Dans les champs autour de Pfettisheim, dans le Kochersberg, l’air du printemps est frais et sec. Sous un ciel bleu lumineux, c’est un temps parfait pour récolter l’asperge. Elles poussent sur les parcelles cultivées par Dominique Lux, dont c’est la production principale depuis qu’il a repris la ferme de ses parents en 1986.
Des lignes de monticules de terre bâchées s’étendent à perte de vue autour du village, seulement arrêtés par le chantier de l’autoroute du GCO. Il y en a pour 35 hectares à récolter cette année, avec sous chaque monticule, 4 à 8 000 kilos d’asperges blanches par hectare.
Mais Dominique Lux est inquiet. Parmi les 55 saisonniers polonais et roumains qu’il mobilise chaque année, seuls huit ont fait le déplacement. Les autres ont préféré rester à l’écart de l’Alsace, dont la réputation comme foyer endémique du coronavirus s’est répandue en Europe :
« Ils ont peur et je ne peux pas leur en vouloir. Ce sont des gens qui viennent depuis 10 ans, 15 ans, chaque année et qui triplent leurs salaires habituels en travaillant chez nous. S’ils choisissent de ne pas venir, c’est qu’ils ont leurs raisons. »
Payés au Smic, les saisonniers étrangers sont en outre hébergés par l’exploitant, dans des chambres de 4 situés sur l’exploitation. Ils travaillent dans les champs de 7h à 13h voire 15h, en fonction de leur technique. Les rares saisonniers d’Europe de l’Est qui ont bravé les informations alarmantes pour la saison se repèrent bien dans les champs, ils ont 50 mètres d’avance sur les Alsaciens et leurs cageots sont remplis d’asperges plus longues.
Car c’est tout le problème de Dominique Lux, un bon cueilleur d’asperges se forme en plusieurs saisons :
« On a beau expliquer, ça ne sert à rien. Il faut avoir le coup de main. Il faut sentir la taille de l’asperge en plantant la gouge, la dégager sans l’abîmer et la sortir sans la casser. Ce savoir-faire ne peut que se transmettre… »
Résultat, même si des Alsaciens sont venus suppléer les saisonniers d’Europe de l’Est, Dominique Lux est dans l’incapacité de les former. Ils sont vétérinaires, cuisiniers, animateurs périscolaires, étudiants ou au chômage et appartiennent au cercle de connaissances étendu de Dominique Lux :
« Je ne peux accueillir qu’une vingtaine de débutants au maximum. Mais la plupart sont surtout motivés par l’envie de sortir du confinement, ce qui nous inquiète un peu. Surtout, ils produisent des asperges plus courtes et l’an prochain, ils ne reviendront pas… Nous les formons en pure perte. J’estime qu’on va perdre entre 60 et 80% de la récolte habituelle cette année. »
Cette saison, la ferme produit environ 500 kg d’asperges par jour quand elle devrait en sortir 5 000 ! En aménageant le bâchage, Dominique Lux a anticipé la crise, retardant au maximum la pousse des asperges mais selon ses prévisions comptables, il lui faudra une dizaine d’années pour rattraper la perte de chiffre d’affaires de cette saison.
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