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Régionales : écologistes et Front de gauche, la bataille de la quatrième place

En cette fin de campagne des régionales, des électeurs de gauche qui ne se retrouvent pas dans le PS s’interrogent. Faut-il voter pour le Front de gauche ou Europe Écologie Les Verts ? Des similitudes de programme existent, mais les partis se distinguent par leur vision de la société, ordre des priorités et cultures politiques. Le résultat de dimanche peut avoir beaucoup d’impact sur l’avenir des deux formations.

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Régionales : écologistes et Front de gauche, la bataille de la quatrième place

Sans accord électoral, la candidate d'EELV Sandrine Bélier et celui du Front de gauche Patrick Peron bataillent pour la quatrième place des élections régionales (photos équipes de campagne)
Sans accord électoral, la candidate d’EELV Sandrine Bélier et celui du Front de gauche Patrick Peron bataillent pour la quatrième place des élections régionales (photos équipes de campagne)

Les troupes sont fatiguées. L’hiver, l’approche des fêtes, une septième campagne depuis 2012 en Alsace (législatives et présidentielles en 2012, conseil unique en 2013, municipales et européennes en 2014, puis départementales et désormais régionales en 2015) et enfin les attentats du 13 novembre ont usé les membres du Front de gauche (FDG) comme ceux d’Europe Écologie Les Verts (EELV). Contrairement aux partis plus installés, beaucoup de militants et candidats sont bénévoles et n’ont pas de mandat rémunéré ou d’emploi de collaborateur d’élu.

EELV et FDG sont annoncés au coude-à-coude en Alsace-Lorraine-Champagne Ardenne (ALCA), mais l’issue du scrutin régional fera bouger le rapport de force entre les deux formations.

Chez EELV, la société changera avec la transition écologique….

Bien que des alliances « pastèque » – comprenez vert à l’extérieur et rouge à l’intérieur – existent, FDG et EELV n’ont pas la même vision de la politique. Depuis 2009 et la création du rassemblement « Europe Écologie » autour de Daniel Cohn-Bendit, qui s’est fondu avec « Les Verts » pour devenir EELV (dont le point d’orgue sont les 16% obtenus aux européennes 2009), la formation prône une écologie politique de réformes.

Ces changements peuvent s’inscrire dans l’économie capitaliste actuelle, quand bien même des adhérents d’Europe Écologie souhaitent bouleverser l’ordre établi à plus long terme. Le mode de pensée est que la transition énergétique appellera une nouvelle société, avec notamment plus de circuits courts et de solidarités, mais dans une économie ouverte sur l’Europe.

Voilà pour l’esprit Europe Écologie, dont la tête de liste dans le Grand-Est Sandrine Bélier (43 ans) est issue. Mettre les divergences de long terme (comme celles sur la Constitution européenne de 2005) de côté pour favoriser des projets communs et réalistes. Cette vision séduit la juriste strasbourgeoise lorsque Daniel Cohn-Bendit la sollicité pour s’engager en 2009 à ses côtés. Mais comme l’élan de 2009 est retombé, cet esprit s’est un peu fracturé au plan national cet été. Des scissions qui rejaillissent au niveau local.

En ALCA, 4 conseillers régionaux sortants sur les 20 dans les trois régions ont suivi le PS, « pour sauver leur place », soupire Sandrine Bélier. Et seuls 4 sortants, dont 3 en Alsace, ont suivi la liste autonome EELV. Les autres arrêtent la politique.

… tandis qu’au Front de gauche, c’est l’inverse

Au Front de gauche, la priorité est une refonte en profondeur de la société, même si le parti propose aussi des solutions « d’urgence » applicables au monde capitaliste (contrairement au parti Lutte Ouvrière sur sa gauche avec qui les contacts sont inexistants). La « planification » (là où EELV parle de transition) écologique découlera des changements souhaités par le FDG, mais n’en est pas la cause.

Les trois formations (Parti de gauche, Parti communiste et Gauche unitaire) ont leurs divergences, mais à force de compromis ou de subtiles positions communes, l’union est possible. En Alsace, le Parti communiste (PC) n’est pas contre l’idée d’un contournement autoroutier de Strasbourg (GCO), à l’inverse du parti de gauche (PG), mais s’oppose au montage actuel (autoroute payante et réalisée par l’entreprise Vinci). Sur le nucléaire, les deux partis s’accordent sur un référendum, bien que chacun y défendrait une position différente.

Lors de ces élections régionales, le Front de gauche fait campagne sur la défense des services publics, l’égalité des territoires, renforcer l’engagement citoyen dans la démocratie locale, le régime local qui serait menacé par les nouveaux accords d’entreprises ANI ou encore la sauvegarde des emplois industriels. « Ce n’est pas pour opposer un type d’emploi à un autre, mais un emploi industriel génère 4 emplois. Il y a des créations de postes dans les services, mais ils n’ont pas compensé la perte subie depuis 2008 », appuie Hülliya Turan, numéro 2 dans le Bas-Rhin et issue du PC. Lors de sa campagne, Sandrine Bélier a résumé cette divergence par la formule « Au grand soir, je préfère les petits matins où l’on va travailler ».

Les listes avaient pourtant des points communs

Pour autant, plusieurs passerelles programmatiques entre EELV et le FDG existent. « Sur les transports et l’économie sociale et solidaire, on aurait pu se mettre d’accord », explique Sylvain Brousse, tête de liste départementales dans le Bas-Rhin.Dans le Nord et en Rhône-Alpes, EELV et le parti de gauche font liste commune, là où le PC est parti seul. Sur le tract rouge du Front de gauche, qui avec ses deux alliés supplémentaires (le MRC et la NGS) s’appelle « rassemblement communiste écologiste et citoyen », on retrouve même des couleurs vertes, une nouveauté.

L’insistance de Patrick Peron sur l’importance des réouvertures de lignes ferroviaires, de l’augmentation des transports en train, pour les marchandises comme les passagers – pour défendre son électorat historique de cheminots – donne à son programme une tonalité environnementale  qui parle aux Verts de gauche.

Côté EELV, pour être plus audible, à gauche mais aussi au centre, la lutte contre le chômage est l’axe fort de la campagne. Le parti veut montrer que ses propositions créent des métiers de demain, dans les énergies renouvelables (7 000 emplois sur 5 ans), la rénovation énergétique (5 000 sur 3 ans), via l’agriculture biologique (500 installations par an, soutenues à travers les cantines scolaires), qui nécessitent plus de main-d’œuvre. « C’est la priorité des citoyens », justifie Sandrine Bélier.

Absents sur les questions de sécurité

« Cela peut paraître nouveau, mais elle a toujours porté l’emploi dans ses campagnes et lors de son mandat de députée européenne que ce soit pour les industries et grâce à la défense de biodiversité », note Éric Schultz, adjoint au maire de Strasbourg (EELV) et qui fut son directeur de campagne en 2008 et 2014. Sur le refus de l’austérité, thématique chère à la gauche radicale, le parti ne se positionne pas. Sandrine Bélier parle d’économies de facture à travers la rénovation énergétique des bâtiments.

Mais après les attentats, les propositions des deux partis sont devenues secondaires aux yeux des citoyens par rapport aux questions de sécurité, même si elles ne relèvent pas des régions. Les écologistes avaient pourtant un argument à faire valoir face au terrorisme : diminuer notre consommation de pétrole, c’est moins d’argent pour les financeurs du terrorisme. Mais la liste a jugé qu’un tel message aurait été indécent et déformé, alors Sandrine Bélier s’y est opposé :

« Avec les raccourcis médiatiques le message aurait été “en prenant sa voiture on favorise le terrorisme”. C’est d’abord le temps des réponses sécuritaires, qui sont du ressort de l’État qui a décrété l’état d’urgence. Le temps de l’explication viendra plus tard. Mais avoir un emploi est aussi une forme de sécurité, un moyen sur laquelle la région a des pouvoirs en favorisant l’économie locale. »

Départementalistes nationaux contre régionalistes européeistes

Concernant l’organisation des institutions politiques, Front de gauche et EELV s’opposent également. Les premiers pensent que les pouvoirs politiques doivent relever de l’État, du département et des communes. Chez EELV, on croit au contraire qu’il faut transférer plus de moyens à l’Europe, aux régions et aux intercommunalités. De fait, le Front de gauche, qui refuse la « mise en concurrence des régions » n’est pas un grand fan des régionales. Partir seul permet d’être plus de temps de parole sur ses idées nationales : les surpressions d’emploi à Air France, l’interdiction des licenciements, comment partager les richesses différemment…

En 2010, les communistes étaient en revanche partis avec le PS dès le premier tour en Lorraine et Champagne-Ardenne. Ils l’avaient emporté et dirigé les régions avec les écologistes. « La configuration politique était différente », justifie Sylvain Brousse, qui était à l’époque au PS. Mais seuls trois sortants des deux régions font campagne avec le FDG quand 4 communistes sont restés avec le PS.

Au contraire du Front de gauche, Sandrine Bélier a présenté un programme taillé pour la grande région, un espace qu’elle connait bien, puisqu’elle en fut eurodéputée (avec la Bourgogne et la Franche Comté) entre 2008 et 2014. Ses propositions sur l’emploi sont chiffrées et correspondent aux compétences de la Région. Ses plans d’investissement ne concernent qu’un petit pourcentage du budget et s’appuient sur des effets de levier « ouverts aux financements privés, associatifs et citoyens », dixit son programme.

Contrairement au Front de gauche, elle ne se bat pas contre la baisse des dotations, car elle sait que c’est une politique du gouvernement et qu’un infléchissement n’est pas prévu d’ici 2017. Mais lors de notre rencontre, elle se demande si « l’honnêteté et le sérieux paie » quand elle voit le succès du Front national dans les sondages.

Des cultures politiques pas toujours compatibles

Enfin, les deux rassemblements sont issus de cultures politiques différentes. En Alsace, l’écologie est issue d’une culture centriste. Antoine Waechter (tête de liste Haut-Rhinoise au nom du Mouvement écologiste indépendant, MEI) avait fait scission des Verts dans les années 1990, justement car il ne voulait pas que le parti se positionne proche des valeurs de gauche.

Plusieurs élus installés sont empreints de légitimisme et de respect des institutions. Ils n’apprécient pas toujours d’être associés aux Zadistes (occupants d’espaces naturels menacés), quand bien même certains des militants seraient tentés par l’aventure sur le tracé du futur GCO. Pour le Front de gauche, très influencé par le modèle de la lutte des classes, la contestation est un moyen d’obtenir des avancées sociales et sociétales.

Fidèle à son modèle étatiste, le Front de gauche est une alliance très centralisée, où les stratégies sont décidées à Paris, tandis qu’à EELV on préfère s’adapter au niveau local. Dès le mois de mai, les écologistes des trois régions ont voté pour une candidature « autonome » à 70% (et encore plus en Alsace) pour ces élections. Sandrine Bélier a alors mené des négociations sur le modèle du maire écologiste de Grenoble Éric Piolle, où de nombreuses formations de plusieurs bords se sont agrégées à sa dynamique.

Antoine Waechter, pas compatible avec la gauche

Mais ce modèle n’a pas pu être reproduit, en partie pour des raisons de places et de personnes, reconnait-on des deux côtés. La personnalité d’Antoine Waechter a échaudé les partenaires de gauche. Même dans les méthodes de négociations, les différences culturelles ont ressurgies.

Malgré ces différences, les deux formations ont conclu un pacte de non-agression. « On peut toujours trouver des différences, culturelles ou politique, mais dans le cadre d’un projet pour diriger une région, qui ne changera pas le fonctionnement de la France et de l’Europe, on aurait pu se mettre d’accord. C’était aussi ça l’esprit Europe Écologie », regrette un militant EELV.

La grande région semblait taillée pour un tel accord : en Alsace, les écologistes sont bien implantés avec 8% aux dernières européennes, tandis que les bassins les bassins ouvriers de la Lorraine et de Champagne-Ardenne restent des bastions de la gauche radicale. De longues négociations avaient été menées à l’été. « Même si les reports de voix ne s’additionnent pas totalement, certains sondages laissent envisager un score autour de 13% », remarque le même écologiste déçu.

Aujourd’hui, chaque camp estime que l’autre aurait pu faire plus d’efforts. « On avait cédé la tête de liste régionale et bas-rhinoise, mais ils proposaient davantage un ralliement qu’un rassemblement », conclue Hülliya Turan.

Les deux partis à un tournant

Si l’objectif annoncé est de 10% pour pouvoir choisir son destin au second tour (et aussi se poser beaucoup de questions, notamment si le Front national arrive en tête), d’autres sondages placent parfois les deux partis sous les 5%. Cela signifierait d’une part l’impossibilité de fusionner les listes, et d’autre part, le non-remboursement des centaines de milliers d’euros de frais de campagne, ce qui obérerait les finances de ces formations.

Certains se surprennent même à souhaiter ce scénario en se disant que cela poussera à l’union la prochaine fois. Car indépendant, les partis ont peiné à peser sur la campagne. Seule Sandrine Bélier se console « que tout le monde parle d’écologie, même s’ils sont peu à la mettre en oeuvre dans leurs mandats ». Celui qui arrivera en tête dimanche soir risque de dire à son partenaire qu’il fallait l’écouter. Car dès 2016, les deux formations reprendront les discussions.

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