Vous voulez rattraper les dernières révélations sur l’influence néfaste des hommes d’affaires propriétaires de médias ? Dans ce cas, Rue89 Strasbourg vous encourage à réserver votre soirée du mardi 22 mars à 20 heures. Vous pourrez assister à la projection-débat du documentaire « Média Crash – Qui a tué le débat public », réalisé par notre partenaire Médiapart et la société de production Premières Lignes.
C’est un travail dense et d’utilité public qui passe en revue les méfaits des grands propriétaires de médias, tel un Bernard Arnault, propriétaire des journaux Les Echos ou le Parisien, qui sollicite un ancien directeur des renseignements intérieurs pour espionner la rédaction de Fakir, le journal de François Ruffin. C’est aussi un film choc sur les méthodes de Vincent Bolloré, à la tête de CNews, Europe 1 ou C8, pour censurer des journalistes et orienter des rédactions entières à droite, toute ! La projection aura lieu en présence de la journaliste de Médiapart et co-réalisatrice du documentaire, Valentine Oberti. Interview.
Rue89 Strasbourg : Comment et quand est né le projet Media Crash ? Quelle était votre intention en vous lançant dans la réalisation de ce documentaire ?
Valentine Oberti : Médiapart est né il y a 14 ans en faisant le constat de la concentration des médias et de la nécessité de l’info indépendante. C’est un sujet qui traverse les débat de la rédaction depuis toujours. Il y a près d’un an, nos discussions ont porté sur les velléités d’expansion de Vincent Bolloré puis il y a eu la grève d’Europe 1. Avec Michaël Hajdenberg (co-responsable du service enquête de Mediapart, NDLR), on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose de plus grand. Nous voulions l’inscrire dans le débat public pour en faire un thème de campagne de l’élection présidentiel.
Heureusement qu’on était deux, avec Luc Hermann (co-directeur de la société de production Premières Lignes, NDLR) pour réaliser ce documentaire. Nous avions en effet une importante contrainte de temps. Et puis nous avons aussi travaillé sur la base d’enquêtes de Mediapart, avec des fils à tirer et des débuts d’histoires qui n’avaient pas forcément leur place à l’écrit mais qui faisaient sens dans un documentaire. Ca nous a permis de faire quelque chose en quatre mois et demi.
Quel est l’intérêt de Bernard Arnault, PDG de LVMH, ou de l’industriel et homme d’affaires Vincent Bolloré de s’acheter des médias ? Votre documentaire montre qu’il ne faut pas obligatoirement acheter un média pour l’influencer, quels sont les autres façons d’orienter le travail journalistique pour des industriels et autres grands groupes ?
Il est évident que les industriels s’achètent une influence. J’ai écouté les auditions de plusieurs propriétaires de médias au Sénat. Ils démentent l’achat d’influence en évoquant des arguments économiques et l’ambition de sauver la presse. Mais avec ce documentaire, nous montrons qu’ils ‘achètent une influence, qu’ils sont capables par leur réseau et la puissance de l’argent de faire pression, parfois sur des médias qu’ils ne possèdent même pas. Je pense à cet égard à Bernard Arnault qui a eu recourt à l’ancien patron des renseignements intérieurs, pour espionner Fakir, le journal de François Ruffin. Cet exemple montre bien que leur zone d’influence dépasse les médias possédés pour aller jusqu’aux hautes sphères.
A-t-il été difficile de mettre en images des enquêtes, comme celle de Mediapart sur Bernard Squarcini et l’espionnage de Fakir sur commande du patron de LVMH, ou celles de Complément d’enquête à propos de l’emploi de mineurs par l’industriel Bolloré dans des champs de palmiers en Afrique ?
Il y a effectivement une partie du documentaire qui repose sur des informations déjà connues. Mais il y a aussi des révélations. Elles s’inscrivent dans la continuité de révélations de Mediapart. Par exemple, dans l’affaire Cahuzac, l’info de l’article censuré par le magazine Le Point, c’est une histoire méconnue et inédite. De même, sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite, je n’avais jamais raconté l’histoire de la censure que j’ai subie, si ce n’est à Jean-Baptiste Rivoire pour son livre “L’Élysée (et les oligarques) contre l’info”.
Votre travail sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite a été censuré. Pourriez-vous nous détailler comment l’Etat a empêché Quotidien de diffuser vos révélations ?
Dans Media Crash, on raconte que l’Etat aussi est capable de faire pression sur des journalistes quand on s’attaque à des infos sensibles sur les ventes d’armes. La pression venait directement du ministère des armées. Je détenais un document secret-défense avec des informations d’intérêt public. La justice a ensuite agi de façon pernicieuse au travers d’une enquête préliminaire et d’un rappel à la loi, qui m’empêche de publier sur le sujet pendant six ans. Il est clair qu’avec ce genre de menaces, un journaliste réfléchira à deux fois avant de publier ce genre d’informations sensibles. L’affaire s’est terminée par un classement sans suite et un rappel à la loi, qui démontrent à la fois la clémence et l’hypocrisie de la justice.
Diriez-vous qu’aujourd’hui, l’indépendance des principaux médias français est morte ?
Il y a quand même de l’espoir. En creux, dans notre documentaire, on montre qu’il y a des poches de liberté et de résistance dans le service public. Dans les rédactions privées, il y a des journalistes qui tentent de repousser les limites de la contrainte pour sortir des infos. Je séparerais donc indépendance des médias et droit à l’information. Aujourd’hui, le débat public est abimé. Il faut être vigilant car le droit à l’information est fondamental, c’est le gage d’une démocratie qui fonctionne.
Avez-vous le sentiment que ce sujet intéresse le grand public ou est-ce une question de journalistes ?
Des premières projections en salle, chaque fois qu’il y a eu un débat, les salles étaient complètes. J’étais à Montpellier dans la soirée du 24 février, les 400 places étaient prises. C’est un bon signal. On se plaint parfois du désengagement des jeunes, mais j’ai remarqué l’attrait des jeunes pour ce sujet lors des projections.
Quand on est journaliste d’investigation, on espère toujours que ses révélations permettront d’aboutir à un changement positif. Quel est ce changement que vous attendez suite à la diffusion de Media Crash ?
Journalistes et syndicats font des propositions pour assainir le paysage médiatique. J’en cite quelques unes, qui ne nécessitent qu’un peu de volonté politique, pas d’argent ni de radicalité. On pourrait décider que les industriels qui vivent de commandes publiques ne possèdent pas de médias. Il faudrait aussi rendre obligatoire la publication des actionnaires des médias. On pourrait enfin enfin offrir un vrai statut juridique aux sociétés de journalistes. Elles pourraient ainsi agir en justice quand un actionnaire dépasse le rôle qui lui est dévolu.
Vous avez commencé votre carrière chez Mediapart… pour y retourner près de dix ans plus tard. Le modèle du média financé par ses abonnés vous paraît-il être le seul garant de l’indépendance aujourd’hui ? Y a-t-il d’autres sources d’espoir ou d’optimisme selon vous ?
Le modèle de Mediapart est chimiquement pur : seuls nos lecteurs peuvent nous acheter. C’est facile d’être indépendant et de travailler en toute liberté ici. C’est un luxe dans le paysage médiatique français. Mais je pense que c’est aussi le rôle du service public que de sortir des informations d’intérêt général. Et puis il y a aussi des médias indépendants qui se créent avec pour enjeu de survivre financièrement. Certains fonctionnent par des dons de grands donateurs ou fondations. Tant que l’indépendance et garantie y est, ça va. Cela montre qu’il y a d’autres modèles à trouver pour un journalisme d’intérêt public.
Il y a un effet catalogue dans votre documentaire : on parle de grands journaux papiers comme Le Monde ou les Echos, de télé et radio reprises par Bolloré d’une main de fer… Ca ne vous fait pas peur cette mainmise croissante de grandes fortunes sur les médias français ?
Il faut être combatif. Ce documentaire est un exercice de transparence et de pédagogie. Ce n’est pas Media Crash qui alimente la défiance et le « tous pourris », ce sont les propriétaires de médias qui font n’importe quoi. Raconter l’arrière-cuisine est salutaire, cela permettra de retisser les liens distendus entre la population et les médias en général. Il faut avoir confiance dans les journalistes combatifs et travailler à ce qu’ils puissent encore mieux faire leur travail.
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