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Pourquoi les Églises chrétiennes font entrer l’Islam à l’école

Verra-t-on en Alsace un cours sur toutes les religions à l’école publique ? Ce projet est porté par les Églises chrétiennes. Et il s’invite dans la campagne électorale des régionales. Lundi 2 novembre, Florian Philippot, candidat FN, s’alarmait de sa prochaine expérimentation au lycée. Dans la foulée des attentats de janvier, les autorités chrétiennes d’Alsace ont décidé de tendre la main aux musulmans et de concevoir un nouveau cours interreligieux à destination des élèves sans distinction de religion.

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Un nouvel enseignement interreligieux au lycée pourrait permettre aux Eglises d’attirer de nouveaux publics dans leurs cours et de contrer la baisse de fréquentation. (Photo Ecole polytechnique/Flickr/cc)

Les Eglises chrétiennes veulent remplacer leurs enseignements de religion confessionnels par un enseignement commun interreligieux. (Photo LenDog64/Flickr/cc)
Les Églises chrétiennes veulent remplacer leurs enseignements de religion confessionnels par un enseignement commun interreligieux. (Photo LenDog64/Flickr/cc)

Lundi 2 novembre, Florian Philippot s’alarmait d’une prochaine expérimentation d’un enseignement de l’Islam dans des lycées publics d’Alsace-Moselle. Une tentative « d’étendre les lois issues du Concordat à l’Islam par des moyens détournés » selon le candidat du Front National à la présidence de la future grande région Alsace-Champagne Ardenne-Lorraine.

De quel projet s’agit-il ? Les principes de la religion musulmane, comme du bouddhisme, pourraient être enseignés dès la rentrée 2016 dans des lycées publics d’Alsace au sein des cours de religion dispensés aujourd’hui par les catholiques et protestants. Rue89 Strasbourg soulevait déjà la question en juin alors que la préfecture du Bas-Rhin ouvrait une réflexion sur l’enseignement de l’Islam dans l’enseignement public.

Le volontarisme de la préfecture se heurtait aux rigidités du droit local. Le Rectorat pointait que seules les Églises reconnues par les lois concordataires étaient à même de débloquer le dossier. Celles-ci confiaient qu’elles planchaient de leur côté sur une formule d’enseignement interreligieux, qui pourrait intégrer l’Islam. Depuis, ce sont bien elles qui ont pris la main.

Les Églises chrétiennes à l’initiative

Préfecture et acteurs musulmans ont pris acte des blocages juridiques qui s’opposent à l’organisation d’un enseignement autonome sur l’Islam, à côté des enseignements de religion catholique, protestant et juif qui existent déjà dans les établissements publics d’Alsace-Moselle. D’une part, le Conseil d’État avait rappelé en 2013 que le droit local des cultes peut se maintenir mais en aucun cas s’élargir à de nouveaux cultes.

Par ailleurs, l’enseignement de religion est organisé en Alsace et en Moselle via une instance qui réunit le Rectorat et les cultes reconnus par les lois concordataires pour fixer les programmes. Intégrer des responsables musulmans dans cette instance de validation nécessiterait un changement de réglementation de la part de l’Education nationale. Sans cela, toute initiative concernant un enseignement de l’islam ne peut émaner que des cultes reconnus.

Vers un enseignement commun interreligieux

En parallèle de la réflexion engagée par la préfecture, les Églises catholique et protestante ont justement amorcé au printemps leur propre réflexion sur une évolution de leurs enseignements de religion. Elles ont constitué une commission de travail sur la question composée d’enseignants de l’École supérieure de professorat et de l’éducation (ancien IUFM) et de l’universitaire strasbourgeois Francis Messner, spécialiste de droit des religions.

S’inspirant d’expériences étrangères, leur objectif est de produire un enseignement commun interreligieux dans des lycées et collèges volontaires qui se substituerait aux actuels enseignements confessionnels et ciblerait tous les élèves sans distinction de religion.

Exposer les mythologies grecques ou nordiques

Cet enseignement viserait à « éduquer au dialogue interreligieux et interculturel » dans des établissements secondaires où la diversité est déjà une réalité sociale. Les enseignants, qui resteraient choisis par les Églises, le dispenseraient indépendamment de leur appartenance religieuse. Concrètement, les Églises chrétiennes souhaitent fixer un socle commun de contenus puis rédiger les programmes définitifs avec des experts juifs, musulmans, bouddhistes et même d’autres religions.

Les mythologies romaines, grecques ou encore nordiques seraient aussi exposées aux élèves dans ce cadre. Une fois les programmes conclus, ils seraient présentés officiellement aux autorités académiques au nom des cultes statutaires, catholique, protestant et juif.

Sauver l’enseignement de religion

Cette tutelle des chrétiens sur un enseignement de religion plus large que le seul christianisme permettrait de ne pas remettre en cause le droit local existant. Au-delà du plan légal, cette solution contrerait la tentation du communautarisme à l’école, défendait cet été Pierre-Michel Gambarelli, directeur adjoint de la catéchèse scolaire catholique en Alsace, dans les pages de l’Ami Hebdo :

« On ne peut plus imaginer aujourd’hui un communautarisme, où les catholiques parleraient aux catholiques, les protestants aux protestants et les musulmans aux musulmans. Ce serait la pire des lectures de notre statut local. »

Christian Krieger, vice-président de l’Union des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine, confiait aussi à l’Ami Hebdo que le projet chrétien serait préférable à une introduction d’un cours supplémentaire sur l’Islam à destination des seuls élèves musulmans :

« Un morcellement de l’enseignement de religion ne me semble pas être une solution. La vocation de l’école républicaine est de rassembler les enfants dans une meilleure connaissance d’eux-mêmes et des autres. »

Un nouvel enseignement interreligieux au lycée pourrait permettre aux Eglises d’attirer de nouveaux publics dans leurs cours et de contrer la baisse de fréquentation. (Photo Ecole polytechnique/Flickr/cc)
Un nouvel enseignement interreligieux au lycée pourrait permettre aux Églises d’attirer de nouveaux publics dans leurs cours et de contrer la baisse de fréquentation. (Photo Ecole polytechnique/Flickr/cc)

Le projet de cours interreligieux se veut aussi une réaction au malaise après les attentats de janvier, défendait Christian Krieger :

« Derrière cette réflexion, il y a aussi la volonté des Églises d’assumer leur mission citoyenne. »

Attirer de nouveaux publics

Cependant, la refonte de l’enseignement de religion doit surtout permettre aux Églises de rebondir et d’attirer de nouveaux publics alors que leurs cours sont en constante perte de popularité. Un constat que confirmait Pierre-Michel Gambarelli :

« Beaucoup de professeurs attendent le feu vert des autorités pour pouvoir accueillir le plus grand nombre. Dans le secondaire, il nous faut évoluer, sinon on disparaîtra parce qu’on n’aura pas été en mesure de proposer une offre qui correspondait aux besoins des familles. »

Rappelons que l’enseignement religieux obligatoire est dispensé sur les heures de cours à l’école primaire, puis proposé en plus au collège et au lycée. Il est facile d’obtenir une dispense. Jusqu’au CM2, les élèves non-inscrits, suivent alors un cours de morale. Au collège et au lycée, ils sont libres. En 2010, 30% des collégiens et 14% des lycéens des trois départements suivaient ces enseignements. À Strasbourg, on compte même 72,4% de dispensés en primaire.

Ne pas oublier les athées et les agnostiques

Pour Christian Moser, du syndicat d’enseignants Unsa Éducation du Bas-Rhin, cité par l’Ami Hebdo, la voie interreligieuse portée par les Églises ne peut se substituer à un enseignement laïc du fait religieux. Comme plusieurs autres organisations en Alsace, son syndicat souhaite que le cours de religion devienne optionnel en primaire au lieu d’être inclus dans les 24 heures de temps scolaire obligatoire :

« On ne peut pas occulter la question religieuse à l’école, car elle fait partie intégrante de notre patrimoine et de notre culture. Mais il est indispensable qu’elle y soit abordée dans un cadre laïc et sans oublier les athées et les agnostiques. Le projet d’enseignement interreligieux va dans le bon sens, mais nous ne faisons pas confiance aux religieux pour construire un programme commun d’ouverture objectif. »

Convaincre les Musulmans

Les Églises ambitionnent une expérimentation de ce nouvel enseignement dès la rentrée 2016 dans quelques collèges et lycées volontaires puis un élargissement en 2017 pour une généralisation dans le secondaire à l’horizon 2018.

Pour l’heure, il leur faudra d’abord convaincre Musulmans et ensuite Bouddhistes de s’associer au projet. Annoncé dans les milieux chrétiens dès cet été, le projet a été présenté aux responsables musulmans fin septembre. Les représentants du Conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Alsace ont déjà rencontré ceux des Églises à deux reprises pour l’évoquer. Si Murat Ercan, président du CRCM, qualifie l’initiative chrétienne de « louable », il annonce qu’une large consultation des responsables musulmans de la région est nécessaire avant toute prise de décision.

Le projet pourrait se limiter à l’Alsace. Les musulmans de Moselle n’ont eux pas encore été consultés et les autorités catholiques voisines resteraient réservées quant à l’idée de leurs homologues alsaciens.


#Christian Krieger

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