La famille Letzgus, propriétaire des cinémas Vox à Strasbourg, et Le Trèfle à Dorlisheim, a dévoilé en fin de semaine dernière son ambition de créer un nouveau complexe cinématographique, sur l’actuelle gare routière, derrière le centre commercial Place des Halles. Le projet, finalisé en juin 2017, prévoit dix salles et 1 236 fauteuils dans un bâtiment qui accompagnerait la réhabilitation de la façade arrière du centre commerciale et de cette entrée de ville, un projet déjà évoqué sur Rue89 Strasbourg.
Ce complexe ne constituerait pas un nouveau cinéma au centre de Strasbourg, insiste Eva Letzgus, directrice générale adjointe de LM Finance, la holding de la famille Letzgus, mais plutôt le transfert des activités du Vox, qui ne compte que six salles et dont l’infrastructure serait devenue « obsolète » pour les exigences actuelles du public et des films.
Avec ses écrans géants et ses salles en largeur, le nouveau complexe permettrait de prolonger la durée de vie des films à l’affiche. Sa programmation plus large s’ouvrirait notamment au cinéma étranger au-delà des seuls films américains. Il proposerait les films à la fois en versions françaises et en versions originales, pour s’adapter au public strasbourgeois étudiant et européen. Sa politique d’animation maintiendrait la ligne de celle du Vox, grand public, mais serait « plus ambitieuse. » Autre ambition exprimée par les porteurs du projet, le nouveau cinéma renouerait avec des avant-premières en présence des équipes des films.
Selon Eva Letzgus, ce nouveau complexe ne serait pas un danger pour les cinémas Star, car sa programmation n’irait pas sur les films Art et Essai.
Le Vox reconverti
Quant au cinéma Vox, il serait en quelque sorte reconverti. Quand la famille Letzgus a racheté les bâtiments du Vox à la Ville de Strasbourg en 2010, elle avait dû s’engager à maintenir l’usage du lieu comme cinéma pendant 15 ans. Aujourd’hui, dans ses négociations avec la Ville, la collectivité exigerait simplement qu’elle maintienne au Vox l’exploitation d’au moins une salle de cinéma.
Dans le projet de transfert actuel, cette contrainte se traduit par le maintien d’une salle à usage de projection, dédiée à la présentation de « contenus événementiels » tels que de l’opéra et des cérémonies célébrant le cinéma (Césars, festival de Cannes…). Un compromis acceptable selon Eva Letzgus, puisque « l’activité de cinéma au centre-ville est conservée » avec ce nouveau complexe des Halles.
La reconversion du reste du bâtiment historique fait l’objet d’une réflexion avec les commerçants du centre-ville pour des missions d’animation. L’accueil d’un café-bar est envisagé et la famille Letzgus s’attend à être contactée par de grandes enseignes. Des escape games éphémères sur le thème du cinéma et une collaboration avec VR Portal pour des ateliers de réalité virtuelle sont aussi dans les cartons.
Mais ce projet, qui avait fuité dans la presse dès février, sans que la famille Letzgus ne s’exprime elle-même, contrarie les plans de Jean-Marie Kutner. Le maire sortant de Schiltigheim, candidat à sa réélection, a annoncé la reconversion de la brasserie Fischer en cinéma MK2, là aussi un vaste complexe cinématographique mené en association avec les cinémas Star de Strasbourg, via leur directeur Stéphane Libs.
Le 3 mars, Jean-Marie Kutner s’en est directement pris à Roland Ries, maire de Strasbourg, dans les DNA, dénonçant la déstabilisation politique que l’accord de principe de Roland Ries au projet de cinéma des Halles constituait, alors qu’il se trouve en pleine campagne électorale à Schiltigheim.
Les Stars et Vox en concurrence pour les Halles au départ
Mais d’après Eva Letzgus, le cinéma des Halles n’est pas du tout un contre-projet sorti des cartons pour faire concurrence à celui de MK2, il est en fait antérieur à celui de MK2. En réflexion depuis 2015 en étroite collaboration avec la Ville, les plans ont dû être repris 7 fois avant d’être finalement validés par la Ville en juin 2017. Au départ, le groupe Hammerson, ex-propriétaire du centre commercial des Halles, avait passé un appel d’offres pour un complexe cinématographique avec le soutien de la Ville.
Les deux cinémas indépendants du centre-ville de Strasbourg, les cinémas Star dirigés par Stéphane Libs, avaient alors postulé pour y déménager mais c’est le Vox qui a remporté le marché. Ce n’est qu’après cette décision du centre-commercial que les cinémas Star se sont associés au groupe MK2 pour le projet à Schiltigheim. Le changement de propriétaire du centre commercial des Halles a ensuite nécessité un temps supplémentaire pour un protocole d’accord en 2017.
Les changements d’analyse de Roland Ries
Roland Ries s’est d’abord laissé convaincre par le directeur du groupe MK2 que les deux projets pouvaient coexister, s’exprimant dans un communiqué en réponse à Jean Kutner le 3 mars :
« Inquiet en effet de l’avenir de l’offre de cinéma en centre-ville, j’ai souhaité d’une part avoir des assurances sur la pérennité des cinémas Stars, et d’autre part, pouvoir disposer d’une offre alternative au Vox dont le futur n’est pas assuré. J’ai donc rencontré Nathanaël Karmitz, le dirigeant du groupe de cinémas MK2, (…) je lui ai fait part de mes inquiétudes, qu’il a parfaitement comprises et partagées, et nous nous sommes mis d’accord sur une position claire qui conforte le projet de Schiltigheim, tout en prenant un engagement en faveur de la pérennisation des deux cinémas Star. M. Karmitz est un grand professionnel du cinéma; je me félicite de sa venue dans la métropole, comme de sa vision sur l’offre cinématographique qui participe de la vie de la cité et singulièrement, de son point de vue, de l’attractivité des centres ville. Il m’a lui-même dit sans hésitation qu’il était favorable à ce schéma, qui passe par la création d’un complexe de cinémas à Schiltigheim et d’un complexe aux Halles. »
Mais la famille Letzgus ne l’entend pas ainsi. Puisque le projet de Schiltigheim est déjà déposé à la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), seule habilitée à autoriser de tels chantiers, le projet des Halles ne peut plus attendre. Pour elle, la CDAC doit étudier les deux projets en même temps et faire un choix car, selon la famille Letzgus, il n’y a pas assez de cinéphiles dans l’agglomération pour les deux multiplexes.
La famille Letzgus a rencontré Roland Ries le 5 mars, étude à l’appui, pour lui démontrer que les deux cinémas en projet ne peuvent pas être économiquement viables en se partageant un marché de 220 000 nouvelles entrées par an. Selon Eva Letzgus, ces arguments auraient convaincu Roland Ries que les projets ne peuvent pas coexister.
Une première décision le 6 avril
La validation du projet de MK2 signerait l’arrêt de mort du projet des Halles prévient Eva Letzgus :
« Si nous passons en commission département d’aménagement cinématographique (CDAC) après le projet de MK2, nous n’aurons pas son autorisation. »
La famille Letzgus attend encore l’accord de Robert Herrmann, président de l’Eurométropole, pour déposer son dossier. L’Eurométropole est en effet propriétaire du terrain de la gare routière sur lequel est prévue la construction du cinéma. Pour la famille Letzgus, ce délai est incompréhensible :
« La question du déplacement de la gare routière n’est aucunement concomitante au projet de cinéma, puisqu’elle est déjà soulevée en 2012 dans le Livre blanc du réaménagement du quartier des Halles ! »
Mais une étrange partie de poker entre Strasbourg et ses communes périphériques se déroule (lire l’analyse, édition abonnés). La famille Letzgus espère donc que la publicité donnée à son projet poussera les élus à apposer les signatures manquantes, afin qu’il puisse être soumis à la CDAC en même temps que celui de MK2 et des cinémas Star. Le temps presse puisque la prochaine commission départementale d’aménagement cinématographique, prévue pour le 6 avril, devrait en effet statuer sur le projet de Schiltigheim.
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