Avec les travaux engagés par le premier plan de rénovation urbaine (PRU) les barres HLM affichent des façades moins blafardes qu’autrefois. Entamée en 2005 au Neuhof (à hauteur de 283 millions d’euros), en 2006 à la Meinau (195 millions investis) et en 2009 à Hautepierre (157 millions d’euros), la rénovation a modifié une partie du paysage des quartiers à coup de destructions de tours et de réhabilitations d’immeubles.
Une « normalisation » et une banalisation urbaine aussi accompagnée de l’arrivée d’ une nouvelle population, notamment dans le parc privé, pour favoriser une mixité sociale dont le bilan reste mitigé.
Si les façades sont recouvertes de couleurs vives, les locataires des logements sociaux rénovés sont un peu moins à la fête: au fil des réhabilitations et des rénovations, ils ont vu la courbe de leurs loyers grimper jusqu’à 20% en un an dans les trois zones concernées par le PRU selon la confédération nationale du logement du Bas-Rhin (CNL).
« Une rénovation qui ne profite pas à tout le monde »
À Hautepierre, l’ouverture de trois des cinq mailles du quartier (Karine, Catherine et Jacqueline) compte parmi l’un plus gros chantiers. Ici, peu de bâtiments détruits mais de nouvelles rues qui serpentent à travers les mailles, de la peinture fraîche sur les murs, et surtout, une nouvelle isolation thermique pour diminuer la consommation de chauffage. Quelques habitants racontent qu’au début des travaux, ils craignaient une hausse des loyers puis se sont laissés convaincre par la rénovation… Avant de se retrouver avec un loyer revu à la hausse. Une habitante détaille :
« En 2011, je payais 322 euros de loyer. Aujourd’hui, il est à 422 euros. L’argument qu’on nous a donné pour cette augmentation de 100 euros est la mise aux normes du système de chauffage. Mais certains travaux sont mal faits, la peinture est boursouflée et tombe par endroits, ailleurs des fenêtres se décollent. Pourtant, on paie le prix fort. »
La réhabilitation énergétique était l’un des enjeux affiché par l’agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). En 2009, le Grenelle de l’environnement fixait comme objectif la rénovation de 800 000 logements sociaux d’ici 2020. Une nécessité pour les locataires du parc social qui consacrent près de 10% de leurs revenus aux dépenses d’énergie.
Dans la maille Karine, les 364 logements de la rue Guillaume Apollinaire ont été rénovés par le bailleur social Cus Habitat. Objectif affiché : renforcer la sobriété énergétique des bâtiments pour faire baisser les charges et les factures d’énergie.
Depuis, dans les 42 000 mètres carrés de la rue, la consommation a baissé d’au moins 50% entre 2007 et 2014 mais certains pointent malgré tout une augmentation de 4% des charges de chauffage. Marcel Wolff, élu CGT au conseil d’administration de Cus Habitat, s’est procuré les décomptes de charges annuels remis aux locataires par le bailleur. D’après lui, malgré les travaux d’isolation, le système de chauffage reste encore trop énergivore :
« D’un point de vue écologique, ils n’ont pas fait ce qu’il fallait pour faire des économies d’énergie. La consommation a certes baissé mais ce n’est pas à la hauteur de ce qu’un bailleur social devrait faire. Le chauffage est le poste le plus important dans les charges et entre 2007 et 2014, l’unité de chauffage a augmenté de 126%. Le coût de l’énergie augmente mais les systèmes de chauffage tels qu’ils sont encore aujourd’hui dans les mailles rénovées ne permettent pas de faire de véritables économies. »
La conséquence directe des travaux de réhabilitation
Du côté de l’Eurométropole, on explique que les performances énergétiques attendues justifie une augmentation des loyers soit couverte par une baisse équivalente des charges. Syamak Agha Babaei, vice-président (PS) de l’Eurométropole en charge de l’Habitat, estime qu’il y a aussi un travail à faire sur les comportements pour encore faire baisser la consommation :
« Les travaux impliquaient forcément une augmentation dont une partie, minime, est imputée aux locataires mais n’excède pas 5%. Aujourd’hui, les travaux de réhabilitation suivent des normes comme RT 2012, qui prévoient certaines performances énergétiques. Il n’y a rien qui existe aujourd’hui pour dire si ces performances vont durer et que la promesse de diminution des charges va être tenue.
Il faut aussi agir sur les comportements énergétiques : accompagner les locataires pour que la meilleure performance du système soit atteinte. Nous travaillons actuellement avec un certain nombre d’associations pour développer un usage qui permette de tenir les économies de charges. »
À la direction du développement locatif de Cus Habitat, le plus important bailleur social de Strasbourg, on assure « assumer pleinement » la hausse des loyers en agissant sur le confort des locataires. Philippe Bies, député (PS) du Bas-Rhin et président de Cus Habitat, explique que les bailleurs sociaux accompagnent les locataires pour faire face à la hausse :
« Pour la plupart des gens, cette hausse de loyers est couverte par les aides personnalisées au logement (APL). On améliore le patrimoine, le confort d’usage du logement, on améliore les espaces extérieurs en essayant d’arriver à une quittance qui soit à peu près suffisamment maîtrisée. Quand vous passez d’une catégorie E au niveau énergétique à une catégorie B comme ça a pu être le cas sur certaines opérations, c’est un gain non négligeable sur le budget du chauffage. »
Ceux qui n’ont pas d’APL
Sauf que les locataires de logements sociaux qui ne bénéficient pas d’APL sont coincés et ne peuvent pas aller dans le privé qui leur reste inaccessible. Un habitant de la Meinau raconte qu’il est ravi du changement urbain de son quartier mais avoue s’inquiéter pour l’avenir :
« Je paie un peu plus de 500 euros de loyer par mois pour un quatre pièces. C’est 20 euros de plus que l’année dernière. La situation devient catastrophique. Mon immeuble n’est pas encore concerné par la rénovation. Je me demande comment ça va être lorsque ça sera le cas… »
Selon la CNL, le taux d’APL atteint en moyenne 60% dans chacun des trois quartiers touchés par l’ANRU. Dans certains immeubles, ce taux atteint même les 70%. Ceux dont le plafond de ressources est supérieur à 800 euros par mois ne reçoivent pas cette aide.
Raymond Haeffner, président de la CNL Bas-Rhin, estime que compte tenu des subventions de l’ANRU et de l’argent investi, les bailleurs auraient pu ne pas augmenter autant :
« On a demandé un gros effort aux locataires. À ma connaissance, il n’y a pas de familles qui ont quitté ces quartiers à cause de la hausse des loyers. En revanche, on observe une hausse des impayés sur tout le patrimoine de Cus Habitat : 20% des familles sont concernées par ces retards. »
Près de 43 000 euros investis par appartement
Même écho du côté du Neuhof où le prix du mètre-carré dans certaines rue a augmenté d’environ 20%. Rue des Eyzies, où 46 logements Cus Habitat ont été réhabilités, près de 43 000 euros ont été investis par appartement (salles de bains refaites etc). Le prix du mètre-carré de la surface corrigée (surface réelle du logement à laquelle on ajoute les coefficients d’équipements du logement, sa situation et son état) est passé de 2,85 euros en novembre 2014 à 3,39 euros en juin 2015.
Pour Sylvain Girolt, président de l’association de gestion des ateliers du Neuhof (AGATE), la compensation par les APL de la hausse du loyer est absente :
« On compte parfois 50 à 70 euros d’augmentation pour un cinq pièce. Quarante euros pour un quatre pièces. Pour le moment les APL n’ont pas suivi et je ne sais pas quand les choses vont être reprises en main. On nous avait dit que cette augmentation de loyer ne se ferait pas sentir grâce aux allocations et que certains locataires paieraient même moins qu’avant. Les habitants se plaignent mais restent par dépit : de toutes manières ils ne peuvent pas aller ailleurs. Quand vous habitez au Neuhof, vous restez au Neuhof. »
Selon l’observatoire des inégalités, l’augmentation des loyers des logements sociaux a dépassé celle des autres logements : entre 1989 et 2011, l’indice du loyer du parc social a progressé de 84%, soit six points de plus que l’augmentation moyenne des loyers des logements du secteur privé.
Aller plus loin
Dans L’Humanité : Au secours, les HLM deviennent hors de prix !
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