Les prisonniers d’Alsace vont-ils perdre une de leurs rares bulles d’air ? C’est ce que craint le Genepi (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), la principale association intervenant en prison dans un but de réinsertion. À la demande de la ministre de la Justice Nicole Belloubet, l’administration pénitentiaire a rompu fin septembre la convention qui les liait et par ricochet la subvention annuelle de 51 000€. Les quelques 900 bénévoles du Genepi interviennent bénévolement depuis 42 ans dans 52 prisons françaises pour animer des ateliers scolaires et socio-culturels. En 2017-2018, environ 2 000 détenus en bénéficiaient.
Mais depuis fin septembre, la moitié des établissements leur a fermé ses portes. Ce sont pas moins de 26 établissements qui ne recevront plus les étudiants bénévoles. Dans l’Est, la Direction du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville écrivait le 7 novembre au Genepi pour reporter une réunion en raison de « l’absence de convention », et lui indiquait qu’un autre cadre devra être trouvé, dans lequel ses interventions pourraient avoir lieu. Elle évoque alors le nom d’une autre association comme « possible piste ».
En Alsace, l’association intervient à la maison centrale d’Ensisheim (68) et au centre de détention d’Oermingen (67), pour des ateliers scolaires mais aussi des ateliers théâtre, musique, photo, etc. Le Génépi a pour habitude d’entamer ses activités au mois de décembre, et renvoie en ce sens à chaque rentrée ses propositions et demandes. Pour l’instant, elles n’ont pas repris. Les contacts sont minimes et un rendez-vous est donné fin décembre avec la Direction Interrégionale des Services pénitentiaires.
En attendant, le statu quo inquiète le Genepi et Clara Samson, sa déléguée régionale Est, pour qui la rupture de la convention est presque la fin annoncée de ses activités :
« On pourrait s’en sortir sans la subvention de l’administration pénitentiaire, mais de celle-ci dépendent d’autres financements, qui passent à la trappe : celles des ministères de la justice et de la jeunesse et des sports par exemple. En plus, la convention permettait des conditions d’interventions facilitées. »
Pas assez d’heures et pas assez de scolaire
La convention 2015-2018 demandait au Genepi de proposer davantage d’ateliers scolaires que d’activités extra-scolaires (socioculturelles, sports loisirs). C’est l’autre raison du divorce selon un porte-parole de la Direction de l’Administration Pénitentiaire (DAP) :
« Le cœur de la décision, c’est que le Genepi a baissé de près de 80% ses heures d’intervention : ils sont passés de 12 000 heures à environ 5 000 aujourd’hui. Par rapport à 2015, et le nombre d’établissements a baissé de 35% ».
Une hypocrisie pour le Genepi, qui avance que ses bénévoles sont toujours aussi motivés qu’avant, mais ne veulent pas être utilisés comme des « pions », selon les mots de Clara Samson :
« J’imagine que la DAP n’aime pas trop les ateliers socio-culturels car c’est compliqué pour eux d’avoir des gens en capacité de réfléchir. Mais nous faisons toujours une majorité de scolaire : seulement, nous ne voulons pas non plus nous substituer à l’Éducation nationale. »
Clara concède que le Genepi s’est parfois volontairement mis en retrait, mais pour des raisons « éthiques » :
« C’est vrai que nous avons fait moins d’interventions, mais les responsabilités sont partagées : parfois, on contacte des établissements et on a une réponse 6 mois après. Parfois, il faut renvoyer un mail toutes les deux semaines avant chaque atelier, et une fois devant la porte, nos intervenants se voient signifier que leur nom ne figure pas sur la liste ou que les détenus n’ont pas été mis au courant. Quand la décision d’arrêter vient de nous, c’est parce que les conditions d’interventions sont trop mauvaises : si les détenus sont fouillés avant et après l’atelier, s’il y a des caméras de surveillance ou un surveillant dans l’atelier, nous refusons d’intervenir. »
Pour la DAP, difficile de faire l’impasse sur la sécurité :
« La vidéo-surveillance et les fouilles, ce sont des problématiques qui peuvent être perçues comme humiliantes, mais qui pour nous sont classiques et qui concernent tous les intervenants. Nous ne pouvons pas nous permettre d’alléger les conditions de sécurité. »
Une sanction politique
Les conditions d’intervention, mais aussi les conditions de détention, c’est là le fond du problème pour le Genepi. L’association dénonce une sanction politique pour punir ses actions de communication.
Elle organise des conférences, des actions coup de poing, des expositions, ou encore des reconstitutions de cellules de prison. En février 2018, des militants déployaient des banderoles sur le Pont des Arts à Paris. Le slogan est sans équivoque : « L’État enferme, la prison assassine ». En 2017, l’association a également diffusé des faits et statistiques sur des affiches ou t-shirts pour alerter sur les conditions de vie : « Je dois régulièrement me mettre à nu devant des inconnus », ou « Le droit du travail n’existe pas ». Les slogans sont suivis de la mention « En France, en prison ».
Arrêter de « subventionner une association qui nous critique »
La ministre de la justice Nicole Belloubet a confirmé lors d’une interview sur France Inter (à 18 mn 20) que la rupture est politique. La DAP ajoute que le timing est dû à des attaques devenues de plus en plus personnelles :
« Le Genepi est passé d’un discours philosophique sur la prison à un discours véhément sur les administrations et le personnel. Quand il dit que la prison tue, alors que le nombre de morts en prison a sensiblement baissé, c’est blessant pour ceux qui y travaillent, les surveillants, les Spip (Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation)… Il paraît donc logique qu’on arrête de subventionner une association qui baisse ses heures et qui nous critique. »
Clara Samson rappelle que le volet sensibilisation de l’association n’est pas nouveau :
« Notre but est de faire le lien entre le dedans et le dehors, car ces sujets sont tabous. L’administration pénitentiaire considère que nos méthodes sont radicales, mais nous nous faisons juste le miroir de ce qui se passe. Parler des suicides en prison, c’est dire la vérité. Depuis le début de l’année, il y a eu 95 morts suspectes. »
Une atteinte à la dignité humaine
Pour Coralie Maignan, élève-avocate et ancienne secrétaire du Genepi, l’administration veut limiter les témoignages sur les conditions de détention :
« Rien qu’en parlant d’espace vital, les conditions des détenus sont indignes : à 3 ou 4 dans des cellules de 9m², ce que l’on observe dans n’importe quelle maison d’arrêt en France, on est en-dessous des 3m² d’espace, ce qui contrevient à l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) qui interdit les « traitements inhumains et dégradants ». Ces espaces, ils y sont enfermés 22 heures sur 24. Sans parler de l’insalubrité : l’article 8 de la CEDH garantissant le respect à la vie privée et l’intimité n’est pas non plus respecté quand les toilettes des cellules ne sont pas cloisonnées. »
En Alsace, les prisons sont surpeuplées : la maison d’arrêt de Colmar accueille 191 détenus pour 119 places prévues et celle de Strasbourg quelques 750 détenus pour 444 places. En 2015, l’établissement de l’Elsau avait reçu des recommandations de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Son rapport faisait état de conditions déplorables : lits moisis, absence d’eau chaude, surveillance défaillante…
Le Genepi n’intervient dans la capitale alsacienne depuis 2016 suite à une mésentente avec la directrice. Renouer avec cet établissement semble désormais compliqué dans le contexte actuel local comme national.
Moins d’ateliers, plus de violences, moins de réinsertion
Coralie Maignan insiste sur les conditions de détention car elle considère qu’elles sont à la fois causes et conséquences de la décision de rupture :
« Si les détenus n’ont plus accès aux ateliers culturels, alors la réinsertion n’est pas permise. Cela risque également d’engendrer une hausse des violences, sur les surveillants notamment, et une hausse des suicides. De toute façon, le problème est systémique. Ce sont des conditions de vie que personne ne supporterait. »
D’après elle, les détenus sont très en demande de ces sessions sans surveillance et relation hiérarchique :
« Quand on avait fait un atelier musique à la prison d’Ensisheim, il y avait 10 détenus sur 100, ce qui est beaucoup ! Il faut se rendre compte que pendant toute la détention, le détenu est infantilisé. Avec nous, il avait un rôle actif et se mettait en valeur. J’ai croisé un ancien détenu qui me disait que ces ateliers le faisaient « tenir ». Il a parlé de « lumière » qu’il « attendait toutes les deux semaines » ».
Selon elle, ce sont les détenus des maisons d’arrêt qui ont le plus besoin de ces ateliers et seront le plus impactés. Purgeant de courtes peines, ils ont besoin de garder ce lien avec l’extérieur et de préparer leur réinsertion à la sortie. À la maison centrale d’Ensisheim, un concert avait pu être organisé.
Malgré cette relation de confiance, la collaboration pourrait s’éteindre craint Clara Samson :
« Cet établissement est au courant de notre engagement politique mais sait aussi le besoin des détenus. Si nous ne sommes plus là, on peut se demander qui va venir, surtout dans un lieu aussi isolé. C’est vraiment dommage car légalement, chaque détenu doit avoir 5 heures d’activités hebdomadaires. »
Officiellement, le Genepi peut continuer
Mais paradoxalement, la DAP se dit assez confiante sur la poursuite des activités et réfute que la rupture de convention pénalise les détenus. Elle se dit même étonnée que le Genepi affirme ne plus pouvoir intervenir dans des établissements :
« Il n’y a pas de raison que cela arrive, de nombreuses associations interviennent bénévolement, sans convention. »
Ce serait dès lors au Genepi de ne pas se braquer :
« Personne ne remet en cause l’importance du Genepi pour l’administration pénitentiaire. Au local, il y a autant de situations que d’établissements. Et c’est la direction de chaque établissement qui a le dernier mot. Pour nous, pour que ce ne soit pas défavorable aux détenus, il faut que les bénévoles locaux ne soient pas découragés par une rupture de convention au niveau national. »
En attendant, Clara Samson pointe les contradictions du ministère de la justice :
« On ne comprend pas la logique du plan prison de Nicole Belloubet : il prône la réinsertion mais nous met à la porte. On nous reproche de ne pas faire assez d’heures, donc on nous fait tout arrêter. »
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