Qu’est ce qu’un boustrophédon ? Quelles sont les véritables origines du mot « arobase » ? Qui sont « ces messieurs » sadiques et sortis de nulle part qui veulent plonger une souris verte dans l’huile bouillante ? Autant de questions que vous ne vous posez pas, mais auxquelles Raphaël Koschig, alias CodeMU, répond avec humour sur sa chaîne YouTube.
Cinéphile et amoureux des mots, créatif hyperactif, ce Strasbourgeois de 28 ans ne correspond pas à l’image qu’on appose généralement aux « youtubers », ces comédiens qui se taillent des réputations grâce à un humour geek.
Raphaël Koschig préfère le terme de « vidéaste » et reçoit de Google 20 à 30 dollars par mois pour ses vidéos qui totalisent 20 à 30 000 vues mensuelles. Donc en attendant la célébrité, il troque tous les matins sa casquette de vidéaste pour celle de facteur, afin d’assurer un revenu à toute sa petite famille, sa femme Joanna, leurs deux enfants, deux chats et deux lapins.
Aujourd’hui, une chose lui manque : le temps. Sa dernière vidéo, une analyse des paroles d’Il était une bergère, date de novembre 2015, et il planche depuis plus de quatre mois sur un nouvel épisode « ambitieux ». Il y a encore un an, avant qu’il ne fasse la tournée des boîtes aux lettres, Raphaël Koschig publiait deux à trois productions par mois. Au fil des années, il a investi environ 5 000 euros dans ses outils de vidéaste pour divers projets.
Un apprentissage en autodidacte
Après un bac scientifique, « parce que les techniques audiovisuelles sont très liées à la physique », Raphaël Koschig opte pour une licence en Arts du spectacle, spécialité cinéma… où il s’ennuie peu ou prou pendant trois ans. Dès l’âge de 14 ans, il s’est forgé une expérience en autodidacte, en voulant copier son frère aîné. Caméscope paternel au poing, il filme, tout et n’importe quoi, réalise des courts métrages, s’essaie au montage et aux effets spéciaux.
Rapidement, il démonte les idées reçues : non, celui qui collectionne les mots étranges ou à rallonge dans son « Panthéon de MU » ne dévore pas cinq romans et encyclopédies par jour. Raphaël Koschig s’en amuse :
« Tout le monde me dit que j’ai monté une chaîne YouTube littéraire, mais quand même, la littérature et la langue française, c’est pas la même chose. Et puis, je suis tout sauf un grand lecteur ! Quand je lis, je suis incapable de me concentrer. Ma collection de mots, je l’ai accumulée au fil des années : dans des bouquins de culture générale, au cours de jeux avec une amie quand j’étais ado. C’était à celui qui trouverait le mot le plus alambiqué ou le moins connu. J’en ai découvert aussi pas mal en me penchant avec ma femme sur les concours d’orthophonie, où on trouve des termes que strictement personne ne connaît avec des définitions incroyables. Le reste, c’est les mots croisés : découvrir des mots, ça m’interpelle et me fascine. »
YouTube s’ouvre à la culture
En 2014, en recherche d’emploi, le vidéaste traîne sur YouTube et découvre que la révolution culturelle est en marche :
« Un nouveau type de chaînes cartonnait : des vidéos fouillées, pour instruire et divertir. J’ai découvert le boulot d’Axolot qui s’intéresse à des personnages, lieux ou histoires insolites, ou encore d’E-penser, qui donne dans la vulgarisation scientifique. »
Créer un univers personnel, être son propre patron, se faire un nom… Encouragé par sa femme, qui jouera la voix-off, narratrice de nombreux épisodes, Raphaël Koschig se lance en mai 2014 et devient CodeMU. « Mu » serait, selon lui, la racine du mot « mot » : émettre des borborygmes inaudibles, « comme un homme de Cro-Magnon ». Et en plus, c’est facile à retenir.
La langue française à toutes les sauces
Les retours sur ses premières vidéos sont positifs, les abonnés se multiplient (plus de 60 000 aujourd’hui), surtout quand Axolot et E-Penser partagent ses créations. Chose assez rare sur YouTube, il est même relativement épargné par les « haters » du web, et leurs « c nul » gratuits et peu constructifs.
En plus des épisodes « Code MU », où il construit une histoire autour de trois mots bizarroïdes, le vidéaste se lance dans d’autres formats. Dans la peau du Professeur Mu, il ouvre la porte d’un cabinet de curiosités et se penche sur l’histoire d’expressions du quotidien. Replongé par la paternité dans les comptines de son enfance, il réalise que les paroles sont souvent absurdes, sans queue ni tête, voire hyper-violentes : naît alors un nouveau segment, plus naturel et improvisé que les autres, « Les comptines de la défonce ».
Pour échanger avec ses fans, Raphaël lance aussi le concours « Invente un MU » : autour d’un thème donné, chacun propose un mot fictif de son cru. La première édition, qui portait sur la canicule, a engrangé plus de mille inventions, comme le « lucraniculeur », désignant quelqu’un qui utilise les fortes chaleurs dans un but lucratif.
De 10 à 80 heures passées sur chaque vidéo
Tous les épisodes sont filmés dans le garage ou au salon : un écran vert tendu, un bon appareil photo, trois torches à LED, deux ordinateurs pour le montage et le tour est joué. Pour une vidéo de 2 à 3 minutes, Raphaël Koschig passe entre 10 et 20 heures à faire des recherches, écrire, filmer, monter, éditer, en collaboration avec sa femme. Le dernier Code MU, qui portait sur l’archéologie et invitait Harrison Ford en personne (et son célèbre doubleur Richard Darbois), en a nécessité plus de 80. Pour le vidéaste, c’est un déclic :
« C’est en réalisant cet épisode que j’ai décidé de m’impliquer à fond dans des vidéos qui valent la peine d’être publiées. Maintenant que j’ai une petite communauté derrière moi, je veux montrer que je sais et veux réaliser de la fiction, axer plus sur la mise en scène. Au début, le leitmotiv de ma chaîne était découvrir l’origine des mots. Aujourd’hui, l’idée est de se divertir autour de la langue française, tout en apprenant quelques trucs. »
Boulot, dodo… moins de vidéos ?
Mais à partir de l’été 2015, le rythme de la chaîne ralentit considérablement. L’allocation chômage prend fin, et Raphaël Koschig dégote un poste de facteur. Le boulot idéal qui colle à son mode de vie et lui permettra de continuer son activité de vidéaste, songe-t-il… à tort.
« Je me suis dit : facteur, c’est parfait, tu es sportif, tu bosseras de 6 heures à midi… Mais pas du tout ! Depuis, mon activité a énormément baissé sur YouTube. Je rentre chez moi parfois en toute fin d’après midi, je suis claqué, je m’occupe des petits… Le soir, je travaille vite fait sur mes projets si je suis motivé, mais c’est difficile… et frustrant. J’ai plein d’idées qui chauffent dans la tête quand je fais mes tournées à vélo, et je ne peux pas les mettre en place. »
Qu’importe, l’amoureux des mots et de la vidéo ne se laisse pas abattre : sa chaîne évoluera tranquillement, mais sûrement. Il planche depuis des mois sur son nouveau Code MU, qui portera sur l’astronomie, et qui devrait même solliciter un membre de la NASA… Puisqu’il n’a plus le temps de publier régulièrement, il assume : ses vidéos seront rares, mais très travaillées.
Vivre de sa passion, sur YouTube ou ailleurs
Gagner suffisamment d’argent sur YouTube, Raphaël Koschig en rêve. Mais des rêves, ce fan de Quentin Tarantino et Robert Zemeckis en a à la pelle. Internet, c’est l’avenir, il en est certain. Alors pourquoi pas, quand son activité sur YouTube dépassera ses revenus de salarié, se lancer dans la production de fiction sur le web ? Le Strasbourgeois ne se ferme aucune porte, mais souhaite prendre son temps :
« Je pourrais me forcer à sortir des vidéos plus souvent, privilégier la quantité et attirer les abonnés. Mais je n’ai pas envie de me stresser, de faire subir cette pression à ma famille, ou de les mettre de côté. C’est plus facile pour les Youtubers vraiment connus : la plupart n’ont pas d’enfants et gagnent assez pour en vivre. Moi, je ne peux pas me le permettre. Le week-end, je me coupe totalement de ce monde, et je reste en famille. »
Avant de reconnaître qu’il serait aisé de céder à la tentation :
« C’est vicieux, mine de rien. Je me revois, tout excité, quand j’ai dépassé les mille abonnés, j’arrivais à peine à le croire. Maintenant, j’en ai 60 000 et je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aimerais bien passer à 100 000. »
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