« Là il y a un dialogue de sourds », constate un syndicaliste CGT de Clestra, au troisième étage du bâtiment Colbert du ministère de la souveraineté industrielle à Paris. Il est environ 11 heures, ce mardi 5 septembre. Dans une pièce cloisonnée, peut-être même fabriquée par Clestra, une délégation syndicale de l’usine d’Illkirch-Graffenstaden sort d’une heure de négociations avec Rémi Taieb, président de la société Unterland, nouveau nom de la société Clestra Metal et, fait rare et obtenu de haute lutte, Alexandre et Romain Jacot, actionnaires du groupe Jestia, repreneur de Clestra en octobre 2022.
Organisée par la Direction interministérielle aux restructurations d’entreprises, la table-ronde devait trouver une issue au conflit social qui dure depuis le 3 juillet, avec la grève de la quasi-totalité des ouvriers alsaciens. Mais rapidement, les échanges se sont tendus et à l’issue, direction et ouvriers sont à nouveau dans une impasse.
Les assurances de la direction pas suffisantes
« La direction affirme que tous les emplois pourront être maintenus dans la future usine. Mais l’usine doit déménager d’un site de 35 000 mètres carrés vers un autre de 10 000 mètres carrés. Pour nous ce n’est pas faisable de maintenir nos lignes de production, ne serait-ce que mathématiquement. Donc on attend un engagement écrit qui certifie que tous les emplois seront maintenus dans la nouvelle usine », affirme le délégué syndical et responsable régional de la CGT Métallurgie Amar Ladraa à la sortie de la table-ronde.
La direction de Clestra et ses actionnaires n’ont donc toujours pas répondu à la première revendication des responsables syndicaux de l’entreprise, soutenus par la grève de 90% des ouvriers. Ce conflit n’a connu aucune évolution depuis le début du mouvement. Après trois mois de blocage total, le groupe Jestia semble incapable d’assurer aux salariés que leurs postes seront maintenus après la deuxième phase de déménagement des lignes de production d’Illkirch-Graffenstaden vers le Port du Rhin à Strasbourg.
Au contraire même : après la réunion, les délégués syndicaux ont le sentiment que des suppressions d’emplois vont être annoncées. Dans un communiqué diffusé dans l’après-midi, la direction de Clestra a déploré que la réunion « n’ait produit aucune avancée » et a rappelé que l’entreprise « fait face à des difficultés financières depuis plus de 10 ans » et que « les prévisions d’activité (…) ont été mises à mal par les semaines de grève ». Pour la direction, le point de blocage est plutôt l’exigence par la CGT que les semaines de grève soient payées.
Le nombre de postes maintenus est à l’origine de la grève à Clestra. Après un licenciement jugé injustifié, les ouvriers soupçonnent le groupe Jestia de vouloir réduire petit à petit les missions de l’usine illkirchoise, et donc le nombre d’ouvriers alsaciens, pour les transférer vers d’autres sites du groupe. Depuis le début du mouvement social, Amar Ladraa accuse régulièrement la direction de mener un « plan social déguisé » en mettant en avant le déménagement de l’usine vers un site cinq fois plus petit.
De son côté, la direction avance que le déménagement de l’usine est motivé par un site illkirchois surdimensionné par rapport aux besoins, ce que le syndicat CGT de Clestra reconnaît. Mais les licenciements sans remplacement, les suppressions de postes, et l’opacité de la politique des ressources humaines de Clestra inquiètent les ouvriers, qui questionnent leur direction à ce sujet depuis mars. Comment vont s’aménager les postes liés à la peinture, l’assemblage, le vitrage et l’expédition des cloisons… Combien de postes seront conservés sur le site du Port du Rhin ? Les ouvriers ne parviennent pas à obtenir des réponses à ces interrogations.
Renvoi au 8 septembre
Ce n’est pas la première fois qu’une médiation entre les responsables syndicaux et la direction de Clestra échoue. En juillet, trois réunions à la Direction régionale de l’économie à Strasbourg ont eu lieu, sans qu’un accord puisse être trouvé pour mettre fin au conflit social. Mardi à Paris, la réunion s’est terminée à la demande d’un agent du ministère de l’Industrie qui a proposé, selon nos informations, que chaque partie rédige avant vendredi 8 septembre ses conditions pour conclure la « paix sociale » et reprendre la production. La délégation syndicale CGT doit quant à elle préciser ce qu’elle attend comme garanties de Jestia.
« On va manger quoi ce soir ? »
Interrogés à l’issue de la réunion, le président d’Unterland – Clestra, Rémi Taieb, et les dirigeants du groupe Jestia, Alexandre et Romain Jacot, n’ont pas souhaité répondre aux questions de Rue89 Strasbourg.
Du côté de la délégation syndicale, c’est la déception et la colère qui priment. À la fin de la réunion, l’assembleur au vitrage et délégué syndical CGT Ali Mansouri s’est emporté devant l’agent du ministère de l’Industrie :
« On va manger quoi ce soir ? Vous attendez quoi ? Que quelqu’un se suicide ? Deux mois qu’il n’y a pas un centime qui est rentré dans les comptes des familles ! Heureusement qu’il y a la solidarité. Vous nous dites “reprenez le travail” ? Comment je fais moi, j’habite à 60 kilomètres de l’usine, j’y vais comment avec le prix de l’essence ? »
Mercredi 6 septembre, Amar Ladraa et la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet seront reçus en fin d’après-midi par le ministre délégué chargé de l’Industrie, Roland Lescure.
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