Si vous êtes restés connectés à l’actu nationale pendant les vacances, impossible d’avoir échappé au dernier débat qui a animé la classe politique : le projet de François Hollande de rendre possible la déchéance de nationalité française pour les terroristes binationaux. La mesure sera bien soumise au vote du Parlement dans le cadre de la réforme constitutionnelle le 3 février prochain, a confirmé le président de la République socialiste lors de ses vœux du 31 décembre.
A Strasbourg, le projet divise dans les rangs du Parti socialiste. Dès mardi 29 décembre, Syamak Agha Babaei, vice-président de l’Eurométropole et conseiller municipal socialiste, a annoncé sa démission du parti. Par son geste, l’adhérent au PS depuis 15 ans, d’origine iranienne et naturalisé français en 1996, entend dire non à une mesure qu’il juge “inefficace” et “dangereuse”. Au micro de France 3 Alsace, il expliquait le 31 décembre :
« Si vous mettez ça à côté de l’état d’urgence qui dure, si vous mettez ça à côté de la loi renseignement qui a été votée et à laquelle j’étais aussi opposée, on voit aujourd’hui que les outils légaux existent pour quiconque veut avoir un gouvernement et un Etat autoritaires. Et à des niveaux auxquels se trouve le Front national, il y a le risque qu’il accède un jour au plus haut niveau de l’Etat français. Moi je ne crois pas que lutter contre le Front national soit de porter les revendications qui sont les siennes comme des revendications légitimes de l’ensemble de la nation et puis surtout de lui donner tous les outils pour demain, pour pouvoir museler tous ceux qui seraient contre. »
Pour l’élu, la déchéance de nationalité renforce donc l’extrême droite :
« On voit qu’une des mesures symboliques qu’ils souhaitaient faire porter, parce que dans leurs têtes ça voulait dire que soit on est français de souche soit on ne l’est pas vraiment, c’est-à-dire un Français qui a une autre culture ou qui a aussi une autre nationalité, cette différence fondamentale qu’ils voyaient et qu’ils voient toujours, aujourd’hui ils ont réussi à la faire porter dans le débat public et surtout portée par la Président de la République et le premier ministre. Donc c’est une victoire idéologique du Front national. »
Le 31 décembre, Souad El Maysour, adjointe au maire et conseillère communautaire de l’Eurométropole, a à son tour rendu publique sa démission du PS. Pour l’élue franco-marocaine, le projet de déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux est « une ligne rouge », vécue comme « une vraie trahison » de ses valeurs :
« Je me suis engagée au parti socialiste en 2002, suite à la défaite de Jospin au 1er tour de l’élection présidentielle face à Jean-Marie Le Pen. Et aujourd’hui en 2015, je me retrouve à entendre le président élu au nom du parti socialiste défendre les idées du Front national. C’est quelque chose que je trouve inadmissible, dangereux et absolument pervers. Manuel Valls est à 5% dans le parti et dicte une politique nationale éloignée de nos valeurs. Le parti socialiste est aujourd’hui un lieu où le débat d’idées est impossible. Comme on est là sur une mesure symbolique, je me devais de me désolidariser pour signifier que ce débat est beaucoup plus grave que d’autres et touche aux fondements mêmes de la République. On est dans un discours qui veut nous faire croire que quand on est binationaux, on est sensé être plus terroriste. Une telle politique qui divise est pour moi dangereuse et inquiétante. »
Le député Armand Jung a pris position en faveur de la déchéance de nationalité, en raison de l’état de guerre que connaît la France et par loyauté envers la démarche présidentielle. Mais d’autres, comme le sénateur Jacques Bigot ou le député Philippe Bies se sont exprimés en faveur d’une mesure alternative d’indignité nationale qui concernerait tous les Français et préserverait l’égalité des citoyens devant la loi. Alain Fontanel le 31 décembre, puis le maire de Strasbourg Roland Ries, le 1er janvier, leur ont emboîté le pas.
« Essoufflement de notre système politique »
Le déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux est « une réponse inadaptée à la situation, qui aboutirait à une discrimination insupportable en tant que telle », estime Roland Ries dans les DNA. Le maire de Strasbourg dit se ranger derrière la proposition faite par la maire socialiste de Paris le 30 décembre dans les pages du journal Le Monde « de substituer à une mesure inégalitaire de déchéance de la nationalité une mesure égalitaire d’indignité nationale pour tous ceux, quel que soit leur statut dans la nationalité, qui prennent les armes contre leur pays et leurs concitoyens. Il s’agirait d’ôter aux terroristes tous leurs droits civiques, leur passeport, et de leur interdire la fonction publique. »
« L’hystérisation du débat autour de la question, pourtant importante, de la déchéance de nationalité aura une nouvelle fois montré l’essoufflement de notre système politique et des partis qui le composent », analyse Alain Fontanel dans ses voeux du 31 décembre sur Facebook. Le bras droit de Roland Ries écarte les comparaisons faites ces derniers jours entre la démarche de l’exécutif et une politique fasciste. Mais il refuse aussi l’utilisation des sondages d’opinions, largement favorable au projet de déchéance de nationalité, pour discréditer les opposants à la mesure.
« C’est oublier que la grandeur de la politique est de prendre, parfois à contre courant de l’opinion publique, des décisions aussi fortes que l’abolition de la peine de mort. C’est nier que seule l’absence de grandes valeurs fait courir aux responsables politiques le risque de s’égarer dans les méandres du quotidien. »
EELV, un « astre mort »
Pendant que le PS se cherchait sur la mesure controversée, c’est des rangs d’Europe Ecologie les Verts qu’est venu un autre coup de tonnerre. L’adjoint au maire de Strasbourg et conseiller communautaire de l’Eurométropole Eric Schultz a annoncé le 31 décembre qu’il ne renouvellera pas son adhésion au parti écologiste, “ni comme adhérent, ni comme coopérateur”. Las de la pratique politique actuelle – comme il le décrivait sur Rue89 Strasbourg, Eric Schultz explique son choix par un trop plein de “désillusions, de déconvenues et de désaccords” :
« Je ne m’attarderai pas sur les tensions locales qui auront agité le microcosme des élus strasbourgeois cet été, ni sur le spectacle que donnent jour après jour certains “ténors” auto-proclamés d’une écologie partisane en perte de vitesse comme de repères. »
Pour lui, le parti Europe Ecologie les Verts est devenu aujourd’hui “un astre mort”.
Dimanche 3 janvier, Syamak Agha Babaei et Eric Schultz, les deux déçus de la politique, se sont retrouvés aux ateliers du Forum ouvert pour réinventer la politique, lancé mi-décembre après le choc de la percée du Front national aux élections régionales.
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