunité » se présentait. Fatigué et lassé après deux ans de petits boulots dans la restauration, le jeune étudiant en écologie était soulagé de découvrir un nouvel environnement professionnel. Il avait aussi besoin d’une source de revenus. « En tant qu’étudiant je ne pouvais pas toucher le chômage, et je me cherchais aussi une occupation ».
C’est donc parfois par peur de ne rien faire que certains jeunes optent pour un Service Civique après leur diplôme. Parce que le marché du travail leur semble saturé, ou parce qu’ils ne savent pas où, ni comment chercher, ni finalement combien leurs compétences peuvent leur rapporter.
Pour Vincent : « C’est surtout mes parents qui m’ont poussé. Maintenant que le Service Civique se termine, ma mère me dit d’aller cueillir des asperges pour que je m’occupe » plaisante-t-il. Mais c’est uniquement en attendant que la saison touristique reprenne, précise le jeune homme : « Pendant mon Service Civique, j’ai aussi monté ma boîte et je suis à présent guide touristique, auto-entrepreneur. »
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