Inaugurée en avril, l’exposition « Le Musée absent », présentée au centre d’art Wiels à Bruxelles, fait grand bruit outre-Quiévrain. Les visiteurs apprécient la variété des oeuvres qui y sont rassemblées, les critiques d’art se réjouissent d’y découvrir des tableaux rarement dévoilés et les locaux affectionnent ce qui a tout d’un embryon de musée uniquement dédié à l’art moderne et contemporain. Car l’ambition de Dirk Snauwaert, le curateur de l’exposition et directeur artistique du Wiels, est bien là :
« Nous faisons l’exercice pratique d’être un musée pendant quatre mois, avec tout ce que cela implique – de la sécurité aux services de presse. Il s’agit donc d’imposer une logique chronologique aux oeuvres, qui sont, en elles-mêmes, des propositions. Je voulais exposer des oeuvres embêtantes. Le musée est un lieu où l’histoire est fabriquée, mais pas uniquement celle de la beauté. Sont donc abordés, au fil des étages, les persécutions raciales, le nomadisme involontaire, les guerres ou le colonialisme. »
Comble de l’ironie, ce centre d’art que Dirk Snauwaert dirige est couramment appelé « musée » Wiels. Pourtant, la vocation du lieu est d’abriter, comme il le fait depuis dix ans, des expositions temporaires. Certainement pas de se doter d’une collection destinée à rester en place. Pour le directeur artistique du Wiels, Bruxelles a pourtant besoin d’une telle institution et suggère que la capitale belge s’inspire du musée d’art moderne et contemporain strasbourgeois (MAMCS) :
« Je pense que l’idée de développer un musée d’art contemporain pour la capitale de l’Europe devrait se nourrir de beaucoup de modèles existants afin de mieux répondre aux attentes des citoyens européens et des diasporas. Le modèle transfrontalier que développe le musée de Strasbourg est intéressant car il permet de mettre en perspective et de lier plusieurs traditions de pratique artistique et esthétique – plus particulièrement la française et l’allemande. »
La dimension européenne est omniprésente dans le discours de Dirk Snauwaert. C’est aussi celle-ci qui a toujours guidé les choix artistiques du MAMCS, où se tiendra, dès septembre, une exposition intitulée « Laboratoire d’Europe, Strasbourg 1880-1930 ». Mais, comme en témoigne Franck Knoery, attaché de conservation, le questionnement européen de l’institution ne date pas d’hier :
« Le Parlement européen a été inauguré dans son nouveau bâtiment strasbourgeois en 1999, soit quelques mois après que le musée n’ouvre ses portes. L’idée était déjà de marquer clairement un positionnement européen car par son histoire, Strasbourg a un ADN européen. Nous avons donc misé sur des collections transeuropéennes, en exposant notamment beaucoup de peintres allemands. »
Parmi la cinquantaine d’artistes rassemblés dans l’exposition « Le Musée absent » au centre Wiels se trouve le peintre juif allemand Felix Nussbaum, réfugié à Bruxelles avant d’être dénoncé par des voisins et déporté à Auschwitz. Dirk Snauwaert pense que ses oeuvres ont toute leur place dans un musée. Le spécialiste ne parle d’ailleurs plus là d’ « oeuvres », mais de « documents humains. »
Un nouveau musée en 2020 ?
Plus encore, il fustige les collectionneurs qui gardent jalousement des œuvres à fort intérêt historique chez eux, les soustrayant ainsi aux yeux du plus grand nombre. Or les collectionneurs de ce genre ne sont pas rares en Belgique, comme en témoigne le critique d’art Sam Steverlynck, qui signe notamment dans le quotidien néerlandophone De Standaard :
« Sur le marché de l’art contemporain, le collectionneur belge a une réputation mondiale. Les Belges ont toujours collectionné, c’est presque génétique. Ce ne sont pas forcément des énormes collections, mais on dit que la Belgique est le pays qui compte le plus grand nombre de collectionneurs au kilomètre carré. Or ce serait intéressant de montrer ces collections privées au grand public. »
Si Bruxelles se dotait, comme Strasbourg, d’une institution permanente, peut-être les collectionneurs seraient-ils plus enclins à partager leurs trésors ? C’est là également une piste de réflexion que l’exposition « Le Musée absent » véhicule. L’idée a fait son bout de chemin et selon de récentes déclarations politiques à ce sujet, l’année 2020 est visée pour transformer un ex-garage Citroën (d’une superficie de quelque 30 000 mètres carrés) en un musée dédié au seul art contemporain. Pour Sam Steverlynck, le Wiels n’aurait alors plus à rougir du retard de Bruxelles en la matière, par rapport à Strasbourg notamment :
« Au Wiels, l’exposition “Le Musée absent” a tout d’un exercice : détenir une collection permanente n’est pas, je crois, l’ambition du lieu. Toutefois, il manque au Wiels un autre acteur à Bruxelles pour pouvoir engager un dialogue. Si ce nouveau musée voit le jour, cela pourra enfin être le cas et cela aura du bon. »
En attendant, « Le Musée absent » a été accueilli à Bruxelles comme un coup de pied dans la grande fourmilière de l’art contemporain en Belgique et a au moins pour effet de relancer la discussion, jusqu’aux plus hauts niveaux de décision, autour de la nécessité pour une capitale européenne de proposer une offre culturelle à la hauteur de ses ambitions.
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