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Importante mobilisation lycéenne et « guerre des images » : compte-rendu de la dixième manifestation
Pour la dixième journée de grèves et de manifestation contre la réforme des retraites, la rédaction de Rue89 Strasbourg a rendu compte en direct des actions, défilés et blocages organisés.
C’est la fin de ce direct, merci à vous de l’avoir suivi. Voici les informations principales à connaître sur cette 10e journée de mobilisation contre la réforme des retraites :
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Selon nos estimations, près de 12 000 personnes ont manifesté mardi 28 mars à Strasbourg. La préfecture du Bas-Rhin avance le chiffre de 6 500 participants, l’intersyndicale en a compté 20 000.
Au contraire des précédentes journées de mobilisation, aucun bâtiment universitaire n’a été bloqué ce matin. Dans la matinée du 27 mars, le Palais universitaire était fermé du fait de la mobilisation étudiante.
Une manifestation contre la réforme des retraites a rassemblé une cinquantaine de personnes dès 8 heures à Wissembourg. Ces dernières ont mis en place un barrage filtrant au niveau du rond-point de la rue Bannacker.
Suite à la manifestation déclarée à Strasbourg, plusieurs centaines de manifestants, dont de nombreux lycéens, ont continué de sillonner la ville, de Gallia à République, puis vers le campus central. À nouveau, des dégradations ciblées ont touché les panneaux publicitaires, les abribus et les banques.
Mediapart a révélé que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a déclaré la « guerre des images » et demandé aux préfets de filmer l’action des forces de l’ordre. L’objectif : contrer les nombreuses violences policières filmées lors des dernières manifestations contre la réforme des retraites ou lors de la manifestation contre le projet de mégabassine de Sainte-Soline. À Strasbourg aussi, Rue89 Strasbourg a constaté qu’un policier était muni d’une caméra.
Plusieurs interpellations ont eu lieu dans la soirée, dans le quartier de l’Orangerie et autour du campus central.
À quelques heures de la 10e journée de mobilisation contre la réforme des retraites, le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger a proposé de mettre en place « un processus de médiation » et un temps de « pause » de la réforme. Les réactions syndicales locales sont plus que mitigées. Reportage de Maud de Carpentier à lire demain matin sur le sujet !
Maud de Carpentier, Camille Gantzer, Roni Gocer et Thibault Vetter étaient sur le terrain cet après-midi jusqu’au début de la soirée pour vous rendre compte de la manifestation.
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Au moins quatre interpellations ont eu lieu dans le quartier Orangerie.
Les forces de l’ordre restent déployées sur l’avenue de la Victoire et avancent en direction du campus central :
Un groupe de manifestants se trouve toujours sur le campus central de l’Université de Strasbourg. Il vient d’essuyer des tirs de grenades lacrymogènes par des policiers positionnés dans les rues autour.
Suite à la scission de la « manifestation sauvage », l’une d’entre elles a pris fin après dispersion par les forces de l’ordre selon les Dernières Nouvelles d’Alsace. Notre reporter sur place indique qu’un autre cortège est toujours mobilisé sur le campus central. Il essuie actuellement des tirs de grenades lacrymogènes.
Le cortège de la « manifestation sauvage » a été scindé suite à l’utilisation de gaz lacrymogène en grande quantité.
« Préparez la guerre des images. » Comme l’a révélé Mediapart lundi, le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets de « filmer au maximum » l’action des forces de l’ordre de police et de gendarmerie pour être prêts à « répliquer ». Enregistrement des menaces et autres propos racistes de la BRAV-M, deux personnes dans le coma et de nombreux blessés suite à la manifestation à Sainte-Soline (lire les témoignages d’Alsaciens de retour de la contestation du projet de mégabassine)… Gérald Darmanin fait en effet face à une multiplication des vidéos de violences policières sur les réseaux sociaux.
Plus d’une heure avant la fin de la manifestation déclarée, un important cortège de jeunes continue de sillonner la ville en reprenant ici le slogan des Gilets jaunes : « On est là, on est là, même si Macron le veut pas nous on est là ».
Sur l’itinéraire de cette manifestation non-déclarée, de multiples dégradations sont commises. Elles visent quasi-exclusivement les banques, les abribus et les panneaux publicitaires JC Decaux.
Notre reporter sur place souligne le grand nombre de manifestants présents au-delà de l’itinéraire déclaré. Il affirme aussi que le cortège est « très jeune, avec beaucoup de lycéens ».
Selon notre partenaire Mediapart, le ministre de l’Intérieur a envoyé un SMS ce matin à tous les préfets de France. Ce dernier contient notamment le passage suivant :
« Merci de faire très attention en fin de manif : ne touchez en aucun cas au carré syndical. Ils s’en plaignent fortement (gaz lacrymo, intervention de la police…).
Attention aux jeunes bien sûr également. »
La veille de la manifestation, une information des renseignements territoriaux avait fuité. Elle était reprise par BFM-TV qui évoquait un bond de la participation des jeunes à la 10e journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Deux cortèges de la « manifestation sauvage » se rejoignent en criant l’un après l’autre « ACAB (All Cops Are Bastards) »
Le cortège de la « manifestation sauvage » détruit les abribus et panneaux publicitaires JC Decaux sur son passage.
Les forces de l’ordre se déploient sur la place de la République.
Fin de la manifestation déclarée. Plusieurs centaines de personnes continuent de manifester et se dirigent vers la place de la République en passant par la station de tram Gallia.
Suite au départ d’un cortège hors de l’itinéraire déclaré auprès de la préfecture, les forces de l’ordre font usage de gaz lacrymogène.
Alexandre Welsch, secrétaire régional du syndicat Sud rail Alsace, exprime une détermination sans faille :
« Cette réforme ne mérite aucune suspension (référence à la pause de manifestation demandée par le secrétaire général de la CFDT Laurent Berger pour entamer des négociations avec le gouvernement, NDLR). Le gouvernement ne donne aucun répit, donc il faut nous aussi aller jusqu’au bout. La violence policière s’accroît. On a un camarade à Paris qui a perdu un œil. Il faut aller jusqu’au bout et jusqu’au retrait : hors de question de faire une pause. »
L’ambiance musicale toujours assurée par la CGT sur sa camionnette.
La thématique de la répression et des violences policières se fait plus présente dans le cortège en cette dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Au départ de la manifestation, des syndicalistes de la fédération Solidaires, qui réunit les syndicats Sud, portait le message suivant inscrit sur une banderole : « La police mutile, on pardonne pas ! »
La manifestation du 28 mars avait une autre particularité concernant le rapport aux forces de l’ordre : un cordon constitué de membres de syndicats a constamment séparé les manifestants des policiers et autres CRS.
Le cortège de cette dixième manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites s’étend à 15h du pont du Théâtre jusqu’aux galeries Lafayette. Il mesure un peu plus de 900 mètres. C’est deux fois moins que lors de la mobilisation record du jeudi 23 mars.
Selon nos estimations, réalisées à partir du logiciel Mapchecking, plus de 12 000 personnes manifestent à Strasbourg ce mardi 28 mars.
Ethan, 22 ans, vendeur en stage :
« Je ne participerai pas, mais je ne peux pas être contre ce qu’ils font. Je trouve ça beau et cool qu’un peuple soit révolté contre la situation actuelle. Je n’ai juste pas la culture des manifs, pas assez pour participer. »
Jean-Claude et Jean-Paul, 74 et 60 ans, policier et cheminot à la retraite :
« On ne lâche rien, on ira jusqu’au bout. J.-C. se bat pour ses collègues policiers, qui ne peuvent pas bosser jusqu’à 64 ans. Quant aux violences policières : le responsable c’est Macron et lui seul. »
Mireille, 78 ans, syndicaliste depuis 38 ans à la CFTC Santé Sociaux et toujours en forme pour aller manifester :
« Même dans notre syndicat, on n’est pas particulièrement virulents mais le 49-3 nous fait bouillir. Moi ça me donne envie de continuer, pour toutes les manifestations à venir, jusqu’à ce que le grand chef cède. »
« Et la réforme ? On en veut pas ! Et de Macron ? On en veut pas ! » Puis un autre slogan : « Police nationale, milice du capital ! »
Marie-Agnès, 53 ans, éducatrice :
« C’est ma 9e manif. On sent plus d’agitation et plus d’émulation aussi. Ma motivation est toujours là, surtout face au mépris du gouvernement pour les gens qui sont dans la rue, qui sont là pacifiquement pour faire passer un message. »
Le cortège avance place Broglie.
Emma, 59 ans, fonctionnaire :
« Je ne lâche rien. Je suis mobilisée comme jamais. J’étais là en 1995 contre Juppé, en 2010 contre Sarko, et en 2023 contre Macron qui n’écoute pas le peuple. Cette réforme est contre le peuple. J’espère que le Conseil constitutionnel invalidera la réforme. »
Un petit « Bookblock » s’est constitué près de la Bibliothèque Nationale Universitaire (BNU). Des salariés venant des différentes bibliothèques de la ville se sont réunis avec des premières de couverture sur leurs pancartes. Petits conseils de lectures pour continuer la lutte !
Floriane, Lise, Marvin et Lily, étudiantes en première année de graphisme. Pour la plupart d’entre elles, c’est la première ou deuxième manifestation de leur vie. L’une d’elle dit se mobiliser depuis le recours au 49-3 pour adopter la réforme des retraites : « Les manifestations nous ont motivées. Et puis les neuf voix manquantes pour dissoudre le gouvernement nous ont révoltées. Il n’y a plus de démocratie à notre goût. »
Le cortège quitte la place de la République.
Angèle, étudiante en première année de licence en psychologie :
« J’ai raté les trois premières manifestations. Depuis début mars, je vais à presque tous les rassemblements. J’ai beaucoup pleuré après les premiers gazages, ça m’a marqué. Mais après, j’ai transformé ça en rage. C’est devenu un moteur. Ils nous ont gazé. On ne va pas reculer. Je tiens surtout grâce au soutien des autres, c’est grâce à ça que j’ai pu surmonter mon anxiété. J’ai l’impression que quelque chose avance. Je vais continuer. Je me sens plus motivée qu’au début. Je suis prête à me mobiliser plus encore. Le 49-3 et le massacre de Sainte-Soline, ce sont des raisons qui s’additionnent, qui montrent l’urgence de changer de système. C’est impossible de s’arrêter à ce stade. »
Bienvenue sur ce compte-rendu en direct de la dixième journée de mobilisation contre la réforme des retraites.
Ce nouvel appel intersyndical à manifester contre la réforme des retraites fait suite à une mobilisation record le jeudi 23 mars à Strasbourg, avec plus de 20 000 manifestants selon nos estimations. À Strasbourg, c’est le niveau de participation le plus élevé depuis le début du mouvement social entamé en janvier. Selon l’historien strasbourgeois et spécialiste des mouvements sociaux en Alsace, Jean-Claude Richez, « depuis 1933, Strasbourg n’a jamais connu une telle explosion de colère ». Rien que ça.
De nombreuses dégradations ont été commises après la fin de la manifestation déclarée jeudi 23 mars. Dans les quartiers Krutenau et Conseil des XV en particulier, des banques et des panneaux publicitaires ont été tagués et leurs vitrines brisées (voir notre diaporama).
« L’État est prêt à nous tuer » : la sidération de Strasbourgeois revenus de Sainte-Soline
Une centaine d’Alsaciens ont participé à la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline samedi 25 mars. Certains d’entre eux sont traumatisés par la répression policière. David, étudiant, est revenu avec une fracture ouverte de la main.
« Je suis père de famille, je ne veux pas mourir en manifestation », souffle Bruno. Comme une centaine d’Alsaciens, il s’est rendu dans le département des Deux-Sèvres samedi 25 mars pour une mobilisation contre un projet de mégabassine à Sainte-Soline. L’association Héron a organisé un convoi de 37 personnes en bus au départ de Strasbourg. D’autres militants écologistes sans étiquette, ainsi que des membres des sections locales d’Extinction Rebellion, d’Alternatiba, de Greenpeace, du parti EE-LV et de la Confédération paysanne ont fait le déplacement en train ou en covoiturage.
David, étudiant à Strasbourg, a dû être opéré dimanche 26 mars d’une fracture ouverte de la main à cause d’une grenade :
« Je ne sais même pas si c’était une grenade assourdissante ou de désencerclement. Je n’y connais rien. C’est la première fois que je participais à une action de ce type. J’étais simplement dans la manifestation, comme beaucoup d’autres. Je tentais de m’approcher de la bassine. Je n’ai rien vu. La grenade a explosé près de moi je crois. J’ai entendu un sifflement. Si elle était tombée plus près de ma tête, je serais peut-être mort, ou défiguré.
Des gens m’ont immédiatement aidé en appelant les médics (soignants dans les manifestations, NDLR). J’étais sonné. La douleur venait progressivement. Ils m’ont guidé vers un endroit pour me désinfecter. Ensuite, on m’a emmené à l’hôpital de Niort. Puis à Angoulême où j’ai été opéré. Et on m’a ramené en Alsace. Il y avait une organisation et une solidarité incroyable. »
« On lutte pour quelque-chose d’essentiel »
Rue89 Strasbourg a pu interroger une dizaine de Strasbourgeois qui étaient sur place. Ils se disent traumatisés par les pratiques des forces de l’ordre déployées à Sainte-Soline. Bruno, militant historique contre l’autoroute du Grand contournement ouest (GCO), est particulièrement marqué :
« Gérald Darmanin (le ministre de l’Intérieur, NDLR) a dit qu’on y allait avec l’intention de tuer des gendarmes. Il voulait justifier la violence de la répression contre nous. Mais la réalité, c’est qu’on lutte pour quelque-chose d’essentiel : l’accès à l’eau potable. »
Les mégabassines visent à pomper de l’eau potable dans les nappes phréatiques pour la garder en réserve et irriguer les champs lorsque la pluie manque. Les écologistes analysent que cette pratique accapare l’eau pour quelques grands exploitants en modèle agricole industriel alors que les sécheresses sont de plus en plus intenses. La préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, avait interdit la manifestation.
Arrivés sur place dans la soirée du vendredi 24 mars ou le samedi à l’aube, les activistes témoignent avoir été immédiatement étonnés par le dispositif policier. « Il y avait des barrages filtrants qui contrôlaient les véhicules et les identités partout, à des kilomètres à la ronde autour de la bassine », indique une membre d’Extinction Rebellion :
« Je suis arrivée en train à Poitiers, à 45 minutes en voiture du campement où on avait rendez-vous. J’ai tout de suite été contrôlée par des policiers à la gare, comme tous les jeunes qui ressemblaient à des écolos et qui avaient des sacs-à-dos. Les organisateurs nous envoyaient la position des barrages pour qu’on les évite et qu’on atteigne le site. On a vraiment cru qu’on n’y arriverait pas, mais on a finalement réussi. »
« Une scène de guerre »
Le lendemain, trois cortèges de 5 à 10 000 personnes ont pris la direction d’une mégabassine en construction depuis l’automne. Le but de la manœuvre : encercler le site et stopper les premiers travaux réalisés. « Dans une ambiance festive », les activistes ont d’abord parcouru huit kilomètres pour arriver à 500 mètres de leur cible. « Les cortèges ont dès lors fait l’objet de tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, créant une mise en tension importante », rapporte la Ligue des droits de l’Homme (LDH). L’association a observé des tirs de Lanceurs de balles de défense (LBD 40), notamment effectués depuis des quads en mouvement, et l’utilisation de grenades assourdissantes et explosives, dont la GENL et la GM2L. Considérées comme des armes de guerre, elles peuvent causer de graves lésions auditives, musculaires et osseuses.
Pendant un peu plus d’une heure, une confrontation d’une très grande intensité a eu lieu aux abords de la bassine. Les militants tentaient d’approcher le site qui était entièrement entouré, « comme une forteresse », par des barrières et des véhicules des forces de l’ordre. Quelques militants se sont approchés du chantier. Deux véhicules de la gendarmerie ont été incendiés. Au moins 200 manifestants et 45 gendarmes ont été blessés. Laura raconte :
« Il y avait des détonations en permanence. C’était une vraie scène de guerre. On ne faisait même plus attention aux grenades lacrymogènes qui tombaient partout. Ceux qui étaient devant, je ne sais pas comment ils ont fait. On avait des cailloux, les gendarmes avaient de vraies armes. Si quelqu’un était blessé, il fallait crier “médics”. J’ai vu des dizaines de personnes avec des fractures ouvertes, certains étaient inconscients. Si on s’est arrêté au bout d’une heure, c’est parce qu’il n’y avait plus de matériel pour soigner les blessés. »
Risquer sa vie
Alexis, étudiant en sciences humaines âgé de 18 ans, était présent mais éloigné du front. « Nous aussi, on a subi de très nombreuses grenades lacrymogènes et explosives. Ils tiraient partout. On était tous en danger, même si c’était plus concentré dans les zones proches de la bassine », explique t-il. Bruno, également en retrait, abonde : « Ils ont même gazé une zone qui accueillait les blessés. »
Rencontré lundi 27 mars, David, la main bandée, se demande comment les policiers et les gendarmes « légitiment leur action dans leur tête, quand ils balancent des grenades mortelles sur des activistes ». Pour les personnes interrogées, cela ne fait aucun doute : elles ont risqué leur vie ce samedi. Marie (prénom modifié) est partagée entre « la colère et l’incompréhension » :
« Je me suis réveillée avec une boule au ventre ce matin, en repensant aux manifestants qui sont dans le coma. Clairement, j’ai compris que l’État est prêt à nous tuer pour défendre le capitalisme, en l’occurrence ces bassines de l’agro-industrie. Il faut replacer les choses dans leur contexte. Ce qui nous motive, c’est quand-même de sauver l’environnement et notre avenir. Je suis jeune, mais je me dis de plus en plus que je n’ai rien à perdre. »
« En face, ils ont une pensée militaire »
Les militants strasbourgeois s’interrogent sur l’impact de leur engagement. David reste optimiste :
« Il y a plein de moyens d’action qui se complètent et je pense que ce qu’on a fait à Sainte-Soline n’a pas servi à rien. Nous avons montré notre détermination et offert une tribune à cette cause. Je suis sûr que cela infuse dans la société, et cela atteindra même des élus. »
Pour Léo (prénom modifié), il y a un rapport de force qui risque de perdurer et pour l’instant, il n’est pas en faveur des écologistes :
« Là, on n’avait juste aucune chance d’y arriver. Nous on est des pious-pious. En face, ils ont une pensée militaire, des stratégies bien rôdées. Mais alors on fait quoi nous ? On doit se militariser pour sauver notre avenir ? Venir avec des armes ? En tout cas, là tout de suite, je ne suis plus pour faire des manifestations de ce type, parce qu’on a risqué nos vies pour une bassine. Même si je trouve ça scandaleux, je veux concentrer mes efforts sur des actions qui sont plus susceptibles d’avoir de gros impacts sur la société. »
Lucie (prénom modifié) considère qu’un plus grand nombre de participants à la manifestation n’aurait rien changé :
« Même si on avait été 80 000, ils nous auraient écrasés dans ces conditions. Le pacifisme et l’opinion publique, on voit bien qu’ils s’en fichent avec la réforme des retraites. Peut-être qu’il faut faire des actions ciblées et discrètes, des manifestations plus surprenantes, stratégiques, moins attendues. »
Des caisses de grève pour soutenir les plus précaires dans la lutte
Plusieurs collectifs et syndicats ont créé des caisses de grève pour soutenir les plus précaires. Voici une liste d’initiatives visant à permettre au mouvement social de tenir dans la durée.
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Le collectif Nos retraites nous rassemblent
Le collectif « Nos retraites nous rassemblent » a créé une caisse de grève le 9 février, afin de soutenir « les grévistes et celles et ceux qui combattent la réforme des retraites, mais qui ne peuvent pas recourir à l’aide d’un syndicat ». Le 27 mars, le collectif avait collecté près de 1 400 euros. Soutenir sur Cotyzup.
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L’Assemblée féministe de Strasbourg
Créée en décembre 2022, l’Assemblée féministe de Strasbourg a organisé une caisse de grève autonome pour les actions contre la réforme des retraites, dès le mois de janvier. Dans un communiqué, l’organisation exprime son objectif :
« Le but de cette caisse est de limiter le frein financier à faire grève, notamment pour les personnes à charge familiale ou médicale, ou encore celles qui vivent au quotidien les discriminations. Il est parfois difficile de se dire que l’on est soi-même précaire et que l’on peut demander : dès lors que tu te questionnes sur le fait de pouvoir faire grève pour des raisons financières, alors cela suffit à être concernée par la caisse, que l’on soit chômeuse, travailleuse précaire, étudiante, syndiquée ou non. »
L’Assemblée féministe indique qu’une vingtaine de personnes a déjà pu bénéficier de cette aide, « pour un total d’environ 2 000€, afin de compenser les revenus d’un à quatre jours de grève ». Pour bénéficier de cette caisse, ou y participer, il est nécessaire de contacter l’Assemblée féministe par mail : greveautonomesxb@riseup.net.
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Sud Éducation Alsace et Solidaire Alsace
Le syndicat Sud Éducation a créé une caisse pour les personnels de l’Éducation nationale non syndiqués et une caisse de grève pour tous les adhérents de Solidaire Alsace, mais ceux qui ne sont pas syndiqués peuvent également en bénéficier. Ces deux caisses ont pour l’instant collecté environ 900 euros chacune. Esther Bauer, co-secrétaire du syndicat Solidaire Alsace, explique le fonctionnement :
« D’abord, on remplit la caisse. Puis, nous allons recueillir toutes les demandes, et on définira ensuite une règle de répartition, en fonction du montant dont on dispose. On donnera la priorité au personnel précaire évidemment. »
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AG de l’Université de Strasbourg : une caisse pour le personnel et les étudiants
L’Assemblée générale (AG) des étudiants et personnels de l’Université de Strasbourg du 31 janvier a voté pour l’ouverture d’une caisse de grève à destination des personnels de l’Enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi des étudiants, particulièrement touchés par la précarité.
C’est Nicolas Poulin, co-secrétaire du syndicat Sud Éducation Alsace, mais ici mandaté par l’AG, qui a créé cette caisse spécifique. « Elle est à destination des enseignants, des vacataires, et des étudiants qui sont salariés en dehors de l’Université pour financer leurs études. » Les critères pour fixer qui pourra, et comment, bénéficier de cette caisse, seront établis lors d’une prochaine AG, comme l’explique Nicolas Poulin :
« En général, on propose des fourchettes de salaire. Ceux qui touchent le Smic doivent être remboursés à 100% pour leur jour de grève. Ceux qui gagnent plus obtiennent un remboursement moindre. »
Lancée le 2 février, cette caisse a déjà permis de réunir près de 7 000€.
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Jean-Claude Richez, historien : « Depuis 1933, Strasbourg n’a jamais connu une telle explosion de colère »
Historien strasbourgeois, spécialiste des mouvements sociaux en Alsace, Jean-Claude Richez a participé à chacune des manifestations contre la réforme des retraites. Selon lui, Strasbourg n’a pas connu pareille mobilisation depuis près d’un siècle.
Historien, Jean-Claude Richez a publié plusieurs ouvrages et articles sur les mouvements sociaux en Alsace. Il s’est intéressé aux conseils de soldats et d’ouvriers créés en novembre 1918 en Allemagne, à la mobilisation strasbourgeoise autour du Front Populaire ainsi qu’aux révoltes de mai 68 en Alsace. Ancien adjoint à la jeunesse de la maire socialiste Catherine Trautmann, cet acteur de l’éducation populaire a notamment travaillé pour l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) de 2002 à 2016. Présent à toutes les manifestations contre la réforme des retraites depuis le début de l’année, il a accepté de livrer à Rue89 Strasbourg son analyse de la journée de mobilisation du 23 mars.
Rue89 Strasbourg : comment décririez-vous Strasbourg dans l’histoire française des mouvements sociaux ?
Jean-Claude Richez : On peut dire que la proximité avec la frontière allemande a toujours eu un effet extrêmement déstructurant pour le mouvement social alsacien. En 1918, un puissant mouvement ouvrier existe formé dans le cadre du parti social-démocrate allemand. Au lendemain du retour de l’Alsace à la France, les fédérations syndicales d’Alsace et de Moselle sont parmi les plus importantes de France. Mais ce mouvement ouvrier a été forgé dans un cadre allemand, sur la base d’un lien fort entre le parti socialiste, les syndicats et les associations. Ce n’est pas le modèle français où les syndicats sont théoriquement indépendants des partis depuis la Charte d’Amiens (adoptée en octobre 1906 par le 9e congrès de la CGT, NDLR).
« Le mouvement social en Alsace connait une apogée en 1920 »
Et puis il y a aussi la difficulté à s’intégrer du point de vue culturel et linguistique pour les Alsaciens. Les dirigeants syndicaux alsaciens ne maitrisent pas forcément la langue française. Des syndicalistes comme Charles Hueber ou Eugène Imbs sont de piètres orateurs en français, ils maîtrisent mal la langue et ne trouvent pas leur place à Paris. Cela provoque un certain isolement.
Enfin, il faut ajouter qu’en Alsace, le mouvement ouvrier est plus divisé qu’au niveau national. En plus de la division entre chrétiens et socialistes, puis très vite avec les communistes, il y a une division alsacienne entre les communistes nationaux et les communistes autonomistes.
Est-ce que cela veut dire que les mouvements sociaux sont quasi-inexistants en Alsace au début du XXe siècle ?
Pas du tout ! Le mouvement social en Alsace connait une apogée fin avril 1920, avec une grève générale pour la défense des « Heimatrechte », des droits propres à la région. Cette mobilisation permet de consolider les droits sociaux des Alsaciens, qui bénéficient depuis la fin du XIXe siècle d’un système d’assurance maladie et de retraites qui n’existe pas en France et qui ne s’y imposera qu’en 1945 avec la création de la sécurité sociale et la mise en place de notre système de retraite. En Alsace, le système de retraites par répartition et l’assurance maladie est un acquis depuis 1889. C’est toute l’habilité politique du commissaire général de la République à Strasbourg Alexandre Millerand, qui administre le rattachement de l’Alsace-Lorraine à la France. Il obtient le maintien de ces avantages pour l’Alsace et la Moselle. Les négociations avec le gouvernement français aboutissent à la formation d’un droit local ouvrier.
Quels sont les grands épisodes de grève et de manifestation dans l’histoire alsacienne ?
En 1933, une grève des ouvriers du bâtiment et des conducteurs de tramway dure trois mois, de juin à août. Strasbourg sera alors le théâtre de violents affrontements de rue. Le 4 août 1933, les ouvriers seront violemment réprimés par des gardes mobiles à cheval, dont quelques uns finissent dans l’Ill. Mais parmi les 150 blessés, on trouve essentiellement des travailleurs. Cette grève est un échec puisque les ouvriers n’obtiennent presque rien.
30 000 personnes selon les organisateurs, le 14 juin 1936
En 1936, on observe encore un décalage de l’Alsace vis-à-vis du reste de la France. Pour la première fois, le mouvement social démarre plus tard et à moins d’ampleur que dans le reste du pays. De grandes manifestations de rue ont lieu le 1er mai, entre les deux tours des élections législatives. Ce scrutin ne donnera pas au Front populaire le triomphe qu’il a connu en France. Dans le Bas-Rhin, seul un candidat communiste est élu, c’est Alfred Daul. La grève ne démarre qu’après le 8 juin, après les accords Matignon, imposés par les ouvriers en grève dans le reste du pays.
Le 14 juin 1936, les manifestants alsaciens fêtent la victoire du Front populaire au niveau national. Ils demandent l’application des accords de Matignon par le patronat qui refuse de le faire dans la région. La mobilisation a lieu dans la rue, un dimanche, avec beaucoup de familles. Elle donne lieu à une image célèbre où l’on voit des manifestantes brandissant le poing et habillées en alsaciennes. Là, les chiffres de la participation sont comparables à la manifestation du 23 mars 2023. La police annonce 5 000 manifestants et les organisateurs évoquent 30 000 participants. Si l’on compare ce rassemblement avec les chiffres actuels, on n’a jamais eu de manifestations si importantes pour des droits sociaux en Alsace depuis 1920 et 1936. En tout état de cause, le nombre de manifestations était moins important qu’aujourd’hui.
Comment se déroule cette manifestation historique en 1936 ?
En 1936, c’est une manifestation bon enfant, avec des revendications pacifistes et une dimension antifasciste. Pour rappel, Hitler est au pouvoir en Allemagne. Il y a en Alsace une très grande peur. Car ici, on sait ce que c’est la guerre. Pendant quatre ans, les Alsaciens ont vécu directement à l’arrière du front. Forcément, il y a une inquiétude quand on entend Hitler revendiquer le retour d’une grande Allemagne. C’est aussi cette peur qui explique la lenteur à se mobiliser en Alsace, en 1936 en particulier. « Brot und Frieden (Du pain et la paix, NDLR) », c’est le mot d’ordre, le grand slogan des manifestations, aussi bien le 1er mai que le 14 juin 1936.
Et mai 68 en Alsace ?
La grève en Alsace n’est pas générale, à la différence du reste pays. On peut aussi ajouter que les mouvements de grève se développent surtout au début des années 70, notamment dans la vallée de la Bruche, et souvent à l’initiative de jeunes ouvriers et ouvrières. Cette nouvelle génération est beaucoup plus combative, parce que ce sont des gens qui n’ont pas connu la guerre, qui n’ont pas été mobilisés dans l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.
Pas de grande manifestation à Strasbourg en 68
Mais globalement il n’y a pas de grande manifestation ouvrière à Strasbourg, à l’exception de celle du 13 mai, 10 000 manifestants certes, mais une majorité d’étudiants. Le 24 mai 1968, des étudiants dispersés par la police dans l’après-midi, sur le pont de l’Europe, dressent des barricades symboliques place Kléber et place du Corbeau et sont à nouveau repoussés, non sans violence. Il y a une mobilisation à Mulhouse avec quelques affrontements avec les CRS en 67. Mais ça n’a rien à voir avec les violences d’aujourd’hui, telles qu’on a pu voir mardi ou la semaine dernière.
Quel regard portez-vous sur les manifestations strasbourgeoises contre la réforme des retraites en 2023 ?
J’ai assisté à toutes les manifestations encadrées par les syndicats. Jeudi 23 mars, j’ai observé une chasse à tout ce qui pouvait ressembler à un manifestant après la dispersion. Ils étaient selon moi près de 6 000 jeunes manifestants en cortège de tête, devant celui de la CFDT et des différents syndicats qui suivaient.
Cette mobilisation de la jeunesse me paraît sans commune mesure avec les précédentes manifestations. Étudiants, lycéens et jeunes travailleurs me paraissaient dix fois plus nombreux et très mobilisés, scandant des slogans engagés et portant des pancartes très politiques, notamment autour du 49-3.
Avec ce que les jeunes ont subi pendant la pandémie, avec la machine à broyer de Parcoursup, après des manifestations réprimées à coup de gaz lacrymogène, avec un groupe nassé en dehors de toute norme de maintien de l’ordre dans une ruelle étroite comme lundi 20 mars… La mobilisation du jeudi 23 mars à Strasbourg était de très grande ampleur. En tant qu’historien du mouvement social, je peux noter que depuis 1933, Strasbourg n’a jamais connu une telle explosion de colère. Même en mai 68, on a jamais eu d’explosion de ce type là à Strasbourg. Il y a eu certes celle contre le sommet de l’OTAN du 4 avril 2009, mais elle n’était pas d’initiative syndicale et répondait à un appel international.
Un forum sur l’écologie porté par des étudiants : une première à Strasbourg
Né dans l’esprit de deux étudiants de Sciences Po, le Forum de l’Environnement se tiendra du 31 mars au 2 avril à l’Hôtel d’Alsace, à Strasbourg. Pendant ces trois jours, des acteurs locaux et nationaux viendront animer des stands, des tables rondes et des ateliers.
Parler d’énergie avec un chercheur du CNRS, assister à la diffusion de la nouvelle série du réalisateur écologiste Cyril Dion, rencontrer des membres de l’ONG Sea Shepherd au détour d’un stand ou suivre une table ronde avec des médias écolos… C’est ce que propose le Forum de l’Environnement, porté par Alice Lévi et Valentin Meunier, deux étudiants de 20 ans, membres de l’association Sciences Po Forum, qui organise habituellement des conférences au sein de l’école.
Pour Alice Lévi, sensibiliser les gens à l’écologie est la principale raison pour laquelle elle a intégré l’association. Elle a ensuite décidé de se lancer dans cet ambitieux projet :
« Si je me suis engagée dans l’association Forum, c’est avec l’objectif d’organiser des discussions sur l’écologie. En parlant avec Valentin, lors de notre prise de fonction, nous avons commencé à rêver plus grand et à réfléchir à un événement de plusieurs jours qui serait ouvert à tous, pas seulement aux étudiants de l’école qui sont déjà pas mal sensibilisés sur le sujet. »
Un projet porté par des jeunes engagés pour l’environnement
Si l’idée a semblé trop ambitieuse pour certains au début, les deux étudiants ont persévéré jusqu’à convaincre un premier partenaire, la Collectivité Européenne d’Alsace (CeA), de les sponsoriser. « Ça nous a donné plus de poids, ensuite on a rapidement eu le soutien de Sciences po, du Crédit Agricole, de l’Université de Strasbourg, du CROUS, du Club de la Presse », raconte Alice Lévi.
Rejoints dans leur projet par d’autres étudiants, ils ont aussi été surpris par l’engouement des différents acteurs qu’ils ont contactés pour intervenir. « Ils nous ont tout de suite fait confiance, ont adhéré au projet et se sont rendus disponibles, alors qu’on n’avait parfois même pas encore de lieu », se remémore Valentin.
Une inauguration avec François de Rugy
L’événement se décline en trois jours autour d’initiatives concrètes. Le vendredi sera dédié à l’inauguration, avec une première conférence donnée par François de Rugy, ancien président de l’Assemblée nationale et ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, décrié par certains militants écologistes.
À ce sujet, les organisateurs détaillent :
« Nos invités ne sont pas toujours d’accord entre eux, mais cela permet justement le débat, et avoir ainsi des éclairages différents que les visiteurs pourront s’approprier. »
La journée se poursuivra notamment avec une table-ronde des médias environnementaux, autour de laquelle se trouveront des membres du média en ligne Vert, du supplément des DNA « Ici, on agit ! », ou encore d’Arte.
Trois jours, six thèmes
Le samedi, intitulé « Changer notre quotidien », sera dédié à la manière dont nos pratiques peuvent évoluer de façon à diminuer leurs impacts sur l’environnement. Trois rencontres auront lieu autour des thèmes « se nourrir » (à 11h), « se chauffer » (à 13h), puis « se déplacer » (à 15h). À chaque fois, trois intervenants venus du monde associatif, institutionnel et entrepreneurial échangeront entre eux et avec le public.
Le dimanche sera dédié au thème « (re)penser nos espaces« , avec des discussions sur les manières de protéger, sauvegarder, valoriser et habiter de façon raisonnée les différents territoires. Nicolas Kremer, le responsable Grand-Est Environnement à l’Office National des Forêts ainsi que le chercheur Wolfgang Cramer, géographe, écologue, modélisateur de la dynamique des écosystèmes globaux viendront discuter des forêts et de la préservation des écosystèmes. Deux autres tables rondes aborderont les villes que nous pouvons imaginer pour le monde de demain, puis les espaces maritimes (et le Rhin de manière locale).
Pendant toute la durée de l’événement, des dizaines de stands accueilleront des associations locales telles qu’Octopus, ONG française basée à Strasbourg et engagée dans la préservation des océans, Les petites cantines, réseau non-lucratif de cantines de quartier, ou encore le réseau Sortir du nucléaire. À la fin de chaque journée, un nouvel épisode d’ »Un Monde Nouveau », la nouvelle série de Cyril Dion, sera projeté. Des quiz et des débats auront également lieu régulièrement dans le hall du bâtiment.
« On vit dans une monarchie » : la mobilisation pour les retraites devient une lutte pour la démocratie
Choqués par le recours au 49-3 du gouvernement qui reste sourd à l’opposition d’une large majorité de Français à la réforme des retraites, de nombreuses personnes interrogées dans le cortège du 23 mars remettent en question le système politique actuel.
« La cinquième République donne trop de pouvoir à un seul homme. C’est un danger pour la démocratie », analyse Carlos, agent d’accueil à l’Université de Strasbourg. La capitale alsacienne a connu, jeudi 23 mars, la plus grande manifestation depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites : plus de 20 000 personnes. Avec l’utilisation de l’article 49-3 pour faire adopter la réforme des retraites sans vote du Parlement, le mouvement social prend une autre dimension. Carlos témoigne de cette évolution des revendications :
« Le gouvernement ne prend pas en compte l’opinion d’une grande majorité des Français. Si l’avis du peuple n’est pas pris en compte, nous ne sommes pas dans une démocratie qui fonctionne. Ce n’est pas souhaitable qu’un président ait autant de pouvoir. Là, Macron est comme un monarque. Les règles du jeu doivent changer. »
« Macron peut faire passer tout ce qu’il veut »
En tête de cortège, des milliers d’étudiants, de lycéens et de jeunes employés défilent, contrairement aux manifestations de janvier et février, où cette classe d’âge était représentée en moindre proportion. « On vit dans une monarchie », « Il faut donner plus de pouvoir à l’Assemblée », « Macron peut faire passer tout ce qu’il veut, nous sommes dans un système autoritaire »… Dans la foule, entre deux slogans, des manifestants exposent leurs inquiétudes concernant l’état de la démocratie en France. Océane travaille au conservatoire d’art dramatique. Pour elle, l’attitude du gouvernement est une « violation des droits humains » :
« C’est pour ça que je manifeste. Les politiques et les institutions ont la prétention de dire qu’ils agissent pour le peuple alors qu’ils n’écoutent pas nos revendications et nos besoins. J’ai une totale perte de confiance envers eux. Ils se foutent de la vie des autres. Je milite surtout contre le système étatique actuel. Je pense qu’il faut tout renverser pour tout reconstruire. »
À quelques mètres, Louna, étudiante en première année, marche avec deux camarades de promo de la faculté d’anglais :
« Avec cette mobilisation et le 49-3, on est en train de comprendre que le gouvernement a tout le pouvoir en fait. On parlait déjà de ce problème. Mais c’est devenu très concret ces dernières semaines. Je ne peux pas m’y résoudre pour l’avenir. Il y a plein d’autres problèmes que les retraites. Comment est-ce qu’on va changer les choses dans ce système ? »
« Cette séquence met en lumière les limites de la cinquième République »
Les jeunes ne sont pas les seuls à critiquer les institutions politiques en France. Nathalie, informaticienne au chômage, a 61 ans. Elle dénonce les outils législatifs utilisés par le gouvernement :
« Le 49-3 ne devrait être exploitable qu’en cas d’urgence, certainement pas pour un projet aussi important qu’une réforme des retraites. Et puis j’ai découvert l’article 47-1. Je ne le connaissais pas avant, mais c’est aussi un déni de démocratie pour moi. »
Outre le 49-3, le gouvernement a présenté sa réforme en utilisant l’article 47-1 de la Constitution, pour limiter le temps de débat parlementaire à 50 jours au total.
Retraitée et ancienne directrice d’établissement d’accueil de femmes victimes de violences conjugales, Dominique estime que « la séquence politique actuelle met en lumière les limites de la cinquième République ». Elle se dit en accord avec la France insoumise, qui projette la création de la sixième République, pour permettre des référendums d’initiative citoyenne (RIC), la révocation des élus par le peuple ou la création d’assemblées constituantes.
Solange, documentaliste retraitée, est scandalisée mais guère étonnée par la méthode employée par le président Emmanuel Macron. Elle rappelle que le gouvernement n’avait repris que 10% des propositions de la Convention citoyenne pour le climat malgré sa promesse de les soumettre sans filtre à l’Assemblée.
« On a besoin de changer nos institutions »
« Et nous, aussi, on va passer en force », scandent des centaines de personnes en tête de cortège. Nathalie et Rémi, professeur de technologie de 62 ans, ou encore Hassan, ancien peintre en bâtiment, disent comprendre les dégradations de banques et de panneaux publicitaires pendant les manifestations. Une réaction au manque d’écoute d’Emmanuel Macron, selon eux.
Mathieu, professeur assistant de 28 ans et militant au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), accuse aussi le président « d’utiliser toutes les ficelles de la Constitution pour ne pas gouverner démocratiquement » :
« On a besoin de renverser ce pouvoir et de créer nos propres institutions. Une sixième ou septième République ne changera rien si elle reste aux mains de la bourgeoisie. Il faut un changement radical par la base. Les élus devraient venir des rangs des travailleuses et travailleurs, avec des mandats spécifiques et révocables. Et surtout, il faudrait organiser des Assemblées générales citoyennes, partout et tout le temps. »
La majorité des personnes interrogées sont déterminées à poursuivre le mouvement de contestation. Étudiant en philosophie, William constate que des rassemblements spontanés ont lieu « presque tous les soirs depuis le 49-3 » : « C’est un signe fort. Au-delà des syndicats, les gens se rassemblent. Ils sont révoltés face à la réforme et les méthodes du gouvernement. Nous ne nous arrêterons pas. »
Manifestation et grèves contre la réforme des retraites mardi 28 mars
L’intersyndicale appelle à une 10e journée de mobilisation contre la réforme des retraites le mardi 28 mars. À Strasbourg, une manifestation partira de l’avenue de la Liberté à 14 heures.
À peine la manifestation du 23 mars terminée, l’intersyndicale appelle à un nouveau rassemblement pour une 10e journée de manifestation, ce mardi 28 mars, à 14h, au départ de l’avenue de la Liberté à Strasbourg. Dans un communiqué, les syndicats bas-rhinois CGT, FSU, Solidaires, AES, FO, FAFPT, CFE-CGC, UNSA, CFTC appellent à maintenir la pression sur le gouvernement et le président de la République :
« La situation de tension qui ne cesse de grandir dans notre pays, dans notre département et tout particulièrement à Strasbourg, est de la responsabilité exclusive du gouvernement et de Emmanuel Macron, qui est le président du chaos. Le seul moyen de sortir de la spirale de tensions et d’affrontements pour lesquels l’intersyndicale, au niveau national et dans notre département, n’a cessé d’alerter le gouvernement et ses représentants dans notre département, c’est le retrait de la réforme des retraites. Cela ne peut plus durer : Emmanuel Macron doit retirer immédiatement la réforme des retraites. »
Extrait du communiqué de l’intersyndicale 67 : CGT, FSU, Solidaires, AES, FO, FAFPT, CFE-CGC, UNSA, CFTC.
Une mobilisation renforcée par le recours au 49-3
Depuis le jeudi 16 mars, et l’annonce du recours à l’article 49-3 par la Première ministre Elisabeth Borne afin de faire passer la très controversée réforme des retraites, les mouvements de protestation se multiplient un peu partout en France.
À Strasbourg et en Alsace, des manifestations – spontanées ou prévues – se sont déroulées le jeudi 16, le vendredi 17, le samedi 18, le lundi 20, et enfin, la dernière, la plus massive de toutes, le jeudi 23 mars. Selon les syndicats, plus de 30 000 personnes étaient présentes dans les rues de Strasbourg, plus de 20 000 selon les estimations de Rue89 Strasbourg, 12 500 selon la Préfecture du Bas-Rhin.
Au fil des manifestations, nos reporters sur place ont constaté de plus en plus de débordements et une répression policière croissante. La manifestation du 23 mars a donné lieu à de nombreuses dégradations (feux de poubelles, destructions d’abribus, de panneaux publicitaires, de vitrines de banques et de grands magasins) à Strasbourg, comme dans d’autres villes de France.
Grèves et perturbations à venir
Comme à chaque journée de manifestation depuis le début du mouvement social, de nombreux secteurs risquent d’être impactés par les grèves. À commencer par les transports en commun : bus, trams et trains régionaux. La CTS devrait donner davantage de détails sur ses prévisions de trafic d’ici le 28 mars.
Les cantines scolaires des écoles strasbourgeoises seront fermées. Les accueils périscolaires maternels et ateliers éducatif en élémentaire seront assurés « dans la mesure du possible », ainsi que l’a annoncé la Ville de Strasbourg. Enfin, un service minimum d’accueil sera assuré pour les écoles dont au moins 25% des personnels sont grévistes.
Rassemblement à Wissembourg à 7h30
Environ 90 personnes se sont mobilisées ce mardi matin, à 7h30, à l’appel d’un collectif citoyen, soutenu par l’intersyndicale et la Nupes Alsace Nord et Vosges du Nord à Wissembourg. Dorian Faucon, est l’un des coordinateurs de la Nupes, à l’origine de ce rassemblement :
« C’était une belle mobilisation. Les jeunes étaient ravis de participer sans aller loin de chez eux. C’était un rassemblement tranquille, avec un public réceptif, étonné de voir enfin quelque chose sur Wissembourg. »
Lors d’une précédente manifestation à Haguenau le 14 février dernier, près de 3 000 personnes s’étaient mobilisées, « ce qui est historique pour le coin », note Dorian Faucon.
Cet article sera mis à jour régulièrement.
Les camions d’un entrepôt Lidl bloqués à Entzheim par la CFDT
Une vingtaine de syndicalistes CFDT bloquent depuis vendredi minuit un entrepôt de Lidl à Entzheim. Ils empêchent une quinzaine de poids lourds de circuler sur la route départementale au niveau de Lingolsheim.
Dans la nuit du jeudi 23 mars au vendredi 24 mars, depuis minuit, une vingtaine de syndicalistes de la CFDT bloquent une plate-forme logistique de la chaîne de grande distribution Lidl à Entzheim. Ces manifestants contre la réforme des retraites ont réussi à empêcher la sortie d’une quinzaine de camions pendant la nuit, selon Pascal Vaudin, l’un des syndicalistes présent sur place.
Durant la matinée, une quinzaine de poids-lourds ont également été bloqués sur la D400, au niveau de Lingoslheim. Cette partie de la route départementale donne accès à la plateforme de distribution. Selon Pascal Vaudin, les gendarmes sont sur place depuis ce vendredi matin et permettent de sécuriser le trafic automobile.
Un compromis trouvé dans la matinée avec la direction
Dans la matinée, un compromis a été trouvé entre les syndicalistes et la direction de Lidl à Entzheim. La circulation a repris pour les poids-lourds, autorisés à rentrer sur le site au compte-goutte. La sortie de ces camions reste cependant bloquée, afin d’empêcher les livraisons des supermarchés.
Selon les syndicalistes présents sur place, l’objectif est de maintenir le blocage jusqu’à demain. Pascal Vaudin précise : « On va bloquer jusqu’à demain (samedi). Je me suis personnellement engagé jusqu’à midi, et pour demain, on verra. » Il ajoute : « on a aussi besoin de se reposer, nous sommes trois équipes qui tournent depuis minuit. »
L’équipe actuelle de militants se trouvant sur le site se constitue d’une bonne quinzaine de personnes, mais « la relève arrive bientôt » assure Pascal Vaudin.
Banques attaquées, panneaux publicitaires brisés : dix photos d’un saccage anticapitaliste à Strasbourg
À peine la fin de la manifestation déclarée, des centaines de personnes ont entamé un saccage méthodique des symboles du capitalisme dans plusieurs quartiers de Strasbourg. Retour en images sur ces façades de banques et ces panneaux publicitaires brisés, entre barricades et poubelles incendiées.
Plus de dix ans que Strasbourg n’a pas connu pareilles scènes d’émeute. C’était en 2009, en marge du sommet de l’Otan. Des militants anticapitalistes avaient convergé de toute l’Europe pour se confronter violemment avec les forces de l’ordre.
Traditionnellement tranquille, la culture de la manifestation dans la capitale alsacienne connaît un tournant avec la mobilisation contre la réforme des retraites. De mémoire de journalistes de Rue89 Strasbourg, même les Gilets jaunes n’avaient jamais provoqué autant de dégradations ciblées, entre façades de banques détruites et panneaux publicitaires brisés, barricades dressées et poubelles incendiées.
Retour en dix photographies sur un saccage méthodique et anticapitaliste, comme une réponse au « passage en force » du président Emmanuel Macron et du gouvernement d’Elisabeth Borne.
Manifestants bloqués dans une rue et gazés : Emmanuel Fernandes signale la police auprès de la procureure
Le député La France insoumise Emmanuel Fernandes a annoncé jeudi 23 mars déposer un signalement auprès de la procureure de la République. Il dénonce le non-respect du schéma national de maintien de l’ordre lors de la nasse petite rue des Dentelles le 20 mars, où des manifestants ont été bloqués dans une rue avec du gaz lacrymogène.
Devant le tribunal judiciaire de Strasbourg, le député La France Insoumise Emmanuel Fernandes a annoncé jeudi 23 mars déposer un signalement auprès de la procureure de la République, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, qui impose à tout agent public d’informer la justice lorsqu’un délit est commis.
Le dossier du député de Strasbourg-sud et Illkirch-Graffenstaden comporte 24 témoignages et dénonce le non-respect du schéma national de maintien de l’ordre lors une intervention petite rue des Dentelles lundi 20 mars, sur des personnes qui manifestaient contre la réforme des retraites et le recours à l’article 49-3 de la Constitution.
« Petite ue des Dentelles, dans ce qu’il faut bien appeler un piège, les manifestants ont été privés de leur droit fondamental de circuler librement, de manifester, et même de leur droit de respirer. Si un schéma national de maintien de l’ordre a été adopté, même si on le conteste, on attend au moins qu’il soit respecté. »
Emmanuel Fernandes, député La France Insoumise.
« Le gaz a servi à une sorte de châtiment »
Selon les témoignages, au moins deux grenades lacrymogènes ont été lancées pendant la nasse (intervention de police visant à entourer et bloquer des personnes) petite rue des Dentelles sans qu’aucune voie de sortie ne permette à la centaine de manifestants présents de s’en extraire. Les dernières personnes ont pu quitter la rue près d’une heure après le début de la nasse et suite à un contrôle d’identité.
Le député Emmanuel Fernandes explique :
« J’ai interpellé le ministre de l’Intérieur [Gérald Darmanin, NDLR] en hémicycle ce matin qui m’a répondu que la procédure qui correspond au schéma national de maintien de l’ordre implique qu’une nasse permette en permanence la sortie des manifestants par l’organisation d’un corridor et d’une voie de communication pour leur expliquer comment sortir.
Nous avons un certain nombre de documents qui prouvent qu’aucune voie de sortie n’était possible pendant une bonne quinzaine de minutes, avec des gazages. Théoriquement, le gaz lacrymogène est censé permettre de disperser les foules. Là, il a servi à une sorte de châtiment pendant plusieurs minutes, infligé aux manifestants et aux personnes qui se trouvaient là, en dehors de tout cadre légal. »
« Je me suis roulé en boule pour essayer de respirer »
Geoffrey, ingénieur informatique de 27 ans, était dans la manifestation spontanée ce lundi 20 mars lorsque les policiers ont « orienté une partie du cortège vers la petite rue des Dentelles ». Il témoigne :
« Je me suis roulé en boule dans un coin pour essayer de respirer. Ensuite j’ai pu me réfugier dans un restaurant pendant une quinzaine de minutes mais c’était plein, des gens ont du rester à l’extérieur. On a fini par sortir trois par trois de la rue. Un policier prenait en photo nos pièces d’identité. »
Marine, 30 ans, salariée d’une institution culturelle, réfléchit à porter plainte. Elle témoigne de ce qu’elle a vécu ce lundi 21 mars petite rue des Dentelles :
Interdictions de manifester : « La préfecture connait parfaitement le droit, elle joue avec les mots »
Membre du Syndicat des avocats de France et de l’Observatoire strasbourgeois des libertés publiques, Florence Dole rappelle quelques principes fondamentaux s’appliquant aux manifestations dans l’espace public.
Mise en scène militaire. Sur Twitter, le compte de la préfecture du Grand Est et du Bas-Rhin est alimenté de clichés de Josiane Chevalier, passant en revue pompiers, policiers, CRS ou gendarmes. La préfète paraît prête pour partir en guerre. L’opération de communication vise à étaler l’étendue du dispositif de sécurité mis en place pour encadrer la mobilisation contre la réforme des retraites. Depuis l’usage de l’article 49-3 de la Constitution vendredi 17 mars, des manifestations spontanées se répètent fréquemment à Strasbourg.
Engagée auprès de l’Observatoire strasbourgeois des libertés publiques, l’avocate Florence Dole nous précise quelques points de droit à propos des manifestations.
Une manifestation doit-elle être acceptée par la préfecture, pour être légale ?
Non, il n’y a pas d’autorisation à avoir, puisqu’il s’agit d’une liberté fondamentale : la liberté d’expression collective des opinions. La manifestation est seulement soumise à un régime déclaratif, les organisateurs doivent prévenir la préfecture trois jours avant. En de rares exceptions, la préfecture peut établir un arrêté interdisant la manifestation déclarée, motivé par quelque chose de grave, comme le risque sanitaire pendant la période du Covid par exemple.
Participer n’est pas une infraction
Est-ce illégal de participer à une manifestation spontanée, qui n’a pas été déclarée au préalable ?
Le fait de participer à une manifestation non déclarée n’est pas une infraction, on ne s’expose à aucun risque juridique. Pour être arrêté, il faut qu’il y ait le constat d’une infraction. Même en manifestation spontanée, les manifestants ne font que l’usage de leur liberté fondamentale de s’exprimer.
Depuis la loi anti casseurs d’avril 2019, les forces de l’ordre peuvent procéder a des contrôles d’identité et à des fouilles préventives sur les personnes, aux abords de la manifestation. Ils peuvent aussi confisquer ce qu’ils estiment dangereux en manifestation.
Est-ce que l’on risque quelque chose, si on est en possession de sérums physiologiques ou de lunettes de protection par exemple ?
Le Conseil d’État s’est prononcé sur le fait qu’avoir sur soi des objets de protection, comme le sérum physiologique n’était pas constitutif d’une infraction. Pour le masque, il peut contrevenir à l’interdiction de dissimuler son visage. En revanche, si des objets estimés dangereux par les forces de l’ordre sont trouvés, alors leurs possesseurs peuvent être arrêté pour port d’arme illégal.
L’attroupement change le régime
Dans un communiqué, la préfecture explique pourtant que les participants « s’exposent à des risques ». Des risques juridiques ?
La préfecture connait parfaitement le droit, elle joue avec les mots. Malheureusement, beaucoup de manifestants connaissent mal le droit entourant les mobilisations.
Légalement, comment s’opère le passage d’une manifestation vers l’attroupement ?
C’est très normé, tout cela est défini par le code de sécurité intérieur. Si la personne désignée comme responsable du maintien de l’ordre (un policier) constate que la manifestation n’est plus pacifique, qu’il y a des troubles à l’ordre public, à ce moment là, il communique ses observations à la préfecture, puis déclare qu’il s’agit d’un attroupement. Les forces de l’ordre doivent alors effectuer deux sommations au haut-parleur pour ordonner la dispersion. Si l’attroupement est toujours constitué, elles peuvent alors procéder à une dispersion par la force.
Hausse des tarifs de la CTS, tram nord et budget au conseil de l’Eurométropole
Pour le conseil de l’Eurométropole du vendredi 24 mars, le budget 2023 sera soumis au vote et devrait relancer le débat sur la gestion financière de l’intercommunalité. D’autres sujets propices aux altercations suivront, comme l’augmentation des tarifs de la CTS, ou les travaux entourant l’extension du tram vers le nord de l’agglomération.
Pour le conseil de l’Eurométropole de Strasbourg (EMS), l’exécutif rouvre son livret de comptes. La séance du vendredi 24 mars sera ainsi marquée par le vote du budget, mais aussi par la présentation de la nouvelle politique tarifaire « au service des voyageurs » de la Compagne des transports strasbourgeois (CTS), en substance, la hausse des prix, déjà largement critiquée par l’opposition.
Cette dernière ne manquera pas d’ouvrir le débat concernant l’extension du tram vers Schiltigheim et les aménagements qui l’accompagneront dans le nord de Strasbourg, notamment sur l’avenue des Vosges.
Forte hausse des frais de fonctionnement
Le 3 février, lors du dernier conseil de l’EMS, le débat d’orientation budgétaire avait déjà occupé une bonne partie des discussions. Cette fois-ci, le nouveau budget pour l’année 2023 sera soumis aux votes. Lors d’une conférence de presse, mercredi 22 mars, la présidente de l’Eurométropole, Pia Imbs, présente un budget faisant face au contexte de crise.
« La hausse des taux d’intérêts, du prix des matières premières, du coût de l’énergie et les effets du dérèglement climatique impactent considérablement notre budget. »
Si l’on compare les budgets primitifs 2022 et 2023, le coût de l’énergie passe ainsi de 10 à 27 millions d’euros. « Pour les métropoles, c’est la double peine, on subit deux fois plus les hausses de prix, puisqu’on paye l’électricité pour les bâtiments et les transports », plaide Syamak Agha Babaei, le vice-président chargé des finances.
En tout, le budget de fonctionnement (toutes les dépenses des services de l’EMS) sera passé de 761,9 millions d’euros au budget primitif 2022 à 828 millions d’euros pour celui de l’année 2023. Les dépenses d’investissements – la construction de bâtiments, l’aménagement, les travaux d’infrastructures – baissent de 452 millions d’euros en 2022 à 424 millions d’euros en 2023.
La politique des mobilités, au cœur des débats
Au-delà des questions budgétaires, l’opposition devrait également copieusement attaquer l’Eurométropole sur la hausse significative des prix de la CTS. Dès le 1er juillet 2023, le prix des tickets à l’unité passera en effet de 1,70 euros à 1,90 euros. Pour les carnets de 10 tickets, les tarifs monteront de 9,60 euros à 15,20 euros. Enfin, les abonnements connaîtront aussi une hausse, plus ou moins forte selon les publics concernés. Pour les abonnés ayant entre 26 et 64 ans, le prix passera ainsi de 518 à 560 euros à l’année.
La création d’une nouvelle ligne allant du nord de Strasbourg vers Schiltigheim risque également de faire l’objet de discussions mouvementées. Vivement opposé au projet, le maire de Bischheim Jean-Louis Hoerlé (LR), pourrait réitérer ses critiques sur le tracé du tram, qu’il estime excluant pour les communes limitrophes.
En fin de conseil, une interpellation de Jean-Philippe Vetter remettra également sur la table la question de l’aménagement de l’avenue des Vosges. Très investi sur le sujet – dont il a fait l’un de ses marqueurs politiques – il s’oppose frontalement à la réduction des voies de circulation automobiles, au profit des piétons et des cyclistes.
Moins propice à la polémique, la question du tourisme sera également évoquée durant le conseil. Pia Imbs présentera le rapport de la chambre régionale des comptes, concernant la gestion de l’Office de tourisme entre 2016 et 2020 (à l’époque géré par la collectivité), dont la gouvernance était particulièrement critiquée.
Neuvième journée de manifestation : une mobilisation record et de nombreuses dégradations
Pour la 9e journée de grèves et de manifestation contre la réforme des retraites, la rédaction de Rue89 Strasbourg a suivi en direct les actions, défilés et blocages organisés.
Bienvenue sur ce compte-rendu en direct de la neuvième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. La manifestation du jeudi 23 mars fait suite au recours au 49-3 annoncé par la Première ministre Élisabeth Borne jeudi 16 mars.
Depuis, plusieurs manifestations spontanées ont eu lieu à Strasbourg, rassemblant plusieurs milliers de personnes et provoquant de multiples dégradations. Lundi 20 mars, la motion de censure transpartisane du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) a manqué de neuf voix pour aboutir à la dissolution du gouvernement. Le soir-même, la répression de la mobilisation s’est durcie à Strasbourg. Le recours au gaz lacrymogène a provoqué au moins deux évanouissements dans le centre-ville.
Rue89 Strasbourg est mobilisé pour rendre compte ici même des mouvements sociaux dans les entreprises et les services publics, des blocages et des cortèges. Si vous êtes organisatrice ou organisateur d’une action, membre d’un collectif ou simplement témoin d’un événement en lien avec cette journée de mobilisation, merci de nous envoyer vos éléments à redaction@rue89strasbourg.com (en incluant un numéro de téléphone) ou via le formulaire de contact afin qu’ils puissent être relayés sur ce compte-rendu.
Des étudiants opposés à la réforme des retraite ont bloqué plusieurs bâtiments du campus central de l’Université de Strasbourg.
Rassemblés aux alentours de midi devant l’institut Le Bel, les manifestants ont donné les noms d’avocats à joindre en cas de garde à vue. La « legal team » du Bas-Rhin est joignable par mail à legalteam67@proton.me ou par téléphone lors des jours de manifestation au 0758365711. Elle récolte les témoignages sur les circonstances d’interpellations et propose des noms d’avocats à connaître en cas de garde à vue.
Une trentaine de personnes se sont mobilisées en début de matinée pour bloquer la circulation à Châtenois. Selon le collectif mobilisation retraite Val d’Argent, l’action a duré moins d’une heure et a provoqué des bouchons « jusqu’à l’autoroute côté Sélestat et jusqu’à Bois l’Abesse côté Val d’Argent. »
Dans un communiqué, le collectif explique « l’accident démocratique du jeudi 17 mars qui a provoqué un blocage à Châtenois (Route des vins / RN 59) aujourd’hui » :
« Nous voulons montrer une fois de plus, par cette action citoyenne, résolue et non-violente, notre opposition à cette réforme, notre soutien aux grévistes et aux manifestants de tout le pays. Nous ne voulons pas d’un Etat autoritaire. Nous souhaitons l’émergence d’une démocratie saine, qui sait entendre l’expression du peuple et donner aux citoyens les moyens de participer activement et sereinement à la vie politique. »
Le Canard réfractaire, un youtubeur engagé pour les luttes sociales et proche des Gilets jaunes, était présent place de la République pour le rassemblement annoncé par le collectif strasbourgeois « On crèvera pas au boulot ». Venu couvrir la manifestation strasbourgeoise du jeudi 23 mars, il explique sa démarche :
« L’idée, c’est de rassembler des milliers de personnes qui nous regardent sur les réseaux, dont des gilets jaunes d’un peu partout en France et qui sont encore actifs en Alsace. Grâce à notre audience, on peut fixer des lieux de rendez-vous avec différents groupes locaux déjà existants. On va faire ça dans plusieurs villes du Grand Est. On revient tout juste de Reims. »
Louna, étudiante en première année d’anglais à l’Université de Strasbourg :
« Avec cette mobilisation et le 49-3, on est en train de comprendre que le gouvernement a tous les pouvoirs. J’avais déjà entendu parler du 49-3, mais là c’est devenu très concret. Pour moi, ce n’est pas une démocratie. Malgré les manifestations, malgré le fait que tout le monde est contre cette réforme, le gouvernement ne change pas d’avis. C’est très dangereux. Je m’inquiète aussi pour ce qu’on va réussir à obtenir à l’avenir, parce qu’il y a plein d’autres problèmes. Je pense que le système politique doit vraiment changer. »
La foule est extrêmement dense sur la place de la République. La tête du cortège vient de prendre la direction de la place Broglie.
Hassan, retraité, ancien peintre en bâtiment :
« Il faut absolument manifester parce que le gouvernement ne nous écoute pas. Mais c’est un problème de démocratie si les grandes manifestations pacifistes ne servent à rien. Le gouvernement ne doit pas s’étonner s’il y a de la casse. »
La manifestation passe actuellement par la place Broglie :
Carlos travaille à l’université en tant qu’agent d’accueil. Il estime que le gouvernement devrait prendre en compte les manifestations, les sondages qui indiquent une grande majorité de Français opposés à la réforme et la motion de censure qui a failli provoquer une dissolution du gouvernement :
« Pour moi, c’est problématique qu’un président ait tout ce pouvoir dans la cinquième République. Elle donne trop de pouvoir à un seul homme. Macron est comme un monarque. C’est un danger pour la démocratie. Les règles doivent changer.
Cela fait plusieurs années que les gens ne se mobilisent plus pour voter. Il y a un manque de confiance dans la politique et ce n’est pas étonnant. »
Grosse ambiance dans le cortège de la Haute école des Arts du Rhin (HEAR) :
Pour la seconde fois depuis le début du mois de mars, la vitrine du magasin de luxe Louis Vuitton a été taguée : « 186 milliards : 1ère fortune mondiale Rends l’argent »
Dans la nuit du 6 au 7 mars, la même vitrine avait été taguée avec le slogan : » Patrie, Patron, Patriarcat »
Nouveau pic de mobilisation pour cette neuvième journée de manifestation appelée par l’intersyndicale contre la réforme des retraites.
Selon le décompte de l’un de nos journalistes sur place, au moins 18 500 personnes manifestent actuellement à Strasbourg.
La taille du cortège, qui s’étendait du pont du théâtre jusqu’à la porte de l’hopital, est de 1,8 kilomètres, soit la même distance que lors des plus grandes manifestations contre la réforme des retraites à Strasbourg.
Selon une estimation réalisée à partir du logiciel MapChecking, en prenant acte d’une densité de population plus élevée pour la manifestation d’aujourd’hui, la participation s’élève à plus de 20 000 personnes.
La tête du cortège a atteint la destination de la manifestation déclarée, devant le Palais universitaire. La foule entonne le slogan : « Macron t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ! »
Une partie de la foule a quitté le parvis du Palais universitaire en direction du boulevard de la victoire. Des pavés sont lancés sur les forces de l’ordre, qui répliquent en utilisant du gaz lacrymogène.
Sur le chemin, les manifestants bloquent la circulation à l’aide de barrières grillagées et de poubelles enflammées.
Participer à une manifestation non-déclarée est-il interdit ? Premier élément de réponse de Me Florence Dole, avocate et membre du Syndicat des avocats de France et de l’observatoire des libertés publiques de Strasbourg :
« Le fait de participer à une manifestation n’est pas une infraction. On ne s’expose à aucun risque juridique. Pour être arrêté, il faut qu’une infraction soit constatée. Même en manifestation spontanée, les manifestants ne font qu’usage de leur liberté fondamentale de s’exprimer. »
Interview complète à retrouver en début de soirée sur Rue89 Strasbourg.
La manifestation sauvage continue en direction du quartier Esplanade, suivie de près par les forces de l’ordre.
Mathieu, 28 ans, professeur assistant et militant du Nouveau parti anticapitaliste, déplore l’utilisation par le gouvernement de « toutes les ficelles de la Constitution » :
« Ça montre qu’ils n’ont pas envie de gouverner démocratiquement. On a besoin de renverser ce pouvoir et de créer nos propres institutions. Une sixième ou septième République ne changerait rien si elle reste aux mains de la bourgeoisie, il faut un changement radical par la base. Les élus devraient venir des rangs des travailleuses et travailleurs, avec des mandats spécifiques et révocables. Et surtout, on devrait avoir des AG citoyennes, partout et tout le temps. »
Autre ambiance place de la République, où la foule se disperse tranquillement.
Campus central, quartier du Conseil des XV, Esplanade… La manifestation sauvage s’est divisée en plusieurs petits groupes, dispersés par l’usage régulier de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre.
Selon nos reporters sur place, beaucoup de dégradations de banques et de panneaux JC Decaux ont lieu dans le quartier du Conseil des XV.
Gyrophares et sirène allumés, de nombreux véhicules de polices passent encore par la place de la République aux alentours de 17h30.
Quai des bateliers, un cortège continue d’avancer, entonnant le slogan : « Strasbourg debout, soulève toi ! »
Un peu plus loin, le même groupe entonne un chant antifasciste : « Siamo tutti antifascisti »
Selon nos reporters sur place, 300 personnes continuent de déambuler dans le quartier Krutenau en attaquant systématiquement les banques et les panneaux publicitaires.
Les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène au niveau de la place de Zurich.
Ambiance, quartier Krutenau.
Les forces de l’ordre se déploient au niveau du campus central, où plusieurs départs de feu ont été constatés par notre reporter sur place. Les manifestants sont parvenus à contourner les policiers et les gendarmes et se dirigent vers le parc de l’Orangerie.
La police a utilisé du gaz lacrymogène au niveau du carrefour du boulevard de la Marne et de l’avenue de la Forêt-Noire. Le dernier cortège vient de se disperser, après plus de cinq heures de manifestation.
C’est la fin de ce compte-rendu en direct. Merci à vous de l’avoir suivi. Ci-dessous, les principales informations à connaître sur la neuvième journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites :
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Selon nos estimations, un nouveau record de mobilisation a été atteint ce jeudi 23 mars, avec plus de 20 000 personnes dans les rues de Strasbourg. Le précédent record a été atteint lors de la deuxième journée de mobilisation, le mardi 31 janvier, avec près de 20 000 participants.
Selon la Préfecture, 12 500 personnes ont manifesté. L’intersyndicale évoque 30 000 manifestants.
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À la fin de l’itinéraire déclaré, devant le Palais universitaire, un cortège de plusieurs centaines de personnes a entamé une déambulation de plusieurs heures, détruisant sur son passage les vitrines des banques et les panneaux publicitaires dans plusieurs quartiers, en particulier celui du Conseil des XV et de la Krutenau.
Une dizaine de personnes ont été interpellées par les forces de l’ordre.
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Lors d’une conférence de presse devant le tribunal judiciaire, le député de la France insoumise Emmanuel Fernandes a annoncé le dépôt d’un signalement auprès de la procureure de Strasbourg. Il concerne le non-respect du schéma national du maintien de l’ordre dans la rue des dentelles au cours de la soirée du lundi 20 mars. Vers 21h30, plusieurs dizaines de personnes se sont retrouvées bloquées dans cette ruelle par les forces de l’ordre qui l’ont ensuite remplie de gaz lacrymogène. L’élu de la deuxième circonscription du Bas-Rhin affirme avoir récolté 24 témoignages de manifestants victimes. Au moins deux personnes ont perdu connaissance à ce moment là.
Manifestation à Bischheim pour plus de voies cyclistes et piétonnes le 25 mars
Une marche partira de Bischheim samedi 25 mars pour demander de meilleures voies de circulation piétonnes et cyclistes dans les communes du nord de l’Eurométropole. Le Collectif de la Grande Cyclade organise une balade à vélo dimanche 2 avril au départ de Strasbourg pour préparer une convergence de cyclistes engagés cet été à Paris.
Le rendez-vous est fixé à 15h samedi, place de la République à Bischheim. La marche vise à interpeller les municipalités de Schiltigheim, Bischheim et Hœnheim (au nord de l’Eurométropole de Strasbourg) pour donner davantage de place aux piétons et aux cyclistes sur les voies publiques. Organisé entre autres par les associations Strasbourg À Vélo, le Collectif Vélorution et Strasbourg Respire, l’événement se veut une occasion d’exiger des trajets cyclistes et piétons « apaisés ».
Le parcours d’environ deux kilomètres s’achèvera au parc Wodli à 16h45 et passera par la rue Nationale, la rue de l’Église, la rue du Fossé Neuf, l’avenue de Périgueux et la route de Bischwiller.
Parmi les revendications des « vélorutionnaires », l’aménagement d’itinéraires en sites propres et de traversées sécurisées dans la commune de Bischheim. Trois manifestations ont déjà eu lieu depuis mars 2021 à ce sujet. La réduction de la vitesse à 30 km/h sur l’ensemble des communes de Bischheim, Schiltigheim et Hœnheim, l’aménagement de la rue nationale pour éviter le transit automobile ou la sécurisation des accès aux écoles (place de la République, rue nationale, route de Périgueux) figurent aussi parmi les préoccupations des organisateurs.