Lundi 26 Avril, premier jour de la session plénière du Parlement européen. Devant l’immense bâtiment circulaire de Strasbourg, la trentaine de drapeaux aux couleurs des États membres claquent sur les mats blancs, formant une symphonie de sons métalliques, seul bruit aux alentours. Avant d’entrer dans l’enceinte du bâtiment, la sécurité est un passage obligé. Après les vérifications d’usage sur les quelques arrivants, les agents discutent de leurs déboires personnels avec des opérateurs téléphoniques. « Oui il y a peu de monde aujourd’hui », répond l’un d’entre eux à un nouvel arrivant étonné par le calme ambiant.
Dans les couloirs, Caroline Huck Hiebel se dirige vers l’entrée « Louise Weiss », badge bleu étoilé autour du cou. L’assistante parlementaire va chercher Anne Sander, l’eurodéputée (Les Républicains) qui l’emploie. « Le parlement vit toujours, je ne me sens jamais seule », explique Caroline, même s’il s’agit d’une des seules collaboratrices parlementaires à Strasbourg en ce moment. Ils ne sont que « 5 à 10 assistants » entre ces murs. En session normale, le Parlement européen réunit 750 eurodéputés, qui ont chacun plusieurs assistants.
Mais il n’y a pas eu de séances plénières dans la capitale alsacienne depuis février 2020. Toutes les équipes sont installées à Bruxelles, en Belgique, où la majorité des réunions et séances plénières se tiennent. Au grand regret d’Anne Sander et de sa collaboratrice. Même si les services du parlement « conseillent fortement d’y participer par visio-conférence quand aucun temps de parole nous est alloué » nuance une autre collaboratrice parlementaire.
Plus aucun groupe parlementaire n’est en faveur d’un retour à Strasbourg
Les deux habituées des lieux s’arrêtent dans un grand hall lumineux. « D’habitude ici ça fourmille de partout, surtout un premier jour de session comme aujourd’hui », se désole l’eurodéputée. Dans ce lieu de passage, des passerelles et couloirs s’enchevêtrent autour de lianes d’une dizaine de mètres de haut. Tout cet espace est presque vide, comme tous les lieux de vie du parlement. Dans les restaurants, toujours ouverts, 200 repas par jour sont distribués certaines semaines. Mais ces selfs sont surtout peuplés d’ouvriers chargés des chantiers d’entretien. Dans les couloirs : des agents d’entretien et des électriciens déambulent, et des bruits de métal raisonnent, comme seule preuve de vie.
Quant au retour des eurodéputés dans ces lieux – maintes fois repoussé par le président du parlement européen David Maria Sassoli, il n’est pas à l’ordre du jour pour le mois de mai.
Plus un seul des sept groupes politiques d’eurodéputés – consultés par le président du parlement pour cette décision – n’est en faveur d’un retour des séances plénières à Strasbourg. Quelques semaines plus tôt, le président du groupe PPE (de droite conservatrice, ndlr) était le seul à soutenir l’idée de manière officielle. Désormais, le groupe avance que la situation sanitaire en Alsace ne le permet pas encore. Alors, les acharnés du siège strasbourgeois semblent lutter seuls pour un retour sur les rives de l’Ill.
Parmi eux, Christophe Grudler. L’eurodéputé du groupe Renew Europe – de la liste Renaissance (LREM) – trouve essentiel de maintenir une présence à Strasbourg :
« Les députés, quand ils sont à Strasbourg, ils sont chez eux. C’est le siège du Parlement européen. C’est important de se sortir du confort bruxellois où le Conseil européen et la Commission européenne, qui sont installés dans la capitale belge, font du lobbying sur certains sujets auprès des parlementaires. »
Christophe Grudler, Eurodéputé « Renaissance »
« L’argument de l’administration bruxelloise, c’est que déplacer les fonctionnaires pour les séances plénières de la Belgique vers l’Alsace est une aberration au niveau épidémique. Mais nous ce que l’on demande aussi c’est de baser les fonctionnaires en charge des sessions plénières à Strasbourg », s’agace Anne Sander en déambulant dans les couloirs courbés. Car pour pouvoir organiser une session plénière, il faut qu’assez de fonctionnaires de l’UE se portent volontaires pour travailler en Alsace pendant une semaine.
Il faut dire que les eurodéputés alsaciens voient en ce siège un intérêt pratique, même quand les séances plénières ne s’y tiennent pas. « Pendant les plénières, quand on doit prendre la parole on ne peut pas le faire depuis chez nous. Soit on est en présentiel, soit on le fait depuis des bureaux spéciaux » (qui sont installés à Strasbourg, Paris, Marseille et dans toutes les capitales européennes, ndlr), note l’eurodéputée.
Mieux vaut aller à Bruxelles pour être audible sur Strasbourg
Mais en temps normal, le Parlement européen de Strasbourg est aussi et surtout une vitrine. Caroline Huck Hiebel est d’ailleurs en charge de l’organisation de visites du public, y compris en dehors des sessions, quand c’est possible. « Rien que moi, je fais visiter le Parlement à 8 000 personnes par an ici, c’est important d’ouvrir les portes de cette maison », note la travailleuse de l’ombre.
Quelques Eurodéputés ont fait parler d’eux en assistant aux sessions depuis Strasbourg. Mais ce mode de protestation a des limites. « Ce n’est pas en restant constamment toute seule à Strasbourg que je serai la plus utile à la cause » avoue Anne Sander, qui s’est rendue à Bruxelles, plus tard dans la semaine, pour assister à une réunion « très importante pour l’avenir de Strasbourg. »
La faiblesse des symboles
Depuis le premier confinement en France, les commissions parlementaires et réunions de groupes politiques se tiennent en visio-conférence. « En général, pour convaincre nos collègues sur des dossiers, on parle avec eux dans les couloirs », avance Anne Sander, qui est également questeure du parlement (élu membre du bureau du Parlement qui veille aux dépenses, ndlr). « À la sortie d’une visio-conférence, on ne va pas appeler des collègues que l’on ne connait pas pour les sensibiliser sur la question de Strasbourg », ajoute l’eurodéputé Christophe Grudler.
« Ça a un côté symbolique », concède Anne Sander. Elle ajoute : « Ce sont les conflits dans le passé qui ont motivé l’installation du Parlement à Strasbourg. » Les défenseurs du siège strasbourgeois s’attendent à « un retour au siège au mois de juin pour les plus optimistes, et septembre pour les plus pessimistes », avance une collaboratrice parlementaire.
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