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Qui sont les plus gros bénéficiaires de la PAC en Alsace ?

Depuis le 30 septembre 2008, les États membres de l’Union Européenne ont l’obligation de publier la liste des bénéficiaires des subventions de la Politique Agricole Commune. Entre 2019 et 2020, les plus gros montants reviennent aux exploitations viticoles, aux professionnels et aux négociants du vin, qui fonctionnent avec un régime d’aide spécifique. Les autres exploitations alsaciennes ont perdu de l’argent, en raison du nivellement des aides.

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Qui sont les plus gros bénéficiaires de la PAC en Alsace ?

Le Parlement européen a donné son feu vert, mardi 23 novembre, à la nouvelle Politique agricole commune, qui s’appliquera aux 27 États membres à partir de janvier 2023. Ces aides à l’agriculture représentent 40% du budget européen, et apportent chaque année environ 9 milliards d’euros aux agriculteurs français. Avec ses deux piliers et sa vingtaine de « mesures » (différents types d’aides), ses contours forgent les grandes orientations économiques du secteur, toujours confronté à la mondialisation et aux bas prix du marché.

Cette nouvelle PAC remplacera l’actuelle, en vigueur depuis 2014 jusqu’à fin 2022. Elle fonctionnera toujours selon le même principe des deux « piliers ». Le premier rassemble différentes aides directes aux agriculteurs, majoritairement distribuées en fonction de la taille des exploitations : on parle alors d’ »aides découplées à l’hectare ». Le deuxième sert au développement rural, et se décline en plusieurs mesures, dont les aides écologiques (mesures agroenvironnementales et climatiques ou MAEC, aides à l’agriculture biologique), des aides spécifiques selon les secteurs ou encore des aides à l’investissement physique (pour des machines, des bâtiments…).

Sur la plateforme TéléPAC, il est possible de consulter la liste des bénéficiaires de la PAC pour la période allant du 16 octobre 2019 au 15 octobre 2020, détaillée par types d’aides. Une analyse de cette liste permet de comprendre les principales orientations de budget.

La part belle aux viticulteurs

Parmi les 20 principaux bénéficiaires alsaciens, six sont des exploitations viticoles, des professionnels et des négociants du vin. Cette surreprésentation de la filière viticole s'explique par le fait que les viticulteurs, qui ne faisaient pas partie de la PAC avant la réforme de 2014, ont tout de suite négocié une aide spécifique. Celle-ci visait à se détacher de l'aide à la surface (appelée "aides découplées à l'hectare" ou "DPB"), dont le total est calculé en fonction d'un montant attribué à chaque hectare d'exploitation.

Frédérique Bach, directeur de l'Association des viticulteurs d'Alsace (AVA), argumente :

"Ne pas fonctionner à l’hectare était une demande de la profession viticole, car les besoins sont différents en fonction des régions. Avoir un hectare en Champagne ou dans une autre région, cela n'implique pas les mêmes investissements. En Alsace, les besoins sont plus tournés vers l'achat de matériel, tandis que la Champagne a besoin de replanter des vignes. Donc c'était une manière de rendre l'aide plus adaptée aux besoins des professionnels".

Les aides à la viticulture sont intégralement regroupées sur TéléPAC sous un même intitulé : "soutien au secteur vitivinicole". Elles échappent donc aux aides conditionnées aux surfaces (qui sont particulièrement faibles pour les viticultures, une exploitation viticole occupe en moyenne 10,5 hectares). Cette distribution est assurée par France Agrimer (Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer), et se décline en plusieurs mesures, telles que l'investissement, la promotion ou la restructuration.

Selon le directeur de l'AVA, une grande partie de ces aides est consacrée à des campagnes de publicités collectives pour les vins d'Alsace. Le Comité interprofessionnel des vins d'Alsace (Civa) occupe ainsi la sixième place du classement, avec 475 729 euros d'aides allouées. Les Grands Chais de France, premier vinificateur français, occupe la première place avec 898 893 euros. Aucun des deux n'a répondu à nos demandes sur le détail de l'utilisation de ces aides.

Les hectares toujours plus largement rémunérateurs

Pour les autres exploitations, l'aide à l'hectare constitue une grande partie des montants versés : un tiers des aides totales pour l'Alsace pour la seule "aide de base découplée à la surface" (DPB). Il existe deux autres principaux paiements à l'hectare : la surprime aux 53 premiers hectares ("soutien supplémentaire aux premiers hectares") et le paiement vert, conditionné à trois critères de "verdissement". Néanmoins pour les exploitations en bio, l'aide à l'agriculture biologique peut représenter des montants plus importants. Il convient d'inclure les "mesures agroenvironnement - climat" (MAEC) proposant des aides à la conversion à l'agriculture biologique et aux pratiques vertueuses pour l'environnement.

Ce système de paiements directs à la surface est critiqué, comme l'explique Matthieu Courgeau de la plateforme "Pour une autre PAC" :

"Depuis la réforme des années 2000, l’enveloppe est largement distribuée selon les hectares de chaque ferme. Plus vous êtes gros, plus vous touchez d'aide. Cette logique appelle les fermes à se concentrer, avec de moins en moins d'agriculteurs individuels."

En 2014, "la convergence" : une nouvelle réforme qui pénalise l'Alsace

Pour rétablir une forme d'égalité par rapport aux régions moins productives, la réforme de la PAC appliquée depuis 2014, avait donc mis en place une aide minimum, qui était de 196 euros par hectare et par an, toutes cultures confondues. Comme l'expliquait Rue89 Strasbourg au début de cette réforme, l'Alsace risquait alors de perdre au change.

En effet, pendant des années, la région assurait des prix élevés à l'hectare (en moyenne 330 euros / hectare à l'époque), grâce à une haute productivité sur de petites surfaces (33 ha en moyenne, 37 dans le Bas-Rhin, 29 pour le Haut-Rhin, contre 65 au niveau national). Mais avec la réforme de 2014, tous les prix ont été nivelés à un minimum de 196 euros / hectare. L'idée : réduire les inégalités entre petites et grandes exploitations. Les exploitations alsaciennes ont donc vu légèrement diminuer leur prix à l'hectare, afin de "participer" à cette solidarité européenne, appelée à l'époque "convergence".

Du fait de cette convergence, Yohann Lecoustey, directeur de la FDSEA 67, qualifie la réforme de 2014-2022 de "douloureuse" pour l'agriculture alsacienne :

"Il y a eu plus de 10 millions d'euros perdus en Alsace sur les six ans écoulés, certains agriculteurs ont perdu plus d'un tiers de leurs aides."

Un privilège relatif pour les grandes surfaces

Yohann Lecoustey détaille :

"Lorsque l'on revient aux fondements de la PAC, toutes les aides étaient couplées à la production. La stratégie des petites surfaces, nombreuses en Alsace, a été de créer des cultures à forte valeur ajoutée sur les exploitations, donc intensives et fortes en main d’œuvre. La valeur finale des aides, calculées à l'hectare, était cohérente : 330 euros en moyenne. Quand le système de découplage a été instauré en 2000, les subventions à l'exploitation (élevées) ont été divisées par le nombre d'hectares (faible). Donc les aides restaient relativement élevées. Avec la convergence, on a considéré que cela n'était pas normal de toucher des aides différentes à l'hectare, donc on a rapproché tout le monde d'une moyenne nationale. C’est peut être une mesure d’égalité, mais nous avec 33 hectares en moyenne dans la région, nous avons été les grands perdants de cette réforme."

Denis Scharrenberger, gérant du GAEC éponyme qui occupe pourtant la 12e place de la liste des bénéficiaires en termes d'aides allouées, fustige une aide "en baisse continue" depuis la convergence :

"L’année dernière nous avons reçu 80 000 euros, cette année nous ne sommes même pas à 50 000 euros d'aides. En conséquence, nous avons dû contracter un prêt pour nous en sortir."

Les aides à l'hectare ont été revu, ce qui a un peu pénalisé les agriculteurs alsaciens lors de la précédente PAC. Photo : Thibault Vetter / Rue89 Strasbourg / cc

Les éleveurs "pas trop" pénalisés

La convergence des paiements à l'hectare n'a pas particulièrement affecté les aides des éleveurs de bovins, d'agneaux, de vaches allaitantes et vaches laitières, interrogés par Rue89 Strasbourg. Jean-François Huckert, en 20e place du classement global, explique qu'il n'a "pas trop été pénalisé" avec des surfaces plutôt grandes, mais peu productives (majoritairement des prés pour nourrir le bétail). "Avec une exploitation de montagne, mes aides à la surface ont toujours été peu élevées". Même constat pour Sébastien Better, qui possède 200 hectares, dont les trois quarts sont des prés pour ses vaches.

Les éleveurs – toutes catégories confondues – sont au nombre de six parmi les vingt premiers du classement. Leurs aides enregistrent un bond grâce au soutien à des investissements physiques, qui vont de 28 000 à 91 000 euros.

Un montant d'aides "exceptionnel" de 28 293 euros a permis à Jean-François Huckert la construction d'un bâtiment de 600 m² pour stocker du foin. En dehors de cet important investissement, son GAEC situé à Grendelbruch près de Schirmeck, reçoit normalement "aux alentours de 115 000 euros" d'aides pour son élevage de 200 hectares.

Le bio a perdu une aide

Il souligne en revanche un changement pour son élevage : la suppression de l'aide au maintien de l'agriculture biologique par le gouvernement, intervenue en 2018, pour privilégier les prix du marché plutôt qu'un soutien de l'État. Cette aide prenait le relais après les 5 ans d'aide à la conversion vers l'agriculture biologique. Cela signifie concrètement qu'après 5 ans, les agriculteurs qui se sont convertis au bio ne reçoivent plus d'aide.

Certaines régions, comme la Normandie ou les Pays de la Loire, avaient décidé de combler ce manque à gagner par des aides spécifiques. La filière bio du Grand Est avait tout de même réussi à négocier un délai de 4 ans supplémentaire, qui a pris fin en 2020. Matthieu Strohm, qui est deuxième du classement pour les aides à l'agriculture biologique et 15e du classement alsacien, regrette la disparition de cette aide :

"J'ai perdu 25 000 euros d'aide sur mes parcelles converties. C’est dommage de supprimer l'aide au maintien car si rien n’est remis en place, des agriculteurs vont repartir en conventionnel."

Pour la PAC "verte", des ambitions à la baisse

La nouvelle PAC est censée renforcer la politique de transition des agriculteurs en bio. Elle promettait pour cela un nouveau système d'écorégime : un paiement à l'hectare qui remplace le paiement vert de l'ancienne PAC (qui était aussi un paiement à l'hectare), conditionné à trois critères. Ceux-ci concernaient la diversité des cultures, la conservation des prairies permanentes et la présence de 5% de "surfaces d'intérêt écologique" (arbres, haies...). Ce système avait failli à sa tâche, n'entraînant des changements de pratique que sur 5% des terres agricoles de l'UE.

Selon Laurent Cousin, président du groupement régional Bio Grand-Est, cet écorégime reproduit les erreurs du passé :

"C'est un régime qui se veut très inclusif. Pour accéder au premier palier, il suffit que les achats d'intrants chimiques soient inférieurs à 30% du chiffre d'affaires. Sauf que dans la majorité des terres, les taux d'intrants sont déjà inférieurs à cela, notamment sur les terres viticoles (autour de 14% du chiffre d'affaires en moyenne, selon une note confidentielle de l'Office français de la biodiversité consultée par Le Monde, NDLR). Le ministre avait annoncé que 80% des agriculteurs, sans changer leurs pratiques actuelles, pourront y avoir droit."

Cette annonce avait fait suite aux revendications syndicales des agriculteurs conventionnels en avril 2021. Ceux-ci s'opposaient justement à l'écorégime, vu comme une "politique d'exclusion" qui accompagnait la baisse des aides européennes.

Plus préoccupant encore pour la filière bio, la certification HVE (Haute Valeur Environnementale), instaurée en France en 2011, devient un critère d'éligibilité pour l'écorégime de la nouvelle PAC, au même titre que le label AB (Agriculture biologique). Pour Laurent Cousin, la certification HVE pourrait donc s'imposer comme une forme de "label alternatif" au label AB. Un risque vis-à-vis du consommateur selon le président du groupement régional Bio Grand-Est :

"Dans la version française du plan stratégique, le certificat HVE permet d'avoir la même aide que le label AB. Pourtant, pour obtenir le certificat HVE, les exigences sont bien plus abordables, avec simplement des changements de pratiques qui continuent d’utiliser la chimie, comme les cultures intermédiaires, les techniques sans labour, ou l'agriculture de conservation."

Toujours selon Le Monde, en juin 2021, l'Office français de la biodiversité appelait le ministère de l'Agriculture à revoir "en profondeur" le cahier des charges de cette certification, qui pourrait être trompeuse pour le consommateur. Et peu encourageante des pratiques "vraiment vertueuses" souhaitées par la nouvelle PAC.


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