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Sélest’Art 2019 : une biennale entre nature et urbanisme

Du 28 septembre au 27 octobre 2019, à l’occasion de la 23è édition de Sélest’Art, douze installations de jeunes artistes français forment une balade urbaine autour de deux thèmes croisés : le patrimoine et la nature.

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Sélest’Art 2019 : une biennale entre nature et urbanisme

Depuis son instauration en 1984, Sélest’Art, rendez-vous annuel consacré à la création contemporaine, devenu biennale en 1993, désire démocratiser l’art contemporain en l’inscrivant dans l’espace public. Cette année, la Ville de Sélestat a lancé un appel à projets offrant de nombreuses perspectives d’interprétation : « Quand art contemporain et nature s’invitent dans la ville ». Parmi les 200 propositions, le comité de sélection a retenu 12 installations prenant place, suivant un parcours quasi-circulaire, dans différents espaces emblématiques du patrimoine naturel et architectural de la ville.

Détourner l’ornementation urbaine

Françoise Saur, Composition sur le marbre, 2016-2019 (photo : Agathe Claudel) 

La balade urbaine de cette édition de Sélest’Art débute devant l’office du tourisme avec l’œuvre de Françoise Saur, Composition sur le marbre, une série de neuf photographies qui évincent habilement de certains panneaux municipaux les traditionnelles affiches publicitaires. Cette variation de bouquets de fleurs, véritable travail chromatique, s’assortit d’une symbolique conventionnelle jouant à la fois sur l’esthétique et l’éphémère du végétal. Les clichés sont, d’après l’artiste, autant « de rencontres botaniques », dont « contenu, contenant et décors sont arrangés et pensés pour mettre en valeur la fleur, souvent sauvage, et souligner une opposition entre sa fragilité et la puissance à connotation mortuaire du marbre ».

À l’image de cette œuvre inaugurale, l’univers floral surgit dans de nombreuses créations de la biennale, rappelant son utilisation ornementale dans l’histoire de l’art. Une idée de nature, moulages de feuilles d’acanthe en plâtre sur tiges métalliques d’Axel Gouala, se pose sous les arbres du jardin du tribunal d’instance, comme tombées des chapiteaux de colonnes corinthiennes.

De même, les Grotesques, sculptures en céramiques colorées de Cécile Meynier, se déploient  sur le mur d’enceinte du Jardin Hortus Beatus et détournent avec une nouvelle esthétique l’usage traditionnellement décoratif de l’organique. Tandis que Merhyl Levisse pare l’hôtel de ville d’un papier peint fleuris qui se fond dans l’architecture du monument avec son œuvre Avoir le sens de la mesure

Aurélie Slonina, Wild / Crash / Push, 2008-2011 (photo : Agathe Claudel)

D’inspiration plus contemporaine, Wild/Crash/Push d’Aurélie Slonina agrémente les balcons de l’Arsenal Sainte-Barbe, offrant une réflexion sur deux pratiques d’ornementation urbaine apparemment incompatibles : les jardinières et le graffiti. En adaptant une police rappelant le Street-Art, Aurélie Slonina crée des balconnières de géraniums, icône de l’embellissement urbain, qui forment les mots Wild (sauvage), Crash (éclat), Push (impulsion).  

Autant d’œuvres qui invitent à la réflexion autour de l’ornementation et du patrimoine, en jouant sur l’inattendu, en perturbant le conventionnel ou encore via le mariage de différentes périodes. La décoration étant une pratique relativement conventionnelle, ces créations semblent se fondre dans l’architecture de la ville sans difficulté, au risque de ne pas être suffisamment remarquées. 

Des Cyclades à la Mongolie: une invitation au voyage

La suite des nombres premiers de l’œuvre Protos d’Eva T. Bony, débutée dans les Cyclades en 2013 durant la crise économique grecque, connaît à Sélestat une nouvelle activation. Cette écriture mathématique, inscrite sur le sol à la chaux blanche, fait allusion à l’omniprésence des données chiffrées dans nos sociétés. Évoquant le Land Art, une pratique artistique s’inscrivant dans un cadre naturel où les œuvres sont exposées aux éléments et soumises à l’érosion, le tracé de Protos évolue au fil des saisons. Il connaîtra un effacement progressif jusqu’à sa disparition cherchant ainsi à reconnecter graduellement le visiteur avec son espace de vie.

Alexandre Kato, TTT, 2019 (photo : Agathe Claudel)

Place de la République prend place TTT, une œuvre d’inspiration japonaise, influence fréquente dans le travail d’Alexandre Kato. Utilisant comme matériaux pour cette sculpture des objets liés à la domestication du paysage, en l’occurrence des balais de cantonnier retournés et accolés les uns aux autres, sur lesquels sont placées des pierres récupérées dans les Vosges, Alexandre Kato, créé une analogie entre un carré de verdure et des poils verts synthétique.

Cette installation qui évoque les jardins secs japonais propose une réflexion sur l’influence de l’homme sur la “nature”. En effet l’artiste prône dans cette œuvre très architecturée, la mystification d’un état naturel vierge, les paysages qui nous entourent étant presque toujours marqués par des modifications humaines.

Guillaume Barth, L’arbre bleu, ovoo du Paulownia, 2019 (photo : Agathe Claudel)

En clôture de parcours, l’œuvre de Guillaume Barth, L’arbre bleu, Ovoo du Paulownia, revisite une pratique chamanique mongole. S’inspirant de la tradition des ovoo, amas de pierres ou de branchages, destinés à honorer les dieux, l’artiste drape le paulownia, arbre remarquable du square Paul Louis Weiller, d’une multitude de bandes de tissus dans un camaïeu de bleu. Cet amas d’écharpes récupérées chez Emmaüs, évoque les prières des voyageurs vers « Tengri » l’éternel ciel bleu. Transposant cette pratique à Sélestat, l’artiste nous propose à l’instar de des pratiques spirituelles observées en Mongolie, de repenser notre vision de la nature.

Ces œuvres, comme une majorité des créations réalisées pour cet événement, ont été pensées in situ, l’artiste prenant pleinement en compte le lieu de leurs expositions dans son processus créatif. Elles sont autant de mises en scène, particulièrement réussies, de notre rapport à la nature de son appropriation à sa redécouverte.

Une biennale évolutive et participative

Près de la moitié des installations présentées à l’occasion de Sélest’Art sont vouées à se transformer, soit de manière participative, soit naturellement avec le passage du temps. Bien que la participation du public ne soit pas nouvelle dans le milieu de l’art, comme en témoignent par exemple les actions dadaïstes du début du XXè siècle ou la forme du happening apparue à la fin des années 1950, l’immersion et l’implication des spectateurs sont de nos jours des enjeux quasiment incontournables dans les biennales d’art contemporain. 

Le duo d’artistes Scenocosme (Grégory Lasserre et Anaïs met den Ancxt) est à l’origine de deux installations, Pulsations et Urban Lights Contacts, qui évoluent grâce à l’interaction humaine, par le biais de technologies qui se confondent aux éléments naturels ou bâtis. Prenant place dans différentes villes depuis 2014, Urban Lights Contacts, illumine et sonorise, l’interaction tactile des spectateurs entre eux et avec l’oeuvre. Ainsi la façade de la mairie de Sélestat sera colorée au rythme de son utilisation. Suivant la même recherche de proximité, Pulsations invite les passants à sentir et à écouter la vibration des arbres, en apposant leurs oreilles sur leurs troncs. 

Anne Houel invite petits et grands à donner vie à 30 tonnes de sable, symbolisant l’évolution du tissu urbain. En réalisant des châteaux de sable tous issus du même moule : une jardinière rectangulaire, les participants façonnent une « ville » en miniature qui se construit, s’effrite, ou disparaît avant de renaître sous une nouvelle forme. Soumise aux aléas météorologiques, cette installation essentiellement ludique met en lumière de nombreuses préoccupations de l’artiste sur « l’évolution perpétuelle de l’architecture et les choix qui la motivent ». 

Apolline Grivelet, La cabane de papier, 2019 (photo : Agathe Claudel)

De même que Protos, ou 30 tonnes de sable, La cabane de papier d’Apolline Grivelet, va connaître de nombreuses modifications au cours de son exposition. Cette cabane à structure en bois, dont la couverture est entièrement constituée d’encyclopédies, sera lentement reconquise par la nature qui l’a inspirée. En effet certains volumes ensemencés de mycélium (l’appareil végétatif des champignons) nourriront une multitude de moisissures jusqu’à l’effacement de leur contenu, soulignant l’obsolescence des ouvrages papier face à leur numérisation.  

La création contemporaine en vase clos

Les biennales d’art contemporain, événements majeurs de l’actualité artistique à l’international, se caractérisent bien souvent par le rayonnement culturel qu’elles entraînent. Sélest’art, l’une des plus anciennes de France, présente cette année sa 23è édition, mais ne se déploie malheureusement pas en dehors de son parcours balisé. En effet aucune autre programmation culturelle (rencontre, débat, projection, etc.) ne lui est associée, si ce n’est un hommage rendu à Tomi Ungerer sur les grilles d’enceinte des Archives municipales.

Près d’un an après l’inauguration de Touch Me, auto-proclamée première biennale de Strasbourg, on peut s’interroger sur la spécificité de ces événements qui ne se démarquent que peu des expositions classiques, mais qui se prévalent du terme biennale, et de l’aura qui est associée à un rendez-vous événementiel revenant tous les deux ans.

Ceci-dit, on ne peut que saluer la constance de Sélest’Art qui, depuis plus de 30 ans, cherche à démocratiser l’art contemporain de manière totalement gratuite et cette année intégralement en extérieur.

Se modifiant un peu plus chaque jour pour offrir aux visiteurs de nouvelles découvertes, cette édition ne fait pas défaut à ce dévouement comme le souligne Jean-Michel Guillon, coordinateur de l’événement :

« Nous présentons des installations conceptuelles qui sont très belles, mais pour pérenniser ce rendez-vous, il faut jouer autour de l’accessibilité de l’art contemporain ».


#Sélestat

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