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Deux militants anti-GCO au tribunal : « Ce n’est pas ma vocation de m’enchaîner sous un camion »

Un militant et une militante qui s’étaient enchaînés sous une foreuse pour retarder des travaux préparatoires du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg étaient convoqués devant le tribunal correctionnel de Strasbourg lundi 14 mai. Le procureur a requis des peines lourdes, allant jusqu’à l’éloignement de tout le Bas-Rhin, tandis que les sociétés concernées exigent des milliers d’euros de dommages et intérêts. Au-delà des faits, le procès a tourné autour de l’impuissance des opposants à empêcher la construction de l’autoroute payante.

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Deux militants anti-GCO au tribunal : « Ce n’est pas ma vocation de m’enchaîner sous un camion »

C’est la première fois que Claire et Martin se présentent devant un tribunal. Claire a l’impression de « passer un oral ». Un comité de soutien s’est déplacé dès 7h30 ce lundi réunissant une soixantaine de personnes sur le parvis du Palais de justice de Strasbourg. Dans la petite salle d’audience, pourtant fraîchement construite, tout le monde n’a pas trouvé de place assise une heure plus tard. Pendant environ deux heures, le juge, les avocats, le procureur et les deux militants ont débattu de cette matinée du 7 mars, à une cinquantaine de mètres de la Zad de Kolbsheim, où résident des opposants au Grand contournement ouest (GCO – voir tous nos articles) de Strasbourg.

Les faits font l’objet de peu de contestation. Des gendarmes sont arrivés à Kolbsheim autour de 7h30, accompagnés d’une foreuse. Deux personnes, Martin et un autre militant, s’enchaînent à l’arrière du véhicule. Puis constatant l’inefficacité de cette action pour stopper les travaux (« on pensait qu’ils [les ouvriers ndlr] devaient respecter un périmètre et que notre présence pouvait retarder les travaux »), Martin se couche alors sous l’engin.

Un comité de soutien attendait les deux militants dès 7h30 devant le tribunal de grande instance (Photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Les gendarmes assistent à la scène mais n’interviennent pas. Martin est rejoint par Claire, une autre habitante de la Zad. « Les machines tournaient au-dessus de ma tête et on forait à 20 centimètres de mon visage », décrit la jeune femme au juge. Autour de la scène, une trentaine de personnes ont afflué de la Zad, de Strasbourg ou des villages voisins. Lorsque le forage, à 11 mètres de profondeur, se termine les deux militants de 26 et 30 ans pensent en avoir terminé. Mais en se relevant, ils se font en fait embarqués par les gendarmes. Les faits s’étalent sur 45 minutes environ.

Pas de contestation des faits… sauf sur un point. Car dans l’histoire, un câble a été débranché et a même été endommagé, selon les plaignants Problème, « personne n’a vu Martin arracher ce câble », a rappelé dans sa plaidoirie l’avocat des deux jeunes alsaciens, Me François Zind. Il y avait pourtant des gendarmes, des ouvriers de l’entreprise et surtout un huissier mandaté par l’entreprise qui a pris des photos des événements pour les joindre au dossier. Au terme d’interrogatoires qui ont duré de 9h à 18h, Martin avait déclaré aux enquêteurs qu’il n’était « pas impossible » qu’il ait détaché le fameux câble en se déplaçant. Une réponse « par lassitude », dixit son avocat après des heures de garde à vue.

« Je n’ai pas l’impression d’avoir fait une bêtise »

En préambule, le juge Jean-Yves Marillet a posé plusieurs questions personnelles aux deux militants, dont certaines sur leurs revenus. Des questions classiques pour apprécier leur éventuelle capacité à payer les lourdes indemnités réclamées quelques minutes plus tard par les parties civiles. Les deux jeunes militants ont des métiers à temps partiel en tant qu’animateurs, dans l’éducation périscolaire et à la nature.

Gincko, habitant de la Zad de Kolbsheim n’est pas rentré dans le tribunal pour soutenir ses camarades (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Les deux opposants déroulent leurs réponses avec une certaine assurance. C’est Claire qui résume leur état d’esprit :

« Ce n’est pas un rêve de venir vivre sur la Zad, quand il fait froid, à un âge où j’ai beaucoup d’ambition. Je n’ai pas l’impression d’avoir fait une bêtise, je me considère dans le droit de représenter ce mouvement. Je suis malheureuse d’en arriver là. […] Je ne sais pas jusqu’où j’irai la prochaine fois. »

Des milliers d’euros de dommages et intérêts réclamés

Dans le camp d’en face, l’avocat Me Laurent Keller de Dodin Campenon Bernard, une autre filiale de Vinci, la société chargé de la conception et l’exploitation de l’autoroute (via sa société Arcos), et de l’entreprise Geosoltis, une TPE sous-traitante domiciliée à Sarrebourg n’a pas hésité à grossir le trait sur le préjudice en parlant « potentiellement » de « plusieurs centaines de milliers d’euros par jour de retard », là où le contrat indique 40 000 euros.

Il a insisté sur le danger du débranchement du câble, qui a provoqué un court-circuit dans la partie électronique de la cabine de la foreuse :

« Le forage continue, mais l’opérateur ne sait pas où il en est. Lorsqu’il est prévenu [qu’il y a deux personnes sous les chenilles ndlr], il arrête le camion. »

Sur les bancs, les deux prévenus hochent la tête de manière négative au même moment, en guise de protestation.

La foreuse le jour des faits (photo Zad du Moulin)

L’avocat a ensuite abordé la question des dommages et intérêts, envoyant au passage un message à tous les militants :

« Les sociétés ne demandent pas l’intégralité du préjudice. Le chiffrage aurait pu être bien plus conséquent. Elles ne se modéreront plus à l’avenir. »

Dodin Campenon Bernard exige contre chacun des deux prévenus 3 000€ pour perturbations aux travaux, ainsi que 500€ pour préjudice moral. Geosoltis ajoute de son côté 2 000€ pour perte de chiffre d’affaires et aussi 500€ de préjudice moral.

À cela, s’ajoute encore 3 000€ de frais de justice pour chacun des opposants. Une facture de 9 000 euros par personne à laquelle Geosoltis ajoute 496,5 euros pour le câble, juste pour Martin, factures à l’appui. Le seul montant que l’avocat de la défense François Zind « ne conteste pas ».

Le jour des faits, un représentant d’Arcos avait indiqué aux DNA que les mesures des sols nécessaires avaient bien été effectuées ce jour-là, avant de remballer les machines, ce qui semble contredire ce réquisitoire sur le retard des travaux. L’avocat n’a pas souhaité répondre à nos questions après l’audience, faisant part de « consignes » de ses clients.

À l’issue de l’audience, émotion collective et debriefing entre les opposants qui ont pu rentrer dans le palais de justice (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Lourdes réquisitions

Après ce premier coup de bambou financier pour les deux prévenus, l’assommoir est venu du procureur de la République. Lauren Guy estime que « quelque chose a été franchi » dans l’opposition « globalement pacifique » au GCO. Il trouve aussi que l’usage de chaînes métalliques relève d’une action « pas purement spontanée. »

Quant à une éventuelle illégalité des travaux soulevée par l’avocat de la défense (voir plus bas), « ce n’est pas à notre tribunal de le savoir », coupe-t-il court. Il répond que les citoyens doivent « utiliser les voies légales » pour s’opposer à un projet de travaux publics, à savoir un recours en référé.

Exclure les militants du département

Rappelant que les deux individus « n’ont pas de passé judiciaire », il requiert une amende de 350 euros, ainsi qu’une peine de prison de deux mois avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve, à savoir le paiement des indemnités aux entreprises. S’ils ne paient pas, le sursis pourrait être levé.

Mais surtout, il a terminé par demander une « interdiction de paraître » dans tout le département du Bas-Rhin ou du moins, dans les communes concernées par le tracé de 24 kilomètres. La durée de cet éloignement n’a pas été précisée, mais elle est forcément plus longue que le sursis. Elle est au maximum de 5 ans pour un délit.

À nouveau appelés à la barre, les deux jeunes militants ont cette fois la voix tremblante, comme sonnés par ces lourdes réquisitions. « Que reste-t-il au citoyen pour faire entendre son opposition ? », s’interroge alors Martin, qui se définit comme « un amoureux de l’Alsace ». Un peu plus tôt, il avait expliqué au juge que « ce n’est pas une vocation pour moi de m’enchaîner sous un camion. »

Des opposants ont pu rentrer dans la salle d’audience mais ont dû remballer les signes distinctifs (photo JFG / Rue89 Strasbourg)

Claire poursuit :

« Je ne me suis jamais autant senti sous un rouleau-compresseur que maintenant, beaucoup plus que sous la machine. Je suis prête à rencontrer les gens si je leur ai fait peur ou si je les ai blessés. Je veux bien commencer des études pour devenir juge et empêcher que de telles choses [le GCO ndlr] puissent être décidées. »

Pédagogue et peut-être un brin touché par cette vocation soudaine, le juge explique à Claire que c’est le législateur, les députés et sénateurs, qui décident des lois et que le juge n’est là que pour apprécier leur légalité.

L’état de nécessité invoqué par la défense

Dans sa plaidoirie, l’avocat de la défense François Zind a quant à lui demandé « quel État est défendu ? » :

« Défend-t-on l’État dont le président dit qu’il n’y a pas de plan B pour la planète ? Celui qui dont le Conseil national de protection de la nature (CNPN) et l’autorité environnementale rendent des avis négatifs ? Celui qui arrête les travaux en septembre ? On poursuit deux individus de manière publique et d’autres travaux font l’objet d’une transaction pénale [entre la Direction régionale de l’environnement de l’aménagement  et du logement et Arcos, plutôt qu’un recours un justice ndlr]. »

Sur l’acte lui-même, il a plaidé « l’état de nécessité« , c’est-à-dire un geste illégal, mais « nécessaire et en proportion raisonnée » pour défendre un « intérêt supérieur ». C’est ce qu’avaient invoqué à leur époque et avec succès les faucheurs anti-OGM, au nom du principe de précaution. Ici, François Zind brandit la protection de la biodiversité. Comment ? « La charte de l’Environnement est dans notre Constitution », développe l’avocat.

En début de séance, il avait aussi plaidé la « voie d’exception« , c’est-à-dire questionné la légalité du forage, s’appuyant sur les divers arrêtés de dérogation aux espèces protégées (chiroptères, grands hamsters et autres oiseaux), devenus caduques, ou non-renouvelés dans les formes selon lui. Si l’illégalité des travaux est retenue, le chef d’accusation de « violence ou voie de fait pour s’opposer à l’exécution de travaux publics ou d’intérêt public », pourrait alors tomber, puisqu’il ne s’agirait plus de travaux publics.

« Hors-sujet, on inverse les rôles », rétorque son adversaire Me Laurent Keller, qui ajoute qu’ »on n’est pas en train de poursuivre la violation de propriété privée. » À l’issue de l’audience, Me François Zind estime pourtant que la décision dépendra notamment de « l’appréciation par le juge de la voie d’exception » :

« J’aurais compris les réquisitions s’il y avait eu une action violente, mais ce n’a pas été le cas. Notre démocratie est assez forte pour ne pas criminaliser l’opposition non-violente. »

Le jugement a été mis en délibéré au 23 mai.


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