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Un an après son lancement, l’échec du programme de psychologie remboursée

Un an après son lancement, l’échec du programme de psychologie remboursée

Le dispositif MonPsy – récemment devenu MonParcoursPsy – permet d’obtenir huit séances d’accompagnement psychologique remboursées par l’Assurance maladie. Mais un an après son lancement, il est boudé par 93% des psychologues qui le trouvent trop limité et peu rémunérateur.

À Strasbourg, 179 psychologues sont recensés sur l’annuaire médical Doctolib. Parmi eux, 18 seulement sont listés dans l’annuaire du dispositif MonParcoursPsy, proposé par le ministère de la Santé. Lors de sa création en avril 2022, afin de répondre aux besoins d’accompagnement des Français, notamment depuis la crise du Covid, le dispositif était présenté comme permettant « à tout patient souffrant de troubles psychiques d’intensité légère à modérée, de se faire rembourser jusqu’à huit séances par an par l’Assurance maladie. »

18 psychologues partenaires à Strasbourg, 115 dans le Grand Est

En janvier, Nolwenn, jeune strasbourgeoise de 23 ans, ressent le besoin de consulter. Elle se rend sur le site monparcourspsy.sante.gouv.fr qui l’accueille avec une présentation du dispositif en résumant les situations qu’il prend en charge : « Pourquoi consulter ? Vous avez du mal à dormir ? Vous vous sentez dépassé ? Vous êtes dans une relation toxique ? Vous avez besoin d’une personne à qui parler, sans jugement. » 

Après une annonce présidentielle, le dispositif MonPsy (devenu MonParcoursPsy) est lancé le 5 avril 2022. Photo : DR

Nolwenn y découvre les différentes étapes qu’elle va devoir suivre :

« Dans un premier temps, je devais aller chez un médecin pour obtenir une prescription, prendre un rendez-vous avec un psychologue du réseau, réaliser les séances, puis me faire rembourser par l’Assurance maladie (60 %) et la mutuelle (40 %). Je n’ai pas compris pourquoi je devais passer par un médecin, je ne vois pas pourquoi elle devrait être au courant de ma santé mentale. Mais ça s’est très bien passé, elle n’a pas été trop indiscrète. »

« Je ne reçois plus de nouveaux patients MonPsy, étant trop peu rémunérée »

Son ordonnance en poche, la jeune femme commence ses recherches sur l’annuaire du dispositif. « J’ai pris du temps pour faire des recherches sur les différents profils et être sûre de trouver quelqu’un qui me convienne », se souvient-elle. Mais lorsqu’elle tente de prendre rendez-vous, on lui répond à plusieurs reprises ne pas être en mesure d’accueillir de nouveaux patients.  

Mauvaise pioche aussi pour Pauline, qui découvre le dispositif par le biais de ses amis. Au début, elle n’ose pas vraiment prendre rendez-vous, mais se pousse à le faire. Elle obtient une réponse similaire d’une autre psychologue : 

« Je suis disponible pour vous recevoir à un tarif “ordinaire” de 55€ la consultation si vous le souhaitez. Je ne reçois plus de nouveaux patients dans le dispositif gouvernemental, ayant trop de demandes et étant trop peu rémunérée (30 €). »

Le dispositif, d’abord proposé aux jeunes et aux étudiants, a été élargi à tous depuis un an. Photo : Capture d’écran

Le Syndicat national des psychologues dénonce le dispositif

Depuis son lancement, le 5 avril 2022, le dispositif est vivement critiqué par la profession. À l’approche de son anniversaire, le Syndicat national des psychologues (SNP), créé en 1950, s’est à nouveau positionné contre avec un communiqué de presse qualifiant le dispositif de « mesures non-pertinentes pour les professionnels et qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt du public. »

Des observations que Julien (qui a tenu à garder son anonymat), psychologue à Strasbourg depuis 2017, partage en grande partie. Au moment de se lancer à mi-temps en libéral, mi-2021, il a rejoint le dispositif permettant aux étudiants de disposer de chèques psy mais n’a pas souhaité ensuite intégrer le dispositif général, comme 93 % de la profession : 

« Les psychologues demandent en général entre 50 et 60€ de l’heure. Or, les séances réalisées avec MonParcoursPsy sont rémunérées à 30€. Cette sous-tarification impose – et c’est d’ailleurs comme ça qu’est prévu le dispositif – une diminution du temps de la séance à environ 30 minutes. Je trouve ça trop court, le temps que le patient, s’installe, se sente à l’aise… La restriction à huit séances et les pathologies qui sont exclues du dispositif sont toutes aussi problématiques. »

Un cadre trop strict, des séances trop courtes et mal rémunérées

MonParcoursPsy est, en effet, censé s’adresser à des personnes souffrant d’un « trouble psychique léger à modéré ». En sont donc exclues les personnes en situation de burn-out, dépression chronique, deuil compliqué, trouble du comportement alimentaire, harcèlement scolaire… « Que fait-on si on se rend compte que le patient a une pathologie plus lourde au troisième rendez-vous ? Sommes-nous censés tout arrêter ? La continuité est importante dans notre métier », souligne Julien, pour qui la limitation à huit séances par an cause le même problème. 

Il regrette le fait que ce format pousse à deux pratiques, soit travailler sur des rendez-vous plus longs et être sérieusement pénalisé au niveau financier, soit enchaîner les rendez-vous courts, ce qui ne lui convient pas. Tout comme le SNP, il déplore aussi le passage obligé par un médecin, « qui n’est pourtant pas formé à la psychologie ni à la psychopathologie », ce qui peut entraîner une mauvaise estimation des besoins du patient.   

Faire venir des personnes qui ne consulteraient pas en temps normal

« J’ai intégré MonParcoursPsy par solidarité », indique Monique Begel, psychologue à Strasbourg, diplômée en 1989 et partiellement en libéral depuis 1998 :

« J’ai accueilli certains types de patients qui ne seraient jamais venus sans MonPsy. Des personnes qui n’avaient pas la possibilité de payer et qui étaient très reconnaissantes de pouvoir venir dans ces conditions. Elles évoluent dans un univers différent de mes patients habituels et c’est quelque chose de très enrichissant pour moi aussi. »

Mais Monique Begel n’accepte presque plus de nouveaux patients via ce système, indiquant qu’elle ne peut plus se le permettre. 

Un rapport d’évaluation pour de possibles améliorations

Interrogé par Rue89 Strasbourg, le ministère de la Santé a rappelé que le dispositif était désormais pérenne. Il a également mentionné que la loi prévoit « un rapport d’évaluation à rendre au 1er septembre 2024″, avec l’appui d’un comité de suivi qui doit prochainement être formé. Ce rapport devrait comprendre un avis sur la mise en œuvre opérationnelle du dispositif et, si nécessaire, des propositions d’évolution.

Le Syndicat national des psychologues a produit en avril des propositions « pour prendre enfin la bonne direction ». Elles reposent sur deux axes : renforcer les services publics déjà existants et des dispositifs de droit commun (Centres médico-psychologiques, hôpitaux…) avec la création de postes de psychologues et la mise en place d’un « dispositif de consultation chez les psychologues libéraux avec un accès direct de la population sans passage par un médecin, sans restrictions des motifs de consultations et avec des tarifs cohérents avec ceux pratiqués par les professionnels sur le terrain. » 

« On est devenu le défouloir des gens » : le Café Bretelles ferme une journée après une agression

« On est devenu le défouloir des gens » : le Café Bretelles ferme une journée après une agression

Ny Aina Bernardson, gérant du Café Bretelles, dénonce une forte dégradation des conditions de travail de ses employées, liée à de nombreux clients agressifs. Dimanche 2 avril, deux salariées ont subi des violences physiques. En signe de protestation, l’établissement est resté fermé mardi 4 avril.

« Depuis notre réouverture après les confinements, on subit des remontrances de clients presque quotidiennement », souffle Ny Aina Bernardson, cofondateur et propriétaire du Café Bretelles. Mardi 4 avril, un écriteau accroché sur la porte de son établissement situé à la Petite France annonce dans un message laconique : « Équipe en pause suite à une agression. »

La porte du Café Bretelles dégradée, avec un écriteau annonçant la fermeture de l’établissement pour la journée du mardi 4 avril. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Lundi 3 avril, il a publié un post sur Facebook annonçant la fermeture : « Depuis un certain temps, mon équipe doit gérer l’impatience, le mépris, la misogynie et parfois le racisme d’une infime minorité de clients. »

À Rue89 Strasbourg, Ny Aina Bernardson détaille les raisons de cette porte close :

« J’étais en train de porter plainte dimanche matin, car les employées ont découvert que notre porte avait été cassée pendant la nuit. À peine sorti du commissariat, j’ai appris qu’il y a eu une agression ».

De retour à l’Hôtel de police dimanche et lundi pour porter plainte avec deux de ses employées, il relate :

« Comme la porte a été dégradée, le café a ouvert avec 20 minutes de retard. Un client a dû attendre devant, c’était sa première source de mécontentement. Puis il a sorti son ordinateur, ce que nous n’acceptons pas le week-end. En semaine, beaucoup de clients viennent travailler sur place avec leur ordinateur, ils consomment peu, mais ce n’est pas un souci on aime bien accueillir comme ça. Par contre, pour être viables, le samedi et le dimanche, on doit faire plus de chiffre, d’où cette règle. Il s’est levé et a essayé d’étrangler l’une de mes employées. Il a réussi à l’atteindre mais elle s’est dégagée. Puis il s’est rassis, a remballé ses affaires et il est parti. Une autre salariée l’a suivi dehors pour prendre une photo de lui afin de pouvoir l’identifier. Il lui a pris son téléphone avant de la faire chuter. Des témoins se sont interposés. Il est ensuite parti. C’était un homme d’une trentaine d’années avec un style de hipster. Les policiers l’ont reconnu, il était dans leurs fichiers. »

Ny Aina Bernardson constate que ses employées subissent davantage de remontrances depuis le covid. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Ils ne nous considèrent pas comme des humains »

Ny Aina Bernardson a ouvert deux établissements Café Bretelles « il y a un peu moins de dix ans », le premier est à la Krutenau. Il affirme que « la majorité de la clientèle est super, les personnes problématiques ne représentent qu’entre 5 et 10% des gens ». Selon lui, pendant le Marché de Noël, une employée d’origine mexicaine a subi plusieurs remarques comme « c’est pas comme ça qu’on parle en France ».

Ny Aina Bernardson ne comprend pas bien l’origine de cette méchanceté :

« On vend du café, c’est censé être un business tranquille. Mais on est devenu le défouloir des gens, on dirait qu’ils ne nous considèrent pas comme des humains. On ne leur demande pas d’être gentils, mais juste respectueux. Quand le shop est plein, il peut il y avoir une attente de 10 ou 15 minutes. C’est ça qui crée une frustration chez certains en général. Ils nous disent “vous êtes un café de bobos”, “c’est surcoté”, “votre café c’est de la merde”, “vous êtes la pire serveuse que j’ai jamais vu”… C’est dur d’entendre ça, surtout les jours où on n’est pas au top… On a remarqué que les gens se permettent ces remarques bien plus souvent avec des employées qui sont des femmes. »

Ny Aina Bernardson détaille :

« Notre manière de faire du café est technique, c’est pour ça que les clients viennent. Nous avons une recette particulière, avec 17 à 18 grammes qu’on doit peser systématiquement pour un café double. C’est le dosage nécessaire pour produire la saveur qu’on recherche. Et on lave systématiquement les portes filtres pour qu’il n’y ait pas de résidus d’un autre café. Cela prend du temps, mais on est à fond, on fait ce qu’on peut avec les moyens qu’on a : mes salariées sont au Smic avec des primes quand c’est possible, moi je me sors 1 750 euros nets pour 45 à 50 heures par semaine. »

Lorsque des clients deviennent agressifs, l’équipe du Café Bretelles place ce tableau avec un message rappelant que « les membres du staff sont des humains ». Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Le gérant hésite désormais à installer des caméras de surveillance et un bouton qui permet d’appeler directement la police. « Je réfléchis à deux fois quand je mets une employée seule pour un service où il y a peu de monde. Mais si je mets systématiquement deux personnes, ce n’est pas viable… C’est triste de devoir se poser ces questions », souffle Ny Aina.

#Café bretelles

Le procès de la sociologue Pinar Selek, symbole de la chasse judiciaire aux opposants en Turquie

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Des députés bas-rhinois de la majorité préfèrent ignorer les violences policières

Des députés bas-rhinois de la majorité préfèrent ignorer les violences policières

Interrogés sur le durcissement du maintien de l’ordre dans les manifestations, les députés de la majorité du Bas-Rhin Bruno Studer (Ren), Charles Sitzenstuhl (Ren) et Vincent Thiébaut (Horizons) ne voient aucun problème.

À chaque manifestation depuis l’utilisation par le gouvernement de l’article 49-3 de la Constitution pour faire adopter sa réforme des retraites, son lot de vidéos chocs. Tremblantes, mal cadrées, elles captent pourtant le regard en dévoilant de manière crue des policiers hors d’eux, utilisant la force lorsque cela n’est pas ou plus nécessaire, voire prêts à provoquer les manifestants ou à régler leurs comptes avec eux.

Dans ce contexte volatil, la journée de guérilla qu’ont connue les manifestants contre une mégabassine et les gendarmes à Sainte-Soline a été très relayée, avec des scènes quasi militaires et des centaines de blessés, dont les plus graves sont à déplorer parmi les manifestants. À Strasbourg lundi 20 mars, une nasse de fait a été mise en place Petite rue des Dentelles : des dizaines de personnes ont été privées d’air sans qu’elles puissent s’échapper, provoquant une panique et choquant celles qui étaient présentes (voir notre enquête). Face à ces exemples, trois députés bas-rhinois de la majorité d’Emmanuel Macron interrogés par Rue89 Strasbourg refusent de parler de problème systémique.

Bruno Studer est l’unique député de la majorité ayant été élu sur une circonscription strasbourgeoise Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Bruno Studer : « Il faut bien que les casseurs soient interpelés et punis »

Marcheur de la première heure, élu pour la troisième circonscription du Bas-Rhin et toujours raccord avec la ligne du gouvernement, Bruno Studer ne détonne pas plus à propos des violences policières. Estimant que le durcissement des manifestations est un « prolongement des propos extrêmement violents de la Nupes », il reconnaît du bout des lèvres une possibilité d’abus :

« Bien sûr, les erreurs sont toujours possibles. La justice est là pour les examiner, si ces erreurs sont établies. Il faut rappeler que le maintien de l’ordre est défini par des lois, comme la nasse, qui reste elle aussi encadrée. Et il faut bien que les casseurs soient interpelés et punis. (…) Je rappelle également aux manifestants que la loi peut défaire ce qu’elle a fait. C’est le principe de notre système. Si la Nupes est opposée à la réforme, elle a totalement le pouvoir de se représenter aux élections avec son candidat, en 2027. Et si elle gagne, elle pourra revenir sur la loi. »

Charles Sitzenstuhl a plusieurs fois pris la parole pour blâmer les violences des manifestants Photo : remise

Charles Sitzenstuhl (Renaissance) : « S’il y a un usage disproportionné de la force, il vient des casseurs »

Se déclarant « très préoccupé par la montée des violences politiques », le député de la cinquième circonscription du Bas-Rhin, Charles Sitzenstuhl (Renaissance) pose d’emblée un soutien ferme aux CRS, aux policiers et aux forces de l’ordre en général. Dans un bref entretien, il réitère le mantra sécuritaire du gouvernement :

« Je fais toute confiance aux forces de l’ordre, même si certains groupes politiques à l’extrême gauche tentent de discréditer la police. S’il y a un usage disproportionné de la force, il vient des casseurs. Ce sont eux qui m’inquiètent. (…) Il y a clairement des gens dans ces rassemblements qui veulent abattre la Cinquième république. »

Vincent Thiébaut lors d’une séance de questions au gouvernement (photo remise)Photo : Document remis

Vincent Thiébaut (Horizons) : « Les violences restent très marginales »

À l’autre bout du fil, la voix de Vincent Thiébaut (Horizon) est moins martiale que celle de ses collègues. Sans remettre en question les comportements des forces de l’ordre, le député de la 9e circonscription évoque des manifestations plutôt calmes à Haguenau :

« Depuis ma circonscription, je ne constate pas vraiment de violence. La seule manifestation spontanée qui a eu lieu, c’est un rassemblement de six retraités “Gilets jaunes”, qui tenaient un rassemblement avec des chaises pliantes. Après pour Strasbourg… Je ne suis pas juge, s’il y a des abus il faut que la justice mène ses enquêtes. On peut imaginer qu’il y a de l’exaspération des deux côtés. Mais il ne faut pas que le droit à manifester, qui est un droit fondamental, devienne un droit à la violence. (…) Quand j’étais jeune, j’ai moi-même participé à des manifs (contre la loi Devaquet en 1986, NDLR) et j’ai été choqué par la mort de Malik Oussekine. Mais les violences similaires restent très marginales, ce n’est pas comparable à celle des émeutiers. »

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a rien vu à Sainte-Soline qui mériterait une enquête quant aux moyens déployés par les forces de l’ordre. Elles ont tiré 4 à 5 000 grenades lacrymogènes en deux heures, tirant indistinctement sur des groupes de manifestants venus s’opposer à la construction d’une mégabassine privatisant l’eau de pluie, et sur les militants radicaux qui ont tenté de forcer le barrage imposé pour y accéder.

#Charles Sitzenstuhl

Petite rue des Dentelles : « On était à genoux, on suppliait pour sortir et la police ne réagissait pas »

Petite rue des Dentelles : « On était à genoux, on suppliait pour sortir et la police ne réagissait pas »

Au soir du lundi 20 mars, plusieurs dizaines de manifestants se retrouvent bloqués dans la Petite rue des Dentelles à Strasbourg, en plein cœur du quartier de la Petite France. Ils sont gazés à plusieurs reprises, puis pris en étau. La police refuse de parler de nasse. Les témoins, eux, ont vécu de longues minutes traumatisantes.

Nous sommes le lundi 20 mars à Strasbourg. C’est le jour du vote des motions de censure au Parlement, suite à l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution par le gouvernement pour faire adopter sa réforme des retraites. Des milliers de Français vivent ce passage en force comme un geste de mépris, après des semaines de manifestations. À Strasbourg, dès 18h, un rassemblement spontané s’organise à l’appel de l’intersyndicale. « Une manifestation sauvage » s’ensuit, comme certains observateurs nomment désormais ces cortèges aux itinéraires non déclarés en préfecture, mais tout à fait légaux.

En quelques heures, le mouvement dégénère. La police scinde le cortège en deux quai des Bateliers, et disperse la foule à coups de gaz lacrymogènes. L’un des cortèges se dirige vers le centre ville. Après un long jeu du chat et de la souris, ce petit groupe (environ 80 personnes selon les manifestants, une quarantaine selon la police) se retrouve place Benjamin-Zix, en plein cœur de la Petite France, et décide de s’engouffrer dans une ruelle très étroite, la Petite rue des Dentelles, pour échapper à la police.

Après avoir interrogé dix témoins, collecté des vidéos et des photos, Rue89 Strasbourg peut retracer le déroulé des faits et affirmer qu’entre 21h27 et 21h39, dans cette ruelle longue de 65 mètres, et large de 2,5 mètres, une cinquantaine de manifestants ont été gazés, à plusieurs reprises, puis bloqués d’un côté comme de l’autre par la police, coincés dans un important nuage de gaz lacrymogènes. Soit la définition même d’une nasse policière, ce que contestent les forces de l’ordre.

Selon les manifestants interrogés, et d’après plusieurs témoins présents au moment des faits (passants, journalistes indépendants), la police a fait un usage disproportionné de la force et notamment des gaz lacrymogènes. Tous n’en sont pas sortis indemnes.

La Petite rue des Dentelles, dans le quartier de la Petite France à Strasbourg, a été bloquée par les policiers pendant 12 minutes le lundi 20 mars. À l’intérieur, entre 50 et 80 manifestants se sont retrouvés gazés à plusieurs reprises. Au moins deux personnes ont été victimes de malaise dans cette ruelle.Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

« C’était ma première manifestation, j’ai été choqué par le comportement dégueulasse des policiers »

Mohamed se rappellera longtemps du 20 mars. C’était la première manifestation de sa vie. Le jeune étudiant de 20 ans avait décidé de se rendre place Kléber vers 18h, pour protester contre la motion de censure. « Les retraites, je trouve que c’est un combat important, ça concerne tout le monde ». Après le rassemblement spontané et pacifique des débuts, il suit le cortège dont la colère prend de l’ampleur au fil des heures. Mais il insiste : « J’étais dans un groupe pacifique, nous n’avons rien cassé ». Lorsqu’il se retrouve dans la Petite rue des Dentelles, d’emblée, il se sent coincé.

« J’étais en tête du cortège, et en arrivant au bout de la ruelle (qui donne sur la Grand’Rue, NDLR), je vois une ligne de policiers qui se forme. J’ai pris peur, j’ai voulu reculer, et là, je les ai vu nous lancer un tir de lacrymo. C’est arrivé tout près de moi. On savait qu’on était aussi coincés derrière. C’était la panique. J’ai pris peur, je pensais que s’ils nous enfermaient comme ça, c’était pour une raison. Mais non. »

De 21h25 à 21h27 : la ruelle est saturée de gaz, encore ouverte côté Benjamin-Zix, mais les manifestants l’ignorent

D’après les vidéos et les photos récoltées ce soir-là, Rue89 Strasbourg peut établir que le premier tir de lacrymogènes qui atterrit dans la ruelle a eu lieu à 21h25. Or, à ce moment-là, la Petite rue des Dentelles n’est pas encore bloquée par les policiers du côté de la place Benjamin-Zix. Techniquement donc, les manifestants peuvent sortir. D’ailleurs, quelques-uns y parviennent. Mathilde Cybulski, photographe indépendante qui se trouvait dans la ruelle raconte :

« J’étais à l’arrière de ce cortège, et quand on est rentrés dans la petite rue, ça a gazé pas mal derrière nous. Il y avait des tables d’un resto, dans la panique, les gens sont un peu tombés dessus, ont trébuché, ça bouchonnait. Là, on a reçu de nouveau une salve de lacrymo, je suis incapable de dire de quel côté ça venait. Mais j’ai vite vu que devant ça bloquait, l’air était très saturé. J’ai commencé à paniquer, je me suis dit : là, ils vont nasser, il faut que je sorte. J’ai fait demi-tour, j’ai couru et je suis sortie de justesse, quelques secondes avant qu’ils ne ferment la rue. J’ai dû traverser un énorme nuage de lacrymo. »

Si pendant ces premières minutes, la ruelle n’est donc pas encore fermée, elle est en revanche déjà saturée de gaz. D’abord parce que les policiers ont tiré au moins une première grenade à l’entrée de la Petite rue des Dentelles, sur la place Benjamin-Zix, à 21h24. Ensuite, parce que les autres policiers, côté Grand’Rue, ont eux aussi, à leur tour, tiré un second tir de grenade lacrymogène à 21h25, au milieu de la ruelle, parmi les manifestants.

La plupart d’entre eux se trouvent dans la partie haute de la rue, côté Grand’Rue, comme Mohamed. Et ceux-là ont le sentiment d’être coincés. Ils sont enfumés, savent très bien que plusieurs camions de police sont sur la place derrière eux. Ils ont face à eux un mur de forces de l’ordre impassibles. Et dès 21h27, la nasse est effective, avec le déploiement du barrage policier de l’autre côté, place Benjamin-Zix.

En trois minutes donc, les forces de l’ordre ont gazé au moins deux fois, voire plus (certains témoins parlent de quatre palets de gaz lacrymogènes lancés à leurs pieds), en deux endroits différents de cette petite ruelle. Puis ils ont bloqué la rue de part et d’autre.

21h27 – 21h39 : fermeture complète de la ruelle. « On était à genoux, on suppliait, la police ne réagissait pas »

Pierre-Louis a 17 ans. Journaliste indépendant et autodidacte, il couvre tous les mouvements sociaux et les manifestations depuis plusieurs années, armé de sa petite caméra. En 2022, il crée son propre média en ligne, La Presse Libre, sur lequel il poste de nombreuses vidéos.

« J’ai un casque avec écrit Presse dessus, dans tous les sens. Les policiers me connaissent bien à Strasbourg, ils m’appellent tous par mon surnom même. Celui qui était dans le dispositif du blocage Grand’Rue m’avait justement contrôlé en début de manif à 18h. Je lui avais montré ma carte de presse, et l’un de ses collègues m’avait d’ailleurs confisqué mon masque à gaz. »

Pourtant, au moment où les manifestants se retrouvent bloqués côté Grand’Rue, Pierre-Louis se retrouve lui aussi dans la nasse, malgré ses nombreux rappels sur son identité. « Je filmais derrière les policiers, et ils m’ont dit de rentrer dans la ruelle. » Au bout de quelques secondes, il reçoit un jet de gaz lacrymogène dans les yeux, envoyé par les policiers qui savent pourtant très bien qui il est. Sans sommation, sans respect de la distance de sécurité (1 mètre minimum), alors que Pierre-Louis hurle à plusieurs reprises : « Presse ! Presse ! »

Malgré les vives douleurs qu’il ressent aux yeux, le jeune homme filme pendant six longues minutes le début de la nasse. Ce qui a frappé le jeune homme, coutumier des manifestations et parfois même des débordements, c’est l’insensibilité des forces de l’ordre :

« Là, on a atteint un niveau assez dingue. Enfermer des gens, dans une ruelle de moins de 2,5 mètres de large, et très haute où l’air ne circule pas, puis les gazer, c’est inhumain ! Les gens n’étaient pas violents, on était à genoux, on suppliait les mains en l’air pour sortir ! Certains faisaient des malaises, et face à nous : il n’y avait aucune réaction. Ils regardaient les gens crever la gueule ouverte. »

Sur sa vidéo, on peut en effet voir des manifestants hurler : « Laissez-nous sortir, on étouffe ! » Face à eux, le major de police se contente de répondre en retour : « Reculez! ». Puis il s’adresse à ses collègues en criant : « Préparez les bâtons, s’ils s’approchent, on en donne ! » Pierre-Louis se déplace de l’autre côté de la rue, vers la place Benjamin-Zix, espérant sortir, il fait face à l’autre blocage policier. De nouveau, des manifestants implorent de sortir : « Laissez au moins sortir ceux qui font des malaises ! On vous demande un peu d’humanité ». Mais les policiers ne répondent rien.

Au moins une cinquantaine de manifestants ont été gazés à plusieurs reprises, puis bloqués dans la Petite rue des Dentelles à Strasbourg. Pendant de longues minutes, ils implorent les forces de l’ordre pour sortir respirer, mais se heurtent à un mur de silence. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Au bout de 5 minutes et 30 secondes d’après la vidéo de Pierre-Louis, on voit enfin le commissaire en charge sur place, chef de service de la voie publique, Laurent Braulio, intervenir et proposer aux manifestants du spray décontaminant pour les yeux. « Mais cinq minutes, alors qu’on ne peut plus respirer, et qu’on ne peut pas sortir, c’est très long », confie Pierre-Louis qui ajoute avoir déjà été pris dans des nasses policières lors de manifestations parisiennes : « À chaque fois, je montre ma carte de presse et je sors. Là, c’était impossible. »

Le jeune homme a envoyé dès le lendemain un signalement à l’IGPN pour violences par personne dépositaire de l’ordre publique, et atteinte à la liberté de la presse.

Des victimes des gaz : trois malaises au moins

Le gaz lacrymogène – ou gaz CS (celui utilisé par les forces de l’ordre en France) est un composé chimique qui irrite les yeux et le système respiratoire. C’est une arme non létale. Mais pour certains, les effets peuvent être plus graves. Difficultés respiratoires, essoufflement, malaise cardiaque…

Ce soir-là, au moins trois manifestants ont fait des malaises selon nos informations, parfois même aux pieds des policiers. Ainsi, on voit un jeune homme en jogging rouge, plié en deux, appuyé sur un mur. Un ami à lui est à ses côtés et tente de le rassurer. Il serait en train de faire une crise d’asthme selon plusieurs témoins. Pourtant, les policiers ne bougent pas, ne lui proposent pas leur aide. Les vidéos et photos exploitées permettent d’établir qu’il est pris en charge par un secouriste CRS et exfiltré de la nasse à 21h43, soit 16 minutes après le début de la nasse. Il est alors inconscient. Ce jeune homme n’a pas souhaité témoigner.

Un jeune homme a perdu connaissance, après avoir été bloqué pendant 16 minutes dans les gaz lacrymogènes, au sein d’une étroite ruelle en plein de coeur de Strasbourg. (Photo Mathilde Cylbuski / Hans Lucas). Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Une jeune femme aurait également été prise d’un malaise, alors qu’elle avait trouvé refuge dans un restaurant situé au milieu de la ruelle, avec une vingtaine d’autres manifestants. Alice, 24 ans, était présente à ce moment-là :

« À côté de moi il y avait une fille qui s’est écroulée par terre à l’entrée du restaurant. Elle a été prise de spasmes pendant plusieurs minutes, elle ne parlait pas, sa main droite tremblait. Elle avait d’ailleurs une blessure à la main. Il y avait une infirmière parmi nous, qui l’a prise en charge. Et au bout de quelques minutes, la fille a repris conscience. Je ne sais pas si c’était de l’épilepsie mais c’était très impressionnant. Tout le monde était paniqué dans le restaurant. »

Une jeune femme qui se trouvait dans un autre restaurant, situé à 35 mètres de la ruelle, côté Grand’Rue, a elle aussi fait un malaise suite à l’inhalation des nombreux gaz lacrymogènes présents dans la rue. Wendy a 24 ans, elle est asthmatique. Elle dîne avec son petit ami le lundi 20 mars, lorsque vers 21h20, elle commence à se sentir mal :

« J’ai vu passer une meute de policiers, avec de la fumée derrière eux. J’ai pensé que c’était des fumigènes, puis l’odeur est arrivée dans le bar et j’ai commencé à me sentir mal. Je suis allée aux toilettes, et j’ai commencé à faire une crise d’asthme. Je n’avais pas ma ventoline sur moi. »

La jeune femme perd connaissance. Son petit ami appelle le Samu qui la prendra en charge rapidement. Le lendemain, Wendy crache du sang. Depuis, elle est sous anti-inflammatoires et a encore mal à la poitrine. « Je dois faire des analyses plus poussées », confie la jeune femme qui raconte n’avoir pas eu une telle crise depuis au moins deux ans. Elle compte déposer plainte pour mise en danger de la vie d’autrui.

Wendy était dans un bar situé à 35 mètres de la Petite rue des Dentelles, avec son petit-ami, le lundi 20 mars au soir. Elle a été prise d’une violente crise d’asthme, due aux nombreux gaz lacrymogènes utilisés par les forces de l’ordre dans le périmètre. (Document remis). Photo : document remis

21h39 : fin de la nasse, une première femme sort après un contrôle d’identité

Toujours d’après les images, Rue89 Strasbourg peut affirmer qu’une première femme sort de la nasse à 21h39, du côté de la place Benjamin-Zix, après avoir montré ses papiers d’identité aux forces de l’ordre. Et tous les témoins interrogés racontent la même chose : à partir de ce moment-là, les policiers annoncent une sortie possible, deux par deux, après contrôle des pièces d’identité. Germain (le prénom a été modifié), 20 ans, en est certain :

« Au bout d’une vingtaine de minutes, quand le gaz s’était un peu dispersé, ils nous ont demandé nos papiers, et nous ont permis de sortir. Mais pas avant ! »

Pourtant, interrogé sur l’irrégularité de cette nasse policière par le député LFI Emmanuel Fernandes — qui a fait un signalement auprès de la Procureure de Strasbourg — le 23 mars, Gérald Darmanin a assuré qu’il y avait eu « une sortie à la nasse » : les policiers autorisant les personnes « à sortir deux par deux (…) après s’être assurés qu’ils ne portaient aucun objet dangereux ».

Les faits, témoignages et images récoltés ici prouvent le contraire de ce qu’a affirmé le ministre de l’Intérieur.

La police dément toute nasse : « Les manifestants se sont simplement retrouvés entre deux dispositifs policiers »

Le commissaire de police strasbourgeois Laurent Braulio, chef du service de voie publique et présent place Benjamin-Zix au moment des faits, refuse lui aussi de parler de nasse :

« Il y a eu un jet de une ou deux grenades à main sur le secteur Benjamin-Zix, puis les manifestants se sont engouffrés dans cette petite rue. Ils auraient pu rester sur des grands axes, mais ils ont choisi cette ruelle étroite. En arrivant au sommet, ils sont tombés sur le dispositif policier en barrage de la Grand’Rue, donc ils ont voulu faire demi-tour, et là il y avait les autres policiers qui les suivaient ! Donc ils se sont retrouvés entre les deux dispositifs et n’ont pu le quitter qu’après contrôle d’identité. »

Laurent Braulio assure « qu’il y a eu des demandes faites pour savoir si les gens avaient des problèmes respiratoires ». Ni les vidéos, ni les témoins interrogés ne confirment ces propos.

Le commissaire explique par ailleurs le silence et l’immobilité de ses troupes par la nécessité d’interpeller les fauteurs de troubles :

« Il fallait attendre les ordres, savoir si les casseurs repérés auparavant avaient été vus sur les caméras. La mission de la police c’est tout de même d’arrêter les fauteurs de troubles ! »

Puis Laurent Braulio conclut, et répète : « Ce n’était pas une nasse, c’était un simple hasard de circonstances. Une nasse, c’est un dispositif pour prendre en tenaille, contraindre et restreindre. Là, on ne bloquait pas pour bloquer. » Interrogé sur le nombre d’interpellations à la suite de ce « blocage », le commissaire n’avait pas les informations et la préfecture n’a pas répondu à nos questions.

Prise de conscience d’une peur de la police

Interrogés près de dix jours après les faits, les différents témoins ont pu analyser à froid leurs sentiments sur cette soirée-là. Yasmine, jeune étudiante de 20 ans, déjà coutumière des manifestations, dit avoir eu une sorte de révélation :

« Ça m’était déjà arrivé d’être gazée, mais là, j’ai été surprise par la violence de la police. J’ai réalisé que tout ce que je pouvais lire avant dans la presse, sur les victimes de violences policières, je n’y croyais pas vraiment, je me disais ”Oui mais il y a sûrement un contexte qui explique ça, etc”. Maintenant, je veux dire aux gens : il faut croire les témoignages. La violence policière est bien réelle. »

Salomé, elle, a 22 ans. Ce qui a marqué la jeune femme, c’est son sentiment d’insécurité face aux forces de l’ordre, un peu partout dans la ville ce soir là :

« C’était la première fois que j’étais dans ce genre de manif spontanée. Je pensais bien que ça allait être compliqué mais pas à ce point-là. En fait, j’ai tenté à plusieurs reprises de quitter le cortège, mais je voyais que les policiers nous suivaient partout, et qu’ils interpellaient et arrêtaient de façon violente tous les manifestants qu’ils pouvaient prendre. Je me sentais plus en sécurité avec les manifestants, que seule, face aux policiers. »

Fatma, étudiante en histoire, confie également avoir été abasourdie par la violence extrême du processus :

« Quand j’ai vu les policiers, je me disais qu’un de leurs gosses pouvait se trouver parmi nous. Je les ai trouvés inhumains. Maintenant, j’ai peur de retourner dans une manifestation non déclarée. Mardi 28 mars, je suis partie avant que ça dégénère. Je n’ai plus envie d’être là-dedans. »

Radicalité de l’engagement

Pour d’autres, au contraire, ce soir-là les a confortés dans leur envie de lutter contre la réforme des retraites, mais aussi dans les moyens à utiliser. C’est le cas de Guillaume, 27 ans. Au moment où les gaz lacrymogènes saturent la ruelle, et où il réalise qu’il est bloqué avec une cinquantaine de personnes, il tente d’entrer dans un immeuble, et y parvient.

« Je suis monté tout en haut d’un petit escalier en colimaçon, au 2e étage. J’ai toqué à la porte. C’était un couple très gentil. Ils m’ont donné de l’eau pour mes yeux, et ont fait le guet pour me dire ce qu’il se passait dans la rue. Puis progressivement, d’autres manifestants sont arrivés et se sont installés comme moi sur les marches. Au total, j’ai compté, on était une trentaine. C’était dingue comme moment, trente personnes dans un escalier, qui ne faisaient aucun bruit. On ne voulait pas que la police nous contrôle et prenne nos cartes d’identité. »

Au bout de 40 minutes (d’après des textos que nous avons pu consulter), Guillaume parvient à sortir de l’immeuble, et de la ruelle, sans se faire contrôler par les forces de l’ordre.

« On avait l’impression de ne pas avoir le choix, de devoir attendre là, d’être forcé à donner notre identité alors qu’on n’avait rien fait de mal ! C’était les policiers qui étaient dans l’illégalité ce soir-là. »

Depuis, le jeune homme assure avoir toujours envie de manifester, « même encore plus dans les sauvages, car elles font davantage prendre conscience au public qu’il y a un problème. Et puis de toute façon, on a vu que les manifs normales n’ont aucun effet… » Mais désormais Guillaume est suréquipé : masque de protection pour ses yeux, décontaminant et sérum physiologique, bouteille d’eau, et deuxième téléphone portable. « Au cas où je suis arrêté par la police. »

Onzième mobilisation jeudi 6 avril contre la réforme des retraites à Strasbourg

Onzième mobilisation jeudi 6 avril contre la réforme des retraites à Strasbourg

L’intersyndicale appelle « à une nouvelle grande journée de grève et de manifestations » le jeudi 6 avril contre la réforme des retraites. À Strasbourg, la manifestation devrait partir de l’avenue de la Liberté à 14 heures.

Suite à la manifestation du 28 mars, l’intersyndicale appelle à un nouveau rassemblement pour une 11e journée de manifestation, ce jeudi 6 avril. À Strasbourg, le cortège devrait partir vers 14h depuis l’avenue de la Liberté. Les syndicats avaient proposé un trajet identique à la dixième manifestation, en sens inverse pour changer mais la préfecture l’a refusé.

Gilles Dimnet, secrétaire général adjoint de la CGT du Bas-Rhin, précise que la manifestation partira de l’avenue de la Liberté pour le parcours habituel.

Tête du cortège de la manifestation du mardi 28 mars 2023 à Strasbourg Photo : Camille Gantzer / Rue89 Strasbourg / cc

Dans un communiqué, les syndicats bas-rhinois AES, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, Solidaires, Unsa et FA dénoncent toujours « un parcours parlementaire chaotique » et une « absence de réponse de l’exécutif ». Ils ajoutent leur soutien aux manifestants blessés lors des précédentes manifestations :

« En ne répondant pas à la demande de retrait, en usant de l’article 49-3, l’exécutif a fait le choix d’accentuer la crise démocratique et sociale. Pourtant, dès le début, les organisations syndicales et de jeunesse avaient prévenu l’exécutif du risque d’explosion sociale que pouvait provoquer cette réforme injuste, injustifiée et brutale. Le gouvernement a la responsabilité de garantir la sécurité et le respect du droit de grève et de manifester. Alors que le calme a toujours caractérisé le mouvement, l’intersyndicale déplore le nombre de blessés. »

Extrait du communiqué de l’intersyndicale du Bas-Rhin.

Une action policière croissante

Après l’annonce du recours à l’article 49-3 de la Constitution le jeudi 16 mars par la Première ministre Élisabeth Borne, les mouvements de protestation se sont multipliés en France face à ce qui est souvent perçu comme un coup de force de l’exécutif. À Strasbourg, des manifestations, déclarées ou non, se déroulent chaque semaine. Après la journée d’échauffourées entre gendarmes et manifestants samedi 25 mars contre les mégabassines à Sainte-Soline, ces derniers sont d’autant plus déterminés à se faire entendre de l’exécutif.

Grèves et perturbations à venir

De nombreux secteurs risquent d’être impactés par la journée de mobilisation, à commencer par les transports en commun : bus, trams et trains régionaux. La CTS (Compagnie des transports strasbourgeois) et la CTBR (Compagnie des transports du Bas-Rhin) devraient donner davantage de détails sur ses prévisions de trafic d’ici le 5 avril. Depuis le mouvement de contestation de la réforme des retraites, aucun train régional ne circule les jours de mobilisation.

À Strasbourg, toutes les cantines gérées par la Ville de Strasbourg seront fermées jeudi 6 avril.

Le départ de Mgr Ravel plane sur le diocèse de Strasbourg

Le départ de Mgr Ravel plane sur le diocèse de Strasbourg

Depuis près d’un an, le sort de Mgr Ravel à la tête de l’archevêché de Strasbourg semble en suspens. Depuis l’enquête apostolique en juin 2022, il est absent des manifestations publiques. Face au silence absolu maintenu par l’Église catholique, l’attente d’un changement devient pesante au sein du diocèse.

« Ça devient très long. Pour les personnes qui espèrent un dénouement et un renouvellement, c’est pesant », glisse un ancien membre de la curie diocésaine de Strasbourg. Il tient à rester anonyme, comme tous ceux qui . . .

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Lettre ouverte : « pour une cantine au sein du collège de l’Elsau »

Lettre ouverte : « pour une cantine au sein du collège de l’Elsau »

L’Amicale des habitants de l’Elsau interpelle les élus strasbourgeois et de la Collectivité d’Alsace pour qu’à la faveur de la rénovation du quartier une cantine soit proposée aux quelques 800 élèves du collège Hans Arp.

Mesdames, Messieurs, 

Beaucoup de collèges strasbourgeois n’ont pas de cantines. Or cela ne favorise pas la lutte contre la malnutrition qui sévit particulièrement dans les quartiers populaires comme l’Elsau et aggrave l’inégalité des chances des quartiers dits prioritaires.

Nous avions interpellé la Ville de Strasbourg en 2020 et les élus de la Collectivité d’Alsace (CEA), notamment Fleur Laronze et Damien Frémont, pour que cela change. Suite à cela, un dispositif bien insuffisant a été mis en place par la CEA : une cinquantaine d’élèves du collège Hans Arp (sur 820) vont en bus au Creps à Kœnigshoffen pour déjeuner tous les midis ; le trajet nécessitant 20 minutes à l’aller et 20 minutes au retour, les collégiens ne disposent que de 15 à 20 minutes pour déjeuner dans une salle à part.

Ce service mis en place par la CEA est totalement insuffisant, voire dissuasif, et ne règle en rien les problèmes du quartier. Ce dispositif n’incite pas les familles à inscrire leur enfant à la cantine ; beaucoup d’enfants continuent de mal manger souvent aux abords du collège. Enfin, l’absence de restauration scolaire peut engendrer d’autres difficultés, comme par exemple d’obliger certaines mères à rester chez elles pour assurer le couvert du midi à leurs enfants, leur rendant l’accès à une vie professionnelle plus compliqué.

Une vue du collège de l’Elsau en 2015 Photo : archives Rue89 Strasbourg / cc

De plus, le Creps ne peut pas accueillir plus de 50 enfants, alors que, d’une part 80 familles ont répondu dans un sondage récent qu’elles souhaiteraient que leurs enfants mangent à la cantine, et que d’autre part les effectifs du collège sont en augmentation : le collège Hans Arp accueille actuellement 820 élèves et 870 sont attendus à la rentrée 2023. Il est évident que la création d’un lieu dévolu à la restauration du collège créera un afflux de demandes supplémentaires de la part des parents.

Le CEA a mis en place un tarif unique de 3,33 euros par repas et refuse toute construction de cantine à Hans Arp sous prétexte que le tarif resterait trop cher pour les familles du quartier. Or il existe un fonds social qui dépend de l’Éducation nationale et une aide financière pour les cantines alimentées par le département : tout cela permettra de satisfaire les demandes d’aide des familles, quel que soit le coût de la cantine. Espérons que les services de la CEA n’oublieront pas de préciser tout cela aux familles, lors de sa prochaine enquête ou de ses prochains courriers sur la restauration scolaire.

Mettre les efforts en commun

La Ville de Strasbourg a depuis longtemps mis en place une tarification solidaire pour les écoles maternelles et élémentaires, ce qui est particulièrement important dans les quartiers prioritaires comme l’Elsau. Pourquoi la CEA ne pourrait-elle faire de même avec les collèges et les lycées ?

Bien qu’un projet de cantine commune entre les écoles maternelles, élémentaires et le collège soit à l’étude, nous pensons qu’un bâtiment de restauration devrait se situer dans l’enceinte du collège Hans Arp, qui dispose d’ailleurs de terrains qui pourraient être constructibles. La CEA doit construire prochainement des salles de classes et des toilettes supplémentaires devenus nécessaires avec l’augmentation des effectifs. Alors, pourquoi ne pas prévoir une cantine avec ? 

De plus, si la Ville et l’Eurométropole y participaient dans le cadre de la rénovation urbaine, on peut espérer que la CEA cofinancerait un service de restauration plus adapté à ce collège ; service, qui rappelons-le, est un enjeu en terme d’égalité des chances, de mixité sociale, de santé publique et de rénovation urbaine. Aussi, nous renouvelons notre demande à la Ville de Strasbourg, à l’Eurométropole et à la Collectivité d’Alsace (dans le cadre de sa mission) de prévoir un bâtiment destiné à la restauration des collégiens à l’Elsau.

Marc Ferrante et Michel Witasse
pour l’Amicale des habitants de l’Elsau

Avec Nora Bellahcene, Strasbourgeoise engagée pour les femmes de Hautepierre

Avec Nora Bellahcene, Strasbourgeoise engagée pour les femmes de Hautepierre

« Les Strasbourgeoises et Strasbourgeois engagés », un podcast de Rue89 Strasbourg. Dans cette série de portraits sonores, des militants racontent leur engagement, leur parcours. Douzième épisode avec Nora Bellahcene, membre de l’association Femmes d’ici et d’ailleurs.

À la fin des années 90, Nora Bellahcene fait la rencontre d’un groupe de femmes au centre socio-culturel de Cronenbourg. Animé par Saadia Bouazzi, responsable de la halte garderie, cet espace d’échange entre mamans séduit la jeune Mulhousienne installée à Strasbourg depuis peu. De discussions en discussions, Nora y trouve des amies, une famille. Pour elle, ce sera le point de départ d’un engagement de plus de vingt ans dans ce qui allait rapidement devenir une association dont elle est aujourd’hui la trésorière. « Ça fait 24 ans que j’y suis et je ne me vois pas vivre sans les Femmes d’ici et d’ailleurs. »

Groupe de parole, espace d’entraide, Femmes d’ici et d’ailleurs propose aux habitantes des quartiers de Cronenbourg et Hautepierre des temps pour sortir du quotidien. Au travers de repas, d’ateliers et de sorties culturelles s’y développe une sororité bienvenue face aux difficultés :

« Ces femmes sont sollicitées par leur époux, par leurs enfants et par la société toute entière. Elles portent énormément de choses et il faut qu’elles puissent déposer tout cela dans un endroit où elles deviennent sereines. »

Nora Bellahcene de l’association Femmes d’ici et d’ailleurs. Photo : AL / Rue89 Strasbourg

Aux difficultés d’une vie de femme, d’épouse ou de mère, s’ajoutent les problématiques sociales souvent rencontrées dans les quartiers populaires strasbourgeois. Chômage, mal-logement, pauvreté et isolement, frappent plus souvent qu’à leur tour les femmes de Hautepierre et Cronenbourg. D’association d’entraide, Femmes d’ici et d’ailleurs se transforme année après années en structure d’action sociale plus large.

On les retrouve ainsi engagées à préparer des repas pour le squat Bugatti, faire le lien avec la Caisse d’allocations familiales pour l’achat de matériel informatique lors du confinement, etc. Face aux difficultés sociales croissantes des quartiers, l’association dépasse largement le cadre qu’elle s’était fixée au départ :

« Le but, c’était de créer du lien, de l’entraide. Ce n’est pas à nous de remplir le frigo des personnes. Mais on va de plus en plus loin. La question, c’est de savoir jusqu’où on va pouvoir aller. »

La concertation sur l’avenue des Vosges prend des allures de guerre de tranchées

La concertation sur l’avenue des Vosges prend des allures de guerre de tranchées

La transformation à venir de l’avenue des Vosges soulève une envolée de protestations, de la part d’une partie des habitants et de l’opposition de droite. Face à la bronca mercredi soir, la municipalité écologiste est restée ferme.

« Il n’y pas de solution ! Donnez-nous des solutions, nom de Dieu !! » Gueulards, les révoltés de la Neustadt s’égosillent sur leurs sièges. Mercredi 29 mars, depuis les tribunes bondées du Palais des fêtes, les huées tombent en cascade contre les représentants de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg. La maire Jeanne Barseghian (EE-LV) en tête. L’objet de leur courroux : les aménagements sur l’avenue des Vosges qui accompagneront le tramway vers le nord de l’agglomération, parce qu’ils limiteront grandement la circulation des voitures. Face à eux, l’exécutif n’en démord pas et assume d’en finir avec cette artère routière, avec l’appui des partisans du projet. Présents eux aussi en nombre, ils répliquent par des salves d’applaudissements nourries. Avec une synchronisation suspecte. 

Plus de 500 personnes s’étaient déplacées pour assister à la réunion publique, selon la communication de la Ville. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg/ cc

Éruptive, la réunion publique voit deux blocs opposés se répondre de la sorte durant toute la soirée. Il s’agissait du premier temps d’échange depuis l’annonce récente de grands travaux en prélude à la réalisation d’un tram reliant Strasbourg à Schiltigheim. Deux chantiers en particulier concentrent les critiques, pour leur impact sur la physionomie du quartier. Le premier donnera naissance au Parc de Haguenau, un espace vert de 16 hectares s’étalant sur l’actuelle place de Haguenau, une voie d’accès reliant la M35 aux autoroutes ceinturant l’Eurométropole. 

L’autre sujet, hautement inflammable, concerne le passage du tram sur l’avenue des Vosges, précédé d’un allongement des trottoirs et le déploiement d’une piste cyclable, à la place de l’actuelle bande cyclable. De facto, la rue deviendrait quasi-piétonne. S’attaquant à l’un des fiefs de la droite locale, l’annonce a eu l’effet d’une déclaration de guerre.

Plusieurs élus municipaux étaient venus assister à la réunion publique. De gauche à droite, les conseillères socialistes Anne-Pernelle Richardot et Catherine Trautmann. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg/ cc

« Pour les familles, c’est un vrai problème »

Une cinquantaine de riverains opposés à ces aménagements s’étaient déjà réunis la veille, entassés sur les banquettes rustiques du Snack Michel pour affûter leurs arguments. À la manœuvre, le conseiller municipal Jean-Philippe Vetter (LR) et la conseillère départementale Anne Tenenbaum (Horizons). « Je suis très surpris qu’Anne et moi, avec 130€ de budget pour les tracts et nos petits bras, on arrive à organiser une meilleure consultation que la Ville », raille Jean-Philippe Vetter. 

Jean-Philippe Vetter dénonce l’absence de plan de circulation en amont de la réunion publique. Photo : RG/ Rue89 Strasbourg/ cc

Durant la dernière campagne municipale, le candidat malheureux de la droite avait fait de l’avenue des Vosges l’un de ses marqueurs politiques. À l’époque, il s’était mis en scène en défenseur des automobilistes, brandissant un panneau « Retour à deux fois deux voies de circulation » en plein milieu d’un terre-plein. Un coup d’éclat largement relayé à l’époque, comme si le sort de cette seule avenue se confondait avec celui de toutes les voitures. Au centre de la pièce principale du Snack Michel, Jean-Philippe Vetter en remet une couche :

« Je conçois que si on est célibataire, sans enfant, qu’on ne se déplace qu’à vélo et qu’on n’est pas sensible au bruit, ça peut être pas mal d’avoir le tram devant chez soi. Mais pour les familles, ou les personnes à mobilité réduite notamment, le manque de stationnement est un vrai problème. »

Les têtes grises présentes dodelinent pour approuver. Venu écouter l’opposition, le conseiller mobilités de la Ville, Pierre Helwig, désapprouve à l’écart. Quelques instants plus tard, il est rejoint par l’adjoint chargé de la mobilité, Pierre Ozenne, qui débarque en plein milieu de la réunion. Silence dans l’assistance. Après un bref moment d’étonnement, l’orateur de droite reprend son discours. Jurant qu’il n’est pas « anti-tram », il dézingue le coût du projet d’extension qui s’élève à 140 millions d’euros pour un résultat qu’il estime inepte et mal préparé. 

L’efficience du tracé mis en cause

Présent dans l’assistance, le conseiller d’opposition Pierre Jakubowicz (Horizons) approuve en silence. En aparté, il détaille sa position :

« Pour moi, ce tracé est une erreur. En passant par l’avenue des Vosges depuis la place de Haguenau, le tram fait un trajet en forme de “L”, pour atteindre le lycée Kléber. Ce détour représente une perte de temps de près de 10 minutes. C’est dissuasif pour toutes les personnes se rendant au Parlement européen, au nouveau quartier Archipel ou au Maillon par exemple. »

À gauche, le conseiller municipal Pierre Jakubowicz. À droite, la conseillère régionale Irène Weiss (LR). Photo : RG / Rue89 Strasbourg/ cc

L’élu se délecte en rappelant ce qu’il qualifie comme « un raté » des consultations publiques précédant la mise en marche du projet. Trois tracés avaient été proposés ; celui longeant les quais Kléber et Finkmatt était majoritaire. Sans qu’un plébiscite ne se dégage pour autant. « Pour moi c’est un tram zadiste, qui est là pour occuper la surface au sol, reprend Pierre Jakubowicz. Ce n’est ni un projet viable en termes de dépenses publiques, ni en termes de réseau, mais ça leur permet d’atteindre leur objectif politique : piétonniser l’avenue des Vosges. » Le conseiller propose son alternative, en poussant pour le passage par la rue Jacques-Kablé, longiligne, directe, mais bien moins peuplée. 

Après avoir fini d’échauffer les esprits des résidents conservateurs de la Neustadt, Jean-Philippe Vetter conclut en enjoignant ces derniers à venir en nombre le lendemain au Palais des fêtes. 

« J’assume de proposer une transformation ambitieuse »

À en juger au volume des huées, la consigne est donc bien passée. Chaque mention de l’avenue des Vosges déclenche un tollé. À peine Jeanne Barseghian avait elle touché le micro, qu’une bronca démarrait. Suivi tout de suite d’une acclamation de ses soutiens. Face au public agité, elle réaffirme : 

« Les travaux sur l’avenue posent évidemment des questions, mais cette voie comporte son lot de problèmes. Tous les jours, je suis interpellée par des Strasbourgeois sur les problèmes de circulation. L’objectif sera de mieux vivre. J’assume de proposer une requalification. On supprime le trafic de transit sur cette avenue pour l’orienter vers d’autres axes. » 

Durant toute la soirée, l’animateur tentera de calmer les esprits. En vain. Photo : RG / Rue89 Strasbourg/ cc

Entre partisans et opposants au projet de piétonnisation, il était difficile de départager un groupe majoritaire. Le débat se déporte jusque dans les rangs du public, où l’on parlemente entre voisins de sièges. Habitant l’avenue des Vosges depuis quelques années, Liora a longuement pris à partie la maire : 

« J’ai trois enfants, dont un que je dois déposer à l’école avant d’aller au boulot. Avec la voiture, ça me prend quinze minutes, avec le tram ce sera une heure. Désolé, mais mon choix est clair. » 

Au centre, Liora se fait applaudir par une partie de la salle. Photo : RG/Rue89 Strasbourg/ cc

À quelques rangées d’elle, Ariane se fait réprimander par l’une de ses voisines. « On me demande si j’ai des enfants, comme si on n’était pas légitime pour donner mon avis sans eux. » Cycliste aguerrie, elle se réjouit de l’installation prochaine de pistes cyclables plus sûres, le long de l’avenue :

« Je ne suis pas encartée, j’étais juste là pour soutenir la maire, je trouve le projet utile, et c’est bien qu’elle l’assume. »

Après trois heures d’intenses débats, la salle se vide progressivement. Si le tracé du tram reste inchangé, d’autres réunions publiques auront lieu sur les aménagements ultérieurs. Autant d’occasions futures de s’écharper sur le sort de l’avenue…

Après Sainte-Soline : « On a tous la même machine sanglante en face »

Après Sainte-Soline : « On a tous la même machine sanglante en face »

Suite à la manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline où de nombreuses personnes ont été blessées par les gendarmes, des militants de plusieurs organisations se sont rassemblés devant la préfecture du Bas-Rhin jeudi 30 mars. Ils constatent tous que l’État n’a qu’une réponse face à leurs luttes : la répression policière.

Des écologistes de retour de Sainte-Soline, des agriculteurs de la Confédération paysanne, des cheminots, des Gilets jaunes, des membres du collectif contre la réforme des retraites « On crèvera pas au boulot », des militants pour les droits des sans-papiers… Devant la préfecture du Bas-Rhin, plusieurs centaines de personnes d’horizons divers se rejoignent jeudi 30 mars. Le mot d’ordre du rassemblement : « soutenir les deux activistes dans le coma après la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline, et tous les autres blessés de cette manifestation et de la lutte contre la réforme des retraites ».

Plusieurs centaines de manifestants écoutent des prises de parole devant la préfecture. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Aujourd’hui, la convergence des luttes a un slogan, c’est Darmanin au fond du Rhin », lance un homme, mégaphone à la main. Mickaël Kugler, présent à Sainte-Soline et militant contre l’autoroute du Grand contournement ouest (GCO), décrit l’invariable répression de l’État face à toute contestation :

« Il y a une uniformité dans la réponse du système face aux luttes, c’est sa violence. On se rejoint forcément là-dessus. La police est l’incarnation physique de cette violence d’État. Quand on se mobilise, on n’est pas écoutés. On le voit bien avec la réforme des retraites. Pour Sainte-Soline, il y a aussi eu des démarches juridiques, des rassemblements très pacifistes. Au bout d’un moment, forcément, il ne reste plus que les modes d’action plus radicaux. En l’occurrence, l’objectif était d’atteindre le site. Et la réponse, ce fut les grenades. »

Mickaël Kugler, très actif dans la lutte contre le GCO, a manifesté à Sainte-Soline. (Photo TV / Rue89 Strasbourg / cc)Photo : TV / Rue89 Strasbourg

« C’est toujours la même machine sanglante en face »

Dans la même logique, Raphaël, prend la parole devant la foule :

« J’ai participé au mouvement contre le CPE en 2005. J’ai fait partie des Gilets jaunes. Je suis membre du collectif On crèvera pas au boulot et j’étais à Sainte-Soline. C’est toujours la même machine sanglante de domination et de répression en face. Mais il y a un très beau mouvement social qui se construit. Je pense qu’on peut être fiers de nous. »

Un cheminot du syndicat Sud Rail poursuit en rappelant qu’un de ses confrères a été éborgné lors de la manifestation contre la réforme des retraites du jeudi 23 mars à Paris.

Des forces de l’ordre sont positionnées au niveau de toutes les voies d’accès à la place de la République. Laurent Tarasco, directeur départemental de la sécurité publique (chef de la police nationale dans le Bas-Rhin), est présent. Peu après 19h, dans un tweet, la préfète de la Région Grand Est communique sur des pierres et des cailloux « dissimulés dans les haies » place de la République. Mais la représentante locale de l’État ne précise pas s’ils ont été placés là par des manifestants…

« C’est la même stratégie que Darmanin qui disait que les manifestants venaient à Sainte-Soline pour tuer des policiers. La préfète prépare l’opinion à des actions répressives de la police », commente Mickaël Kugler. Une femme prend le micro et cite la tirade des trois violences de l’évêque catholique brésilien Hélder Câmara face aux policiers.

Un important dispositif policier encadre la manifestation. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Si on veut que ça change, il faudra les contraindre »

Le discours est ponctué par des applaudissements soutenus. Alia, présente au rassemblement, n’est pas étonnée par « le phénomène de répression » :

« Il faut bien comprendre qu’on est dans un rapport de force avec les élites au pouvoir. Ils savent bien que le système est problématique mais pour eux, c’est immuable. Si on veut que cela change, il faudra les contraindre d’une manière ou d’une autre. Les révolutions, dans l’Histoire, ne se sont jamais construites juste pacifiquement. »

Alia n’est pas étonnée par la répression policière. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Gabriel, militant pour les droits des migrants, constate de son côté que « le mouvement social contre la réforme des retraites a obligé le gouvernement à repousser sa loi asile et immigration ». Cela témoigne pour lui d’une forte connexion entre les luttes : « La mobilisation a déjà des impacts, le gouvernement a peur de nous. Et d’ailleurs, si les flics encadrent nos manifs, ils ne sont pas entrain d’expulser le squat Bourgogne à la Meinau où vivent plus de 200 sans-abris. »

Les militants font face aux forces de l’ordre, devant la préfecture. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Il nous faut faire la révolution »

Ému, David, jeune étudiant revenu de Sainte-Soline avec une fracture ouverte de la main, déclare : « Je pense aux victimes. J’aurais pu en faire partie. Tant que le gouvernement continuera l’inaction climatique, la lutte continuera, je continuerai. » Un membre de la section locale de l’organisation communiste libertaire souligne que Serge, l’un des manifestants dans le coma, est le fils de ses amis :

« Il nous faut réagir et poursuivre nos luttes ! Avec la bataille des retraites d’abord qui ouvre une brèche dans le système bourgeois comme jamais. Avec la bataille de l’eau également. Il nous faut faire la révolution et mettre à bas cette société pour que les souffrances du 25 mars ne soient pas vaines. »

David a été touché par une grenade à Sainte-Soline : il est revenu avec une fracture ouverte de la main. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Après les prises de parole, une partie des personnes présentes forment un cortège et marchent autour de la place de la République. Bloqués de tous les côtés par les forces de l’ordre, les manifestants décident de se disperser peu avant 21h.

Derrière les tags anti-IVG au Planning, un réseau chrétien réactionnaire bien implanté à Strasbourg

Derrière les tags anti-IVG au Planning, un réseau chrétien réactionnaire bien implanté à Strasbourg

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Manifestation du 28 mars : trois mois de sursis pour un jeune de 19 ans

Manifestation du 28 mars : trois mois de sursis pour un jeune de 19 ans

Interpellé lors de la manifestation contre la réforme des retraites du 28 mars, un homme de 19 ans est passé en comparution immédiate après avoir jeté deux bouteilles et un caillou en direction de policiers. Après 48 heures de garde à vue, il a été condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis.

Cyril (prénom modifié) a participé à la mobilisation contre la réforme des retraites mardi 28 mars. Il fait partie des onze personnes interpellées suite à la manifestation sauvage qui a suivi le cortège déclaré. Selon les Dernières nouvelles d’Alsace, quatre d’entre eux ont été remis en liberté sans poursuites, cinq ont vu leur garde à vue prolongée et deux sont passés en comparution immédiate jeudi 30 mars, dont Cyril, étudiant en communication âgé de 19 ans.

Ce dernier a reconnu avoir jeté deux bouteilles de bière Meteor de 25 centilitres de contenance et un caillou en direction des forces de l’ordre sans les toucher. « Sur le coup de l’adrénaline et du mouvement de foule, j’ai voulu faire comme les autres », a t-il déclaré, depuis le box des accusé. Le président du tribunal, Philippe Schneider, a salué la franchise du prévenu, avant de lui exposer que les policiers qu’il a visé ont peut-être « une opinion politique » similaire à la sienne. Cyril a assuré qu’il a pu discuter avec des agents pendant sa garde à vue et qu’il regrettait son geste.

Deux personnes ont été condamnées suite à des comparutions immédiates le 30 mars après avoir été interpellées en marge de la manifestation du 28 mars à Strasbourg. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

2 000 euros à verser aux policiers visés

Le jeune homme a finalement écopé de trois mois de prison avec sursis, et a été condamné à payer 200 euros aux dix policiers qui ont porté plainte contre lui, soit 2 000 euros en tout. Il est également interdit de manifestation à Strasbourg pendant un an.

Énes (prénom modifié), 23 ans, est le deuxième interpellé en marge de la manifestation du 28 mars qui passait en comparution immédiate ce jeudi. Il était accusé d’avoir frappé un policier à l’aide d’un mortier et d’avoir détruit un abribus.

En l’absence de preuve vidéo, il a été relaxé pour la dégradation mais il a été condamné pour violence sur policier à 70 heures de travaux d’intérêts généraux, qu’il doit faire dans les 18 prochains mois. S’il ne les réalise pas, il ira en prison pendant deux mois. Il a cependant nié faire partie des manifestants. Énes a en effet été arrêté à quelques mètres de chez lui : « Je voulais faire des courses pour ma mère », a t-il affirmé.

Onze personnes ont été interpellées mardi 28 mars en marge de la manifestation. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Selon sa version, il aurait alors saisi un mortier qu’il a trouvé dans un buisson près de chez lui de peur que ce dernier soit utilisé par des manifestants pour « faire exploser des voitures », puis il aurait été pris dans un mouvement de panique à l’arrivée d’un groupe de personnes poursuivies par des policiers. Il aurait alors, lui aussi, couru, et au moment où il aurait été rattrapé par un agent, en se retournant, il lui aurait donné un coup avec le mortier qu’il avait en main, sans savoir qu’il s’agissait d’un policier.

D’autres comparutions immédiates faisant suite à la manifestation du 28 mars pourraient avoir lieu ces prochains jours.

Une troisième Vélorution samedi pour des aménagements cyclables sécurisés à Koenigshoffen

Une troisième Vélorution samedi pour des aménagements cyclables sécurisés à Koenigshoffen

L’association Koenigs au Vert organise sa troisième Vélorution samedi 1er avril. Le collectif demande des aménagements cyclables sécurisés dans les rues qui seront empruntées pendant la manifestation.

Samedi 1er avril, l’association Koenigs au Vert organise la 3e édition de sa Vélorution à Koenigshoffen. Le départ est prévu à 10h au parc Gruber devant la Maison des projets, au 91 route des Romains. L’itinéraire fait le tour du quartier et doit arriver place des Romains à 11h. Le collectif réclame « encore et toujours » des aménagements cyclables sécurisés dans le faubourg.

Le président de Koenigs Au Vert, Yoav Shemer, décrivait déjà en 2021 les aménagements pour les cyclistes de la route des Romains comme « une bande cyclable qui n’est absolument pas sécurisée » :

« Les voitures s’y garent et rendent la circulation dangereuse. Sur cette portion de route, comme pour d’autres, nous souhaitons des aménagements pour la séparation de la circulation des automobilistes et des cyclistes. »

Yoav Shemer le 27 juin 2021 pour Rue89 Strasbourg

Le parcours

Les cyclistes emprunteront notamment la route des Romains, la rue des Capucins, le chemin du Grossroethig et la rue du César-Julien, autant d’axes de circulation qui sont visés par les réclamations de l’association.

Le collectif annonce également un moment « convivial et festif » en fin de parcours place des Romains, avec la présence de la « billiguette » (crêperie ambulante à vélo), du « triporteur rose » (glaces artisanales), de la musique, « et même la bière fraîche ».

Au foyer du Munsterhof, une soirée « ciné-débat » pour développer la propagande anti-euthanasie

Au foyer du Munsterhof, une soirée « ciné-débat » pour développer la propagande anti-euthanasie

Jeudi 23 mars, près de 160 personnes ont assisté à la projection d’un documentaire militant contre la légalisation de l’euthanasie. Absence totale de contradiction, détournement de chiffres, parallèles douteux avec l’IVG et cruel manque de diversité dans les invités… Récit et décryptage du discours anti-euthanasie développé dans la sphère judéo-chrétienne conservatrice à Strasbourg.

Peu avant 20h, la salle polyvalente du foyer paroissial du Munsterhof, située rue des Juifs, finit de se remplir. Près de 160 personnes prennent place pour assister à un « ciné-débat » contre l’euthanasie proposé par le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) – un lobby strasbourgeois anti-avortement chrétien et conservateur– et la fondation Jérôme Lejeune, en partenariat avec les Associations Familiales Catholiques (AFC). Les spectateurs se retrouvent face à un écran de projection et à un kakemono annonçant tout de suite la couleur : « Contre l’euthanasie, rejoignez la mobilisation de la fondation Lejeune ».

La soirée, annoncée notamment via les canaux de l’AFC, n’est accessible que sur inscription. Celle-ci est indispensable pour obtenir le lieu exact du rendez-vous – une manière d’éviter les couacs. Trois mois plus tôt, des militantes féministes étaient venues manifester devant le même lieu. Le foyer paroissial accueillait alors l’association Alliance vita, qui milite contre l’avortement et le mariage homosexuel.

Un film anti-euthanasie financé par Bernard de la Villardière

Rapidement, une représentante de la fondation Jérôme Lejeune annonce le déroulé de l’événement :

« La soirée sera composée de plusieurs temps. Le premier est la projection du documentaire Tout mais pas ça – Mourir n’est pas tuer, produit par Bernard de la Villardière. Puis il y aura une table ronde lors de laquelle nos cinq invités réagiront aux propos du film. (…) Nous sommes là pour défendre la dignité humaine et rappeler que nous n’acceptons pas de relativiser la possibilité de tuer. »

Plus de 160 personnes ont rempli la salle polyvalente du foyer paroissial du Munsterhof. Si on note une diversité dans les âges, une grande partie du public a été prévenue de cet événement par les Associations Familiales Catholiques (AFC 67) Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Le film, présenté comme « une enquête inédite pour comprendre les enjeux et dérives de l’euthanasie », est lancé. Après une scène d’ouverture alternant les phrases chocs (« Nous allons sombrer dans la barbarie. C’est la fin de la solidarité » , « Les gens vont se sentir obligés de se faire euthanasier »), la première séquence montre pendant de longues minutes un homme en fin de vie, alité chez lui. À plusieurs reprises, des images violentes de souffrance ou de mort sont montrées. Le procédé est d’autant plus caricatural que, quelques minutes plus tard, le film dénonce la « manipulation émotionnelle » dont seraient coupables des défenseurs de l’euthanasie médiatisés, comme Line Renaud.

De tels « ciné-débat » sont organisés dans toute la France depuis le début d’année. Photo : capture d’écran

État des soins palliatifs, clause de conscience, avis de soignants…

Le film part du postulat que l’euthanasie est un droit dangereux pour nos sociétés. La quasi-totalité des intervenants est donc catégoriquement contre l’aide active à mourir. Les témoignages les plus pertinents sont ceux de soignants qui redoutent que les soins palliatifs, déjà mal financés, soient délaissés au profit d’une procédure d’euthanasie moins coûteuse. D’autres soignants craignent de ne pas pouvoir exercer leur clause de conscience.

Dans son avis, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a d’abord proposé, avant la légalisation de l’euthanasie, de renforcer les moyens et l’ampleur des soins palliatifs, notamment à domicile, ou l’accès à la sédation profonde et continue jusqu’au décès, les trois n’étant pas contradictoires. Par ailleurs, la validation du comité médical repose également sur un encadrement très strict des cas de dépénalisation et des clauses de conscience. On peut lire dans sa décision que la demande ne pourrait être exprimée que par « une personne disposant d’une autonomie de décision au moment de la demande, de façon libre, éclairée et réitérée, analysée dans le cadre d’une procédure collégiale. »

Chiffres tronqués, parallèles avec le meurtre…

Le reportage s’attarde sur les pays étrangers qui ont légalisé cette pratique, notamment la Belgique depuis 2002. Des médecins belges réalisant des euthanasies sont filmés à deux reprises. Ils y expliquent très factuellement et brièvement le processus. Mais leur avis et leur retour d’expérience sur l’euthanasie n’est pas montré, contrairement à la dizaine d’intervenants opposés à la pratique qui ont le temps d’étayer leurs propos.

On peut s’étonner du profil de certains intervenants du film. Ici, Muriel Derome, psychologue pédiatrique.

D’autre part, l’usage de chiffres est biaisé à plusieurs reprises. Le nombre de personnes souhaitant avoir recours à une euthanasie avant sa dépénalisation est comparé avec les chiffres de personnes y ayant recours aujourd’hui et au nombre de personnes habitant en Belgique. Un spectateur, pourtant sympathisant de la cause, relève lui-même : « Mettre en relation des personnes ayant recours à l’euthanasie et la population belge n’a pas beaucoup de sens, car beaucoup de personnes de pays limitrophes y viennent pour la pratiquer. »

À plusieurs reprises, les intervenants emploient des termes qui visent à choquer. L’euthanasie est ainsi comparée à l’eugénisme, une théorie notamment appliquée par le régime nazi pour aboutir à une population « supérieure » après avoir éliminé les catégories de populations « indésirables ». Les médecins pratiquant l’euthanasie sont aussi traités de « tueurs ».

Le collectif a réalisé un site et possède une page Youtube sur laquelle sera bientôt disponible le film dans son intégralité. Photo : Capture d’écran

Des cas très particuliers sont aussi hissés à hauteur de généralités. Pour dénoncer un usage abusif de l’euthanasie à l’étranger, le témoignage de l’auteure Angèle Lieby est sollicité. Son histoire : déclarée morte cérébralement alors qu’elle a conscience de tout ce qui l’entoure, elle finit par se rétablir. Elle présente elle-même son cas comme étant « hors du commun ». Une intervenante n’hésite pas à prévenir les gens qu’ils seront poussés vers l’euthanasie par les soignants… alors que le film présentait quelques minutes plus tôt le personnel hospitalier comme étant totalement opposé à son application.

Le député LR Patrick Hetzel et l’avocat de l’affaire Lambert en invités

À la fin de la projection, il est précisé aux spectateurs que le film est en tournée depuis début 2023. Tout le monde est encouragé à en parler autour de soi, mais aussi à financer sa diffusion, et même à organiser soi-même des projections, grâce à un « kit d’appartement ».

Rapidement, les invités montent sur scène pour échanger. Cinq hommes prennent place. Parmi eux, Élie Botbol, médecin et essayiste, Jean Paillot, avocat (notamment des parents de Vincent Lambert) et président des AFC du Bas Rhin, Thierry Petit, cancérologue, Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ et Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin. Ils félicitent, chacun leur tour, ce « film édifiant ».

Thierry Petit partage sa théorie de la « pseudo compassion » :

« Les familles se cachent derrière une fausse compassion. Ils disent vouloir éviter à leurs proches de trop souffrir, alors qu’ils veulent surtout s’éviter d’être présent et de les accompagner sur la fin. Ils veulent se débarrasser de ce passage de la vie pour retourner à leur quotidien de futilité. »

Le député du Bas-Rhin Patrick Hetzel (LR), invité pour évoquer les discussions à l’Assemblée nationale, revient sur l’enjeu économique de cette pratique, moins coûteuse que l’accompagnement en fin de vie. Il dénonce le lobbyisme de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD). Mentionnant rapidement les enjeux politiques de cette dépénalisation, il déclare que les défenseurs de l’euthanasie « ne veulent pas être mis en contradiction ». 

La projection du film a été suivie par une table ronde réunissant Elie Botbol, médecin et essayiste ; Jean Paillot, avocat et président des AFC du Bas Rhin, Thierry Petit, cancérologue ; Grégor Puppinck, directeur de l’ECLJ et Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin. Photo : ACC / Rue89 Strasbourg

Euthanasie, IVG… un fourre-tout idéologique

Pour clôturer la rencontre, quelques minutes sont dédiées aux questions du public. La première femme à s’exprimer fait le lien entre euthanasie et avortement, en soulignant son incompréhension devant l’institutionnalisation de ce droit. La notion d’ »IVG de confort » revient à plusieurs reprises dans les échanges.

Élie Botbol s’interroge alors : « Un euro pour financer la pilule contraceptive n’est-il pas mieux employé qu’un euro mis dans les IVG ? » À croire que personne d’autre n’y avait pensé, que la pilule est une solution totalement fiable, universelle et sans effet secondaire. Inviter une personne concernée sur scène – une femme ? – aurait peut-être pu apporter une réponse.

À la fin de la rencontre, les cinq hommes sont salués, ainsi que leurs « éclairages complets et complémentaires ». La soirée se termine dans la bonne humeur, sous les applaudissements. Un cocktail est proposé aux participants. Parmi eux, Éloïse (le prénom a été modifié) :

« C’est un sujet important. Je savais déjà que j’étais contre l’euthanasie, mais maintenant, j’ai de vrais arguments pour pouvoir étayer mon avis. En parlant autour de moi, je pourrai mobiliser avec des chiffres et évoquer les dérives des autres pays. »

Avec elle, Raphaël, 36 ans. Pour lui, éviter la solitude et mieux accompagner la fin de vie sont de bonnes solutions pour ne pas avoir besoin de mettre en place l’euthanasie :

« J’ai découvert les soins palliatifs et leur fonctionnement. C’est là qu’il faut mettre plus de moyens. Ce n’est pas parce qu’on est contre l’euthanasie qu’on veut que les gens souffrent. »

« 94% des Français approuvent le recours à l’euthanasie dans des cas de souffrances extrêmes et incurables »

L’euthanasie ou l’ »aide active à mourir » est revenue dans le débat public depuis plusieurs mois. La question de sa légalisation est étudiée par le gouvernement, qui a notamment lancé une « Convention citoyenne sur la fin de vie » en décembre 2022. Celle-ci doit plancher pendant plusieurs mois sur le sujet avant de partager un avis. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est par ailleurs déjà positionné en faveur d’une « aide active à mourir » si elle est strictement encadrée.

Selon une étude IFOP, demandée par l’ADMD, l’Association pour le droit à mourir dans la dignité, « 94% des Français approuvent le recours à l’euthanasie dans des cas de souffrances extrêmes et incurables ». Par ailleurs, « 89% des Français approuvent l’autorisation du recours au suicide assisté, à savoir l’ingestion d’un produit létal (mortel), en présence d’un médecin, pour mettre fin aux souffrances des malades. »

Cependant, en réaction à ces chiffres, une dizaine d’organisations de soignants, représentant, d’après eux, 800 000 professionnels, s’opposent à considérer cette pratique comme « un soin » et à la pratiquer. L’euthanasie est donc toujours un sujet de débat, avec des arguments rationnels du côté du pour ou du contre, qu’il est nécessaire de questionner en tant que société. Sans manipulation.

Violences policières : rassemblement jeudi devant la préfecture en soutien aux blessés de Sainte-Soline

Violences policières : rassemblement jeudi devant la préfecture en soutien aux blessés de Sainte-Soline

La mobilisation contre les mégabassines samedi 25 mars à Sainte-Soline a fait de nombreux blessés graves, dont deux personnes dans le coma. Le mouvement écologiste Alternatiba et le collectif On crèvera pas au boulot lancent un appel à se rassembler jeudi 30 mars à 19h devant la préfecture à Strasbourg.

Dans un communiqué conjoint, les collectifs Bassine Non Merci et les Soulèvements de la Terre ainsi que le syndicat Confédération paysanne ont lancé un appel national au rassemblement devant les préfectures françaises. Après la mobilisation contre les mégabassines du samedi 25 mars, les organisateurs de cette manifestation souhaitent apporter leur soutien « aux deux manifestants dans le coma, aux blessés de Sainte-Soline et du mouvement des retraites, pour la fin des violences policières ». Localement, le mouvement Alternatiba et le collectif On crèvera pas au boulot ont relayé cet appel et invitent à manifester devant la préfecture située place de la République à Strasbourg le jeudi 30 mars à 19h.

Manifestation du samedi 25 mars contre le projet de mégabassine à Sainte-Soline. (Photo remise)

Dénoncer les violences policières

Bruno Dalpra, militant présent au rassemblement de Sainte-Soline, indique que la manifestation à venir est « un rassemblement spontané, car nous sommes hors délai pour le déclarer aux autorités, mais les autorités n’auront aucun intérêt à faire une quelconque répression. C’est un rassemblement pacifiste, on est solidaire avec les copains et copines blessé·es samedi. On va aussi dénoncer les violences policières, même au delà de l’évènement de Sainte-Soline. »

En deux heures, plus de 5 000 grenades (lacrymogènes, GM2L…) ont été tirées sur les opposants aux mégabassines réunies samedi 25 mars à Sainte-Soline, dans le département des Deux-Sèvres. Cette action a causé de nombreuses blessures parmi les manifestant·es, avec une prise en charge retardée par les forces de l’ordre d’après une enquête de Médiapart.

Selon le communiqué des organisateurs du rassemblement, 200 personnes ont reçu des éclats de grenades dans leur chair, dont 40 qui en ont été gravement blessées. Une personne aurait perdu un oeil, et d’autres ont eu la mâchoire arrachée ou risquent de perdre un pied. Deux personnes sont actuellement toujours dans le coma avec un prognostic vital engagé.

#Sainte-Soline