« Pour une fois qu’on obtenait quelque chose de manière démocratique, ils nous l’enlèvent… » L’amertume est palpable lundi 6 janvier. Devant le Cardo, le bâtiment de l’Université de Strasbourg qui accueille Sciences Po, une quarantaine d’étudiantes et étudiants ont bloqué l’entrée et ratent pour certains des examens partiels de début d’année.
Ils et elles demandent la fin du partenariat avec l’université israélienne Reichman, une institution privée installée à Tel Aviv. En juin 2024, celui-ci a été suspendu par un vote en conseil d’administration. Médiatisé en octobre, le vote a suscité des dizaines de réaction outrées, des tribunes, des dénonciations d’antisémitisme, d’entrave à la liberté intellectuelle… Passant par l’envoi de centaines de mails à certains membres du conseil d’administration menacant de cesser d’embaucher en stage des étudiants de l’IEP, et allant jusqu’à des communiqués de Franck Leroy, président de la Région Grand Est (LR) ou Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères.
Mais six mois plus tard en décembre 2024, le partenariat a été rétabli… par un autre vote du conseil d’administration, à la suite duquel cinq enseignants-chercheurs ont démissionné de l’instance. Le directeur de Sciences Po Strasbourg, Jean-Philippe Heurtin, est personnellement opposé au boycott et n’a par aillleurs jamais considéré que le vote de juin suspendait effectivement les liens avec l’université israélienne.
La colère sur le campus
Alors sur le campus lundi matin, les étudiants sont en colère, à l’instar de Simon :
« J’avais confiance en notre directeur. Il a le droit d’avoir son avis personnel mais il est sourd à nos arguments et reste sur une position dogmatique. Nous avons pourtant des professeurs, des chercheurs qui sont en capacité de nous éclairer sur ce qu’est l’université Reichman. Tout ce qu’on veut, c’est parler du fond du problème de ce partenariat plutôt que rester sur de grandes positions. »
À ses côtés, Léo est moins optimiste. « Je n’ai jamais eu d’espoir de ce côté-là, tranche l’étudiant. Le sujet de la Palestine suscite des réactions plutôt que des réflexions. » Les cinq étudiants et étudiantes rencontrées sur le campus partagent cette frustration de ne pas pouvoir parler de ce que signifie le boycott, de son cadre légal, des accusations d’antisémitisme, de la définition de génocide et de l’articulation de toutes ces notions, de manière pratique, documentée et apaisée.
Camille dénonce une mauvaise foi de la part de l’administration. « Dans les communications officielles, les actions du comité Sciences Pro Palestine sont décrites de façon violente, comme si on envahissait des amphis alors qu’on organise des tables rondes », souligne-t-elle. « Et le mot “Palestine” n’est jamais utilisé », remarque Léo. Le 3 décembre, des étudiantes et étudiants ont fait entendre leur désaccord avec l’intention du vote du rétablissement du partenariat en s’invitant au conseil d’administration, retardant ainsi sa tenue. Il s’est déroulé en visio conférence ultérieurement pour éviter toute « invasion ».
« Nous avons suivi le chemin institutionnel, mais ça ne fonctionne pas, alors on bloque. »
Simon, étudiant à Sciences Po Strasbourg
Il en faut cependant plus pour démotiver les militantes et militants. « Et ça ne nous fait pas plaisir de nous lever à l’aube et de rater nos partiels », souligne Camille. « Nous avons suivi le chemin institutionnel, mais ça ne fonctionne pas, alors on bloque », résume Simon.
Un peu plus loin, une étudiante, keffieh sur le dos, ressent surtout une situation d’injustice. « Le génocide à Gaza n’a aucune influence sur Sciences Po alors que la guerre en Ukraine a tout de suite suscité la fin du partenariat avec la Russie », souffle-t-elle, trouvant la décision de décembre irrespectueuse envers la souffrance des Palestiniens et Palestiniennes.
Parmi les critiques sur la fin du partenariat, celle d’un antisémitisme motivant le vote a été de nombreuses fois opposé aux étudiants et étudiantes mobilisées. « Ça me met en colère », avoue Léo :
« Notre directeur est fier de notre esprit critique, de notre capacité à nous informer, à identifier les problématiques… Mais là, on nous considère comme des personnes qui agissent sans s’être renseignées, sans capacité à identifier l’antisémitisme… Bien sûr qu’on se questionne, qu’on sait que l’antisémitisme existe mais que dans ce cas du partenariat, il s’agit complètement d’autre chose ! »
Saisissant les bouts de son keffieh, une autre étudiante raconte une situation dans laquelle un homme a retiré sa kippa à la vue de son foulard. « J’aimerais bien qu’on puisse se parler, que le symbole du keffieh ne soit pas perçu comme menaçant », explique-t-elle. « Nous aimerions que tout le monde se sente respecté pour participer à nos actions, quelle que soit sa confession », souligne son voisin.
Parmi les professeurs démissionnaires du conseil d’administration, Simon cite le nom du chercheur Michel Fabreguet, spécialiste de la mémoire de la Seconde guerre mondiale. « Il y a aussi des professeurs spécialistes du Moyen Orient, de droit européen… qui soutiennent la fin du partenariat », poursuit l’étudiant. « On constate que même le point de vue académique n’est plus pris en compte et est susceptible d’être qualifié d’antisémite », déplore-t-il.
Selon deux étudiants interviewés, ces accusations d’antisémitisme impactent leur lutte pour la fin du partenariat. « Beaucoup d’étudiantes et étudiants disent nous soutenir mais ont peur de participer activement au comité et d’être qualifiés d’antisémites, alors qu’on peut être contre le génocide et l’antisémitisme en même temps », ajoute l’une. « Et en plus, on a peur de ne pas être recrutés ou pris en stage si on est identifiés comme faisant partie du comité », conclut l’autre.
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