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Face à la répression des free partys, le collectif Implak’ab vise des teufs légales

Formé début septembre, le collectif naissant « Implak’ab » organisait sa première « teuf » dans un lieu secret le week-end du 14 au 15 octobre. Derrière chaque décision, dépense et débat agitant le groupe, se retrouve l’envie de tendre vers l’organisation de soirées légales.

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Face à la répression des free partys, le collectif Implak’ab vise des teufs légales

Jamais dans leur vie de poiscaille, les poissons-chats lorrains n’avaient vu ça. Face à leur étang, une bouillie de corps bougeant chaotiquement, repeinte de lumières bariolées. Comme des autruches, certains tendent leurs têtes en avant, vers des caissons surdimensionnés crachant des sons saturés. Devant ce bassin quelconque de la cambrousse lorraine, une centaine de fêtards s’étaient rameutés samedi 14 et dimanche 15 octobre, pour une free party, une soirée avec des DJs en plein air, orchestrée par le collectif strasbourgeois « Implak’ab ».

Leur soirée sauvage pourrait se résumer à un marathon furieux : courir deux mois puis danser 48 heures. De sa création à l’organisation de son premier événement, le tout jeune collectif cavale d’une galère à l’autre pour dénouer une à une les difficultés qui se posent à lui.

Afin d’éviter le stress d’une interruption par la police et les saisines de leur matériel, onéreuses à la longue, Implak’ab vise l’organisation de soirées légales en extérieur. Si elle n’était pas déclarée, cette première édition servait tout de même de test grandeur nature.

Ptérodactyle et fichier Excel

Rien de moins électrisant, excitant, captivant qu’une réunion d’organisation. Entre les tableaux Excel et les points sur le planning, l’ambiance de la dernière assemblée avant le début de l’évènement, mardi 10 octobre, tient plus de la causerie d’expert-comptable que d’une beuverie débridée. Mais plus le temps pour les soûleries : les membres d’Implak’ab doivent répéter tout le déroulé, l’événement débute dans quatre jours. Tous se distribuent les rôles, avec un chef à chaque « pôle » : un responsable pour les stands, pour les bénévoles, pour les artistes…

Pendant près de trois heures, les bénévoles discutent des derniers points à régler. Photo : oni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc

« Moi, en ce moment, je peins des ptérodactyles sur des panneaux », explique Lisa sans sourciller. En aparté, la « responsable des décors » explique avoir mis momentanément de côté son boulot – architecte indépendante – pour ce moment de rush. « En général, mon bénévolat ne me prend pas plus de deux heures par semaine, mais cette semaine c’est plutôt 15 ou 20 heures. J’ai juste pas le temps de bosser. » Et elle ne regrette pas son investissement : 

« J’ai déjà été bénévole par le passé pour d’autres événements. Mais là j’avais envie de m’impliquer dans quelque chose de collectif et ça me plaisait de faire partie des membres fondateurs de ce projet. Je le fais en m’occupant de scénographie, on a décidé ensemble d’imaginer un décor autour du thème de “l’envol”. À partir de là, chacun vient avec ses idées farfelues et on s’organise. »

Terrain juridique moelleux

Parmi les sujets récurrents de la réunion, l’épineuse question du lieu. Une soirée réussie se campe sur un bon terrain, c’est à dire pas trop voyant depuis la route, adapté à l’installation de structures temporaires. Si l’affaire paraît simple, elle relève vite du casse-tête : le collectif démarche d’abord plusieurs petits villages, essuie refus sur refus, se résigne. Tentative naïve. L’équipe se tourne alors vers des propriétaires privés, des paysans, plus ouverts à louer leurs terres. Ces derniers sont vite dissuadés par leurs maires respectifs, soucieux de préserver la tranquillité et les bonnes mœurs dans leurs communes. 

Avant de fonder son association, Dan a appris en étant bénévole dans plusieurs événements, comme l’Eciton. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

Contrairement à d’autres collectifs s’installant de manière sauvage, les membres d’Implak’ab insistent pour tenir leur événement sur un lieu autorisé. Finalement, ils trouvent un terrain d’entente avec un proprio plus ouvert, en déboursant 250€ pour trois journées, de vendredi à dimanche. Dan justifie la dépense : « En s’installant légalement sur un terrain privé, et tant qu’on est moins de 500, on reste clean avec la loi. » Un raisonnement juridique qu’approuve l’avocate Marianne Rostan, spécialisée dans la défense des organisateurs de free party. Contactée par Rue89, elle reprend le même raisonnement : 

« En dessous d’un effectif prévisible de 500 personnes, il n’y a pas de mesure particulière à prendre et de déclaration à faire. S’il y a poursuite, ce sera pour des choses annexes, comme les dégradations ou les nuisances sonores. Si en revanche, dès le départ, vous envisagez d’avoir plus de monde, il faut le déclarer. »

Ce que les teufeurs (participants aux free partys) redoutent surtout, c’est la confiscation du matériel, toujours plus onéreux que le coût des amendes. « Heureusement, ce n’est pas systématique. En général, le tribunal estime que la saisie est excessive, ou alors on parvient à démontrer les irrégularités de procédure », rajoute la juriste.

Informée de l’organisation de plusieurs soirées, les préfectures du Bas-Rhin et du Haut-Rhin émettent en amont un arrêté interdisant les « rassemblements festifs à caractère musical de type rave party, free party ou teknival. » Une autre soirée se tenant le soir même en Alsace, la « Rabbit Hunter 3 », a ainsi été stoppée nette par les gendarmes. Anticipant l’interdiction de la préfecture, Implak’ab s’est astucieusement installé à quelques kilomètres de la frontière alsacienne, en Meurthe-et-Moselle.

Des chiffres et des thunes

« Et donc, pas de préventes ? » La réponse fuse : « Mais non ! Pas de préventes, on organise une teuf ! » Si la question d’un des bénévoles fait sourire l’audience, elle peut aussi inquiéter. Car il n’y a aucune manière pour le collectif d’estimer s’il sera bien en dessous des 500 fêtards. Ou même s’il sera au-dessus de son seuil de rentabilité.

Le financement d’un événement pareil relève de l’acte de foi. Dan pose ses billes, près de mille euros, en priant pour que les mauvais coups n’arrivent pas. Qu’il y ait assez de monde, que la météo soit clémente, que la police ne gâche pas la fête, et le collectif rentrera dans ses frais… « Pour la participation, tout dépendra de leur réseau », résume Tom, un vétéran de l’organisation de free partys d’envergure. Il reste optimise, avec des réserves :

« Ce n’est pas un problème de réunir rapidement du monde, s’ils ont un bon réseau dans le milieu de la fête. Mais s’ils visent les 500 personnes, ça nécessitera quand même une infrastructure différente. C’est tout à fait possible de le faire, mais il faut être irréprochable sur les questions de santé et de sécurité des personnes, l’hygiène ou la gestion des foules. »

En plus de la scène et d’un espace « détente », les organisateurs ont fait venir un foodtruck. Photo : RG / Rue89Strasbourg / cc

La plus grande dépense tient à l’essence. Pour 1 000€ investis dans la soirée, 500€ partent dans le générateur de courant électrique et accessoirement pour faire les aller-retours en voiture sur le site. L’autre coût majeur tient à la location du terrain, qui s’élève à 250€ pour le week-end. « Il y a aussi les lights (lumières, NDLR), pour lesquelles je m’en sors avec un coup très bas, en prenant du matériel moins cher. Pour le matériel sonore, l’essentiel est prêté. La contribution est de 5€ par personne, alors à partir de 300 teufeurs, on se rembourse », calcule Dan. « Au-delà, le collectif gagne des sous qu’on pourra réinvestir. »

Vers des fêtes déclarées

Au bord d’une obscure route départementale, une silhouette surgit des ténèbres avec un gilet fluo. Yeux plissés, on s’assure qu’il ne s’agit pas du fantôme d’un Gilet jaune mais bien d’un bénévole à l’affut. Deux autres préposés au parking s’occupent de guider une procession de fêtards, ce vendredi 14 octobre. Vers 22 heures, la localisation de l’événement tombe, c’est à dire des coordonnées GPS permettant de retrouver le lieu.

Derrière un étang de pêche, se distinguent des structures en bois. Une cabane, des bancs disposés autour d’un feu, un espace détente improvisé autour de plusieurs coussins. Devant, un grand « mur de son » (des enceintes empilées) se dresse au milieu de la nuit, coiffé par des décorations en métal et en bois. On retrouve nos ptérodactyles, volant autour d’un gros œuf en papier mâché.

Finalement, tout se passera comme prévu. Malgré deux visites de gendarmes, qui ne relèvent rien de particulier, l’évènement n’est pas stoppé. Niveau affluence, les organisateurs comptent un peu plus de 200 personnes le premier soir, près de 450 le second. Les organisateurs devraient être en mesure de se rembourser.

Cette première teuf faisait office de test. Pour le premier semestre de l’année 2024, Implak’ab vise la création d’un soirée avec une plus forte affluence et en s’organisant avec l’accord des autorités, et notamment de la préfecture. « La difficulté, c’est que le dispositif légal encadrant les teufs existe depuis 20 ans. Il n’est plus adapté à la situation et les organisateurs ont énormément de mal à se déclarer », commente l’avocate Marianne Rostan :

« Aujourd’hui, pour les pouvoirs publics comme pour l’opinion publique, c’est difficile de concevoir ces soirées comme des rassemblements culturels. Malgré tous les efforts des organisateurs avec les associations de prévention ou pour le nettoyage, ils ont toujours une très mauvaise image. »

Citant des modèles ayant franchi le cap de la légalité, comme le festival Eciton organisé dans les Vosges, Dan reste confiant et persuadé que l’accord des autorités est possible :

« On présentera un dossier de sécurité et d’hygiène complet à la préfecture, sur tous les points qui comptent pour eux. On est prêt à participer à des réunions, pour faire ça de manière totalement transparente. »

Quitte à inviter la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier à la prochaine teuf ? « Bah écoute, si elle est cordiale et qu’elle veut venir, on lui offre une bière avec plaisir. »


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