Le micro-climat politique à Schiltigheim à une nouvelle fois frappé. La troisième ville du Bas-Rhin commence 2018 sans budget. Plus grave, la crise a engendré un divorce au sein de la coalition LR-UDI née en mars 2014 et provoqué la démission de plus d’un tiers des élus. Si bien qu’il va falloir organiser des élections municipales en avril. Le futur maire et son équipe n’auront les commandes de la ville que pour deux petites années.
Au centre de la crise, l’ex-premier adjoint Christian Ball (LR). Ancien adversaire politique de Jean-Marie Kutner, il avait fusionné sa liste avec l’actuel maire (sous une bannière UDI à l’époque) entre les deux tours en 2014 face au maire sortant Raphaël Nisand (au PS à l’époque).
Première crise autour de la médiathèque
Pour cet assureur de 48 ans, l’alliance s’est délitée dès 2016 :
« Nous avons eu notre dernière réunion maire-premier adjoint en juin 2016. J’avais exprimé mes réticences sur le projet de médiathèque, à laquelle je voulais adosser un espace vert plutôt que de nouveaux logements. Jean-Marie Kutner avait dit que l’on en discuterait en équipe et à partir de là nous n’avons plus eu de rencontres. J’ai encore eu toute latitude pour mener le budget 2017 mais plus ensuite. Nous avons tout appris dans la presse, les projets immobiliers ou le cinéma MK2. Jean-Marie Kutner a tout géré seul. Nous avons tenté des mises en garde et de repousser le vote, mais nous n’avons pas été entendus. Ce n’est pas un coup d’État contrairement à ce qu’il dit, qui suppose un renversement du chef et une prise du pouvoir par la force. Avec une vingtaine de personnes de la listes LR comme UDI, nous redonnons la parole aux Schilickois ! »
Christian Ball préfère attendre le feu vert de la préfecture pour une entrer en campagne, mais sa détermination ne fait guère de doute. Que faire en si peu de temps ? « Il reste des marges de manœuvres, il y aura plus de 5 millions d’euros d’excédent (« 8 à 9 millions » assure même Jean-Marie Kutner) sur un budget de 32 millions », répond l’intéressé.
Jean-Marie Kutner confirme la fin de ces entrevues hebdomadaires dès 2016, mais n’en fait pas la même lecture :
« Christian Ball a toujours eu pour ambition de devenir maire à ma place, ce qui est une ambition légitime mais il y a un temps pour tout. Il utilisait des informations de ces réunions pour me salir. Lors de la fronde contre le budget, j’ai tendu la main jusqu’au bout, même après la séance. Il voulait m’isoler pour que je démissionne mais je m’y refuse, ce n’était pas le contrat de notre majorité, ni envers les Schilickois. »
Ce pharmacien à la retraite compte d’ailleurs profiter de départs des frondeurs pour faire voter un budget au début de l’année 2018 par les élus restants. Puis rempiler :
« Je suis un candidat serein, en tant que tête de liste, et je ne revendique aucune étiquette. J’ai quitté l’UDI que je ne comprends plus entre sa position à la présidentielle (soutien à François Fillon jusqu’au bout, ndlr) et les arrangements du président Jean-Christophe Lagarde qui a fait nommer sa femme maire lorsqu’il a été réélu député. J’aime bien ce que fait En Marche ou les radicaux, mais je n’ai pas d’ambition nationale. Je me vois plus comme un gestionnaire de la ville, avec des idées plurielles. »
La question béton
Sketch de la revue des scouts, interpellations médiatiques, au conseil municipal, dessins satiriques… Difficile de ne pas parler de Schiltigheim sans aborder ses projets immobiliers florissants.
Ce débat est plus subtil qu’il n’y parait. Personne n’est vraiment contre le remplacements des usines et des bureaux abandonnés (Quiri, Istra, Alsia, Caddie, France Telecom et la plus imposante friche, Fischer) qui jalonnent le tissu urbain de Schiltigheim mais le débat se crispe sur ce qu’on y met, en particulier sur la quantité de logements.
Christian Ball explique aussi son divorce par la politique d’intensification de logements :
« Je ne suis pas contre l’urbanisation des friches. Mais l’une après l’autre, de manière raisonnée et en demandant leur avis aux habitants. On avait été élu pour mettre fin à la politique de Raphaël Nisand et on fait pire. Jean-Marie Kutner rêve de diriger une ville de 40 000 habitants (31 993 en 2015 selon l’Insee, ndlr). Sur la friche Istra, il prévoit des tours de 13 et 16 étages ! »
Désormais, Jean-Marie Kutner impose une limite à 130 logements par hectare, là où la moyenne de l’Eurométropole est à 120. Sur ce thème, il défend sa méthode :
« Il y a les maires qui ne font rien ou les bétonneurs. Dans le programme, notre engagement premier était de mettre fin aux friches. Je suis contre une ville-dortoir donc on fait des quartiers avec une mixité générationnelle, sociale et fonctionnelle, tout en sauvant le patrimoine industriel. Il y a une réalité qui est le prix du marché, à 3 500 euros le mètre-carré donc il faut en tenir compte dans l’équilibre économique des projets. La démolition et la dépollution de ces sites ont un coût. La brasserie Fischer appartenait à Heineken et menaçait de partir. Avec des contentieux et rachat, la situation ne se serait pas améliorée. Aujourd’hui, la production de bière augmente, des emplois ont été créés et des marques comme Ancre, Edelweiss ou Fischer ont été relancées. Sur la friche, on ajoute 13 000 m² d’espaces verts. Enfin, on ne construit jamais plus haut que l’existant. »
Sauf pour les tours à la place de l’ancienne imprimerie Istra :
« L’intérêt de monter, c’est que cela libère de l’espace au sol pour des espaces verts et les cheminements. Les démissionnaires connaissent tout cela, ils ont vu trois projets et celui-ci avait été voté à l’unanimité. Ce seront des tours par Jean-Michel Villemote, une star internationale de l’architecture. »
Pari risqué pour la République en Marche
Sur le reste de l’échiquier, les points d’interrogations sont nombreux entre « En Marche » et la gauche. Personne ne se dégage à Schiltigheim pour le jeune mouvement présidentiel. L’ancien animateur du comité local, Pascal Laubscher, est aujourd’hui directeur de cabinet du député du secteur, Bruno Studer.
Alors qu’il a rejoint « En Marche » sur le tard, en septembre 2017, l’ancien maire Raphaël Nisand (2008-2014) devenu élu d’opposition trouve « anormal » la tenue d’élections : « des projets comme le cinéma MK2 se font attaquer [par Strasbourg ndlr] pendant ce temps ». À la surprise générale, il avait voté pour le budget pour tenter de le faire adopter en décembre « pour éviter une mise sous tutelle ». À une voix près, c’est râpé. Raphaël Nisand assure n’avoir aucun contact avec Jean-Marie Kutner, ce que ce dernier confirme, et se dit « partisan d’une liste “En Marche” » à ces élections municipales anticipées même s’il doute que « le mouvement [soit] prêt. »
Candidat ou pas ? Tête de liste ou plus bas ? À ce stade, il dit « n’écarter aucune hypothèse », mais il « ne sera pas candidat à tout prix », selon ce que décide « En Marche ». Selon des échos publiés dans les DNA, Axelle Benamran, suppléante de Bruno Studer, serait une piste envisagée.
À l’échelle bas-rhinoise, LREM a surtout les yeux rivés sur la mairie de Strasbourg en 2020 et pas sûr qu’une défaite dans une campagne imprévisible face à un ténor schilickois aille dans le sens des marcheurs strasbourgeois… Il n’a échappé à aucun stratège électoral que les deux élections législatives partielles ont été défavorables au pouvoir. Il n’est donc pas sûr qu’une liste LREM soit même seulement montée.
Sans Andrée Munchenbach
Dans la nébuleuse centriste schilickoise, la présidente du parti régionaliste Unser Land, Andrée Munchenbach, ne sera pas de la partie cette fois-ci. À la tête d’une liste écologiste indépendante en 2008 (17% au premier tour puis 25%), puis élue sur la liste de Jean-Marie Kutner en 2014 mais démise de ses fonctions dès 2015, elle répond être vouloir être « spectatrice » de cette campagne.
Elle aurait « tendance à soutenir Christian Ball » et sa décision « courageuse », notamment car « il a l’expérience du mandat ». Lors des élections législatives en juin, elle avait réuni 6,19% des voix dans la cité des brasseurs.
L’union de la gauche une nouvelle fois testée
Éparpillée, la gauche éparpillée compte plusieurs chapelles et un potentiel certain. Pour le Parti communiste, qui a réalisé de très faibles scores entre 1 et 2% en juin, Antoine Splet a appelé très vite à une union large :
« Il y a une menace “En Marche” ou de droite, alors qu’on estime qu’il y a une fenêtre de tir pour avoir une majorité de progrès à Schiltigheim avec des socialistes de gauche, des écologistes, des communistes, des insoumis et d’autres citoyens. »
Le jeune professeur et multiple candidat par le passé l’assure, son parti ne revendique « pas forcément » la tête de liste. Son appel vise notamment les présidentes des deux groupes d’opposition actuels, Nathalie Jampoc-Bertrand (PS) et Danielle Dambach (Schilick Ecologie).
Alors que le PS est affaibli, Nathalie Jampoc-Bertrand se dit prête à discuter :
« L’horizon s’est éclairci avec le départ de Raphaël Nisand et je suis pour une union large qui peut saisir cette opportunité de remettre à plat des projets. Je n’ai de problème avec aucune formation à gauche. Il y a une nouvelle génération qui peut sortir des batailles d’égo et de postures. »
Injoignable, Danielle Dambach s’était déclarée « prête à assumer mes responsabilités et à rassembler toutes les énergies citoyennes » aux DNA. « Une des raisons de la crise spécifique à Schiltigheim vient de débats écologiques et environnementaux. S’il y a un rassemblement pour que ces projets n’arrivent pas à terme, on le suivra », précise de son côté le co-secrétaire d’EELV Alsace, Mickaël Kugler. Mais l’association Schilick Ecologie ne se résume pas à EELV, avec des composantes plus centristes (« écologistes à l’allemande », dit-on parfois), qui pourraient être réticents à s’allier avec des formations plus marquées à gauche.
Ce vaste rassemblement sera délicat à obtenir. La France insoumise, qui était arrivée en tête à l’élection présidentielle (27%) et deuxième lors des élections législatives (14,82%) appelle ces formations… à les rejoindre. À ce stade, tout juste sait-on que des contacts ont déjà été lancés entre toutes ces formations. Il faudra avancer vite, à deux mois des élections.
À l’opposé de l’échiquier, côté droit, pas sûr que les Patriotes, mouvement encore neuf, puissent monter une liste. « Nous y réfléchirons avec nos militants samedi », fait savoir son secrétaire départemental Andréa Didelot, qui souhaite « une union » avec « le meilleur de la droite et de la gauche. » Le Front national, en crise interne depuis la présidentielle, devrait aussi avoir du mal à monter une liste paritaire de 39 candidats à la hâte. En 2014, avec plus de temps pour préparer et une dynamique électorale, il n’y en avait guère. L’argument financier (voir encadré), devrait aussi peser.
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