Depuis l’invasion russe en Ukraine, les cadres du Rassemblement National (RN) ont cessé de faire l’éloge de Vladimir Poutine. Mais ce silence sur le dictateur russe n’efface pas l’engagement de plusieurs hommes et femmes politiques du RN en faveur de la Russie, notamment sur la question ukrainienne. En Alsace, dès 2014, le conseiller municipal du Front National Jean-Luc Schaffhauser se rendait en Ukraine en tant qu’ »observateur » de scrutins dont l’objectif principal était de légitimer la séparation des provinces séparatistes du Donetsk et du Donbass de l’Ukraine. En 2020, l’eurodéputée et conseillère régionale RN Virginie Joron a aussi participé à une délégation d’ »experts internationaux » en Crimée, annexée depuis 2014 par la Russie.
Jean-Luc Schaffhauser, observateur de scrutin et négociateur de prêt russe
En 2014, Jean-Luc Schaffhauser s’est rendu à plusieurs reprises en Ukraine. Le conseiller municipal FN est allé en Crimée en mars, lors d’un « référendum » sur le rattachement à la Russie. Les habitants avaient un choix limité : être rattachés à la Russie immédiatement ou dans cinq ans. Certains bureaux avaient enregistré plus de 100 % de réponses favorables au rattachement immédiat.
En septembre 2014, Jean-Luc Schaffhauser a servi d’intermédiaire pour un prêt de 9,46 millions d’euros de la banque russe First Czech Russian Bank (FCRB) pour le Front National. Selon le Canard Enchaîné, il a perçu 450 000 euros de commission pour cette opération. L’intéressé a démenti, indiquant n’avoir perçu que 100 000 euros pour « une année de travail ».
Des scrutins aux challengers factices
Deux mois plus tard, Jean-Luc Schaffhauser a assisté aux élections présidentielles et législatives dans l’Est de l’Ukraine. Il est entré à Donetsk par la Russie, ce qui veut dire qu’il est arrivé illégalement sur le territoire ukrainien, sans passer par la frontière officielle. Une information qu’a confirmé Jean-Luc Schaffhauser à RFI.
Ce scrutin a eu lieu dans les deux territoires séparatistes pro-russes de Donetsk et Lougansk. Il a fait suite à la victoire des partis pro-européens aux élections législatives ukrainiennes. Il n’y avait qu’un seul candidat à la présidentielle de la république auto-proclamée de Donetsk jusqu’au jour du scrutin, lors duquel deux challengers factices ont finalement été déclarés. Ces élections ne sont reconnues ni par l’Ukraine, ni l’Union européenne, les États-Unis ou l’ONU.
« Je ne regrette pas les missions menées »
Le conseiller municipal FN strasbourgeois a alors servi d’observateur pour des élections qui ont été boycottées par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Jean-Luc Schaffhauser était membre d’une délégation de l’Association pour la sécurité et la coopération en Europe (ASCE), un organisme sans légitimité mais qui permet notamment de donner des images de contrôle démocratique des scrutins aux télévisions russes.
Contacté suite à l’invasion russe en Ukraine, Jean-Luc Schaffhauser n’a pas souhaité répondre à nos questions tout en indiquant : « Je ne regrette absolument pas les missions que j’ai menées ni les points que j’ai défendus. » Ainsi, l’ancien conseiller municipal FN ne souhaite pas non plus se prononcer sur « une guerre qu’il a prédite ».
Les eurodéputés RN voyagent aux frais de la Russie
En juillet 2020, plusieurs eurodéputés RN se sont rendus en Crimée en tant qu’ »experts internationaux ». Parmi les députés nationalistes français : Virginie Joron, également conseillère régionale RN dans le Grand Est. Elle a fait le déplacement avec quatre camarades frontistes du groupe « Identité et Démocratie », dont Thierry Mariani. Ce dernier est notamment salarié du comité consultatif d’un fonds d’investissement franco-russe, comme l’a révélé le journal russe Vedomosti. Sur le site du Parlement européen, on découvre d’autres séjours de Thierry Mariani à Moscou. Par exemple, du 12 au 15 mars 2021, l’eurodéputé RN a voyagé en classe éco et passé deux nuits à l’hôtel Carlton. Le voyage a été financé par la Fondation russe pour la Paix de Leonid Sloutski, président de la commission des affaires étrangères de la Douma.
Sur le site du Parlement européen, les déclarations de l’eurodéputée RN donne les détails du voyage de Virginie Joron en Russie et en Crimée, au début du mois de juillet 2021. La chambre civique de la fédération de Russe a pris les frais de voyage en charge, donc les cinq billets d’avion entre Paris, Moscou et Minsk et cinq nuits d’hôtel. L’eurodéputée RN a été invitée pour observer un référendum sur une réforme constitutionnelle. Elle s’est ainsi rendue en Crimée, où elle a notamment rencontré le président du Conseil d’Etat de la « République de Crimée ».
Un scrutin contesté, les observateurs du RN approuvent
Sans doute fidèles à la mission qui leur a été confiée par la Russie, les parlementaires d’extrême-droite n’ont relevé aucune entorse au processus électoral qui a permis à Vladimir Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036. L’opposition russe a pourtant qualifié ce référendum d’antidémocratique et l’Union Européenne a invité la Russie à enquêter sur les irrégularités dénoncées. Comme le relate le journal Le Monde, le référendum a été entaché de nombreuses irrégularités :
« L’opposant Alexeï Navalny a qualifié le vote d’“énorme mensonge”, appelant ses partisans à se mobiliser pour les prochaines élections régionales, en septembre. Dénonçant une atteinte “sans précédent” à la souveraineté du peuple russe, l’ONG Golos, spécialisée dans l’observation des élections, a reçu plus de 2 100 signalements sur de possibles violations, notamment des cas de fonctionnaires contraints de se rendre aux urnes. »
L’année suivante, la délégation de soutien à la démocratie du Parlement européen place Virginie Joron sur une « liste noire » au motif que la délégation du groupe « ‘Identité et Démocratie » s’est rendue coupable de « faux voyages d’observation électorale ». Contactée par Rue89 Strasbourg en juin 2021, Virginie Joron avait dénoncé cette décision :
« Je n’ai rien à me reprocher, j’ai rempli ma mission de parlementaire qui est de vérifier que la démocratie est respectée. Tout a été déclaré auprès du Parlement européen, nous n’avons rien fait de répréhensible. Et mettre un pied en Crimée n’est pas un crime contre l’humanité. »
Contactée, Virginie Joron n’a pas souhaité répondre à Rue89 Strasbourg.
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