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Placé en garde à vue avant de manifester, il doit laisser sa fille de 12 ans seule dehors

Samedi 12 décembre, le dessinateur Sylvain Moizie et sa fille de 12 ans se rendent à la manifestation contre la loi « sécurité globale ». Avant même de rejoindre le cortège, le père est placé en garde à vue. La petite Adèle passera près d’une heure, seule, sous la pluie, sur la place de la République.

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Placé en garde à vue avant de manifester, il doit laisser sa fille de 12 ans seule dehors

« Papa voulait me montrer qu’il y avait beaucoup de gens qui manifestent en ce moment. » Adèle a 12 ans. Samedi 12 décembre, 14 heures passées, son père l’emmène faire un tour en manifestation contre la loi « sécurité globale ». Arrivés à vélo sur le pont du Théâtre, devant la place de la République, ils sont fouillés par un gendarme.

(Dessin Sylvain-Moizie)

Sylvain-Moizie ouvre la petite poche de son sac à dos et découvre qu’il y a laissé quatre couteaux, trois type couteau-suisse et un quatrième, à cran d’arrêt et d’une douzaine de centimètres, acheté chez un coutelier. « Je devais les amener chez un ami qui avait acheté une meuleuse, je les avais complètement oubliés », explique-t-il. Le dessinateur s’apprête donc à renoncer à la manifestation et à rebrousser chemin, lorsqu’un autre gendarme lui demande d’avancer vers l’une des camionnettes des forces de l’ordre. Sylvain-Moizie obtempère et lance un « bouge pas je reviens » à sa fille. Il ne reviendra pas. Sa mésaventure lui a inspiré plusieurs dessins que nous publions ici.

« Personne n’a répondu à mes questions »

Les gendarmes lui demandent de donner tous ses objets (dont les couteaux, mais aussi une fourchette, un couteau en bois et ses clés). Puis Sylvain-Moizie est prié de s’installer à l’arrière de la camionnette. Le dessinateur pense devoir répondre à quelques questions avant de retrouver sa fille. Tout à coup, le véhicule se met en branle, direction le commissariat. Immédiatement, le père pense à sa fille et demande des explications aux deux agents à l’avant. « À partir de cet instant, personne n’a jamais répondu à mes questions », décrit-il. Adèle se retrouve ainsi avec deux vélos et le sac de son père, seule place de la République, sous la pluie.

En sortant de la camionnette, Sylvain-Moizie est menotté malgré son infirmité apparente : il utilise des béquilles depuis qu’il s’est fait renverser par une voiture qui lui a fracturé le tibia. Une fois au poste, un « chef » de police lui pose quelques questions d’identité. Il ne porte pas de masque. Le père d’Adèle évoque sa fille seule dehors. Le policier ne répond pas. Lorsque le téléphone du dessinateur sonne, le fonctionnaire de police le laisse décrocher. La seule faveur que lui accordera le policier :

« C’était Jeanne, ma grande fille, j’ai pu lui dire d’aller chercher sa soeur. Mais quand j’ai demandé à appeler leur mère, le chef m’a répondu “Ça va, on va pas appeler toute la famille non plus !” »

Au sous-sol, les geôles

Sylvain-Moizie est ensuite emmené au sous-sol et découvre les geôles du commissariat de Strasbourg. Il décrit une cellule « de deux mètres sur trois, avec des excréments partout sur les murs. Il y a des toilettes mais pas de papier. Une planche en bois permet d’essayer de dormir. Une lumière passe constamment à travers la porte, de sorte qu’on ne peut pas faire de différence entre le jour et la nuit. Il faut demander pour boire de l’eau ou se laver les mains et ils mettent parfois une heure à te répondre. »

(Dessin Sylvain-Moizie)

Ici aussi, le dessinateur comprend qu’il ne sert à rien de demander des explications. Alors il essaye de passer le temps au mieux. Quelques exercices et des étirements pour diminuer le stress. Sylvain-Moizie cogite sans cesse dans sa cellule. Il tente de comprendre ce qui l’a amené ici. La nuit est atroce. Il n’arrive pas à dormir. Dans la cellule voisine, une femme en état d’ivresse crie sans s’arrêter, « police fils de pute ! ».

« Une grosse erreur de discernement »

Il faut attendre le lendemain vers 11 heures, pour qu’un autre policier vienne enfin à la rencontre de Sylvain-Moizie en demandant : « Vous avez besoin de vos béquilles (ces dernières ont été gardées à l’extérieur de la cellule, ndlr) et votre fille est restée seule sur la place ? » Le dessinateur confirme et éclate en sanglots : « Oui, on a laissé une petite fille pleurer seule sous la pluie campée au même endroit ! » Le policier regrette d’emblée « une grosse erreur de discernement » avant de l’auditionner et de le laisser repartir. Jeudi 17 décembre, cinq jours plus tard, le Strasbourgeois n’a toujours aucun document indiquant le motif exact de son interpellation.

Suite à cette garde à vue de 20 heures, Sylvain-Moizie reçoit un appel de la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP) du Bas-Rhin. La DDSP accepte la demande de la mère, qui a proposé de faire visiter le commissariat avec Adèle. Cette dernière a ainsi découvert les locaux de police avec sa mère Marie, mercredi 16 décembre. « On sentait qu’ils étaient emmerdés avec cette histoire. Apparemment il y a eu un problème de communication entre le premier gendarme qui a fouillé et son chef », raconte Marie. Sa fille de 12 ans ajoute une autre explication entendue : « Apparemment, ils avaient peur que des parties rivales viennent se battre (sans doute lié à l’affrontement provoqué par des hooligans néonazis le 29 novembre, ndlr), donc ils avaient une consigne exceptionnelle pour embarquer en cas de doute. »

(Dessin Sylvain-Moizie)

Sur un gobelet, « votre sécurité, c’est notre priorité »

Sur la table de la cuisine, Adèle a posé les petits cadeaux reçus suite à la visite du commissariat : un beau livre de photos intitulé « La police », un policier en forme de porte-clé, un sac en tissu « devenirpolicier.fr », une gomme, des stylos et un gobelet « Votre sécurité, c’est notre priorité ». Mais la collégienne ne compte pas devenir policière. Elle préférerait devenir une « Arsène Lupine ».

Sylvain-Moizie s’estime victime d’un abus de pouvoir et d’une mise en danger de la vie d’autrui : « Me mettre en garde à vue était absurde, laisser ma fille de 12 ans seule dehors était inadmissible. »

La Direction départementale de la sécurité publique du Bas-Rhin n’a pas souhaité répondre à nos questions.


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