« Vous savez, ce moment où vous avez envie de tout casser ? » Mathilde (prénom modifié) tente de nous expliquer les raisons qui l’ont amené à pousser la porte et débourser 20 euros.
La jeune agente d’accueil sort de sa séance de 15 minutes à la Dooz Destroy Room, près des Halles à Strasbourg, Payer pour casser. Ce concept venu des États-unis a été importé à Strasbourg en octobre 2019.
Mathilde n’est pas la seule à avoir choisie de passer son vendredi après-midi à casser des bouteilles en verre et des meubles en bois. Trois autres strasbourgeois ont fait de même.
À l’intérieur, la lumière du jour est remplacée par des spots bleus et violets, avec une musique métal en arrière-plan. Il fait plus frais qu’à l’extérieur mais les armures protègent les casseurs. Frédéric Ladrière, le gérant de Dooz Destroy Room affirme que grâce aux protections dignes de celles d’un CRS, il n’y a eu qu’un seul blessé depuis l’ouverture :
« Au début de chaque séance nous demandons aux personnes si elles ont déjà manipulées une arme. Une fois quelqu’un ne nous a pas dit qu’il n’avait jamais utilisé de hache, il s’est fait une petite blessure au doigt. »
L’activité est tout de même encadrée par quelques règles. L’accès à la salle est interdit aux personnes de moins de 18 ans car, selon Frédéric Ladrière, « les enfants ne savent pas la différence entre le bien et le mal alors que les adultes savent qu’il ne faut pas faire ça dans la rue. » Contrairement au cliché redouté d’une foule de « gros bras », les clients sont « entre 60 et 70% des femmes », à la grande surprise de l’entreprise.
Mais cet après-midi, le premier client est Darriot, 23 ans, étudiant en école d’infirmiers. Après quelques minutes, il est épuisé. Les yeux rivés sur l’écran de surveillance, Frédéric Ladrière sourit. « Regardez là, il n’en peut plus ». Si les clients pensent être seuls avec leur énergie, ils sont en fait surveillés de près et très encadrés.
Darriot ressent le besoin de crier plusieurs fois dans la salle de casse avant de s’attaquer aux objets exposés devant lui. Ses cris effrayants ne choquent absolument pas la barmaid ni le gérant qui rient, satisfaits que le jeune homme évacue ses tensions. Quinze minutes plus tard, Darriot vient s’asseoir à une table du bar. Sorti en sueur de la salle, il s’essuie le front avec le dos de la main, « je ne pensais pas que ça allait être aussi physique ».
Après avoir repris son souffle, l’étudiant qui d’ordinaire préfère s’isoler chez lui avec une tasse de thé, explique :
« Dans la vie j’ai la pression des cours et du stage. Je suis stressé à cause des partiels qui se sont mal passés. Venir ici me permet de mieux gérer ce stress quotidien. »
« J’ai une colère constante, il faut que ça sorte ». Mathilde, dont c’est le tour après Darriot en salle de casse se concentre sur les bouteilles en verre. À la fin de sa séance, elle parle avec aisance de la raison pour laquelle elle est venue à la destroy room, le trouble explosif intermittent. « C’est apparu dans mon enfance, au début mes parents pensaient que j’étais capricieuse, en fait c’était une maladie. »
Après avoir essayé de se soigner avec la sophrologie, l’équitation ou le judo, Mathilde estime que ses symptômes se sont atténués progressivement. Mais jamais aucune des méthodes qu’elle a employé n’a été aussi efficace que la destroy room :
« Casser des choses m’a permis de me canaliser. Je vais sans doute revenir parce que je n’ai encore jamais trouvé quelque chose d’aussi efficace pour m’apaiser. »
Olivier, 45 ans, est employé de banque. Il est venu passer un après-midi « entres frangins » avec Jonathan, 34 ans, commerçant. Les deux frères très à l’aise avec l’équipement de protection, n’arrêtent pas de se bousculer en sortant de la salle. Après avoir pris une douche, vêtu d’une chemise blanche, Olivier s’épanche à son tour sur la raison de sa présence :
« En plus de mon métier, je suis papa alors je n’ai pas le droit de crier pour être exemplaire. Du coup en rentrant dans la salle avant de commencer à tout casser j’ai crié pour me défouler. »
Jonathan, trop enthousiaste à l’idée de « faire du baseball avec des bouteilles en verre » n’a pas remarqué les cris de son frère. Il explique son état d’esprit dès l’entrée dans la salle de casse ainsi :
« Je ne suis que rarement stressé dans la vie. Je dirais même que je suis insouciant, je mets tout dans des cases différentes pour me préserver du stress. Quand mon patron me crie dessus je me dis que c’est un sale moment à passer. Dans la vie de manière générale, j’adore tout péter. Il y a aussi le plaisir de manier une hache qui me plaît dans cette activité. »
Être autorisés à casser plait aux frères, Jonathan poursuit :
Si tu fais ce que tu fais dans cette salle dans la rue, tu es mal vu et arrêté par la police. Alors que là ce qui me plaît c’est qu’on peut tout casser sans risquer quoi que ce soit. »
Avec un grand sourire aux lèvres, Olivier, le frère aîné, approuve d’un hochement de tête les paroles de son frère. « Qui n’a jamais rêvé de tout casser ? » nous demande à son tour Olivier.
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