« Mais comment est-il possible, que dans une ville comme Strasbourg, il puisse il y avoir des enfants dehors, sur le pas de notre porte, et que les autorités ne fassent rien ? », s’insurge une femme. « Je vais le dire aux élus ! », assure t-elle. L’ambiance est tendue. Environ 70 personnes sont entassées, en cette soirée du lundi 6 septembre, dans la petite salle du foyer culturel Saint Arbogast. Elles répondent à l’appel de l’association de quartier Portes de la Montagne Verte, pour une réunion au sujet du camp de demandeurs d’asile, installé depuis fin juillet au début de la route de Schirmeck.
Des élus sont présents pour répondre aux questions des habitants. Pierre Ozenne, adjoint à la maire en charge de l’espace public, présente brièvement la situation :
« Le camp a grandi très vite. Aujourd’hui, nous recensons environ 100 personnes réparties en 21 familles d’Europe de l’Est, dont 15 sont en demande d’asile. Les autres relèvent d’autres procédures. Par exemple, suite à un refus de leur demande d’asile, elles peuvent attaquer la décision devant le tribunal administratif. Nous avons saisi la préfecture pour que toutes ces personnes soient logées, mais nous n’avons pas eu de réponse. »
« Ce n’est pas compliqué de poser des toilettes sèches »
Ce dernier propose ensuite aux habitants d’intervenir. Une petite dizaine de mains se lèvent immédiatement. Et cinq personnes, successivement, interrogent les élus sur l’absence de sanitaires et de point d’eau. Une femme, quadragénaire, ne cache pas sa colère :
« Il y a trois femmes enceintes, une cinquantaine d’enfants, des personnes malades… Ce n’est pas compliqué de poser des toilettes sèches. En un mois, vous auriez pu le faire. Et leurs ordures ne sont quasiment pas ramassées. Il y a déjà des rats. C’est indécent. Tout ça c’est du ressort de la Ville. On attend de vous une réponse rapide. »
Pendant sa campagne pour devenir maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian s’était d’ailleurs engagée à « mettre rapidement en place […] des points d’eau, des toilettes, et une bonne collecte des déchets pour les campements ». Pierre Ozenne reconnaît « une mise en œuvre trop lente » et promet que tout sera installé d’ici peu. Interrogée sur le délai précis, Floriane Varieras, adjointe à la maire chargée des solidarités, répond que « des entreprises sont mandatées, et que cela ira aussi vite que possible, certainement dans la semaine ».
« Les demandeurs d’asile ont droit à un logement, c’est inscrit dans la loi »
Un homme de 50 ans s’inquiète de « la pérennisation du lieu » : « Là, on dirait que vous partez du principe que le camp va s’installer dans le temps. » Floriane Varieras rétorque qu’il s’agit de « répondre à l’urgence de la dignité des personnes, mais que le but est évidemment que tout le monde soit vite logé ». Elle rappelle que c’est l’État qui est en charge de l’hébergement d’urgence. Un homme tape sur la table avec son poing et se met à crier :
« Mais c’est toujours pareil ! Ce n’est jamais de votre faute. Vous n’avez aucune réponse à apporter. Pourtant, il y a des logements vides, des hôtels vides, et à côté, des personnes qui dorment dehors. On devrait trouver des solutions entre citoyens, plutôt que d’attendre quelque chose de votre part ! »
L’État a bien la compétence Logement et surtout le budget pour loger les sans-abris. Floriane Variéras ne peut que rappeler « la politique volontariste de la Ville de Strasbourg », qui veut allouer, tous les ans, 3 millions d’euros de son budget pour ajouter 500 places d’hébergement d’urgence au dispositif global :
« Nous avons déjà créé 200 places depuis le début du mandat, 100 autres vont ouvrir à la fin du mois de septembre, et nous y placerons vraisemblablement des personnes du camp de Montagne Verte. Le fond du problème, c’est que l’État ne fait pas son boulot. Les demandeurs d’asile ont droit à un logement, c’est inscrit dans la loi. »
Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des solidarités.
L’État pointé du doigt par les élus
Un homme à l’avant de la salle abonde : « C’est ce système de demande d’asile, avec des procédures administratives à rallonge qui pose problème. Sans papiers, les réfugiés ne peuvent pas travailler, et n’ont aucun moyen d’avoir accès à un logement. Ils sont dépendants de l’État, qui ne les loge pas. » « Mais comment convaincre l’État ? », demande une jeune femme. L’adjointe à la maire lui répond qu’elle peut écrire à la préfète. Une autre personne propose de faire « une manifestation » ou « d’installer des tentes devant la préfecture ».
Selon Floriane Varieras, les associations Horizon Amitié et Foyer Notre Dame ont des places disponibles dans leurs centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). D’après la directrice adjointe de l’Office français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) du Grand Est, 12% des 10 000 places pour les demandeurs d’asile dans le Grand-Est sont vacantes. Et c’est justement l’OFII qui est censé diriger les demandeurs d’asile vers leurs hébergements. Il sera donc difficile, pour ce service de l’État, de rétorquer qu’il n’y a pas de place. Pierre Ozenne insiste : « Nous sommes dans la même position que vous. Nous militons auprès de la préfecture pour qu’il y ait des prises en charge. »
La chaleur est de plus en plus pesante dans la salle. Une femme s’offusque du fait qu’une solution ait été trouvée « si rapidement pour les réfugiés afghans » logés à Strasbourg fin août, suite à la prise de pouvoir des talibans dans leur pays : « C’est bien pour eux. Mais je ne peux m’empêcher de voir l’injustice pour les autres demandeurs d’asile. » Floriane Varieras ajoute que « pendant la pandémie, le nombre de personnes à la rue a énormément baissé, car le gouvernement a mis en place une politique ambitieuse. » C’est donc « clairement un manque de volonté de l’État si ces personnes sont dans la rue », ajoute t-elle : « Nous avons les moyens de loger ces personnes. »
Un sentiment d’impuissance
Les riverains discutent aussi de l’emplacement du camp, qu’ils jugent dangereux pour les enfants, en raison de sa proximité avec une route très passante. Ils proposent de le déplacer d’une centaine de mètres, sur une friche plus grande et sécurisée qui appartient à la Ville. Les élus assurent qu’ils prennent note. Une femme demande si les enfants sont scolarisés. Floriane Varieras lui répond qu’une partie d’entre eux sera scolarisée mais qu’il faut attendre de savoir où ils seront logés pour les affecter dans des écoles adaptées.
Finalement, la quasi-intégralité des prises de parole est en faveur d’une aide à ces demandeurs d’asile. Certains regrettent d’ailleurs qu’ils ne soient pas présents à la réunion. Seul un homme revendique : « On pourrait d’abord se concentrer sur les Français avant d’essayer d’aider les étrangers. » Il est réprimandé par une bonne partie de la salle.
Une membre de l’association Strasbourg Action Solidarité sensibilise l’assemblée sur les besoins en couches, en produits pour bébés et en habits. De nombreux volontaires prennent son contact pour organiser leurs dons. Vers 20h30, Pierre Ozenne est contraint de mettre un terme à la réunion, la salle est réservée pour une autre activité dans la foulée. Beaucoup de personnes se disent frustrées par la situation. « Cela me rend malade de voir l’accueil que l’on réserve à ces personnes. Je veux aider, militer pour eux », confie un homme en sortant.
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