Au cours d’un été particulièrement calme du côté du Racing club de Strasbourg, une recrue a fait un peu plus parler d’elle que les autres. Elle n’a jamais marqué de but en Ligue 1, ni même joué comme titulaire. Mais à 43 ans, elle compte plus de 350 matches, a foulé pendant 13 années les pelouses de France et même de Ligue Europa, la deuxième coupe d’Europe. Frank Schneider était arbitre professionnel jusqu’en 2022. Un tel recrutement est une première en France.
Après une saison mémorable terminée à la 6e place, le président Marc Keller n’a pas renforcé l’attaque, ni le milieu de terrain de son équipe. En défense, seuls les départs des latéraux ont été remplacés. En s’acquittant des services d’un arbitre, le club a pour objectif d’éviter les cartons bêtes pour contestation (« veiller à un comportement individuel et collectif adapté« , selon le communiqué du club), ou de mieux saisir toutes les subtilités des règles (« transmettre une meilleure compréhension des enjeux et de l’évolution des règles »). Avec un rôle de « consultant », il intervient également au centre de formation et a un rôle de formation des jeunes arbitres.
Plusieurs décisions défavorables
Mais depuis l’arrivée de Frank Schneider, c’est un comble, le Racing n’a jamais autant critiqué l’arbitrage. Il faut dire que le Racing, déjà en difficulté dans le jeu et qui accumule les blessés, a perdu plusieurs points suite à des décisions contestables. L’erreur la plus manifeste est un coup de coude contre Clermont (0-0 le 11 septembre), qui a mis l’attaquant Ludovic Ajorque six semaines sur la touche à cause d’un sternum fêlé. La faute était dans la surface de réparation et aurait dû déboucher sur un pénalty comme l’a rappelé dans plusieurs articles L’Équipe.
Deux semaines plus tard, un carton rouge bien sévère en début de match contre Rennes plombe les espoirs de résister à l’escouade bretonne (défaite 3-1). D’autres décisions litigieuses, contre Monaco (défaite 1-2) ou Auxerre (défaite 1-0) au mois d’août, restent aussi en travers de la gorge des supporters. Au contraire, difficile de retrouver des coups de sifflet indulgents pour le RCSA cette année, contrairement à la saison précédente.
« De nombreux points envolés »
La fin du dernier match contre Toulouse a clairement auguré d’un changement de ton au sein du club. Alors que le Racing était revenu à 2-2, un tacle aurait pu (dû ?) donner lieu à un pénalty, et l’occasion de remporter le match. Dans les mêmes circonstances quelques semaines plus tôt, le même arbitre avait sifflé un pénalty à Montpellier contre le Racing dans les dernières minutes (défaite 2-1).
À l’issue du match, l’entraineur Julien Stéphan a directement ciblé l’arbitre :
« Ça fait de nombreux points envolés depuis le début de saison sur des décisions litigieuses, qui nous sont très contraires. Strasbourg mérite plus de respect. Il faut avoir le courage de siffler, même à la 93e minute à l’extérieur, même si l’équipe adverse est à dix. Lorsqu’il y a un penalty, il y a un penalty. Je ne sais pas s’il aurait été transformé ou pas. Mais il faut nous donner le penalty quand on mérite de l’avoir. »
Faut-il voir un lien avec le recrutement de Frank Schneider ? Le club rappelle que le natif de Strasbourg n’a pas été recruté pour influencer sur les décisions en cours de match. Le Racing a certes déjà écopé de 3 cartons rouge cette saison, autant qu’en 2021/2022 mais ces expulsions interviennent après coups de sifflets sévères, comme partout en Ligue 1 depuis le debut de l’année. Les joueurs n’ont pas pété les plombs vis-à-vis d’un arbitre après de decisions litigieuses.
Il n’empêche, Julien Stéphan semble critiquer une forme d’attitude générale de l’équipe :
« Si je dois être sanctionné pour le bien du club, ce n’est pas grave. Quand on est trop gentils, trop polis, qu’on ne dit rien, voilà ce qu’il se passe. Si je dois être sanctionné, au moins j’aurais protégé mon club. J’aurais protégé le groupe, les joueurs qui auraient mérité d’avoir ce penalty avec les efforts qu’ils ont fait. »
Présents aux abords du stade, Vincent, Christian et Patrick supportent le Racing « depuis 55 ans ». Ils voient bien sûr d’autres raisons au mauvais début de saison comme un recrutement timide cet été, l’accumulation de blessures et « des fins de match difficiles » qui témoignent peut-être d’une mauvaise préparation. Mais l’arbitrage revient également. Le match contre Toulouse est « presqu’un scandale » pour Vincent.
« Ils devraient venir à dix autour de l’arbitre »
Patrick pointe aussi une attitude qui joue contre le Racing :
« Notre club est trop gentil. Aujourd’hui, celui qui la ferme est sanctionné, il faudrait être plus virulent. Quand il y a une décision litigieuse, ils devraient venir à dix autour de l’arbitre pour lui mettre la pression comme les Parisiens ou les Marseillais. »
Difficile d’imaginer que Frank Schneider ait conseillé aux joueurs de contester chaque décision et de mettre sous pression l’homme au sifflet. Arbitre au niveau amateur, Patrick tente de se projeter :
« Plus on nous rentre dedans, plus on se remet en question. »
La place de Frank Schneider le questionne. « Que les joueurs et l’entraineur regardent les images ensemble avec un arbitre pour les comprendre, ok, mais que l’arbitre soit là sur le terrain, à conseiller le placement, ça me dérange un peu ». Vincent est plus nuancé sur les apports d’un arbitre « qui ne peut être que correct ». Également arbitre, il craint surtout que « les problèmes d’arbitrage retombent sur nos arbitres de district », avec plus d’agressivité dans le monde amateur.
Marc Keller pourrait « ouvrir sa gueule »
Dans ces circonstances compliquées pour le club, les interrogations se tournent aussi vers le président Marc Keller, silencieux sur le sujet. Si les trois amis le qualifient de « super président » par ailleurs, ils estiment que dans cette situation, « il devrait ouvrir sa gueule ». « Entre les lignes, on comprend que Julien Stéphan attend du soutien de Marc Keller », décrypte Christian.
Marc Keller est aussi l’un des vice-présidents de la Fédération Française de Foot (FFF), parfois pressenti pour prendre la tête de l’instance, et donc un patron indirect des arbitres. « A-t-il le droit de s’exprimer ? » s’interrogent les trois supporters. Ils comparent le mutisme de Marc Keller avec Jean-Michel Aulas, autre vice-président de la FFF et président de l’Olympique lyonnais qui n’hésite pas à mettre la pression sur les arbitres en conférence de presse.
À l’issue du match contre Toulouse, un actionnaire minoritaire du club, Thierry Herrmann, a tenté de critiquer l’arbitrage, le qualifiant d’ « objectivement une honte » sans pour autant tomber dans « une machination » contre le RCSA. Le tweet a depuis été retiré.
L’arbitrage encore dans les têtes mardi
Mardi avant l’entrainement, l’arbitrage était encore dans les têtes. Lorsque les joueurs passent devant les supporters présents, un « Bravo pour ce que t’as dit Dimitri », est lancé par un fan. Au micro de France Bleu Alsace, le capitaine s’était fendu d’un long coup de gueule contre l’arbitrage.
Lorsque c’est au tour de Maxime Lemarchand de s’avancer, victime de la faute non-sifflée contre Toulouse, « il y avait penalty ! », le réconforte un autre passionné. Le joueur répond « bien sûr » à cette interpellation, sur un ton encore dépité.
Des arbitres en rivalité
Mercredi, Frank Schneider arbitrait la séance d’entrainement, comme chaque semaine. Dans ces circonstances, son rôle évolue-t-il ? Doit-il justifier les décisions litigieuses de ses ex-collègues auprès des joueurs ?
« Les arbitres sont aussi en compétition entre eux », rappelle Vincent. En fin de saison, les plus mal notés sont relégués en Ligue 2. « Il y a des potes et des hommes qui s’aiment pas » dans ce milieu, appuie Christian. Consciemment ou inconsciemment, les arbitres actuels peuvent ne pas vouloir donner l’impression de favoriser le club qui vient de recruter un ancien membre du corps arbitral.
Christian s’interroge :
« Sa présence est-elle une bonne ou une mauvaise chose ? Pour l’instant c’est plutôt néfaste que bénéfique, j’espère que ça ne joue pas contre nous. »
« On passe à autre chose »
Le Racing club de Strasbourg n’a pas donné suite à notre demande d’entretien avec Frank Schneider. À l’entrainement de mardi, le coach Julien Stéphan disait « on passe à autre chose », credo qui doit guider l’esprit du club jusqu’à la réception de l’Olympique de Marseille (OM) ce samedi 29 octobre.
Vraiment ? Jeudi, le coach Julien Stéphan constatait que ses déclarations ont eu « peu d’écho » au niveau national. Il pointe que les commentaires se concentraient sur le FC Nantes, également floué à plusieurs reprises face à Nice. Il faut dire que là où le Racing arrêtait de s’exprimer sur le sujet, l’entraineur nantais, Antoine Kombouaré, choisissait d’enfoncer le clou le lendemain sur L’Équipe TV, en revenant sur les propos de l’arbitre et estimant avoir été « pris pour un con ». Deux clubs, deux styles.
Pour Julien Stéphan, les injustices arbitrales ne sont de toute façon « pas le bon vecteur de motivation, bien au contraire ». Pour résister face à l’OM, dans une mauvaise passe mais 5e du championnat, le Racing, 16e, ne devra pas s’en remettre à l’un ou l’autre coup de sifflet, mais hausser son niveau.
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