Avis aux gourmets, le Refugee Food Festival, c’est du 19 au 23 décembre et c’est déjà pris d’assaut. Le principe : un chef réfugié installé à Strasbourg rencontre, le temps d’une soirée ou d’une série de menus, des restaurants locaux. Au-delà de l’intérêt gustatif qui mêle les saveurs les plus diverses, de l’Italie sarde au Tibet en passant par l’Alsace et l’Afghanistan, le but est de présenter les réfugiés autrement, par leurs compétences et leur savoir-faire. Et d’œuvrer, par ce biais, à leur insertion professionnelle.
Un programme d’expériences culinaires uniques
Chaque soirée du Refugee Food Festival offre une couleur différente. Le 20 décembre le Mandala, qui associe déjà des saveurs alsaciennes et vietnamiennes dans une carte inventive, invitera Ahmadzai, un chef afghan, en mode fusion. C’est le 21 décembre que Dorjee Ringchen concoctera avec Massimo au Monteleone un menu tibétano-sarde. Pour la soirée du 22 décembre, la Ruche aux deux Reines donne les rênes de sa cuisine à un couple de chefs syriens, Iman Rahal et Mohamed Salloum. Enfin le chef syrien Hussam Khodary sera invité à la Graffeteria le 23 décembre. Il travaillera aussi sur des gourmandises syriennes du 19 au 23 décembre avec PUR Etc et Café Con Leche.
Un conseil : réservez dès que possible auprès des restaurants concernés, car les places se font rares.
Être solidaire, curieux et gourmand en même temps
Si elle éclaire les réfugiés sous une lumière plus positive, l’opération est aussi bonne pour le business des restaurants. Présenté sur un chalet du Village du Partage les 5 et 6 décembre avec dégustation à l’appui, le Refugee Food Festival est déjà sur toutes les langues. La communication répond à cette question que beaucoup se posent sans trouver de réponse : que peut-on faire pour soutenir des réfugiés à Strasbourg ? Le Refugee Food Festival est né de l’initiative citoyenne de deux jeunes gens, Marine Mandrila et Louis Martin, créateurs de Food Sweet Food, que leur amour de la cuisine a poussé de table en table à travers le monde.
Nawel Rafik Elmrini, adjointe au maire de Strasbourg, fait partie de ceux qui ont soutenu l’initiative du festival. Celui-ci est en cohérence, selon elle, avec l’action de la Ville, qui avait lancé un numéro vert à l’attention des Strasbourgeois pour souhaitent s’engager pour les réfugiés. La Ville de Strasbourg a notamment mis à disposition du festival le chalet du Marché de Noël les 5 et 6 décembre. Il est à noter que les revenus générés par les ventes faites sur le chalet du Village du Partage doivent être reversées à l’association Casas à Strasbourg – cette action a donc des bénéfices au-delà des quelques chefs et restaurants concernés.
Une opération tirée d’une expérience personnelle
L’organisation du Refugee Food Festival à Strasbourg a été facilitée par Frédéric Muller et Nicole Tu, du restaurant le Mandala. Frédéric Muller revient sur cette démarche :
« C’est notre credo au Mandala d’accueillir des réunions associatives, des projets artistiques, de faire un relais de citoyenneté au niveau local. Et puis les parents de Nicole sont d’anciens réfugiés, arrivés du Vietnam en France en 1982. L’expression du savoir-faire culinaire de ma belle-mère a été le vecteur de son intégration en France, professionnellement mais aussi socialement. C’est ce qui nous a inspiré ici. »
Cinq chefs cuisiniers réfugiés sont concernés par le Refugee Food Festival. C’est peu, bien sûr. Six lieux des restauration les accueillent du 19 au 23 décembre : le Mandala, le Monteleone, la Ruche aux deux Reines, Café Con Leche, PUR Etc et la Graffeteria du Graffalgar. Ce sont dans l’ensemble des restaurants relativement récents et dynamiques, à quelques encablures de la gare.
« L’esprit du quartier gare »
Nicole Tu croit que ce dynamisme du quartier gare n’est pas un hasard :
« C’est l’esprit du quartier gare, qui est un carrefour de rencontres. On y croise des femmes et des hommes d’affaires, mais aussi un fantastique brassage social. »
Les 5 chefs cuisiniers du Tibet, de Syrie et d’Afghanistan sont accueillis par les restaurants comme une chance de se distinguer et de faire parler des lieux autrement. Ils ont été repérés par des associations locales contactées via le HCR, comme Alsace-Syrie et le Foyer Notre Dame, et ont été sélectionnés sur CV.
La restauration reste un secteur qui emploie
Si l’obtention d’un emploi n’est pas garantie à l’issue des quelques jours de festival, la première édition de Paris semble prouver que le Refugee Food Festival va vraiment dans le bon sens. Lorraine Niss, coordinatrice du festival pour Food Sweet Food à Strasbourg, est affirmative.
« La restauration en France reste un secteur qui recrute énormément, où des emplois sont vacants. Suite à l’édition du festival à Paris, 6 chefs réfugiés sur les 8 participants ont trouvé un emploi sur place, dans le secteur de la restauration. »
Les 5 chefs à Strasbourg sont bien entendu rémunérés pour leur travail à l’occasion du festival, mais cette expérience leur permet aussi de se frotter aux normes et aux façons des cuisines françaises et de se faire connaître. On peut regretter qu’il n’y ait qu’une seule femme sur les 5 chefs réfugiés de l’édition de Strasbourg. Elles étaient plus nombreuses à Paris.
Momos tibétains à Strasbourg
Celui qui bénéficiera sans doute le plus immédiatement de l’écho du festival est Dorjee Ringchen, tibétain et roi du momo – sorte de ravioli savoureux fourré à la viande ou aux légumes. Il vient en effet d’ouvrir sa toute petite fabrique à momos dans la grand rue à Strasbourg, à déguster sur place et à emporter. Strasbourg est pour Dorjee Ringchen une ville d’élection :
« J’ai vécu à Paris pendant 8 mois. ça m’a beaucoup fatigué. J’ai pensé à mes enfants, à leur éducation, je me suis dit que si je n’arrivais pas à vivre une vie intéressante avec eux, ce n’était pas la peine d’être venu en France. Puis j’ai habité à Chalons en Champagne dans un foyer grâce à France Terre d’Asile, et là j’ai commencé à réfléchir à la ville où je voulais construire notre avenir. J’ai emprunté de l’argent pour voyager, j’ai visité Lille, Dunkerque, Marseille, Lyon, Carcassonne et Reims. Je n’étais pas convaincu. Et puis j’ai entendu parler de l’Alsace à la télé. J’ai vu qu’il y avait beaucoup de forêts, parfois aussi de la neige [étoiles pétillantes dans les yeux à l’évocation de la neige]… Alors je suis venu visiter Strasbourg pendant le marché de Noël en 2012. Et là, d’un coup, j’ai été bien. »
Dorjee Ringchen échangera son savoir-faire à quatre mains avec Massimo, le chef sarde du Monteleone, pour la soirée du 21 décembre. Si la soirée est déjà complète ou presque, rien ne vous empêche d’aller découvrir sa cuisine dans son petit espace aussi chaleureux que chatoyant. Vous aurez peut-être la chance d’accompagner vos momos d’un thé tibétain au beurre de yack, douceur exotique et réconfortante en cette période hivernale. Et puisqu’il fait froid dehors, n’hésitez pas à vous serrer un peu sur les quelques places disponibles !
Le professionnalisme en commun
Pas d’obligation dans la manière de faire pour le festival : certains cuisinent ensemble, à quatre mains, d’autres invitent les chefs à cuisiner leur propres spécialités selon leurs envies. Pour certains l’expérience en elle-même est déjà fascinante et promets quelques surprises, en termes d’épices mais aussi de procédés. Si l’amour de la cuisine peut revêtir une forme d’universalité, la façon de faire les choses varie grandement d’une personne et d’un pays à l’autre.
C’est le professionnalisme des chefs réfugiés qui a décidé Massimo, du Monteleone, à participer à l’opération. Il sait qu’entre praticiens accomplis de la cuisine, fins connaisseurs des gestes et des produits, il y aura toujours moyen de créer quelque chose d’intéressant. Et d’apprendre des choses au passage. Le festival réserve son lot de surprises.
Et le long terme alors?
Étant donné le succès que le festival rencontre à Strasbourg, on ne peut qu’espérer que cette initiative se pérennisera. Si les voyageurs gastronomes de Food Sweet Food ont lancé le mouvement, qui doit prendre en juin 2017 une ampleur européenne, ils espèrent aussi que d’autres citoyens auront, localement, envie de s’en emparer, en mode open source. Ils ont créé dans ce but, toujours avec le soutien du HCR, un kit pédagogique qui permet à chacun d’organiser son propre Refugee Food Festival.
Céline Schmitt, partenaire du Refugee Food Festival pour le HCR, explique que pour aller plus loin, le HCR et Food Sweet Food créent ensemble une « innovation : une plateforme de mise en contact de profils de chefs cuisiniers réfugiés avec des restaurants, en France mais aussi ailleurs en Europe ». La cuisine, surtout en France, comme le fait remarquer Céline Schmitt, est un vecteur évident d’échange et de partage.
L’accès au travail est une nécessité vitale, mais aussi un outil fort d’inclusion dans la société. Nul besoin d’être réfugié pour s’en rendre compte, même si l’urgence de l’inclusion est criante chez ceux qui cherchent à reconstruire un vie loin d’un pays aimé qu’ils ont quitté. Alors bien sur le Refugee Food Festival est un événement éphémère, qui ne résoudra pas tout, et concerne au final peu de réfugiés. Mais il ouvre une porte sur une autre de manière de voir et d’agir, accessible et à portée de main. Ce changement de perspective en plein marché de Noël a quelque chose de salutaire, pour l’esprit comme pour les papilles.
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