Au Moyen-Âge, Strasbourg est retranchée dans l’ellipse insulaire. Pour se défendre contre la menace venue de l’ouest (côté français !), la ville construit quatre puissantes tours en briques, peu après le deuxième agrandissement de ses remparts au XIIIème siècle. Elle le fait là où Bruche et Ill se confondent, pénétrant dans Strasbourg par quatre canaux : le canal de dérivation, entre le quai de la Bruche et celui de la Petite France, et les trois canaux « du Moulin » (dits Spitzmühl, Duntzmühl et Zornmühl), entre lesquels sont aujourd’hui aménagés les squares Louise-Weiss et du Moulin, et le parking du quai du Woerthel.
L’une des quatre tours détruite en 1869
De ces quatre tours, il n’en reste que trois : le Heinrichsturm, dite tour de l’Éclusier (impasse de la Grande-Écluse), le Hans von Altenheimsturm ou tour Woerthel (au bout du quai du Woerthel) et le Hannemansturm auf der Denne ou tour des Français (place du Quartier-Blanc). C’est leur utilisation carcérale (civile pour la première, militaire pour les deux autres) qui a garanti leur maintien debout à travers les siècles. La quatrième tour du dispositif, qui occupait le bout du quai Turkheim, dite Maltzenturm, a été démolie en 1869.
Des ponts-galeries en bois, recouverts de tuiles et munis de herses
La rue des Ponts-Couverts commence là, au croisement du quai Turkheim et en surplomb du quai de la Bruche. L’on pourrait croire qu’elle n’enjambe qu’un unique pont, et c’est effectivement le cas depuis la fin du XIXème. Dans le passé en revanche, il n’en était rien : fortifiés vers 1330, les ponts sur les quatre chenaux ne deviennent des ponts-galeries (d’où le pluriel et le « couverts »…) qu’au XVIème siècle. Les toits sont recouverts de tuiles, munis de herses et fermés côté amont par une paroi aveugle percée de meurtrières. Ces ponts sont remplacés par des passerelles en 1784, puis reconstruits en pierre en 1865, d’après le Dictionnaire historique des rues de Strasbourg.
Du quai Turkheim à la place du Quartier-Blanc, le pont en pierre que nous connaissons traverse plusieurs espaces successifs, qui ont beaucoup changé au fil des ans. Tous, sauf le quai de la Bruche, où l’on peut aujourd’hui comme hier lézarder l’été sous les branches du grand platane (planté, dit-on, sous Louis XIV !) et à la terrasse de la brasserie Au petit bois vert (établissement fondé en 1675). Seule différence, il y a encore 150 ou 200 ans, les marchands s’acquittaient là des taxes sur les denrées qui arrivaient par l’Ill et la Bruche à Strasbourg et transitaient ensuite vers la douane…
Quartier de pêcheurs, tanneurs et prostituées
Sur les marches qui descendent dans l’eau, de nombreuses barques de pêcheurs furent longtemps amarrées. Ces pêcheurs et bateliers vivaient dans les maisons à colombages du quai et jouaient parfois les maîtres-nageurs sur les canaux du Moulin (vers 1870). Le secteur abritait aussi la corporation des tanneurs, autour notamment du fossé éponyme, situé à l’emplacement de l’actuelle rue du Fossé-des-Tanneurs, au départ de la place Benjamin-Zix.
En face, le long de l’actuel quai de la Petite-France (ancien chemin de halage), se trouvaient jusqu’au milieu du XXème siècle diverses constructions. Longtemps, un hangar à bois a occupé une bonne part de l’actuel square Louise-Weiss (aménagé en 1972 et rebaptisé en 1989) ainsi qu’une maison où se faisaient soigner les syphilitiques. Cet « hôpital des incurables » (Blatterhaus) ou « hospices des vérolés » fut installé en 1687 sur ce qui devint alors le « couloir des pustuleux » (!).
Ville de garnison, Strasbourg connut en effet une épidémie de syphilis, appelé aussi « mal français » (qui a donné son nom à la Petite France…), suite au retour des soldats ayant combattu à Naples en 1496, au nom du roi Charles VIII. Cette maladie contagieuse, transmise notamment dans les maisons closes et les établissements de bains du quartier, n’a disparu de la ville que vers le tournant du XXème siècle. Excepté le bâtiment abritant aujourd’hui le restaurant À l’Ami Schutz (1841), les maisons et hangars ont été démolis sur cette bande de terre vers 1970.
Hangars à bois, fabrique de cloches et bains municipaux
Entre la Spitzmühl et la Dunzmühl (ou Dinsenmühl, selon les sources), là où se trouve aujourd’hui le square du Moulin, le bras de terre était occupé par une cour de stockage de minerai et une fonderie de cloches. Roger Forst écrit à ce propos, dans son ouvrage Il était une fois Strasbourg, sur les vestiges de la ville disparus après 1870 :
« C’est l’éclat vif du métal en fusion qui donna le nom à cet espace : Glanzhof signifie cour brillante. En 1495, ce lieu fut nommé Pflanzhof et, à partir de 1587, tout le secteur derrière les Ponts couverts jusqu’aux moulins fut appelé le Pflanzbad. Il y eut en effet plusieurs bains dans ce secteur où l’on fit depuis 1436 usage d’herbes médicinales [cf. rue du Bains-aux-Plantes]. »
Le long de ces bains, côté amont, semblait glisser sur l’eau une passerelle en bois et métal, qui partait du chemin de halage (passerelle, puis impasse de la Grande-Écluse), passait sous le barrage Vauban, reliant les Ponts couverts au quai Mathiss. Et pour cause, dans la première moitié du XXème siècle, « grande écluse » était le nom que l’on donnait alors au barrage Vauban (surmonté aujourd’hui d’une terrasse panoramique) que les néo-Strasbourgeois ou les touristes confondent parfois avec les Ponts couverts… Cette passerelle a été détruite en 1962, tandis que les maisons datant du XIXème, ancien bureau de l’octroi (impôts), ont été maintenues.
A noter enfin que, sur ce pont (ou ces Ponts couverts), les Allemands installèrent le tramway au tournant du XXème siècle. Aujourd’hui, la quatrième tour, celle dite des Français, ne voit plus passer les trams, mais les vélos et les voitures, transitant pour les uns vers le quartier de la gare par les Ponts couverts, se rendant pour les autres au parking de l’Hôtel du département, qui se dresse depuis 1987 place du Quartier-Blanc.
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