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Pourquoi des militants kurdes sont en grève de la faim à Strasbourg depuis décembre

En grève de la faim depuis le 16 décembre, des centaines de militants kurdes en Europe et ailleurs réclament la fin de l’isolement du leader du PKK, Abdullah Öcalan. Quatorze d’entre eux sont à Strasbourg pour attirer l’attention du Conseil de l’Europe.

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Pourquoi des militants kurdes sont en grève de la faim à Strasbourg depuis décembre

Comme depuis près d’un mois et demi, les visiteurs affluent au centre démocratique du peuple kurde dans le quartier Laiterie. Vendredi 1er février, un groupe de Kurdes est venu de Bordeaux pour apporter son soutien aux 14 militants en grève de la faim à Strasbourg. La veille, trois militants ont dû jeter l’éponge à la demande des médecins, leurs corps ne supportant plus les privations.

Les militants kurdes en grève de la faim à Strasbourg le 31 janvier 2019. (Photo Roni Ruha / Doc Remis)

Cette nouvelle mobilisation a débuté le 7 novembre, lorsque Leyla Güven, députée turque du parti pro-kurde HDP, 55 ans, a entamé une grève de la faim depuis la prison où elle était incarcérée en Turquie. Des centaines de personnalités kurdes, emprisonnées en Turquie ou militants en Europe, au Canada, en Syrie et en Irak lui ont emboîté le pas depuis le 16 décembre. Tous réclament avec elle la fin de l’isolement du leader kurde Abdullah Öcalan. Libérée fin janvier, après 79 jours de privation, Leyla Güven poursuit sa grève.

Le célèbre chef du Parti des travailleurs kurdes (PKK) est emprisonné sur l’île turque d’Imrali depuis 20 ans. En 2011, les autorités turques l’ont privé de tout contact téléphonique ou postal avec sa famille et ses avocats. Depuis, les militants kurdes se mobilisent pour rompre cet isolement. Les conditions de détention du prisonnier d’exception sont un sujet hautement sensible. Abdullah Öcalan a été capturé en 1999 au Kenya par les services secrets turcs avec l’aide des services secrets américains et israéliens. Il a été condamné à mort la même année, pour avoir fondé et dirigé le PKK, organisation considérée comme terroriste par la Turquie comme par l’Union européenne. En 2002, sa condamnation a été commuée en prison à perpétuité après que la peine de mort a été abolie en Turquie.

Une grève au nom des 40 millions de Kurdes

Le point de ralliement français des grévistes a naturellement été Strasbourg, capitale des droits de l’Homme et siège du Conseil de l’Europe, dont la Turquie est membre fondateur. Les militants entendent convaincre l’institution d’intervenir auprès de la Turquie pour faire appliquer les droits fondamentaux d’Abdullah Öcalan. Plus de 700 familles kurdes sont liées à l’association strasbourgeoise « Centre démocratique du peuple kurde, » elle-même membre d’une fédération regroupant environ 200 associations kurdes en France.

Un soutien aux grévistes de la faim met à sécher l’un des nombreux bouquets apportés aux activistes ces derniers jours. Ils ambitionnent de confectionner des pots de pétales de roses séchées pour les offrir à leurs nombreux visiteurs en souvenir de leur mobilisation. (Photo CG / Rue89 Strasbourg / cc)

Journalistes, militants à Bruxelles, professeurs, députés HDP… Les grévistes à Strasbourg sont des personnalités de la diaspora kurde venues de toute l’Europe. On compte parmi eux le député HDP Dilek Öcalan (31 ans), la journaliste et présentatrice télévisée Gulistan Ciya Ike (35 ans), l’activiste du Mouvement des femmes kurdes en Europe Deniz Rojbîn (32 ans), la militante du droit des femmes Nurgül Bazaran (35 ans), l’écrivain Ramazan Imir (34 ans), l’ancien journaliste télévisé emprisonné pendant 22 ans en Turquie Mehmet Nimet Sevim (51 ans), la figure politique Mustafa Sarikaya – ancien vice-président le l’ex parti pro-kurde DTP-, le militant du parti de lutte contre le régime iranien PJAK Mohamad Ghaderi (34 ans), l’universitaire Deniz Sürgüt (30 ans), le militant politique Ayvaz Ece (45 ans),  le codirigeant du Centre démocratique du peuple kurde en Europe Yüksel Koç (55 ans), l’universitaire et activiste Kardo Bokani (35 ans), le militant à Marseille Kerem Solhan (54 ans), le militant Act Ural (58 ans), et le militant parisien Ekrem Yilmaz (29 ans)

« Si les Kurdes ne croyaient pas en l’utilité de la mobilisation de ces personnalités, il y aurait des milliers de Kurdes anonymes en grève de la faim actuellement », assure Hélène Erin, qui encadre la grève à Strasbourg. « En isolant Öcalan, ce sont les 40 millions de Kurdes qui sont aussi isolés. C’est pas parce qu’on est dehors qu’on n’a pas de chaînes. »

Un rapport européen non appliqué à ce jour

En avril 2016, le comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe a rendu visite à Öcalan sur l’île prison d’Imrali. Ce déplacement a fait l’objet d’un rapport. Mais la Turquie s’est opposée à sa publication. Le texte a finalement été rendu public en mars 2018 dans une version que les militants kurdes soupçonnent d’être édulcorée. Quoi qu’il en soit, ce rapport préconise bien aux autorités turques de permettre aux quatre détenus d’Imrali, dont Öcalan, de pouvoir recevoir les visites de leurs familles et avocats régulièrement.

Aujourd’hui, les militants kurdes estiment avoir épuisé tous les moyens pour faire appliquer les conclusions de ce rapport. Hélène Erin rappelle :

« Depuis leur visite à Abdullah Öcalan, les activistes kurdes ont épuisé toutes les solutions. Nous avons manifesté. Nous demandions au comité de prévention de la torture deux rendez-vous par mois pour réclamer des suites. La délégation HDP au Conseil de l’Europe a aussi mis la pression. On a essayé de faire entendre notre cri humain mais il n’a pas été entendu. Alors le dernier moyen radical, c’est la grève de la faim. »

« Jusqu’à la mort »

En mars et avril 2012, des militants kurdes s’étaient déjà relayés pendant une grève de la faim de 52 jours pour réclamer au comité du Conseil de l’Europe qu’il rende visite à Abdullah Öcalan. À cette époque, une vingtaine de députés du Parlement européen avaient apporté publiquement leur soutien aux militants dans leurs revendications. Le Conseil de l’Europe avait finalement mis fin au mouvement en assurant de sa prochaine visite au prisonnier. Cette première visite a eu lieu en janvier 2013.

Depuis mai 2012, des militants kurdes se relaient devant l’institution européenne à Strasbourg pour manifester leur soutien à Abdullah Öcalan et réclamer sa libération. Une fois par an, des dizaines de milliers de kurdes se rassemblent pour une marche à Strasbourg et réclament la libération de leur leader et une reconnaissance de leur peuple comme nation.

Cette fois, les Kurdes entendent durcir leur mouvement avec une grève de la faim sans passage de relais. Hélène Erin assure :

« Aujourd’hui, ça peut aller jusqu’à la mort. »

Kardo Bokani est l’un des 14 militants kurdes en grève de la faim à Strasbourg. (Photo CG / Rue89 Strasbourg / cc)

Kardo Bokani, membre du Congrès national du Kurdistan et d’ordinaire militant à Bruxelles, participe à cette grève de la faim. Il a déjà perdu 9 kilos et se dit déterminé :

« Nous avons un objectif : faire rompre l’isolement d’Öcalan. Selon les traités et conventions internationaux, il s’agit de torture. Donc c’est le devoir du comité de prévention de la torture de se saisir de cette situation. Le CPT a échoué à prévenir cette torture. Le Conseil de l’Europe doit mettre la pression sur l’État turc pour qu’il applique sa propre constitution. »

« Dialogue confidentiel » avec la Turquie

Contactée par Rue89 Strasbourg, une porte-parole du Conseil de l’Europe assure :

« Concernant les conditions de détention d’Abdullah Öcalan, le CPT entretient un dialogue confidentiel constant avec les autorités turques sur la base de son rapport publié à l’issue de sa visite à la prison d’Imrali en 2016. »

Le 28 janvier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui regroupe les délégations de députés des parlements nationaux de ses 47 États membres, a salué la libération de Leyla Güven. Elle l’a appelée à cesser sa grève de la faim et « reprendre ses travaux parlementaires. »

Après la visite de Rue89 Strasbourg aux grévistes, l’un d’entre eux, Yüksel Koç, 55 ans, a dû être hospitalisé, indique Hélène Erin. Il aurait refusé les soins et poursuit son jeun dans un état critique.


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