Jeudi 21 et vendredi 22 mai, Strasbourg accueille une conférence « L’Agence française pour la biodiversité, quel projet commun ? » Principalement adressée aux professionnels, elle doit donner les grandes lignes de la future agence de la biodiversité (AFB), qui découle de la future loi du même nom, déjà votée en première lecture. Sa création est actée pour le 1er janvier 2016.
Cette nouvelle super-structure fusionne l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA), les Parcs nationaux, l’Atelier technique des espaces naturels (ATEN) et l’Agence des aires marines protégées. Pressentie pour venir parler de cette nouvelle agence lors la conférence, il n’était toujours pas possible de savoir jeudi 21 mai en fin d’après-midi si la ministre de l’Écologie Ségolène Royal serait présente à Strasbourg vendredi 22 mai.
« Pas utile » pour Alsace Nature
Alors bien sûr il y a ceux qui voient des moyens démultipliés, mais il y a aussi ceux qui craignent une fusion complexe et technocratique, comme lorsque la Direccte est née en 2010. C’est par exemple le cas de Pierre Sigwalt, vice-président d’Alsace Nature :
« En Alsace, il existe déjà un grand nombre d’associations qui connaissent très bien les problématiques et ont l’expertise nécessaire. Nous sommes un peu réservés sur cette agence, car ce n’est pas une structure de plus qu’il faut, mais des actions. À ce qu’on voit, il y a un organigramme complexe où toutes les administrations ont leur mot à dire, et peu de place pour les associations. Aujourd’hui toutes les collectivités ont déjà un service environnement. Ce ne sont pas les postes ni les interlocuteurs qui manquent mais la volonté. Si c’est juste pour faire des grandes réunions de fonctionnaires, cela n’est pas utile. »
Autre critique partagée, même de la rapporteuse du texte Geneviève Gaillard, que l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ne soit pas inclut dans la nouvelle structure.
Mais ce n’est pas un hasard si le gouvernement a proposé à la capitale alsacienne d’héberger une conférence pour promouvoir sa nouvelle agence. En 2014, Strasbourg a reçu le prix de la capitale française de la biodiversité, un prix qui existe depuis cinq ans. Le photographe Laurent Geslin y a posé ses valises pour compiler 32 clichés sur les animaux que l’on peut y observer. L’exposition « Safari urbain » est visible retrouver près du centre administratif place de l’Étoile et le long de l’eau.
La biodiversité, c’est quoi ?
Mais d’ailleurs que se cache derrière ce terme de biodiversité souvent utilisé et peu souvent maîtrisé ? La définition « la diversité des êtres vivants et des écosystèmes ». Pour les humains, cela se traduit par favoriser des espaces où un maximum de plantes et d’animaux puissent coexister, du plus petit insecte aux oiseaux ou rongeurs menacés.
Ce prix est la consécration de plusieurs politiques menée à Strasbourg : l’une d’entre elles a été décidée par la droite en 2007, de ne plus utiliser de pesticides dans les espaces verts de la Ville de Strasbourg, ce qui a amené pas mal d’agents des espaces verts à revoir leurs manières de travailler. Plus récemment, les jardins partagés, les parcs naturels urbains ou encore la reconversion de parcelles agricoles intensives en bio ont permis à plusieurs espèces de revenir, voire à se réfugier, en ville comme les abeilles décimées par les pesticides utilisés dans l’agriculture.
Les bienfaits de la nature en ville convainquent
Pour Christel Kohler, adjointe en charge de la nature en ville, la préservation de la biodiversité à Strasbourg sera l’un des axes principaux du mandat :
« On parle désormais de patrimoine architectural et environnemental. Nous devons préserver les deux. C’est aussi une question de rééquilibre de la chaîne alimentaire qui permet une meilleure qualité de vie. Nous avons par exemple quatre couples de faucons pèlerins à Strasbourg, qui se nourrissent d’un pigeon tous les deux jours, qui est un animal nuisible s’il n’a plus de prédateur. »
Les nids des rapaces sont placés sur la tour de chimie du campus et dans la flèche de la Cathédrale. Et les objectifs sont nombreux. L’adjointe sans étiquette politique poursuit :
« Il ne faut pas que les gens hésitent à venir nous voir s’ils veulent pratiquer un peu d’agriculture près de chez eux. Nous avons des petites parcelles que nous mettons à disposition, ce qui n’a pas de coût pour la collectivité. Nous avons aussi comme objectif de faire classer la forêt de la Roberstau, qui s’ajouterait à celles du Neuhof et de l’Ile du Rohrschollen. Nous comptons signer une charte contre la pollution lumineuse et la contrainte écologique est intégrée dans le cahier des charges des marchés publics. »
L’endroit de verdure préféré des Strasbourgeois est…
Et cette enquête a révélé que l’endroit de verdure préféré des Strasbourgeois est … l’Orangerie. La Ville est désormais découpée en trames vertes (pour les espaces verts) et trames bleues (pour l’eau). Le but est d’avoir des espaces continus préservés dans lesquels les espèces puissent vivre. Pour schématiser : il faut imaginer qu’un petit écureuil puisse faire le tour de Strasbourg sans se retrouver sur la route. Bon courage à lui (voir la carte ci-dessous).
Du côté des associations environnementales, on oscille entre le verre à moitié plein et à moitié vide, à l’image de Stéphane Giraud directeur d’Alsace nature :
« On peut se réjouir de certaines bonnes actions à Strasbourg, mais il ne faut pas perdre de vue qu’au niveau régional le nombre d’espèces diminue et que beaucoup sont sur la liste rouge des espèces menacées. On communique beaucoup sur le faucon pèlerin, mais ça ne reste qu’un faucon et seulement quelques espèces viennent se réfugier en ville. Il y a une volonté de densifier la ville pour ne pas s’étendre, mais quelles sont les limites ? Il ne faut pas que ce soit au détriment de la qualité de vie. Heureusement, les décideurs ont compris que les grandes barres et tours des années 70 apportaient d’autres désagréments. Mais malgré les constructions dans le périmètre actuel, la ville continue de s’agrandir contre la nature, comme avec la zone d’aménagement de Fegersheim ou la Rocade Sud. »
Concilier les droits de l’écureuil et l’urbanisation Deux-Rives
Cette politique n’est pas utilisée par l’opposition contre la municipalité, qui reconnait plusieurs projets positifs, comme le parc naturel urbain au sud- ouest de Strasbourg. Mais Laurence Vaton (Modem) estime qu’on pourrait mieux faire :
« La trame verte tourne autour du centre-ville, mais n’y rentre pas. Beaucoup de places n’ont pas de verdure, comme celle Saint-Thomas, ou la place Kléber qui ne va pas être réaménagée. Et puis il y a encore des espaces discontinus sur la trame. Lors des élections, les habitants demandaient souvent plus de verdure dans leur ville. Le long du parking entre Rivétoile et l’UGC, une façade métallique va être posée, alors qu’une façade végétalisée permettrait d’absorber un peu de chaleur et une meilleure qualité de l’air le long de cette route du Rhin, très polluée. On s’attend à de plus en plus d’étés avec des canicules et la végétation peut améliorer la qualité de vie et de l’air, sans que cela ne coûte plus cher. Avec l’opposition nous sommes peu sollicités pour participer à la réflexion. Le groupe de travail sur la place de l’animal en ville doit encore se lancer. La réunion prévue le vendredi 15 mai a été annulée faute de participants. »
De grands projets de construction de logements, notamment sur l’axe Deux-Rives doivent accompagner le mandat avec comme objectif 5 000 logements par an. « Bétonisation intensive » reproche même parfois l’opposition de droite. Pour l’adjointe Christel Kohler, les deux volets du programme ne sont pas contradictoires :
« L’urbanisation n’empêche pas de travailler sur la biodiversité. Nous pouvons par exemple mettre des pelouses et des arbres sur les toits, ce qui sert aussi à capter la pollution. Nous devons penser à de nouvelles manières de construire. Un des exemples en la matière est le Heyritz, avec un parc au bord de l’eau, ce qui diminue la température. Depuis 2008, nous avons 8 hectares d’espaces verts de plus par an. L’un des quartiers les moins verts sur lequel nous allons travailler est le quartier gare. »
Pourtant, autour de la presqu’île Malraux réhabilitée, ancienne friche industrielle, la végétation est encore rare malgré un réaménagement récent. Les toits verts sont anecdotiques, même au Heyritz.
Décalage avec le reste du département
Reste à se mettre d’accord sur la proportion entre nature et ce qui est considéré comme nuisible. Les ragondins par exemple se développent en l’absence de prédateur et détruisent certaines berges peu entretenues. Le mot d’ordre est de ne pas nourrir les animaux. Quant aux nouveaux ruchiers, tous ne sont pas déclarés et les abeilles sauvages et d’élevages ne cohabitent pas toujours.
Mais en dehors de Strasbourg, la tendance n’est pas à l’optimisme. La veille du lancement de la conférence sur l’agence de biodiversité, Alsace Nature organisait une opération pour sensibiliser à la situation de la région naturelle du Ried, au nord de Strasbourg. Pierre Sigwalt, plus au fait des thématiques à la campagne qu’en ville, dresse un état des lieux :
« À la fin des années 1970, nous avions 12 000 hectares d’espaces naturels dans la région, puis seulement 2 800 à la fin des années 1990. Depuis, le nombre d’hectare est stable, 2 600 aujourd’hui. Des fonds ont été débloqués pour que les agriculteurs puissent développer des terres qui permettent aux espèces animales et végétales de coexister avec leur production, mais sur la base du volontariat. Résultat, on a côte à côte des parcelles respectueuses de l’environnement et d’autres non, sans cohérence. L’Alsace est une région très dense, il y a une demande des villes pour s’étendre et beaucoup de terres agricoles, alors les espaces naturels sont un peu la variable d’ajustement. »
Et les projets de golf de la Sommerau ou et surtout de Grand Contournement Ouest (GCO), pourtant soutenu par la majorité strasbourgeoise, vont « à l’encontre de ces objectifs affichés » pour l’association. Il y a certes des obligations de compensation écologique, mais les espèces ne voyagent pas toujours au bon vouloir des humains. Le tracé du futur GCO passe principalement sur des terres agricoles, mais c’est un des derniers espaces où le grand hamster vit.
Les élus rétorquent que ce contournement permettra de transformer l’A35 en boulevard et de baisser la pollution en ville, mais les opposants estiment que le report de véhicule sera trop faible pour une telle manœuvre. En attendant, une vie s’est développée sous l’autoroute, humaine, mais aussi animale.
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