Il y a quelques jours, un médecin de l’institut de pharmacologie Roche à Strasbourg voit son bureau en photo sur Internet, à vendre aux enchères. Il se renseigne et effectivement, le mobilier du site situé près de l’hôpital civil est à vendre : lits médicalisés, ordinateurs, bureaux, appareils de mesure, etc. Les enchères ont eu lieu ce mardi matin, dans la salle même où étaient allongés auparavant les volontaires des tests de médicaments. Le mobilier, indiquent quelques affiches, est à enlever les 26 et 27 juin.
Problème : il reste encore 26 salariés sur les 42 qui recevaient et appliquaient les protocoles de tests dans ces locaux. Le groupe pharmaceutique suisse Roche, dont le chiffre d’affaire avoisine 37,7 milliards d’euros, a décidé de se séparer de son institut strasbourgeois en juin 2012, déficitaire d’environ 2 millions d’euros par an. Après un timide projet de vente, la fermeture simple est décidée en septembre et depuis, les salariés attendent la conclusion du plan social lancé en février. Patrick, délégué du personnel, résume la situation :
« Le groupe s’est mis à externaliser de plus en plus ses études. Puis ils sont venus nous dire qu’on n’était pas rentable ! On a appris tout à fait fortuitement que le site était condamné l’année dernière et ils procèdent de la même manière avec cette vente aux enchères. Tout ça a été décidé sur un trait de plume au nom de la rentabilité par un groupe international sur lequel on n’a aucune prise. Mais c’est complètement faux, un audit réalisé par Secafi, un cabinet indépendant, a démontré que la rentabilité du groupe ne pouvait pas être impactée par notre petite unité. Résultat, le plan social a pris du retard et on se retrouve dans cette situation ! Mais on est bien décidé à s’accrocher à nos fauteuils. »
Depuis la rentrée 2012, les 26 salariés viennent tous les jours pour ne rien faire ou presque. Ils se soutiennent, font ensemble le deuil de leur carrière chez Roche et cherchent vaguement un emploi sur Internet. Mais ils savent que leurs situations personnelles vont se dégrader. Chez Roche, une infirmière coordinatrice de projet est payée 2 300€ nets par mois et a le statut de cadre, avec le seul diplôme d’infirmière. Un salaire supérieur de 900€ à ce qui se pratique dans les cliniques ou les hôpitaux.
Des profils difficiles à reclasser
Mélanie, 34 ans, a fait toute sa carrière à l’institut Roche :
« Notre métier n’existe pas ailleurs. Tout notre savoir-faire, tout notre potentiel, tout ça est jeté. J’ai le sentiment d’un immense gâchis. La recherche clinique est désormais réalisée dans des centres qui fonctionnent au rendement et qui n’ont pas du tout les mêmes procédures que nous. Il en existe quelques-uns dans le sud de la France. Et si je retourne à l’hôpital, j’aurai un niveau de débutante et je me retrouverai avec celles qui sortent de l’école, en perdant mon statut de cadre.
Avec mon mari, on a mis tous nos projets en attente. J’étais celle qui gagnait le plus d’argent dans le foyer… et je n’ai aucune idée de ce que je ferai dans six mois, un an. Alors je viens ici, voir les collègues, faire un tour sur Internet… Parce que sinon, je tourne en rond chez moi et ce n’est vraiment pas bon. »
Parmi le matériel mis en vente, un système de traitement informatique des volontaires… qui n’a jamais servi : ordinateurs à écrans tactiles, station d’accueil, prises de mesures connectées, etc. Un projet de numérisation complet mené par l’équipe informatique depuis 2008 et qui arrivait finalement à son terme, se désole l’un d’entre eux. Les salariés ont collé des post-it avec leurs noms sur leurs bureaux et leurs chaises, pour éviter qu’ils ne partent avec les déménageurs.
Avant de se séparer de l’institut strasbourgeois, Roche avait ordonné une remise à plat des procédures et commandé un audit qualité. Manque de chance, les conclusions du cabinet indépendant louent le professionnalisme des équipes. La direction de Roche a même félicité le personnel.
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