Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Transformée en société, L’Illiade devra devenir rentable

C’est une première en France pour une salle de spectacle municipale, L’Illiade bascule en société publique locale (SPL). Le but, d’après la municipalité, est de gagner en souplesse de gestion. Mais la structure devra devenir rentable. Avec le manque de recul sur ce type d’expérience et le flou juridique qui règne encore autour du dossier, certaines questions et inquiétudes sur la viabilité du projet grandissent.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89 Strasbourg, abonnez-vous.

Transformée en société, L’Illiade devra devenir rentable

(Photo : strasbourg.eu)
Le début d’une nouvelle ère pour l’Illiade (Photo : strasbourg.eu)

Depuis juillet, une nouvelle société a fait son entrée au registre du commerce de Strasbourg, la « SPL Illiade ». Cette nouvelle structure reprend toute l’activité du centre culturel d’Illkirch-Graffenstaden qui était alors une régie municipale, c’est à dire une extension des services de la Ville. Si d’autres établissements sont déjà passés d’une régie à une société d’économie mixte (SEM), il n’existe pas de précédent en France vers des sociétés publiques locales (SPL).

D’ailleurs, d’autres directeurs d’espaces culturels regardent avec attention l’expérience alsacienne, raconte Jean-Louis Kircher, directeur de L’Illiade :

« Je reçois des coups de fils de beaucoup de collègues ailleurs en France. Ils me demandent comment ça marche. J’étais même invité au festival de la marionnette de Charleville-Mézières pour témoigner sur la SPL, mais je manquais d’éléments pour répondre aux questions. C’est très exaltant puisqu’il s’agit de créer une structure, comme s’il s’agissait d’une entreprise sauf qu’elle reste entièrement contrôlée par la Ville. Il faut mettre en place une gestion, un système informatique, nouer des contrats, etc. »

L’Illiade doit désormais être rentable

Depuis la création des sociétés publiques locales en 2010, elles se multiplient : en 2013 on en comptait 110 en France. À mi-chemin entre droit privé et droit public, elles sont gérées comme une société commerciale avec une assemblée d’actionnaires (deux au minimum) et un conseil d’administration composé d’élus de collectivités. En l’occurrence pour L’Illiade, la Ville d’Illkirch-Graffenstaden détient 98% du capital de la société, constitué de 200 000€, les communes d’Eschau et de Geispolsheim, villes partenaires de L’Illiade pour l’accueil de spectacles, en ont 1% chacune. Une convention régie les relations entre les communes et L’Illiade, qui se retrouve dans le rôle d’un attributaire d’une délégation de service public sans qu’il y ait besoin d’un appel d’offres.

Avec la baisse des dotations de l’État aux collectivités locales (400 000 euros de moins en 2015 pour Illkirch-Graffenstaden), la SPL peut être un bon moyen pour une ville de réduire ses charges liées à la culture. Mais pour le maire (PS) d’Illkirch-Graffenstaden, Jacques Bigot, ce n’est pas les économies qui justifient la création d’une SPL pour L’Illiade :

« La SPL permet une souplesse que nous n’avions pas dans la gestion publique. Pensez que chaque année, le programme de la saison culturelle devait  être approuvé par le conseil municipal, de même que pour chaque venue d’artiste… Et puis de nombreuses dépenses, dont celles du personnel, de l’entretien, etc. sont incluses dans le budget global de la Ville. Avec cette transformation en SPL, nous aurons une bien meilleure visibilité sur le budget de fonctionnement de cet équipement, et L’Illiade y gagnera en agilité même si le centre culturel restera complètement contrôlé par la Ville. »

Maintenant devenue une SPL, L’Illiade va devoir gérer son propre budget, en équilibrant dépenses, recettes et une part d’investissement. La Ville a débloqué 450 000€ pour finir l’année mais prévoit une subvention annuelle de 1 846 850€ pour 2015, un montant qui inclut la création de la Vill’A, une maison d’enseignement et de pratique des arts qui devrait ouvrir ses portes au 1er septembre. Pour atteindre les 2 917 500€ du budget 2015, L’Illiade devra compter sur la billetterie, les rentrées du bar, qui ne profitera plus aux associations d’Illkirch-Graffenstaden, et trouver d’autres projets commerciaux.

Louer les salles aux entreprises

Ainsi L’Illiade prévoit de louer directement ses salons aux entreprises et aux particuliers, le mécénat sera également développé. Jean-Louis Kircher, directeur de la structure depuis 1995, espère beaucoup de cette transformation :

« Notre statut de régie municipale devenait lourd à gérer, on ne pouvait même pas changer le prix d’un soda au bar sans passer par le conseil municipal ! Aujourd’hui, on pourra même faire appel à des traiteurs par exemple, pour proposer aux spectateurs une vraie soirée plutôt que simplement un spectacle. On a aussi fait le constat qu’on ne pouvait plus continuer avec une subvention fixe, ce qui revenait à diminuer peu à peu la marge de manœuvre tous les ans puisque les charges augmentent mécaniquement. La création de la SPL nous permettra d’avoir des ambitions, à condition de trouver d’autres sources de financement. »

Changement notable pour le public, la billetterie n’est plus ouverte que l’après-midi du mardi au samedi, alors qu’elle était auparavant accessible tous les jours de la semaine dès 9h, ce qui n’a pas manqué d’être relevé par les habitués. D’autres se sont plaints que les prix des cours de l’école de musique et de danse, qui ont vocation à être gérés par la SPL, ont plus que doublé depuis la rentrée, comme l’explique Thibaud Philipps, conseiller municipal (UMP) d’opposition :

« En mai, le conseil municipal a voté une augmentation des tarifs pour les cours de musique et de danse. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il s’agissait de préparer la rentabilité de la SPL. C’en est terminé des cours subventionnés. Certaines familles voient leurs factures passer de 500€ par année par enfant à 1 100€ ! Or comme la Vill’A n’est pas encore construite, les élèves ont encore des cours avec des équipements fatigués. Cette SPL a été créée dans la précipitation. »

Le personnel passe du droit public au droit privé

Mais pour le principal syndicat des agents de la Ville d’Illkirch-Graffenstaden, la principale préoccupation a été le personnel qui, dans la SPL, relève du droit privé alors que les employés étaient soit fonctionnaires soit contractuels de la fonction publique.

Sur la quinzaine d’employés, cinq fonctionnaires ont choisi de garder leur statut et seront « mis à disposition » de L’Illiade pendant trois ans, huit contractuels qui étaient en CDD ont choisi de passer en CDI de droit privé au sein de la SPL. La principale interrogation restait de savoir si un fonctionnaire, mis à disposition d’une SPL, pouvait faire partie des représentants du personnel. Ce qui semble pouvoir être le cas, selon Axel Greleau, de la Fédération des entreprises publiques locales :

« Qu’il soit détaché ou mis à disposition, le fonctionnaire reste un salarié à part entière et à ce titre, il peut aussi bien faire parti d’un syndicat qu’être élu parmi les représentants du personnel. »

Pour Philippe Krauss, délégué syndical Unsa des agents d’Illkirch-Graffenstaden, le « maximum » a été fait pour que cette transformation ne pénalise pas les employés :

« Le passage en SPL est une décision politique, on ne peut pas s’y opposer. Mais on a eu un bon dialogue social qui a permis aux fonctionnaires qui souhaitaient garder leur statut de le faire et aux contrats précaires de disposer d’un CDI. Sur le reste, on n’a pas assez de recul puisque les SPL sont des statuts récents mais on restera vigilants. »

Selon le syndicaliste, cette transition n’a pas provoqué d’opposition au sein de L’Illiade. En particulier, l’Unsa n’a pas relayé les critiques qui sont régulièrement opposées aux SPL, à savoir qu’il s’agit de structures qui reçoivent de l’argent public sans pour autant de mise en concurrence de leurs missions. Pour certains, les SPL faussent la concurrence, voire un appel au délit de favoritisme.

Quant aux vacataires, des étudiants en majorité, chargés de l’accueil des artistes et du public, ils ont signé de nouveaux contrats, des contrats à durée indéterminée intermittents (CD2I) qui permet de faire appel à eux, à temps partiel, sur la durée d’une saison culturelle. Au final, Jean-Louis Kircher estime que la SPL accueillera une quarantaine d’équivalents temps plein à la rentrée 2015.

(Édité par Pierre France)

Aller plus loin

Le site de L’Illiade

Sur Collectivités-Locales.gouv.fr : les sociétés publiques locales


#culture

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Partager
Plus d'options