Vendredi 16 juin, Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg, son premier adjoint Alain Fontanel (LREM) ainsi que l’adjoint Paul Meyer (Coop.) se sont rendus sur le parvis de la Maison Rouge, place Kléber à Strasbourg, pour soutenir le projet de rénovation de ce bâtiment emblématique par son propriétaire, la société immobilière Jean-Louis Loeb-Picard. Petit problème, ce même parvis appartient toujours au domaine public, il est illégal d’y construire quoique ce soit avant un déclassement.
Un contentieux qui remonte à 1912
Ce n’est pas la première fois que la Maison Rouge projette de se rénover au détriment de l’espace public. En 1912 déjà, ce qui fût à l’époque un des hôtels les plus luxueux du centre-ville de Strasbourg avait fait la demande d’installer une terrasse. Cette demande refusée en 1912 puis acceptée en 1919, impliquait déjà l’occupation de l’espace public aujourd’hui surplombé par le centre commercial.
Le 1er décembre 1970, l’hôtel ferme définitivement. Trois ans plus tard, le 14 août 1973, la démolition commence et donne place à la Maison Rouge telle qu’elle existe aujourd’hui, pensée par l’architecte Herrenschmitt et construite de 1976 à 1978. Si, entre la démolition de l’hôtel et la construction du complexe commercial, trois années ce sont écoulées, c’est parce qu’à nouveau le problème de l’espace public du parvis s’était posé.
Le 8 janvier 1974, le tribunal administratif de Strasbourg donne raison à une association de riverains et surseoit aux permis de construire, ce qui aura pour effet de retarder de deux ans le début des travaux. Dans ses considérants, le tribunal administratif d’alors précise :
« Considérant d’autre part, que l’édification d’une construction surpomblant le domaine public, en avançant en partie jusqu’à cinq mètres, et prenant appui sur ce domaine aurait pour effet d’apporter à l’état des lieux des changements très difficiles à modifier en cas de d’annulation desdits permis […], que les conséquences de l’exécution des permis attaqués sont ainsi de nature à justifier une décision de sursis. Par ces motifs; il est sursis à exécution des deux permis de construire délivrés le 15 mars 1973 par le préfet du Bas-Rhin pour l’édification de deux constructions accolées place Kleber à Strasbourg […]. »
Finalement les travaux débuteront en 1976, « un massacre » de la façade wilhelmienne dont se souviennent les anciens strasbourgeois, difficilement imaginable aujourd’hui alors que la Ville s’enorgueillit de faire figurer des bâtiments similaires au patrimoine mondial de l’Humanité.
Un peu de place Kléber en moins
Le nouveau projet de rénovation prévoit d’annexer complètement l’espace surplombé par le centre commercial. L’agence d’architectes en charge du projet explique que « cette modernisation permettra de redonner une image attractive à la Maison Rouge dont le parvis était devenu triste et mal fréquenté. » Ils prévoient de privatiser cet espace, pour le transformer en un accès direct aux commerces.
Pour Edouard Loeb, directeur des immeubles Jean-Louis Loeb-Picard depuis 3 ans, la question de l’espace public est de l’ordre du détail et il préfère se concentrer sur le projet architectural porté par l’agence DRLW :
« On ne peut pas transposer des questions des années 70 à celles d’aujourd’hui. La place Kléber n’a plus rien à voir. De nos jours, la place est complètement piétonne et il faut donc absolument ancrer le bâtiment au sol de manière esthétique. En ce qui concerne le déclassement de l’espace public, toutes les démarches administratives seront réalisées. On n’est pas dans un projet qui permet la moindre approximation. »
Négociations avec la Ville et enquête publique
Les biens classés dans le domaine public sont inaliénables. Pour commencer cette rénovation, il faudra donc obligatoirement que l’espace soit déclassé, puis vendu par la Ville. Il existe deux conditions au déclassement des biens du domaine public. D’abord, il faut que le bien ne soit plus affecté à l’usage du public et ne remplisse plus sa mission de service public. S’agissant d’une bordure de la place la plus connue de Strasbourg, ce point sera délicat à mettre en oeuvre. Cet espace de quelques mètres, jugé « mal fréquenté » par la société immobilière, reste cependant un point de rencontre et d’abri pour les Strasbourgeois, comme un prolongement de la place Kléber.
Ensuite, un acte administratif de déclassement doit être pris, après une enquête publique, préalable à une délibération du conseil municipal. Comme pour toute procédure de ce type, les habitants et les riverains seront invités à s’exprimer sur ce morceau d’espace et leurs observations déboucheront sur un avis, consultatif, du commissaire enquêteur.
Nul mention de cette étape dans les communications du maire et des élus qui ont présenté le projet de rénovation, car comme l’explique Jean-François Lanneluc, directeur de cabinet de Roland Ries, cette enquête publique n’est qu’un détail administratif :
« Il y a des négociations en cours avec la société Jean-Louis Loeb-Picard pour céder cet espace, nous ne sommes pas encore tombés d’accord sur le prix. C’est assez normal dans ce genre d’opérations. Mais nous parviendrons à trouver un accord, je suis confiant. Quant à l’enquête publique, elle aura lieu et là aussi, je suis confiant sur son issue car la place Kléber est déjà un immense espace public et que le parvis n’apporte rien alors que le projet de rénovation redonne une cohérence au bâti. »
En 1973, la grue qui a démolit la Maison Rouge de 1928 avait été victime de sabotage.
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