Devant l’école maternelle Louise Scheppler, les élections municipales ne font pas vraiment partie des discussions des parents d’élèves. Certains ne sont d’ailleurs pas européens et ne pourront voter. D’autres veulent d’abord savoir s’il n’y a pas de risque à venir dans un bureau de vote en raison de l’épidémie de coronavirus.
Ici, la dernière mobilisation remonte à la première quinzaine de février et visait le rectorat plutôt que la mairie. La présidente de l’association de parents d’élèves Laurence Garnier raconte :
« Il y avait 3 enseignants pour 5 classes, alors qu’une absence était programmée depuis début janvier. Nous étions 5 parents à appeler et envoyer un mail tous les jours. Lorsque nous avons dit que la prochaine étape était de contacter la presse, une personne a été ajoutée dans la demi-journée. On ne sait pas si c’était prévu ou si c’est uniquement parce qu’on a râlé qu’il y a eu des moyens… »
L’école Scheppler est une spécificité à Strasbourg. Dans le pré-programme de Philippe Bies (PS, finalement pas candidat) il était question de la « déplacer », en raison de sa proximité avec l’autoroute A35, bruyante et polluée.
Les parents habitent au quartier Laiterie, un Quartier Prioritaire de la Ville (QPV). Mais l’école est située… de l’autre côté de la route. Elle n’est donc pas considérée comme une école de QPV, avec les moyens supplémentaires qui iraient avec. Autre particularité, elle n’est pas rattachée à un groupe scolaire. Après la maternelle, ses élèves sont répartis entre les écoles élémentaires Finkmatt, Sainte-Aurélie ou de l’Elsau. L’école a des horaires spécifiques, on y débute la journée à 8h et non 8h30 :
« Sur 55 élèves en petite section, il y a 25 dérogations délivrées par la Ville. Certains parents mettent les enfants à Sainte-Aurélie ou Finkmatt pour être avec les grands frères et sœurs, mais il y a aussi de l’évitement. »
Deux projets ont été déposés au budget participatif pour améliorer l’école : obtenir un préau, et réaménager le parvis, qui donne sur une bretelle d’autoroute, des pistes cyclables très fréquentées avec quelques seringues par terre. En vain, les projets n’ont pas eu le « coup de cœur » du conseil de quartier, ni assez de votes ensuite.
« Mais le préau a été enfin promis », se félicite Laurence Garnier après un combat de 5 années. À 10 jours, elle sait qu’elle ira voter, mais est encore indécise. « On ne peut pas dire que rien n’a été fait dans le quartier ces dernières années, contrairement au mandat précédent » dit celle qui a souvent échangé avec l’adjoint de quartier Paul Meyer, présent sur la liste d’Alain Fontanel (LREM).
Rénovation et stationnement en discussion dépassionnée au bar
Dans le bar au coin de la rue du Hohwald, le gérant et propriétaire depuis 6 ans, « Mike », est bien plus distant de la politique. Il ne sait même plus où il est inscrit depuis son déménagement. « La gauche s’est effondrée en faisant une politique de droite », remarque-t-il.
Sur l’évolution récente du quartier, il aimerait en savoir plus :
« On a bien eu l’information qu’il y allait avoir une rénovation, qu’il y avait des réunions où je ne pouvais pas aller puisque c’est le soir et que je travaille, mais ensuite on ne sait pas ce qui est décidé. Pourquoi on refait toute la rue de la Broque, mais que la moitié de celle du Hohwald ? Ce n’est pas une rénovation complète alors que les trottoirs sont tout abîmés. Qui a décidé cela ? »
Il aurait aimé une entrée de rue plus avenante et peut-être aménager une petite terrasse.
Le long de son établissement, boulevard de Lyon, l’ajout de bandes cyclables, qui a réduit le nombre de voies pour les voitures, ne fait pas débat comme sur l’avenue des Vosges. « C’est la moindre des choses pour toutes ces personnes qui se déplacent à vélo. Deux voies de circulation, c’est suffisant. Je ne comprends pas que ça ait pris autant de temps. » Il se satisfait aussi que la salle de concert de la Laiterie n’ait pas déménagé vers la Coop comme envisagé. « Cela amène du passage les soirs de concert ».
Sur d’autres décisions en revanche, comme le stationnement, il voit des « contradictions totales » :
« On décourage la voiture, sans vraiment proposer d’alternative, mais quand les ventes chutent, les politiques pleurent ! Ensuite, on va enlever du stationnement et des arbres sur le boulevard pour le bus, mais on va en planter à l’arrière du quartier pour faire un espace vert à la place du parking. Où est la logique ? »
Avec un client, la discussion s’engage au comptoir. « Tu savais qu’ils vont aussi supprimer les places sur le boulevard ? », lui apprend Mike. Le jeune homme fait de gros yeux. Il ne peut pas travailler sans sa voiture. « Je bosse de nuit dans l’industrie à Drusenheim. Je suis rentré à 3h du matin. » Avec la réduction de places du parking du Ban-de-la-Roche et son passage en zone payante, il a décalé le parking de son véhicule de l’autre côté de l’A35, dans un coin encore gratuit. Mais en apprenant que le boulevard va perdre ses places, il craint des reports supplémentaires de véhicules.
Le jeune homme repart. Il a d’autres choses en tête que les élections. « Des jeunes qui squattent dans les caves pour fumer de la chicha ». La question a été portée devant les tribunaux par son bailleur social, rue de Rothau.
Un immeuble amené à devenir une place
Les incertitudes sur l’avenir du quartier forment un thème récurrent chez beaucoup d’habitants. Elles soulèvent des questions. Pourquoi le bar Laiterie attribué en 2017 n’a-t-il pas encore ouvert, alors que plusieurs équipes avaient candidaté ? D’autres se demandent ce que va devenir la barre de 24 logements sociaux des 12-14-16 rue du Hohwald, en face à la Laiterie.
Un habitant de l’immeuble sort de chez lui. « Cela fait deux ans que l’on parle de destruction, mais aucune proposition de relogement n’a été adressée. Il semblerait que le bâtiment soit classé et donc qu’on puisse rester… » Quant à l’état supposé insalubre qui empêche des rénovations ? « J’y habite depuis 10 ans et avec un peu d’entretien, il est en bon état », répond celui qui ne souhaite pas déménager. Il s’en va travailler sur une trottinette électrique.
Renseignements pris, la municipalité a bien acté une démolition. La prochaine majorité devra la voter en 2020. Le relogement avant destruction nécessitera ensuite environ deux ans, car il faudra trouver des places dans le secteur et parmi les loyers les plus faibles de la ville. Objectif, créer une placette. Mais la nouvelle majorité pourra stopper ces projets.
Trop petit, le quartier intéresse peu les militants
Quartier populaire de petite taille, la Laiterie, n’a pas eu le droit à son « world café », ces tables rondes où les candidats ont rencontré les habitants dans les CSC de Hautepierre, Elsau, Neuhof ou d’autres quartiers de la ville. Et sans marché, ce n’est pas non plus un coin prisé par les opérations de tractage, contrairement à l’école Sainte-Aurélie ou le marché devant le musée d’art moderne.
Au Gobelet d’Or, restaurant de quartier où se tiennent quelques rencontres, seules deux formations ont demandé à venir. Le gérant Nguyen Anza, qui ira voter « par conscience citoyenne » mais sans grandes illusions, ne sent pas une grande appétence pour la campagne chez ses clients : « Sur la religion et la politique les gens ont tendance à se fermer ». De sa fenêtre, il voit la nouvelle aire de jeux installée au milieu des grilles de chantier et au pied de l’autoroute :
« Le but de la rénovation est de diminuer le passage de véhicules et que les gens viennent passer du temps dans le quartier. On verra si ça fonctionne. »
Ce jeudi 5 mars, c’est une délégation de colistiers écologistes qui est venue, avant les socialistes le vendredi 13 mars. Ce soir-là, sur la petite vingtaine de personnes présentes, il y a autant de colistiers et de soutiens que d’habitants à convaincre.
Après une vingtaine de minutes de présentation du « bouclier social et écologique », place aux questions. Certaines sont d’ordre général, comme les normes nationales pour les constructions neuves, « moins exigeantes que celles de 2012 », regrette un participant qui travaille « dans la construction ». Le débat dévie sur les énergies renouvelables.
« Lutter totalement contre la voiture, c’est impossible »
Une dame habillée d’un manteau en rouge tend la main vers la fenêtre d’où provient un bruit de fond : « Pour l’autoroute A35, son bruit et sa pollution, on ne peut rien faire. »
Les colistiers s’y mettent à plusieurs pour répondre. Étienne Gondrexon, 40e sur la liste, déroule :
« On peut réduire la vitesse, ce qui fera moins de bruit. Abaisser la vitesse permet aussi de réduire la largeur des voies et donc d’en ajouter une pour les transports en commun, ainsi que de créer plus facilement un mur anti-bruit. »
Puis, la question du stationnement est soulevée. La dame en rouge poursuit :
« On n’a pas de problème avec le fait que la Laiterie soit ici. Mais l’idée était que les gens aillent au nouveau parking près du tram à Koenigshoffen et viennent à pied, avec des cheminements, ce qui n’est pas le cas. Mettre un ou deux étages en silo aurait été plus simple, car il y a beaucoup de stationnement sauvage désormais. »
Les colistiers écologistes ne souhaitent pas construire de parkings en ville et parlent de leur grand emprunt écologique pour augmenter la cadence des transports. « Lutter totalement contre la voiture, c’est impossible. Si vous êtes à Saverne, vous ne pouvez pas revenir en train après un concert », objecte un participant. « Le programme prévoit de construire quatre parkings-relais, mais loin du centre-ville », répond Étienne Gondrexon. « Cela permet de repartir plus vite pour une foule qu’une file de voitures », argumente Marc Hoffsess, 14e sur la liste. Cette proposition inspirée de villes allemandes convainc davantage.
En sortant du bar, difficile de donner tort à la dame en rouge. En ce soir de concert des Wampas, des automobilistes tournent et ressortent du tout nouveau parking extérieur, payant en journée mais gratuit le soir. Ils n’ont pas trouvé leur place. Un peu comme le quartier dans la campagne électorale.
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