Ce sont deux petits mots qui changent tout. En séance du conseil municipal lundi 31 janvier, les écologistes ont modifié un texte qui venait de leur opposition socialiste et occasionné un gros clash. Ces chamailleries pourraient paraître routinières s’il ne s’agissait pas de la question des sans-abris à Strasbourg.
Que s’est-il passé ? Retour sur le déroulé des faits. En l’absence de la maire Jeanne Barseghian (EELV), isolée pour cause de Covid, c’est son premier adjoint Syamak Agha Babaei (Labo citoyen) qui préside le conseil municipal. La séance tire en longueur mais les débats sont bien maîtrisés. Toutes les délibérations ont été votées sans accroc. Dans la soirée, c’est l’heure des résolutions pour terminer la séance.
Les résolutions, une nouveauté prisée
Les résolutions n’existaient pas sous l’ancien maire Roland Ries (ex-PS). Il s’agit d’une nouveauté avec l’arrivée de Jeanne Barseghian. Elles permettent à n’importe quel élu, et en particulier de l’opposition, de pouvoir proposer une idée aux voix de l’assemblée municipale. À la différence des motions et autres prises de position symboliques, une résolution votée engage la municipalité à la mettre en œuvre par des actions. Par exemple, lorsque trois versions de la définition controversée de l’antisémitisme ont été adoptées, un « plan d’actions » avait ensuite élaboré. Les résolutions sont « une avancée démocratique », plusieurs fois saluées par les oppositions. Depuis un peu plus d’un an, elles relèvent parfois de mesures consensuelles, d’autres fois, l’opposition tente de mettre la majorité face à ses contradictions avec des textes piégeux.
Ce lundi 31 janvier, une première résolution proposée par Pierre Jakubowicz (Horizons, apparenté LREM) vient d’ailleurs d’être adoptée dans un climat apaisé. Il s’agit de tenter de collecter et d’amorcer une filière de recyclage pour les masques jetables.
La deuxième résolution vient de Céline Geissmann (PS). Depuis son éviction de la majorité, l’élue socialiste est devenue une opposante très active en séance et critique. L’ex-adjointe au numérique se saisit du conflit entre la préfecture et la municipalité sur le manque d’hébergement pour les personnes sans-abri à Strasbourg. Un sujet qui fatigue les associations et a occasionné la création d’un collectif de parents et d’enseignants qui interpelle la municipalité.
Une mise à l’abri « immédiate » exigée
Le texte de la jeune élue propose que la municipalité organise « une mise à l’abri immédiate et inconditionnelle correspondant au nombre de demandes ». Une forme de « quoiqu’il en coûte » appliquée à la question des sans-abris.
En face, la municipalité tient sa ligne actuelle : d’accord pour faire davantage, mais pas tout seul. Elle rappelle que selon le code de l’action sociale, la mise à l’abri « inconditionnelle » relève de l’État et donc de la préfecture du Bas-Rhin à Strasbourg. Elle veut donc faire propositions de logements vides, que la préfecture doit ensuite occuper et donc co-financer. Un système que l’adjointe aux Solidarité, Floriane Varieras, juge moins onéreux et plus efficace que les chambres d’hôtels.
Syamak Agha Babaei pointe aussi « un effort sans précédent » de 400 places ouvertes ou en cours d’ouverture par la Ville et l’Eurométropole depuis 2020. Lors de la campagne électorale, le programme des écologistes tablait sur 500 places et 50 pour femmes victimes de violences, une mesure chiffrée et jugée soutenable financièrement sur la durée du mandat. Le premier adjoint rappelle que quelques heures plus tôt, sa majorité a été critiquée pour la hausse des dépenses. Or dans ce débat, il n’est pas question du financement d’une telle mesure. Lors de son intervention, Céline Geissmann propose le « réquisitionnement massif de foncier vide ». Nouvelle élue depuis 2020, la conseillère municipale n’est pas directement comptable du bilan des Socialistes lors des mandats précédents et qui n’ont jamais porté une telle position. En fin de mandat, Roland Ries avait consenti à l’ouverture de 100 places, sur proposition de Syamak Agha Babaei et des écologistes.
Des amendents à l’oral
Pour les écologistes, la situation est délicate. Voter « contre », c’est risquer de voir le nom de la résolution « Faire ensemble de Strasbourg une ville où personne ne dort à la rue » s’afficher sur l’écran et les noms des élus écologistes à côté d’un vote « contre ». Et que la capture d’écran circule ensuite massivement pour susciter l’indignation. Voter « pour », c’est au contraire s’engager dans un engrenage périlleux puisque la résolution engage la Ville. Au-delà de la question juridique, cette position pourrait se retourner contre la municipalité d’un point de vue politique, dès que la municipalité n’aura pas d’hébergement à proposer à chaque refus du 115 de répondre.
Les écologistes proposent alors un « amendement », c’est-à-dire une modification du texte. Peuvent-ils procéder de la sorte ? Majorité et oppositions se plongent dans le règlement intérieur. Plusieurs suspensions de séance s’enchainent pour comparer les versions des textes. Mais le nouveau règlement ne prévoit rien pour les amendements aux résolutions. Pour les autres textes soumis au vote, les amendements peuvent être déposés par écrit, ce qui n’a pas été le cas. Autre possibilité : « À titre dérogatoire, et avec l’assentiment de la majorité du conseil, la maire dispose d’un droit oral de proposition d’amendement ». Pour la majorité, c’est facile ! Comme elle dispose d’une large majorité, elle peut donc donner « l’assentiment » et modifier ce qu’elle veut.
La droite savoure le spectacle
Du côté de la droite, on se délecte du spectacle et du déchirement entre anciens alliés. Le président du groupe Les Républicains, Jean-Philippe Vetter, voit un intérêt à la résolution : « Elle vous met devant vos responsabilités », lance-t-il à la majorité et voit poindre « un recul » par rapport aux déclarations des élus écologistes. Il se garde bien de dire si son groupe votera « pour » ou « contre » la mise à l’abri systématique proposée par les Socialistes. Mais on le devine à sa déclaration : « Ce n’est pas possible de pouvoir accueillir de manière inconditionnelle tout le monde ».
Le groupe « La République en Marche » reste planqué et ne donne pas de position sur le fond dans ce débat. Jusque-là, ses élus et élues ont voté les créations de places. Mais lors d’un vote à l’Eurométropole en septembre pour des places supplémentaires, aucun de ses 4 représentant n’a pris par au scrutin. Lors du même vote les élus « Les Républicains » s’étaient abstenus et avaient formulé des critiques en séance.
Finalement, une nouvelle version du texte propose une « demande de mise à l’abri […] auprès des autorités compétentes » (voir en fin d’article les deux versions). Ce qui amoindrit la portée et revient plus ou moins au statu quo actuel. Mais ce n’est pas sur ça que le débat rebondit une demi-heure supplémentaire.
Cette fois-ci, les élus LREM s’impliquent dans la discussion. Pour Pierre Jakubowicz, qui détient le record de résolutions déposées, c’est « un détournement de l’outil » et modifier la substance d’une résolution « contre l’avis du porteur du texte » est contraire « à l’esprit de Jeanne Barseghian », qui avait par le passé arbitré une situation similaire autrement. Idem pour l’ancien candidat Alain Fontanel (LREM) pour qui l’amendement au forceps serait « une négation de votre engagement démocratique ».
« Mascarade » et « précédent » pour les oppositions
« Mascarade », « Entre vous » ! Cette fois-ci les trois groupes d’opposition sont au diapason sur cette question de procédure. Ce qui occulte le débat de fond. Ainsi, malgré ses demandes, Céline Geissmann ne peut pas soumettre aux voix la version initiale. En février 2021, lorsque Pierre Jakubowicz avait proposé un texte sur le débat public qui ne convenait pas à la majorité, il avait pu présenter sa version, quitte à ce que les écologistes votent « contre » et rejettent la proposition. Les Socialistes estiment donc qu’ils sont moins bien traités que le groupe LREM d’opposition.
Les écologistes n’entendent pas les alertes des différents groupes sur « un précédent » qu’ils s’apprêtent à créer. Celui de pouvoir modifier à leur guise les textes qui leur sont proposés pour adopter une version qui leur convient mieux. Ils voient-là au contraire une « convergence » entre Socialistes et « Les Républicains » ou LREM. Le type de remarque qui a toujours le don d’énerver les Socialistes. Dominique Mastelli relève que la droite n’a pas toujours voté les ouvertures de places, contrairement au PS.
Le groupe écologiste fait bloc. Le texte amendé est voté par 45 voix sur les 47 élus de la majorité. Les autres groupes ne prennent pas part au scrutin. Ainsi, ils n’ont pas à aller au bout de leur positionnement via un vote mais peuvent critiquer la façon de faire des écologistes.
Très vite des communiqués partent pour diffuer leur lecture des faits. La municipalité salue un texte « pour prendre en compte la réalité des compétences des différents acteurs impliqués » et « travailler collectivement à des solutions pérennes ». Les Socialistes répliquent quelques minutes plus tard pour dénoncer un « recul démocratique » et un « acte de censure », sans mentionner le sujet de départ, la question des sans-abris.
Alors que le texte visait à rétablir « un dialogue constructif et apaisé avec l’État », la préfecture a de son côté pu noter que les quatre groupes du conseil municipal sont divisés sur cette question.
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