Pour faire simple, les eurodéputés débattent à Bruxelles des politiques à mener dans l’Union européenne (UE). Puis ils se réunissent quatre jours par mois à Strasbourg pour les votes formels, on appelle ça la « session plénière ».
D’où cette question simple : mais que se passe-t-il dans l’enceinte du Parlement européen de Strasbourg 26 jours sur 30 ? Nous ne pensions pas qu’il serait aussi difficile d’obtenir une réponse.
Plus de trois mois pour recevoir un début d’explication
Le 27 novembre 2018, nous avons un premier contact avec la direction générale de la communication du Parlement européen. Nous apprenons que près de 250 personnes travaillent en permanence à Strasbourg, même quand les eurodéputés sont à Bruxelles. Voilà qui éveille notre curiosité.
Dans la foulée, nous demandons à la personne que nous avons au téléphone de pouvoir venir visiter le Parlement hors-session (quand les eurodéputés ne sont pas là). Notre but étant de rencontrer celles et ceux qui y travaillent en permanence pour comprendre leurs rôles. On nous demande de « résumer notre demande par mail. »
Deux jours plus tard, nous recevons une réponse. Notre demande de visite n’est même pas évoquée. On nous explique juste brièvement que les personnes qui travaillent en permanence à Strasbourg s’occupent de l’accueil des visiteurs, de l’entretien du bâtiment et de la sécurité. Merci mais c’est un peu léger pour en faire un article.
Mais nous ne nous décourageons pas, nous multiplions les e-mails et les coups de téléphone au Parlement. Nos requêtes sont sans cesse renvoyées de services en services, entre Strasbourg et Bruxelles, personne ne semble être en mesure de répondre à cette simple question : que se passe-t-il hors des sessions ? Ces allers-retours durent plus de trois mois, jusqu’à un beau un jour de mars. Le 7 exactement.
Une visite du Parlement mais sans pouvoir discuter avec les employés
Début mars, nous recevons un appel de Daniela Senk, chargée de communication au Parlement de Strasbourg. Elle reconnait que personne, ni à Strasbourg, ni à Bruxelles, ne sait vraiment comment traiter notre demande. Tout le monde se renvoie la balle. En règle générale, les journalistes n’ont pas le droit d’entrer au Parlement hors-session, mais Daniela Senk accepte quand même de nous recevoir le 20 mars.
Le jour de l’interview, on nous fait tout de suite comprendre qu’il ne sera pas possible de rencontrer des employés du Parlement, pas même les chefs de service. On nous dit que ce n’est pas dans les habitudes de la maison et que la communication est très encadrée « à cause, de toutes les fausses informations qui circulent sur l’Union européenne vous comprenez… »
Comme nous avons un côté têtu, nous sommes tout de même entrés en contact avec certains employés du Parlement à Strasbourg, en dehors des murs. Mais aucun n’a accepté de nous parler de son travail 26 jours sur 30, même sous couvert d’anonymat, par peur d’être reconnu.
Combien de personnes travaillent dans chaque service alors ? Ça n’a pas non plus été possible de le connaitre. On nous a expliqué que ce chiffre varie beaucoup car le Parlement fait appel à des contractuels et que les fonctionnaires peuvent être contraints de bouger entre Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg (le troisième siège officiel du Parlement européen).
Enfin, on nous a expliqué que certains services, comme la sécurité, sont sensibles et que, compte tenu du risque terroriste, il n’est pas possible de « publier des informations trop précises sur les effectifs vous comprenez… » On commence à comprendre.
Une vingtaine de personnes travaillent à faire de Strasbourg la vitrine de l’Europe
Outre les quelques 250 employés du Parlement à Strasbourg, le seul chiffre que nous avons pu obtenir est celui du personnel chargé de développer les liens entre les citoyens et les institutions européennes. Une vingtaine d’employés travaillent à cela en permanence à travers différents projets.
Par exemple, depuis l’année dernière, n’importe qui peut visiter le Parlement européen en s’y rendant spontanément, sans inscription préalable. Entre 2017 et 2018, le nombre de visiteurs est passé d’environ 92 000 à un peu plus de 138 000. Au fil de la visite, des vidéos et des écrans interactifs expliquent ce que l’UE, et notamment les eurodéputés, font au quotidien pour l’Europe.
Autre signe d’ouverture en direction des citoyens, le Parlement de Strasbourg accueille désormais des conférences d’ONG à but non-lucratif en rapport avec l’Europe. Il y en a eu 28 en 2018.
Enfin une des activités historiques du Parlement européen à Strasbourg est l’organisation d’Euroscola. Depuis 1990, des milliers de jeunes issus de tous les États membres prennent part chaque année à des simulations du Parlement européen pour en comprendre le fonctionnement. Le projet a rassemblé plus de 9 500 participants en 2017.
Ces différents projets visent aussi à donner une raison d’exister au Parlement de Strasbourg face à ceux qui revendiquent un siège unique du Parlement européen à Bruxelles.
Un bâtiment sous haute-sécurité
Impossible donc de savoir combien de personnes sécurisent en permanence le Parlement à Strasbourg. Leur rôle est évidemment de surveiller tous les accès et de contrôler toutes les personnes qui y entrent, mais pas uniquement. Lorsqu’une entreprise extérieure intervient pour, par exemple, effectuer des réparations, les sous-traitants sont en permanence surveillés par un agent de sécurité. Si du matériel de chantier entre et sort chaque jour du Parlement, il est contrôlé à chaque fois. Une équipe de pompiers est également présente sur place 24h/24.
Chaque mois, des dizaines de personnes préparent l’arrivée des eurodéputés
L’organisation logistique du Parlement est réglée au millimètre. Tout doit être prêt pour le début des sessions parlementaires. Certains employés s’occupent de réceptionner les dossiers des eurodéputés. En effet, avant de partir de Bruxelles, les élus européens envoient leur matériel de travail par camion à Strasbourg car toutes les données ne sont pas encore numérisées.
D’autres personnes gèrent les travaux de maintenance du quotidien, qui ne nécessitent pas l’intervention d’entreprises extérieures. Ces employés sont responsables de l’éclairage, de la sonorisation, ou encore du réseau informatique. Il y a également ceux qu’on appelle au Parlement les « déménageurs ». Ils s’occupent de l’aménagement des lieux de travail, de déplacer les meubles (chaises, tables, bureaux, etc.) en fonction des besoins.
Le courrier est réceptionné et distribué dans les différents services par des personnes spécialement habilitées à le faire. Enfin, un service de restauration est présent sur place pour les employés et les visiteurs.
Certains assistants parlementaires travaillent à Strasbourg plutôt qu’à Bruxelles
Chaque eurodéputé est aidé dans son travail par des assistants parlementaires. La plupart d’entre eux sont aux côtés des élus à Bruxelles pour les épauler au quotidien. Mais ce n’est pas une obligation. Les assistants parlementaires peuvent exercer leur fonction dans un des trois établissement du Parlement européen (Bruxelles, Strasbourg ou Luxembourg). Mais pourquoi certains restent-ils en permanence à Strasbourg loin de Bruxelles et des autres institutions européennes ?
Collaborateur de l’eurodéputé Aymeric Chauprade (membre du groupe parlementaire eurosceptique EFD), cet assistant parlementaire qui veut rester anonyme déclare :
« Travailler depuis Strasbourg, c’est une manière de militer pour que le siège du Parlement reste en France. Il faut aussi dire qu’on a une bien meilleure qualité de vie à Strasbourg qu’à Bruxelles. Et surtout, ici on n’est pas dérangé toutes les trente secondes par les lobbyistes qui viennent toquer à votre bureau ! »
Un constat que relativise une des assistantes de l’eurodéputée Anne Sander (PPE) :
« Avec tous les moyens de communication, les lobbyistes vous contactent que vous soyez à Bruxelles ou à Strasbourg. Si c’est si important pour Anne Sander d’avoir en permanence quelqu’un à Strasbourg, c’est en signe d’ouverture, pour montrer que le Parlement n’est pas fermé trois semaines sur quatre. C’est essentiel pour elle d’avoir quelqu’un ici qui puisse accueillir les citoyens. C’est ce que je fais régulièrement en recevant des groupes pour leur expliquer notre travail et le rôle du Parlement. »
Sur plus d’une centaine d’eurodéputés appelés au hasard pour savoir si certains de leurs assistants parlementaires travaillent à Strasbourg, l’immense majorité ne savait même pas que cela était possible. D’autres ont bien des collaborateurs à Strasbourg mais tous, à ces deux exceptions près, ont refusé de nous parler.
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