Rue89 Strasbourg : passer des classes de CP, CE1 ou CE2, à la photo à temps plein, comment cela s’est-il fait ? Pourquoi ce nouveau départ ?
Alexandre Papadopoulos : « Je suis né en Allemagne, mais j’ai grandi en Alsace et j’ai enseigné longtemps à Roppenheim. En parallèle, je fais de la photo depuis 1982. Je dessinais quand j’étais étudiant, mais j’ai découvert que la photo était plus rapide quand il s’agissait de fixer quelque chose. J’ai d’abord acheté un appareil photo argentique et du matériel de développement. J’ai testé la couleur, mais c’est le noir et blanc que j’ai décidé de pratiquer depuis. Actuellement, j’utilise un Olympus numérique de 2003.
Il y a trois ans, une fois mes enfants adultes, j’ai arrêté d’enseigner et je me suis lancé dans des projets photos. Depuis longtemps, je photographiais surtout des scènes de rues, à Strasbourg où ailleurs dans la région, mais en ne diffusant mes photos que de façon très ponctuelle, parfois dans la presse locale ou auprès d’associations, après des manifestations par exemple.
C’est grâce à la photo, aux rencontres qu’elle m’a permise, en plus de lectures, que je suis devenu militant, à Attac Strasbourg depuis 2004, mais aussi dans des collectifs contre le racisme d’Etat ou sur la question des migrants… La photo m’a permis d’approfondir mon regard sur les choses et sur les gens. »
Outre un projet photo autour du théâtre dans les communautés Emmaüs, vous vous êtes rapidement tourné vers l’agriculture. Comment avez-vous choisi les fermes à photographier ?
« Début 2014, après avoir fait des portraits de villageois et plusieurs autres choses, j’ai eu envie de me lancer dans un travail sur l’agriculture alsacienne. Même si j’avais une petite intuition sur ce que je voulais raconter, le sujet n’était au départ pas très précis. Ce n’est qu’au fur et à mesure que mon angle s’est affiné, pour concerner finalement les agriculteurs ayant fait le choix de modèles alternatifs.
Dans le village où je vivais, il y a avait 14 agriculteurs en 1990. Ils n’étaient plus que deux quand je suis parti [ndlr, le photographe s’est installé récemment à Mittelhausbergen, dans l’Eurométropole]. Ce qui m’intriguait aussi au départ, c’était les suicides chez les paysans, et plus généralement, la « condition agricole » aujourd’hui.
Endettement, prix en chute libre…
Pour démarrer, j’ai décroché mon téléphone et appelé un agriculteur que je connaissais à Oberroedern, Bernard Strasser, qui appartient à un GAEC (groupement agricole d’exploitation en commun) d’élevage bovin. C’est finalement le seul agriculteur en « conventionnel » que j’ai rencontré. Je l’ai trouvé très pessimiste, confronté à une forte concurrence, à des prix en chute libre et à un endettement important. Son activité était difficile à rendre en photo. L’agriculture productiviste, très mécanisée, c’est surtout des paysages vides ou des grosses machines. On a surtout affaire à des techniciens.
Puis, par une amie de la Confédération paysanne, j’ai démarché des paysans alsaciens en bio et biodynamie, en essayant de balayer tous les secteurs d’activité, le maraîchage, les céréales, l’élevage, la miellerie ou l’agriculture de montagne, afin d’avoir un panorama à peu près complet. »
En tant que photographe indépendant et surtout, sans antécédent ou commande précise, comment les agriculteurs vous ont-ils accueilli ?
« Quand je me présentais, on me demandait systématiquement « dans quel cadre » les photos seraient utilisées. J’ai dû rapidement réfléchir et m’orienter vers un projet d’exposition et de livre auto-édité.
Mais surtout, j’ai passé du temps dans la douzaine de fermes que je voulais photographier. Par exemple, je suis revenu plusieurs fois chez Arsène Bingert, producteurs de céréales et de choucroute à Erstein, avant qu’il ne devienne moins réticent au projet. Ce n’est que petit à petit aussi que j’ai convaincu Antoine Fernex de la ferme de Truttenhausen du sens de ma démarche. D’autres en revanche ont accroché tout de suite, comme Jean-Christophe Moyses à Feldkirch (Haut-Rhin), producteur de blé rustique.
« Ceux qui prennent leurs graines à pleines mains et ceux qui doivent mettre des gants »
Pour me faire accepter et bien comprendre l’activité des agriculteurs, j’ai participé à la vie de la ferme, en y allant parfois plusieurs jours d’affilée ou toutes les semaines, comme chez Rémi Picot à Pfaffenhoffen, dans son élevage ovins de La Bergerie. Chez lui, j’ai beaucoup appris, sur la biodynamie, les outils, les techniques… »
Quel regard portez-vous, après ce travail, sur l’agriculture alsacienne ?
« D’abord, je n’ai pas découvert l’agriculture, mais des agriculteurs. Ce qui m’a intéressé, c’est leur lien à la plante, aux animaux. Ce rapport est différent quand on est en conventionnel et qu’on ne peut toucher les graines de maïs qu’avec des gants parce qu’elles sont enrobées de pesticides, ou quand on peut, en bio, les prendre à pleines mains.
Et puis, je me suis finalement concentré sur ceux qui font autrement, qui ont, à un moment donné de leur parcours, été en rupture avec leur environnement familial, professionnel ou social. Et ce ne sont pas les plus nombreux. Leur métier demande de la passion, de ne pas compter ses heures, d’être multitâche. Il y a aussi la question de la reprise des exploitations (voir encadré), de la formation, avec la venue de nombreux stagiaires… En bio, l’agriculture nécessite beaucoup de main d’œuvre, ce qui fait du secteur un vivier d’emplois ! »
Alexandre Papadopoulos exposera ses photos en avril à la fête de l’agriculture paysanne chez Rémi Picot, puis à la médiathèque de Geispolsheim.
Fermes alsaciennes en images
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