Samedi 25 mai vers 19h, alors que le Pelpass festival bat son plein, Jérémie Fallecker, le directeur artistique de l’association organisatrice, raconte à quelques proches : « Vous voulez une anecdote de festival ? Le coffre du fourgon des Dr Sure’s Unusual Practice est bloqué. On a dû passer par l’avant en fracturant une vitre pour sortir leurs instruments. On aura peut-être 15-20 minutes de retard sur l’horaire. »
Ce n’était pas la pire galère de cette huitième édition. Rencontrés après quelques jours de repos, François-Xavier Laurent et Jonathan Metz, respectivement responsable de la communication et coordinateur du festival, parlent d’emblée de l’édition la plus difficile qu’ils ont vécu depuis que le festival existe en 2017.
« Quand on a commencé le montage vendredi 17 mai, se souvient François-Xavier Laurent, il a plu de 8h à 20h sans discontinuer. » L’espace technique, prévu pour accueillir les bénévoles et les stocks, « c’était un étang, il y avait des canards qui y faisaient leur vie quand on est arrivé. »
Un poids lourd enlisé dans la boue
Tous les trajets sur le site sont devenus beaucoup plus difficiles. Mais surtout « mardi, alors qu’on était tous déjà bien fatigués, au moment de monter les chapiteaux, un poids-lourd s’est enlisé dans la boue près de la petite scène », se souvient Jonathan Metz :
« C’était pile au niveau du seul accès disponible à cet endroit et au moment des livraisons ! On a mis quatre heures à le sortir. On a essayé avec des plaques de roulage, impossible. Il a fallu le tracter avec un chariot élévateur, un véhicule heureusement tout terrain. Mais tout le planning de montage des chapiteaux a dû être décalé. Les circassiens embauchés pour cette tâche devaient finir à 16h, résultat ils ont commencé à 16h… »
D’autant que plusieurs incertitudes étaient déjà au programme du montage. Tous les deux ans, Pelpass ajoute des nouveautés, comme l’explique Jonathan Metz : « On ajoute des éléments, puis on stabilise l’année suivante et on recommence. » Cette année, Pelpass avait notamment obtenu l’extension du périmètre, avec l’agrandissement de la Militente qui est devenue un troisième chapiteau.
Terrain détrempé, galère infinie
« Mais on ne pouvait pas planter de pieux à cet endroit, reprend Jonathan. Donc il fallait lester les cordes du chapiteau, ce qui suppose d’amener des lests en béton de 500 kg, par camion. C’est déjà beaucoup plus long et compliqué en termes de logistique, mais alors si le terrain est détrempé, c’est une galère infinie. »
« Pour installer ces lests, il a fallu l’aide d’un Manitou (du nom de la marque des chariots élévateurs, NDLR), mais avec ses grosses roues sur la boue, toute la zone près de la Militente s’est transformée en mare, précise François-Xavier. On essaie de préserver les lieux où on s’installe mais là, tout était retourné après le passage du Manitou. » Heureusement, les services de la Ville de Strasbourg « se sont montrés compréhensifs », selon François-Xavier qui rappelle qu’il faut remonter jusqu’en 1922 pour trouver autant de pluie en mai à Strasbourg.
Toute la circulation des véhicules sur le site a été perturbée. Jonathan se souvient d’un « camion de 20 mètres cubes, conduit par des bénévoles. Ils étaient partis le matin quand c’était sec. Au retour, ils reviennent manœuvrer au même endroit sauf qu’il y a de la boue partout. Là encore, il a fallu faire appel au Manitou pour le dégager. »
« Et comme une galère n’arrive jamais seule, pointe Jonathan, on a aussi eu des grosses pannes de Manitou. Huit sur les deux engins que nous avions loués. »
17 km par jour, dans la boue
Plus de 500 bénévoles ont été mobilisés sur l’ensemble du festival. Pour chaque jour de montage, 30 à 80 d’entre elles et eux sont nécessaires sur le site. En raison des conditions météo, François-Xavier et Jonathan se souviennent d’avoir vu des bénévoles épuisés, voire blessés. François-Xavier précise :
« Tout est plus difficile et plus fatiguant quand il pleut. Personnellement, je marche 17 km chaque jour de festival. Heureusement, j’avais de grosses bottes de pluie. Mais certains bénévoles avaient les pieds tellement trempés qu’ils se sont retrouvés avec des cloques. »
Le moral des bénévoles en a pris un coup. « Quand tu termines la journée et qu’il a fait beau, les gens restent pour un petit verre, remarque François-Xavier. Mais là quand on déclarait la fin du chantier, tout le monde rentrait se mettre au sec et au chaud. » Jonathan se souvient avoir utilisé tous ses vêtements disponibles dans cette odyssée : « Ils étaient couverts de boue. Je faisais des machines tous les jours. J’ai jeté deux paires de chaussures, devenues inutilisables. »
Des pièges derrière les barrières
Les lieux de passage des flux logistiques se sont transformés en pièges. « On mettait des plaques de roulage, mais il y avait tellement d’eau qu’elles flottaient, précise Jonathan. Et quand tu mettais le pied dessus, elles disparaissaient sous la flotte. Pareil pour les câbles, à certains endroits ils étaient carrément enterrés. »
Malgré tout, les bénévoles ont tenu le coup et toute l’équipe a réussi à ouvrir le festival à temps. Contrairement aux Pelouses sonores ou le Jardin du Michel à Nancy, le Pelpass festival n’a pas été annulé et a même réussi à se tenir entre les gouttes. « C’était à peu près sec vendredi et samedi », positive François-Xavier.
Les toilettes sèches ne l’étaient plus tellement mais surtout elles avaient tendance à s’enfoncer dans le sol, ce qui a rendu les changements des seaux délicats. « Mais les gens de Nigloo ont su s’adapter à grands coups de pelles, remarque François-Xavier. En fait, on s’est tous adaptés en permanence ! »
Juste devant la Militente, une mare de boue s’était formée. Pour que les festivaliers ne se mouillent pas trop les pieds, il a été décidé d’y étendre de la paille. L’équipe est parvenue à faire livrer en urgence des bottes de paille en provenance d’un agriculteur de Niedernai mais la Ville de Strasbourg a imposé que toute paille posée devait être récupérée. Résultat : de grands moments de pelletage de paille mouillée après le festival.
Un appel au secours pour le démontage
Car ce sont les jours de démontage qui ont été les plus difficiles. « L’an dernier, nous avions fini le démontage et la remise en ordre du site le mercredi soir, se souvient François-Xavier. Là, le mercredi soir, on s’est rendu compte qu’il restait encore plein de matériel à démonter et à ranger. »
« Il restait toutes les structures pour les bénévoles, toutes les structures des bars, les frigos, pointe Jonathan. Et tous les rideaux de scène étaient mouillés. Or ce n’est pas possible de les laisser comme ça, faut absolument les faire sécher et ça pèse 200 kg ! » Ils ont trouvé refuge au PréO d’Oberhausbergen, qui a prêté les perches de sa scène.
« Tout a pris énormément de temps parce qu’on ne pouvait plus aller en camion sur le terrain », reprend Jonathan. François-Xavier se souvient de déménagements épiques :
« On était quinze à pousser une remorque. On s’est mis d’accord sur le chemin… Il y avait un plot pour repérer une mare. Il fallait l’éviter et ne surtout pas s’arrêter avant d’arriver sur le chemin ! On savait qu’on n’avait qu’une chance ! »
La fatigue aidant, une passation des clés d’un local sécurisé a été oubliée le mardi soir. Il a fallu aller les chercher au domicile d’un agent de sécurité, qui a dû lui même aller les retrouver dans la voiture de sa femme partie travailler ! « Encore une demi-journée de perdue », se rappelle Jonathan, qui en rit désormais.
Malgré tout, l’équipe des bénévoles est restée soudée, pointe Jonathan, « même s’il y a eu des désistements. Ce qui est tout à fait normal. » Face à l’ampleur du travail qui restait à faire mercredi soir, l’équipe a fait un appel à de nouveaux bénévoles, appel largement relayé sur les réseaux sociaux. « Une vingtaine de personnes ont répondu, précise François-Xavier. Et ça nous a fait chaud au cœur parce que c’était des gens frais et motivés, alors que nous avions déjà vécu dix jours de ce régime… »
Une édition « probablement déficitaire »
Grâce à de très bonnes préventes, la fréquentation du festival 2024 s’est établie à près de 12 000 personnes, un millier de plus que celle de l’an dernier. Mais les conditions météo ont eu un impact négatif sur la consommation des festivaliers, ce qui devrait se ressentir dans le bilan financier du festival.
« On sera probablement déficitaire en 2024, estime Jonathan Metz. On ne sait pas encore dans quelle proportion. » Les conditions météo n’ont pas provoqué d’importants frais supplémentaires : « Quelques jours de location en plus, quelques frais de nettoyage supplémentaires, l’achat de la paille, etc. »
Néanmoins, la nouvelle configuration du site à trois chapiteaux a été jugée convaincante par l’équipe de Pelpass qui espère une édition 2025 « de stabilisation » avec, c’est promis, « plus de jours dédiés au montage et au démontage. »
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