Ostwald, au sud de Strasbourg. Une bâtisse moderne, plusieurs bureaux en open space, des ordinateurs, des plantes vertes et des dossiers qui s’accumulent sur les bureaux… À première vue, une PME ordinaire avec ses 25 salariés. Mais à y regarder de plus près, le quotidien est peu banal. Ces Alsaciens viennent en aide aux Chrétiens persécutés à travers le monde. Ils sont employés par l’ONG Portes Ouvertes France, association de droit local d’Alsace-Moselle.
Michel Varton occupe le poste de directeur depuis 1985, soit la moitié de sa vie consacrée à la cause. Et il ne faiblit pas :
« En tant qu’association, on intervient d’abord sur le terrain. Dans le pays, on va travailler avec l’église locale et les Chrétiens pour essayer de comprendre quelle est la situation et on va identifier des moyens pour les aider. Un peu partout, on chasse les Chrétiens, on les attaque et ils ne savent pas comment se défendre. »
L’ONG les informe sur leurs droits et sur les conduites à adopter en cas de violences. « Qu’est ce qui va se passer si vous êtes mis en prison ? Comment réagir si on vient chez vous pour mettre le feu à l’église ? » Souvent, la persécution entraîne la pauvreté. Les solutions peuvent être humanitaires ou éducatives. En 2016, 673 Pakistanais ont accédé à un début d’éducation.
Michel Varton n’est pas de ces directeurs qui exigent de leurs attachés de presse des discours pré-mâchés. Il connaît ses dossiers sur le bout des doigts. Ainsi, il relate cette grand-mère indienne de 55 ans déshabillée en public et battue à mort, avant d’être brûlée. Il ne sombre pas dans le pathos. Les intimidations et les violences existent. Selon Portes Ouvertes, 215 millions de personnes seraient concernées en 2017. Chaque année, l’ONG participe à la publication d’un Index mondial de persécution des chrétiens.
Portes Ouvertes France fonctionne exclusivement grâce aux donateurs – 12 000 selon le dernier comptage -. Cinq millions d’euros ont été collectés en 2016. Michel Varton n’est pas seulement le directeur, il incarne l’ONG au niveau national. Si le quotidien s’apparente à celui d’un chef d’entreprise, il a bien conscience des responsabilités qui lui incombent :
« Notre premier souci : ce sont les chrétiens persécutés. On est leur lien avec le monde extérieur. Ils sont notre priorité. »
De York à Strasbourg
Rien ne le prédestinait à cette carrière. Originaire de York, une ville au nord de l’Angleterre, Michel Varton étudie la biochimie à Manchester avant d’embrasser une carrière dans le marketing. Sa ferveur va le précipiter jusqu’à Strasbourg.
Issu d’une famille anglicane, il fréquente l’Église avant de s’en éloigner à l’adolescence. Il se souvient avoir croisé un pasteur et l’avoir écouter prêcher. Être chrétien ne se limiterait pas à aller à la messe le dimanche matin ? Soit. Le jeune Michel a d’autres préoccupations. Jusqu’à ce déclic :
Il se convertit et devient protestant évangélique. L’homme, plutôt rationnel, évoque une rencontre mystique :
À l’université, il commence à lire la Bible et rencontre d’autres chrétiens. Les étudiants se retrouvent dans les pubs pour échanger à propos de leur foi. Lui, veut partager son expérience avec un maximum de jeunes. Un de ses amis lui parle de Strasbourg. Les églises évangéliques y sont moins nombreuses qu’en Angleterre. Michel Varton a déjà démarré dans la vie active mais son désir de venir en aide est plus fort. Il décide de franchir le cap… et la Manche.
Vendeur de légumes à Strasbourg
1980, le voilà installé à Strasbourg. La journée, il travaille comme vendeur en fruits et légumes. Il n’aime pas ce métier mais c’est le prix à payer pour vivre en France. Il se fait très vite des amis et anime des réunions durant lesquelles il explique la Bible et son engagement religieux. Il avoue une faiblesse pour le pays que sa famille, francophile, lui a fait découvrir très tôt.
En 1983, Michel Varton se retrouve sans emploi. L’association, déjà basée à Strasbourg, cherche son nouveau représentant régional. Un « RR » dans le jargon, mais ce poste ne l’enchante guère. Il n’est pas missionnaire, n’a jamais entendu parler de l’église persécutée, et ce qui l’intéresse, c’est de parler de sa rencontre avec Dieu. Il finit par se laisser convaincre car il adhère aux méthodes de travail de l’association. Il visite des églises et projette des films pour tenir les fidèles informés de la situation derrière le rideau de fer. Six mois plus tard, il effectue son premier voyage en Roumanie :
« Je découvrais des personnes très pauvres, sans ressources. C’était une autre planète, rien n’avait avancé dans leur pays mais certains avaient un courage énorme et allaient à l’encontre de tout ce qu’on leur disait pour organiser leurs églises, faire des réunions, fédérer, au risque d’aller en prison. Dans la voiture, je priais pour que le douanier soit aveugle car on passait des Bibles en douce ! »
Michel Varton encourage ses salariés à voyager, au moins une fois par an, avec l’ONG, pour rester connectés avec les populations qu’ils défendent.
Caution crédibilité ou phare contre l’obscurantisme ?
Côté pile, il mène une vie paisible à Strasbourg. Marié et père de deux enfants, il aime l’opéra et fréquente les librairies du centre-ville. Côté face, il part sur le terrain. En 2016 : le Nigéria, l’Indonésie, la Centrafrique, la Syrie et la Libye. Les voyages ne sont pas systématiques. Européen est parfois trop voyant. Pour exercer la fonction, de bonnes connaissances en géopolitique sont également nécessaires. Cela tombe bien, il se passionne pour l’histoire et la géographie. Vie privée et vie professionnelle s’entremêlent constamment.
Le Strasbourgeois est très régulièrement sur le devant de la scène, sollicité par de nombreux médias nationaux (Arte, TF1, France 24, etc.) ou invité à commenter l’actualité, comme lors de l’assassinat du Père Jacques Hamel. Michel Varton s’exprime toujours avec prudence :
« Si les informations qu’on donne sont erronées, les premières victimes seront les Chrétiens persécutés. Ce que nous disons doit être justifié et vérifiable. »
Avec lui, pas de phrases choc. Rares sont ses prises de position, excepté ce parallèle entre l’ouvrage de Boualem Sansal, 2084, et la Corée du Nord sur son compte Twitter. Avec les violences notamment au Moyen-Orient, la persécution des Chrétiens est désormais un sujet médiatique. De personnalité lucide et pragmatique, il assure ne pas recevoir d’appels du pied d’élus. Porte Ouvertes France est une association apolitique. Toutefois, il se félicite de chaque nouvelle parution dans Libération :
« La persécution a toujours existé mais elle est devenue plus médiatique. La situation dans le monde fait qu’il y a une écoute qu’il n’y avait pas il y a 20 ans. En Occident, on peut agir : chaque article de journal permet de faire pression. »
Michel Varton intervient régulièrement dans la sphère publique. Ses prises de parole devant l’Assemblée Nationale ou le Sénat permettent d’informer les élus mais aussi d’alerter l’opinion. L’Index de persécution des chrétiens, actualisé chaque année, permet d’établir les tendances à venir ou d’analyser les chiffres. Les extrémistes hindous menacent tandis que la persécution baisse en Irak, mais parce que les Chrétiens ont fui le pays.
Laïcisme contre laïcité
Quand son agenda lui permet, il visite aussi les églises de France et de Wallonie, comme du temps où il était « RR ». Le reste du temps, se borne à écrire les éditos du magazine de l’association édité à 23 000 exemplaires. Une parution mensuelle qui mobilise deux à sept membres de son équipe et vient en complément des chroniques radio et vidéo. Informer est la première action de cette ONG.
Michel Varton dénonce au quotidien la montée du nationalisme et l’extrémisme religieux. En France, il observe comment les choses évoluent :
« Le danger est qu’on repousse la religion jusque dans les sphères privées. Ce n’est pas évident avec l’arrivée de l’Islam en France. Nous défendons les Chrétiens persécutés, mais on défend le fait que chacun peut exprimer sa foi, ici en France et ailleurs ! »
À ce qu’il appelle le laïcisme, il oppose le principe de laïcité. Convaincu que la séparation entre les Églises et l’État est une bonne manière de vivre ensemble, il cite ce passage biblique : « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »
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