Lundi 16 février, 20h. Le nouveau conseil de quartier Koenigshoffen-Montagne Verte-Elsau se réunit pour la deuxième fois dans une des salles du labyrinthe constitué par les bâtiments du CREPS. Les participants se répartissent par table de cinq, au fil de leur arrivée. Nicole, l’animatrice des Cemea, l ‘association d’éducation populaire qui accompagne les membres des conseils de quartier, ouvre la réunion :
« Je vous invite à trouver des idées pour compléter les priorités que vous avez dressées lors de la première réunion. Je vous rappelle qu’on ne décide pas des programmes de travail partagé (PTP), mais qu’aujourd’hui, on s’ approprie les propositions de la Ville que la directrice de proximité Emmanuelle Parodi va vous présenter. Vous pourrez alors poser toutes vos questions et Emmanuelle tentera d’y répondre. »
« Allez, on écoute un petit peu »
Entre deux chips et une plaisanterie, la timidité de certains s’efface rapidement et les discussions s’animent. Au-dessus du brouhaha général émergent des interrogations, sur les « problèmes d’incivilités des jeunes », « la congestion de la route des Romains » ou « les pistes cyclables qu’on ne voit pas ».
Après une vingtaine de minutes, Nicole interrompt ce premier temps de réflexion collective : « Alors, est-ce que de nouvelles idées ont émergées ? » La première table répond qu’elle « discute encore de la première partie ». L’animatrice rappelle :
« Vous allez devoir ramener des devoirs à la maison ! L’objectif n’est pas de rediscuter des priorités que vous avez déjà dressées. On n’est pas là pour refaire le conseil de quartier numéro un ! Allez, on écoute un petit peu. »
« Que des épiceries et des kebabs le long de la route de Schirmeck »
A la table suivante, c’est une femme brune à lunettes, la cinquantaine, qui prend la parole : « On s’interrogeait sur le parcours du tram à Koenigshoffen ». Rigolade générale. Nicole interrompt les participants : « Un peu d’attention, s’il vous plaît ». La femme reprend : « Et sur la diversité des commerces, car ce sont les mêmes commerces tout le long de la route de Schirmeck, des épiceries et des kebabs » !
Les participants reprennent leur sérieux. C’est au tour d’un jeune blond, la vingtaine, de prendre la parole :
« C’est bien de s’interroger sur la desserte des transports, mais il faudrait aussi étudier la connexion des horaires pour ne pas que les usagers attendent trop entre les correspondances. Concernant l’aspect architectural, on réfléchissait à l’opportunité de faire un audit des anciennes constructions, parce que le mur d’un immeuble s’est effondré au mois d’août. »
« Problèmes de stationnement route des Romains »
Un des participants, âgé quant à lui d’une quarantaine d’années, renchérit, très souriant :
« On n’était pas là lors de la première réunion, mais on voulait signaler le manque de bibliothèques et les problèmes de stationnement route des Romains quand on veut faire ses courses. »
Des nouveaux membres au bout de la deuxième réunion ? Un fait pas si surprenant : les membres du conseil de quartier ont été, pour les deux-tiers, tirés au sort sur la liste des volontaires. Le tiers restant a été tiré au sort sur listes électorales. Or, les listes n’étant souvent pas à jour et beaucoup de personnes ayant déménagé, la Ville a dû faire appel à de nouveaux volontaires. Si le nombre d’habitants initialement prévu (voir encadré) s’élevaient à 50 pour le conseil de quartier Koenigshoffen,Montagne-Verte-Elsau, seulement 23 sont présents ce soir-là : 14 hommes et 9 femmes.
Mise en valeur des pierres tombales de Saint-Gall
Après les nouvelles idées des habitants, place aux propositions de la Ville, représentée par la directrice de proximité des trois quartiers, Emmanuelle Parodi. Dans une ambiance studieuse, celle-ci évoque rapidement certaines réalisations du conseil de quartier issu du mandat précédent : approbation de la charte du Parc National Urbain (PNU), mise en valeur de pierres tombales du cimetière Saint-Gall, participation au dossier de candidature au label Ville d’art et d’histoire.
Emmanuelle Parodi présente ensuite les quatre propositions de travail de la Ville : le PNU, la mobilité des quartiers vers le centre-ville, et notamment la question du tram à Koenigshoffen, la politique de la Ville qui cible des quartiers défavorisés (4 recensés sur les trois quartiers) et, enfin, la question du « vivre ensemble ».
Quelques regards se perdent dans le vide. Nicole intervient :
« On a mis en place des tables par proposition de la Ville. Je vous rappelle l’objectif : s’approprier les projets de la Ville pour décider si oui ou non on a envie de travailler sur ces sujets. »
« Ça doit être le mot politique qui fait peur »
Les participants se répartissent selon leurs envies. Hervé, contrôleur de gestion, 50 ans environ, est un habitué : il était déjà membre de l’ancien conseil de quartier, comme cinq autres des personnes présentes. Il lance avec un clin d’œil : « Je vais à la politique de la ville, personne n’a l’air de vouloir le faire : ça doit être le mot politique qui fait peur ». Quelques minutes plus tard, le voici attablé à discuter du PNU avec énergie. Au même moment, un homme se lève et quitte la salle : « La prochaine réunion est en mars c’est ça ? »
Proposition de la collectivité qui a le plus de succès, le thème de la mobilité. Neuf hommes débattent vivement :
« – Pour moi la priorité, c’est la route du Schnokeloch, qui est très dangereuse. »
« – Alors là, non, je ne vois vraiment pas le risque. »
Un troisième : « Si, je vous assure, ça roule très très vite ! » Un autre réplique : « Un rond point c’est 100 000€… »
C’est Charles, 60 ans, surnommé « la mémoire » du quartier, habitant de la Montagne Verte depuis 55 ans. Pour lui, la participation des habitants est importante « pour que les projets aillent dans le bon sens ».
« Les gens n’ont plus le temps d’apprendre à se connaître »
A la table consacrée à la politique de la ville, Cathy 45 ans, s’interroge : « Pourquoi doit-on fermer les portes des maisons, les portières ? Avant, tout le monde laissait tout ouvert et il n’y avait pas de problèmes ». Son voisin de répondre : « Pour moi, c’est parce que les gens déménagent tout le temps, les locataires changent et le problème, c’est que les gens n’ont plus le temps d’apprendre à se connaître ».
Chaque table doit désormais poser ses questions à la directrice de proximité. Pour la table consacrée au PNU c’est Catherine, 60 ans, active qui prend la parole :
« On s’est rendu compte qu’il y a un problème de communication sur le Parc naturel urbain, qui est un vrai poumon vert, très bien aménagé, surtout ces derniers temps, avec plusieurs balades, mais qui est mal connu, alors qu’il pourrait concurrencer l’Orangerie ! Comment trouver un moyen ludique pour permettre aux gens de mieux connaître l’histoire, la faune et la flore qui peut s’y trouver ? »
« On va dans le sens d’une ghettoïsation ! »
Concernant la vie de quartier, Dominique, 57 ans, qui travaille dans l’audiovisuel, interpelle :
« On a remarqué qu’il y a un réel problème de logements vétustes route de Schirmeck, qui appartiennent souvent à la CUS et qui sont massivement rachetés par des familles immigrées : on va dans le sens d’une ghettoïsation ! On se demandait aussi pourquoi il y a autant de nouvelles constructions près du site Danone, qui est coincé entre la route et la voie ferrée ? On dirait qu’il y a une volonté délibérée d’aller à l’encontre d’une vie de quartier agréable ! Pourquoi on accorde des permis de construire dans ces conditions ? »
« Travaillez vos arguments pour la prochaine fois »
Emmanuelle Parodi tente une réponse :
« Il y a des enjeux économiques. Il est très difficile de refuser un permis de construire si le promoteur respecte la réglementation, même si parfois ça aboutit à des résultats qui ne sont pas qualitativement ce qu’on souhaiterait. »
A 22h, la réunion touche à sa fin. Il est temps, car deux personnes se sont endormies. Nicole annonce :
« Le prochain rendez-vous est le 16 mars, même horaire. Nous croiserons vos propositions avec celle de la Ville pour décider des programmes de travail partagés et des groupes thématiques. Travaillez vos arguments pour la prochaine fois. »
D’ici là, les membres se verront remettre les clés de leur local, garantie d’un travail en toute autonomie, ou presque.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : longtemps délaissés, les quartiers ouest deviennent Parc naturel urbain
Sur Rue89 Strasbourg : nos articles sur Kœnigshoffen
Chargement des commentaires…