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Le désarroi des routiers, laissés seuls pendant la crise sanitaire

Routiers ou livreurs, ils permettent au pays de continuer à fonctionner pendant la crise sanitaire. Ils ont pourtant l’impression d’être les grands oubliés.

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Le désarroi des routiers, laissés seuls pendant la crise sanitaire

« On ne peut pas se permettre de s’arrêter. » C’est ainsi que Lionel résume son état d’esprit. Chauffeur routier pour un grossiste alimentaire, il n’a pas envisagé un seul instant de se mettre en retrait depuis qu’a éclaté la crise sanitaire du coronavirus. Il livre à Mulhouse, l’un des foyer de l’épidémie en France. Dans son entreprise cependant, tous les intérimaires ont été remerciés :

« Les volumes ont fondu c’est sûr. Mais moi je peux continuer à travailler et je le fais, malgré les risques. J’essaie de me protéger du mieux que je peux, je me suis procuré du gel hydroalcoolique. »

Dans son entreprise, tous les chauffeurs salariés continuent de travailler. Aucun n’a invoqué son droit de retrait, malgré les risques de contamination :

« Il y a même une bonne ambiance au boulot, on est plus soudés qu’auparavant. »

« On ne peut plus s’arrêter pour manger ni faire sa toilette dans les aires d’autoroutes »

Pour autant, Lionel ne serait pas contre un peu plus de reconnaissance de la part de la population et des autorités. Il déplore que tout son environnement de travail ait été déserté :

« Les aires d’autoroutes sont fermées, on ne peut plus s’arrêter pour manger, ni faire sa toilette… Moi ça va encore parce que je rentre tous les soirs chez moi, mais pour les collègues qui sont plusieurs jours sur la route, ça ne peut pas continuer comme ça… »

La vidéo de ce routier du sud de la France est devenue virale sur Facebook :

Le témoignage poignant de Santo Mazzola

Marc Conrad, routier de Weyersheim, est aussi choqué par le traitement qui lui est imposé. Contraint de rouler faute de voir son entreprise couler, il a aussi témoigné sur son profil Facebook, son dégoût de la situation actuelle :

« Partout les portes nous sont fermées. Les aires d’autoroutes mais aussi celles des entrepôts où on doit décharger devant sans parler à quiconque… Franchement des fois, c’est dur, on a l’impression de transporter la peste. »

Les aires d’autoroute sont subitement devenues hostiles aux routiers Photos : Frédéric Bak / Facebook

Avec son 3,5 tonnes, Laurent livre les supers et les hypermarchés alsaciens. Lui non plus n’envisage pas d’arrêter malgré des conditions de travail dégradées :

« Je livre des pâtes et des pommes de terre, il va se passer quoi si j’arrête ? On voit bien que les volumes ont baissé mais je me dois de continuer. Je travaille dans l’alimentaire, je sais bien qu’on peut pas s’arrêter comme ça… »

« Je sais bien que je peux ramener le virus à la maison mais… »

Avec ses collègues, le coronavirus, ils en parlent tout le temps : comment se protéger, protéger les autres, la durée de vie du virus de 24 heures sur les cartons, etc. Il poursuit :

« Je sais bien que je peux ramener le virus à la maison. Je me suis posé la question de me retirer, pour ma famille. Mais je ne sais pas trop… Je me considère comme indispensable. Alors je demande aux gens d’arrêter de me frôler dans les rayons… »

Laurent n'envisage pas de s'arrêter de travailler (doc remis)
Laurent n’envisage pas de s’arrêter de travailler (doc remis)

Lui non plus n’a pas reçu de masque ni de gel hydroalcoolique de la part de son entreprise. La direction essaie bien de s’en procurer, mais ces denrées sont devenues introuvables depuis le début de la crise sanitaire et les rares stocks sont envoyés au personnel soignant. Laurent comprend bien la priorité. Mais quand même, un masque, ce serait pas de trop : « je croise plein de gens toute la journée. »

« Il y a des gens qui dépendent de nous »

Kemal livre les laboratoires, les pharmarcies et même des particuliers en produits sanitaires. Lui non plus n’envisage pas d’arrêter, par impératif économique mais aussi « par devoir » :

« Le patron nous a dit qu’on pouvait arrêter de travailler si on voulait… Je continue. On a des gens qui dépendent de nous. »

Le dépôt utilisé par Amazon à la Meinau (Photo Google)
Le dépôt utilisé par Amazon à la Meinau (Photo Google)

« On a l’impression d’être de la chair à canon pour Amazon »

Fred (prénom changé) livre pour Amazon à Strasbourg. Et depuis que la situation sanitaire s’est popularisée, il est stupéfait par la carence des mesures sanitaires dans son entrepôt :

« Avec les colis qui passent de mains en mains, les visites auprès de 50 à 150 clients par jour, la livraison à domicile est évidemment un facteur de propagation important du virus. On a appris samedi que plusieurs d’entre nous avaient été en contact avec des personnes infectées. On aurait dû être isolés mais rien… alors mercredi, j’ai invoqué mon droit de retrait. Un médecin a d’ailleurs posé un diagnostic de covid-19. »

Fred ne mâche pas ses mots quant à son sentiment :

« On a l’impression d’être de la chair à canon pour qu’Amazon gagne des parts de marché… Ce qu’on livre, c’est pas des biens de première nécessité. Elle est où la logique à maintenir notre activité pour livrer des coques de téléphones ? »


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