En avril 2008, Roland Ries est à peine élu maire de Strasbourg qu’il reçoit une lettre du cabinet Athéo, lui proposant une mission de réflexion sur le Marché de Noël (voir ci-dessous). Cette proposition tombe à pic, la nouvelle municipalité se demandant justement comme redynamiser l’événement phare de Strasbourg. Roland Ries accepte, y compris « l’approche budgétaire » proposée par Athéo de 30 000€ quand même, car il connaît bien l’homme qui signe, Roland Boehler.
Vieux militant PS selon Le Canard Enchaîné, Roland Boehler est lié à Michel Rocard, dont Roland Ries est proche depuis son adhésion au PSU en 1974. Les deux hommes se croisent depuis des dizaines d’années, autour de la communication politique. Roland Boehler indique sur son CV « conseiller de personnalités politiques, consultant en stratégie politique de députés, maires ou sénateurs ».
Lors d’une réunion du comité de pilotage du Marché de Noël, élus et fonctionnaires découvrent l’existence de cette mission, dont la commande a été passée en dehors de toutes les règles des marchés publics. Une collectivité doit d’abord exprimer un besoin, puis mettre en concurrence des offres. Chantal Augé et Caroline Ctorza, alors adjointes aux marchés publics et à la prévention des risques, vont voir Roland Ries pour l’alerter des manquements légaux autour de cette étude.
Le maire fait le dos rond, assure qu’il y a eu un « loupé » et qu’on ne l’y reprendra plus. Mais en juin 2008, Roland Boehler envoie une autre lettre, dans laquelle il confirme une entrevue le même mois avec Roland Ries et reprend presque mot pour mots les termes de la précédente, en remplaçant « Marché de Noël » par « Strasbourg, les livres, les écrivains ». Pour l’étude de faisabilité, c’est aussi 30 000€ (voir ci-dessous).
Mais Roland Boehler a un autre dossier en cours avec la CUS, il œuvre avec Philippe Ginestet, alors président du Racing Club pour doter Strasbourg d’un grand stade pouvant accueillir l’Euro 2016. Sans réponse de l’Etat, Strasbourg retirera sa candidature en juillet.
Entre temps, l’administration et le cabinet du maire répondent par la négative à la proposition du festival sur « Les livres, les écrivains » de Roland Boehler. Roland Ries évite ainsi une nouvelle affaire.
Quatre pages pour 30 000€, un record
Car la première commence à faire du bruit. Robert Herrmann, premier adjoint au maire, qui a repris le pilotage du Marché de Noël pour mettre fin aux bisbilles entre Eric Elkouby (adjoint aux foires et marchés), Mathieu Cahn (adjoint à l’animation) et Jean-Jacques Gsell (tourisme et commerce), cherche encore l’étude des deux consultantes d’Athéo en octobre 2008.
Le premier adjoint s’agite puis finit par obtenir cette fameuse étude. Il n’en croit pas ses yeux lorsqu’il découvre quatre pages de réflexions vagues, quelques pistes tout au plus : un TGV de Noël, un tramway de Noël, des croisières de Noël sur le Rhin…
Robert Herrmann se tourne alors vers Roland Ries et lui indique que le travail n’a pas été fait, surtout pour une étude commandée et payée près de 30 000€. Il considère qu’à peine 30% du travail a été produit et qu’il convient d’exiger un remboursement partiel d’Athéo.
Ce sera loin d’être simple, il faudra presqu’un an de paiements échelonnés pour qu’en novembre 2010, la Ville récupère effectivement 70% du montant payé. De son côté, l’ancien Premier ministre Michel Rocard intervient en faveur de Roland Boehler pour demander à Roland Ries de payer, y compris des « prestations complémentaires ».
Dès fin 2008, une dénonciation anonyme a alerté le procureur de la République sur ce possible « travail fictif » ou « détournement de fonds publics ».
Malgré le rapport sur Noël, Roland Ries renoue sa confiance
On aurait pu croire le maire échaudé par ce rapport bidon, mais non. Roland Ries ne cesse pas la collaboration avec Roland Boehler, bien au contraire.
A la suite de la visite à Strasbourg en novembre 2008 du président du Mali, Amadou Toumani Touré, au cours de laquelle ce dernier a été particulièrement impressionné par le tramway, Roland Boehler, présenté comme consul honoraire du Mali, un titre qu’il n’a jamais eu, fait le lien entre les Maliens et Lohr Industries. L’entreprise alsacienne fabrique le Translohr, un tramway sur pneu qu’elle a bien du mal à vendre.
L’idée d’installer à tramway à Bamako naît. Et pour faire bonne mesure, Roland Boehler ajoute la Ville dans la boucle. En janvier 2009, il rencontre Patrick Pincet, alors directeur du cabinet de Roland Ries, avec Jean-François Argence, directeur commercial de Lohr Industries. De cette rencontre naît l’idée que la CUS pourrait financer l’étude de faisabilité et que Roland Ries aille à Bamako faire la promotion du tramway.
Cette fois, la Ville vote une délibération avant d’engager la dépense. Le 6 avril 2009, le conseil municipal vote, sans débat, 50 000€ pour financer cette étude. Mais patatra, la Ville ne publie pas ce marché sur son site web et ne fait pas de mise en concurrence. Elle attribue le marché à trois cabinets : Serue pour l’insertion dans la paysage urbain, Transitec pour les déplacements et Nogha Consulting pour l’urbanisme.
Pas de mise en concurrence pour Bamako
Et là débute la seconde affaire judiciaire de Roland Ries, car Bernard Debry, directeur général des services à l’époque, refuse de payer en invoquant un possible délit de favoritisme. En avril 2010, il écrit une note détaillée au maire, qui le débarque quelques jours plus tard. En juin, Bernard Debry se venge et informe à son tour le procureur de la République de ce qu’il pense être un délit, comme la loi l’y oblige.
Fin janvier 2010, les adjointes Chantal Augé et Caroline Ctorza avaient aussi écrit à Roland Ries, pour l’alerter sur l’absence de procédure encadrant ces études. Elles s’étonnaient en outre que Roland Boehler réapparaisse, avec une prestation de mise en forme des résultats des études facturée près de 8 000€.
Mais peu importe, ces études seront payées à l’été 2010, 21 310€ pour Serue, 14 850€ pour Transitec, 13 000€ pour Nogha, plus 7 650€ de frais de déplacements. Pour Roland Ries, ces études n’avaient pas à être soumises au code des marchés publics, puisqu’elles ne concernaient pas la Ville, mais Bamako, et qu’il s’agissait donc d’un acte de coopération décentralisée. La Chambre régionale des comptes n’est pas de cet avis et l’a fait savoir dans son rapport rendu en mars 2013.
Le Dr Boehler, « chargé de communication de la ville de Strasbourg »
Pour le procureur de la République de Strasbourg, ces dénonciations visant la municipalité strasbourgeoise commencent à faire beaucoup. Il saisit la chambre d’instruction de Nancy, pour dépayser l’enquête. Mais fin 2012, l’instruction menée par Mireille Maubert-Loeffel n’a guère progressé. Du coup, en mars 2013 la chambre d’instruction de Nancy décide de mettre deux magistrats sur ce dossier, provoquant l’audition, comme témoin, de Roland Ries début juin 2013 par la police à Strasbourg. De son côté, Roland Boehler a été entendu deux fois par les policiers.
Alors que Roland Ries se présente à nouveau devant les Strasbourgeois en mars 2014, l’opposition a décidé d’interpeller le maire sur ces affaires à chaque conseil municipal. Après avoir perdu deux directeurs de cabinet (Jean-Michel Augé et Patrick Pincet), un directeur général des services (décédé depuis) et deux adjointes, qui tous s’interrogeaient sur ces relations, Roland Ries risque de payer bien cher ses fidélités rocardiennes.
Aller plus loin
Sur Mediapart : Le maire PS de Strasbourg soupçonné de «favoritisme»
Sur Libération : Rocard et ses frères
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