À l’Assemblée nationale jeudi 28 septembre, les députés ont voté l’article 2 du projet de loi « plein-emploi ». Il vise à imposer 15 heures de bénévolat par semaine aux allocataires du RSA. « Les politiques devraient tester notre vie, je les mets au défi. Ça se voit qu’ils n’ont aucune idée de ce qu’il se passe, nous on se bat pour survivre », lance Sarah. Cette « maman célibataire » de 25 ans est bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA). Elle est excédée par la volonté d’ajouter des contraintes aux personnes qui touchent les minima sociaux.
Ce souhait d’assortir le RSA à des obligations est depuis quelques années une obsession du parti Les Républicains (LR). Nicolas Sarkozy défendait le principe dès 2015, au nom d’une prétendue lutte contre « l’assistanat ». Et la droite alsacienne s’est particulièrement illustrée en la matière. En 2016, Éric Straumann (LR), alors président du département du Haut-Rhin, a tenté d’imposer sept heures de bénévolat hebdomadaires aux allocataires haut-rhinois du RSA.
Entre 400 et 500 bénévoles sur 40 000 bénéficiaires du RSA en Alsace
Saisi par la préfecture dans la foulée, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que le Département ne pouvait pas imposer une activité non rétribuée en échange d’une allocation. Le dispositif d’Éric Straumann existe toujours en 2023 mais n’est pas obligatoire. Il a été étendu à toute l’Alsace lors de la fusion des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin au sein de la Collectivité d’Alsace (CeA) en janvier 2021.
Contactée par Rue89 Strasbourg, la CeA indique que sur les 39 700 bénéficiaires du RSA en Alsace, chaque année, « entre 400 et 500 personnes sont en situation effective de bénévolat » :
« Le bénévolat repose sur le volontariat des bénéficiaires. Il s’agit d’une solution d’activité parmi d’autres, comme des formations et des emplois de transition avec des structures d’insertion. »
Interrogé par France Bleu Alsace, Éric Straumann, désormais maire de Colmar, juge le système « relativement inefficace », sept ans après sa création. S’il attribue ce faible taux de participation à l’absence d’obligation, il concède qu’il ne faut pas dépasser sept heures de bénévolat dans un dispositif obligatoire : il est difficile par exemple pour les mères célibataires de faire plus.
« Je n’ai pas les moyens de payer la garde d’Ezra »
Selon un rapport de la Cour des comptes de novembre 2021, en Alsace, 54% des bénéficiaires du RSA sont des femmes. 25% des allocataires sont célibataires avec des enfants, et 25% sont en couple avec des enfants. 17% ont plus de 50 ans.
Pour Sarah, les bénéficiaires du RSA ne sont pas des personnes « fainéantes » qui doivent simplement être secouées pour s’insérer professionnellement. Après un CAP vente en alternance, commencé dès ses 14 ans, la jeune maman a perdu son emploi pendant la pandémie de Covid. Suite à une rupture, elle s’est retrouvée à élever seule son fils Ezra, qui a ajourd’hui trois ans et demi :
« Je n’ai pas les moyens de payer la garde d’Ezra, donc je m’en occupe depuis sa naissance. Pour sa première année à l’école en 2022-2023, il n’avait classe que l’après-midi, de 13h30 à 16h. Faire 15 heures de bénévolat par semaine, pour moi, c’est impossible, sinon je travaillerais, je prendrais un mi-temps. C’est d’ailleurs pour la même raison que je n’ai pas de boulot.
Quel employeur peut accepter ces contraintes horaires ? Maintenant il a classe de 8h30 à 16h. Je n’ai pas écrit que j’ai un enfant sur mon CV. Mais quand j’en parle aux patrons, ils me refusent. En décembre 2022, j’ai réussi à avoir des entretiens d’embauche dans une boulangerie et une boutique de vêtements. Ils étaient d’accord jusqu’à ce que je parle de mon fils. S’il y avait un système pour financer la garde d’enfants, il y aurait moins de personnes au RSA. »
Des conditions de vie dont « personne ne peut se satisfaire »
Même la CeA reconnaît que les freins à la participation au bénévolat « sont les mêmes que ceux de l’accès à l’emploi ». Ces freins que connaissent donc, justement, les bénéficiaires du RSA : « Les problématiques de santé, de mobilité, de logement, de pratique de la langue… »
L’article de loi sur le RSA voté par les députés jeudi 28 septembre prévoit la possibilité de ne pas réaliser ces heures de bénévolat pour les personnes qui « ont des problèmes de santé, ou un handicap » ainsi que « les parents isolés sans solution de garde d’enfants ».
Sarah vit avec 870 euros de RSA et d’Allocation logement. Elle a résilié ses abonnements internet, Netflix, Deezer et elle ne va plus à la salle de sport. La jeune femme a été obligée de se rendre aux Restos du cœur plusieurs fois et d’utiliser des chèques services pour faire ses courses. « Ils croient que ça me plaît ? », interroge-t-elle, à l’adresse de « ceux qui critiquent » les bénéficiaires du RSA : « Personne ne peut se satisfaire d’une telle situation. »
Au micro de France 3 Aquitaine, Xavier Fortinon, président socialiste du conseil départemental des Landes, a estimé que cette obligation de bénévolat ne fait que « stigmatiser un peu plus » des personnes précaires :
« Les députés de la majorité et les LR (Les Républicains, NDLR) sont persuadés que les bénéficiaires du RSA essaient de profiter du système. Je pense qu’ils ne savent pas ce que cela fait de vivre avec 500 euros par mois. »
« Nous nous battons contre ce chantage »
Marc Desplats, président de l’association de défense des droits des chômeurs ABCDE, considère que le RSA est un droit, qui ne permet même plus d’avoir l’essentiel, se loger et se nourrir. En revanche, il ne doit « être assorti d’aucune obligation » :
« Nous ne sommes pas contre le bénévolat. Beaucoup de personnes en font d’elles-mêmes, aux Restos du cœur ou au Secours populaire par exemple. Mais nous nous battons contre ce chantage qui est une réelle discrimination des chômeurs. Il y a déjà de plus en plus de contrôles qui sont effectués et mettent une forte pression sur ces personnes précaires, qui sont régulièrement menacées de suspension du RSA. »
Sarah redoute que l’obligation de faire du bénévolat crée une contrainte administrative supplémentaire :
« Je sais comment ça fonctionne. Pour les personnes qui auront des dérogations, il risque d’il y avoir des gels de RSA, même provisoires, le temps de justifier la situation. C’est une angoisse de plus. »
Marc Desplats dénonce « toutes ces pressions exercées sur des personnes, qui ont souvent un parcours de vie difficile, et qui peuvent êtres découragées ».
Un revenu universel ?
Pour Jean-Luc Gleyze, président socialiste du conseil départemental de la Gironde, « considérer le RSA et l’insertion uniquement sous l’angle de la sanction, c’est méconnaître la réalité et la complexité des parcours de vie ». Au contraire, il rappelle que des présidents de départements de gauche proposent depuis 2018 de mettre en place un revenu universel, afin de « prendre en compte la spécificité de chacun et de l’amener à une insertion sociale et professionnelle émancipatrice et épanouissante ».
« Comme n’importe qui, les bénéficiaires du RSA ont souvent des activités et des projets », abonde Marc Desplats.
Auparavant assistant de vie scolaire dans une école (AVS), Jean-Christophe, 54 ans, est au RSA depuis 2008. Il craint que le dispositif de bénévolat l’entrave dans ses activités. Le quinquagénaire décrit ses journées bien occupées :
« Je suis en deuxième année d’une licence Administration économique et sociale. Ça me permet de faire pas mal de choses. Je vais souvent à la Bibliothèque nationale universitaire, je peux y passer des heures. Et je vais au sport, à la salle de musculation où je fais du basket. À la fin de la journée, j’ai l’impression de m’être dépensé, je rentre et je pense à mon avenir. »
« Il y a la volonté de contrôler davantage les chômeurs »
Georges, 34 ans, est au RSA depuis deux ans :
« Certaines personnes peuvent le vivre comme une honte. Moi pas du tout. Je considère que je ne suis pas obligé d’avoir un emploi pour justifier mon existence. J’ai déjà eu des contrats salariés qui ne servaient à rien ou qui étaient même nocifs d’ailleurs. »
Informaticien de formation, il a choisi de démissionner et de ne pas chercher d’activité salariée pour un temps. Il revendique le droit de ne pas avoir d’emploi au moins à certaines périodes de sa vie :
« Je veux décider seul et sans contrainte de ma manière d’employer ma force de travail. Derrière cette mesure de bénévolat, il y a la volonté de contrôler encore davantage les chômeurs. »
Georges se consacre quotidiennement à ses engagements : un collectif d’entraide rattaché au syndicat de la CNT pour aider des personnes en difficulté à garder ou trouver un logement, et le bénévolat pour Les Petites roues, une association de solidarité : « Je serais attristé de devoir consacrer 15 heures par semaine à une occupation que je n’ai pas choisie, c’est du temps que je ne pourrais pas attribuer à mes activités actuelles, qui font sens pour moi. »
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