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Plans sociaux, baisse de l’activité… L’industrie automobile alsacienne s’enfonce dans la crise

Dans le sillage des plans sociaux touchant les salariés de Dumarey et de Novares, d’autres entreprises du secteur automobile alsacien craignent des licenciements massifs.

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Plans sociaux, baisse de l’activité… L’industrie automobile alsacienne s’enfonce dans la crise

Qui seront les prochains ? La question anime les discussions entre salariés à la pause-déjeuner ou à la sortie de l’usine depuis quelques semaines, au sein de l’industrie automobile alsacienne. « Tout le monde en parle, tout le monde suit ce qui se passe, il y a une crainte généralisée chez les salariés », explique Amar Ladraa, représentant CGT métallurgie dans le Grand Est. Les mauvaises nouvelles se multiplient, comme les fermetures d’usine inédites chez Volkswagen, celles de Michelin (1 254 salariés concernés) ou les licenciements massifs de l’équipementier Valeo, évoquées par la direction du groupe le 28 novembre.

En parallèle, les luttes sociales s’enchaînent. Les salariés de Dumarey Powerglide, à Strasbourg, avaient à peine fini leur mobilisation que ceux de Novares, à Ostwald, commencaient la leur, le 20 novembre, pour obtenir de meilleures conditions de départ. « C’est une crise sans précédent, je n’avais jamais connu ça en 20 ans de syndicalisme », souffle Amar Ladraa. Même diagnostic du côté de la CFDT : « Ça va mal aujourd’hui, et ça n’ira a priori pas mieux en 2025 ou en 2026, au contraire », prédit Olivier Delacourt, responsable Grand Est CFDT Métallurgie.

Les filiales d’entreprises allemandes menacées

La filière alsacienne est d’autant plus fragile qu’elle dépend de la santé de l’économie allemande. Si l’usine Dumarey est en crise, c’est principalement en raison de la perte de son client le plus important, l’équipementier allemand ZF, lui-même contraint de supprimer 33 000 emplois à cause de la baisse de ses activités. Les filiales françaises de groupes allemands sont également menacées. L’usine Schaeffler, qui emploie 1 300 personnes à Haguenau, craint des répercussions locales après l’annonce de la maison-mère le 5 novembre de la suppression de 1 900 emplois en Europe. « Au départ, il n’y avait pas d’autres informations, donc personne ne savait quelle filiale serait concernée par les licenciements », explique Mehmet Karaoglan, délégué CGT du fabricant de pièces pour moteurs thermiques, qui dispose d’entreprises dans plusieurs pays européens. Mais les signaux négatifs s’enchaînent à Haguenau depuis 2019, avec deux plans sociaux et une dégradation « constante » du dialogue social, selon Mehmet Karaoglan. « Tout nous donnait l’impression qu’on faisait forcément partie des 1 900 emplois à supprimer ».

Mais devant l’insistance des représentants syndicaux pour plus de précisions, la direction a fini par communiquer sur les filiales ciblées, et Haguenau ne devrait pas en faire partie. « Les plans sociaux concerneront l’Angleterre et l’Autriche, en tout cas dans un premier temps, confie le délégué syndical. Ça ne nous rassure, mais pas complètement, on sait bien qu’il y aura d’autres plans après ceux-là. On nous dit sans cesse, réunion après réunion, qu’on a du sur-effectif à l’usine ». La menace de la relocalisation pour les filiales de grandes multinationales étrangères n’est pas nouvelle, selon Olivier Delacourt, de la CFDT :

« Quand les temps sont difficiles, il y a souvent des réflexes protectionnistes chez les grands groupes. Et donc beaucoup de licenciements dans les filiales à l’étranger, par exemple en France pour les filiales de groupes allemands. C’est particulièrement le cas en ce moment. »

Les salariés en grève de l’usine Dumarey.Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg

Le fabricant de sièges pour véhicules utilitaires Isri, un groupe allemand, possède une filiale à Merkwiller, dans le Bas-Rhin. Selon Amar Ladraa, représentant CGT dans le Grand Est, il y règne une certaine angoisse face à la situation du marché de l’automobile en Allemagne :

« Il y a une dépendance évidente car ils ont perdu une commande importante de Renault en début d’année, qui s’est tournée vers l’utilitaire électrique. Comme beaucoup d’autres, l’entreprise a recours au chômage partiel depuis plusieurs mois à cause de la baisse d’activité. »

Diversification vitale

Mais la crise en Allemagne n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Le marché de l’automobile est en pleine mutation. L’échéance d’une interdiction des véhicules thermiques en Europe en 2035 se rapproche et la demande des constructeurs, clients des équipementiers et sous-traitants locaux, peine à s’adapter. « Les entreprises du secteur ont beaucoup de mal à s’aligner sur les prix de la Chine, estime Ludovic Party, directeur de l’animation de la filière automobile au Pôle véhicule du futur Bourgogne-Franche-Comté Grand Est :

« Parallèlement, on remarque qu’un certain nombre de PME n’ont pas réussi se diversifier comme il l’aurait fallu, à la fois pour réduire les risques et pour amorcer le virage de l’électrique. En gros, ce sont les chefs d’entreprise qui dépendent quasiment exclusivement de l’automobile thermique, qui sont aujourd’hui en première ligne face à la crise. »

Le fabricant de soupapes Tenneco, ex-Federal Mogul, basé à Schirmeck dans le Bas-Rhin, possède deux secteurs bien distincts : l’un pour les bateaux, qui profite de la bonne santé de l’industrie nautique, l’autre pour l’automobile thermique, bien moins fringant. « Cela fait un moment qu’on sait qu’il y aura de moins en moins de soupapes pour les voitures, et donc qu’on demande à la direction de faire autre chose, regrette Michel Aubry, délégué CFDT chez Tenneco Schirmeck :

« Mais le groupe n’a pas cette volonté, et on se retrouve aujourd’hui à être monoproduit, avec des machines qui ne serviront plus à rien bientôt et qu’on ne peut pas remplacer. »

L’usine regroupe aujourd’hui 180 employés, après en avoir compté 450 à la fin des années 90. L’activité n’a cessé de baisser depuis cette époque, passant de 23 millions de soupapes fabriquées en un an à 7,8 millions aujourd’hui :

« On a de la chance que le dialogue reste possible avec la direction locale, ce qui nous permettra, je l’espère, de lancer une fabrication de soupapes pour camions, ou par exemple dans le domaine de la petite marine. Au moins, ça repousserait l’échéance de la fin du thermique. »

La fin du chômage partiel de longue durée pourrait aggraver la crise

En revanche, l’échéance de la fin du contrat d’activité partielle de longue durée (APLD) elle, ne pourra être contournée. Tenneco, comme un certain nombre d’entreprises du secteur dont l’activité a fortement baissé depuis la crise du Covid-19, a eu beaucoup recours au chômage partiel partiellement financé par l’État pour survivre. Mais les contrats d’APLD ne peuvent durer plus de 36 mois, et la plupart arrivent à échéance entre fin 2024 et fin 2025. C’est le cas de Tenneco (en 2025), ou de Schaeffler, dès la fin 2024. « Le chômage partiel n’est de toute façon pas une solution à long terme mais c’est sûr que ça pourrait encore aggraver les choses pour nous en 2025, et sûrement encore en 2026 et en 2027 », estime le délégué syndical CGT Schaeffler Mehmet Karaoglan.

Selon Olivier Delacourt, de la CFDT, l’APLD agit encore comme un écran de fumée devant la réalité de la crise qui touche le secteur :

« Une entreprise comme Stellantis, à Mulhouse, repose en partie sur le chômage partiel encore aujourd’hui : une partie des salariés ne travaille qu’un ou deux jours par semaine. Ça leur permet de maintenir la tête hors de l’eau. En 2025, surtout au deuxième semestre, ce sera terminé. C’est là qu’on ressentira vraiment les effets de la crise. »

Dans un communiqué publié le 27 novembre, la CGT Grand Est estime que ce sont « plusieurs milliers d’emplois qui sont directement menacés dans la filière automobile » dans la région. Le syndicat appelle à une « mobilisation générale pour les emplois industriels » devant les locaux du Medef, le 12 décembre à Metz.


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