Faites glisser le curseur au sommet de la carte pour voir la différence entre les scrutins municipaux de 2008 et 2014. (Carte Raphaël Da Silva / Rue89 Strasbourg)
Seules 1 509 voix ont séparé Fabienne Keller (UMP) de Roland Ries (PS) au soir des élections municipales à Strasbourg le 30 mars 2014. C’est peu quand même, très peu sur une ville qui compte 140 000 inscrits sur les listes électorales. Pour la droite, le discours a été rôdé : les voix qui ont manqué à Fabienne Keller sont les 6 243 qui se sont portées sur le candidat du Front National, Jean-Luc Schaffhauser. Mais rien n’est moins sûr.
La carte des bureaux de vote de Strasbourg ci-dessus montre les écarts de voix qui ont séparé Roland Ries et Fabienne Keller lors des scrutins municipaux de 2008 et 2014. Et comme on le voit, les résultats des élections de 2008 font apparaître des « bastions » de gauche : Hautepierre, Koenigshoffen, l’ensemble du centre-ville jusqu’au quartier des XV, le Neuhof…
Mais lorsqu’on déplace le curseur vers la gauche, pour faire apparaître les résultats du scrutin de 2014, la situation de la gauche semble nettement moins assurée, les écarts se réduisent au centre-ville et surtout une ceinture bleue est apparue à l’ouest de Strasbourg, entre le centre-ville et Hautepierre.
Dans certains bureaux de vote, Roland Ries a perdu plus de 25% des suffrages exprimés entre les deux scrutins. Est-ce à dire que ces électeurs se sont détournés de Roland Ries pour se reporter sur Fabienne Keller en six ans ? Non. Comme le montre la carte suivante, il n’y a pas eu de bascule systématique des votes de la gauche vers la droite.
Passer la souris sur les bureaux de vote étudiés pour voir les reports. (Carte Raphaël Da Silva / Rue89 Strasbourg)
Dans ces bureaux très favorables à Roland Ries, le vote socialiste a reculé en moyenne 13%, tandis que dans les mêmes bureaux, le vote en faveur de Fabienne Keller n’a progressé que de 4%. On observe également que les gains de la droite compensent plus les pertes de la gauche dans les bureaux centraux ou proches du centre, là où le PS n’a pas trop baissé. Que s’est-il passé dans les bureaux périphériques ?
Pour Mathieu Cahn, premier secrétaire du Parti socialiste du Bas-Rhin et co-directeur de campagne de Roland Ries en 2014, le « contexte national » n’explique pas tout :
« Certaines personnes qui avaient voté Roland Ries en 2008 n’ont pas voulu le refaire en 2014 pour sanctionner le gouvernement, ils ont préféré s’abstenir car ils n’ont pas mis un bulletin Keller dans l’urne. Je remarque aussi que le Front National a progressé dans ces secteurs historiquement ancrés à gauche. Abstention et vote extrême, ce sont des comportements qui montrent un rejet en bloc de la politique. Pour autant, ça n’a pas été aussi marqué que pour les élections européennes, ce qui prouve que les gens font la différence également entre un scrutin local et les autres. Mais dans tous les cas, il y a des secteurs où nous n’avons pas été assez présents, en tant qu’élus, en tant que socialistes. Les responsables de sections doivent le comprendre. Les gens ont besoin de savoir pour qui ils votent, d’identifier leur représentant. »
Car à l’ouest, l’abstention a été encore plus élevée qu’ailleurs. À l’école maternelle Paul Langevin (+13% d’abstention entre 2008 et 2014), le gymnase de l’école Eleonore (+12%), l’école Jean Gutenberg (+10%), l’école maternelle Gustave Stoskopf (+10%) ou l’école de la Canardière (+10%), l’école Brigitte (+9%), on peut s’inquiéter pour l’avenir de la représentation publique. La carte suivante permet d’observer cette abstention très contrastée :
Les réservoirs du PS sont ceux qui ont été le plus touchés par l’abstention des électeurs. (Carte Raphaël Da Silva)
Mais il y a aussi le contexte très particulier d’une triangulaire, qui oblige à prendre en considération le vote FN. Cet électorat s’est exprimé plus fortement dans les anciens bastions socialistes périphériques, comme on peut le voir sur la carte suivante.
Les plus gros scores du FN sont apparus dans des secteurs traditionnellement ancrés à gauche. (Carte Raphaël Da Silva / Rue89 Strasbourg)
Pour Mathieu Cahn, il n’y a qu’une seule solution pour enrayer cette mécanique :
« On a remarqué des différences de 5 à 6 points de participation pour des bureaux similaires, entre ceux où nous sommes allés tracter en porte-à-porte et les autres. Donc il faut continuer, et en dehors des campagnes électorales. C’est passer une heure ou deux dans un coin de rue, dans une cage d’escalier, rencontrer les gens qu’on ne voit nulle part ailleurs que près de chez eux, sans journaliste. C’est un travail de longue haleine mais je suis assez fier de constater qu’il n’y a pas eu de “poussée” en faveur du vote Saglamer (une liste présentée comme étant celle de la “diversité”, ndlr) à la Meinau, dont je suis l’adjoint de quartier. »
Evidemment, Mathieu Cahn ne peut pas tenir le même discours pour Cronenbourg, Koenigshoffen, l’Elsau, la Montagne-Verte… Là, la gauche se sent toute puissante au point de n’avoir pas vraiment fait campagne. Pour Jean-Philippe Vetter, conseiller municipal (UMP) d’opposition et membre du cabinet de campagne de Fabienne Keller en mars 2014, l’ancrage à gauche de Strasbourg n’a rien d’une fatalité :
« Il y a clairement des quartiers où les gens ne sont pas allés voter Ries pour tout un ensemble de raisons mais où ils ne voteront jamais à droite pour autant. Mais mis à part ces quelques endroits au centre-ville, on sent dans les quartiers qu’il y a une réelle déception des gens modestes vis-à-vis des socialistes. Dans UMP, le P veut dire populaire, eh bien c’est à nous d’aller proposer une alternative républicaine à ces familles. Ce sera l’axe de notre politique durant les années à venir. On voit bien que dans les secteurs de l’Elsau ou de la Meinau, on s’en sort pas si mal. La gauche considère comme acquis le vote de ces quartiers, mais ce n’est plus vrai. Et on s’en est bien rendus compte lors de notre campagne avec l’opération “Dites moi tout” que des questions n’étaient pas répondues par la gauche. C’est à nous de tenir un discours d’ouverture, qui s’adresse à tous, et nous pourrons faire basculer cette ville. »
Au final, Strasbourg aura été l’une des rares villes de gauche à ne pas avoir basculé à droite en mars. Mais l’impopularité du gouvernement aura au moins eu le mérite de faire apparaître les nouvelles fragilités du vote socialiste dans la capitale alsacienne. Gauche et droite ne s’y sont pas trompés et tous vont tenter de renforcer leur présence dans les quartiers ouest, dont les votes seront déterminants lors du scrutin de 2020.
Raphaël Da Silva
Pierre France
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