Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Trois mois après la mort de Nahel, les émeutes reviennent embraser le conseil municipal

Trois mois après la mort de Nahel, les émeutes reviennent embraser le conseil municipal

Le conseil municipal de ce lundi 25 septembre sera marqué par un retour sur les violences ayant suivi la mort du jeune Nahel. Dès le début, un débat sans vote opposera les visions de chaque groupe sur les événements.

C’était le début de l’été. L’ambiance au conseil municipal du 26 juin semblait sereine, les débats moins âpres que d’habitude. Pour une fois, les élus de la Ville ne sortaient pas exsangues de l’hémicycle, mais repartaient avec le sentiment que le relâchement était permis. Le lendemain, le jeune Nahel, 17 ans, meurt après un contrôle de police sur le périphérique parisien ; plusieurs quartiers pauvres de Strasbourg s’embrasent en réaction.

Trois mois plus tard, tout cela paraît déjà loin. Reste une ribambelle d’images chocs – voitures brûlées, jets de pierres, bâtiments publics endommagés – et beaucoup de questions sur l’explosion soudaine des violences. Les élus essaieront d’y répondre, dès les premières minutes du conseil municipal, ce lundi 25 septembre à partir de 10h.

Au-delà d’un inventaire des dégradations, chaque groupe politique présentera son analyse de la situation et sa lecture politique des événements. Causes, responsabilités, rôle de la Ville… Même sur la qualification des faits – émeutes ou soulèvements ? – les clivages se creusent entre la majorité et les groupes de l’opposition.

« Nous voulons travailler sur les racines et les causes »

Le premier point à l’ordre du jour sera donc une communication sur les émeutes. Elle est titrée comme une dissertation : « Événements de juin-juillet 2023, bilan et perspectives. Comment faire ville ensemble ? » Pendant deux heures, les conseillers municipaux bûcheront sur la question. 

« Ce débat, c’était un engagement pris par la maire, au cours d’une réunion des présidents de groupe, pour rendre compte aux Strasbourgeois de ce qu’il s’est passé durant les émeutes », explique l’adjoint chargé de l’équité territoriale, Benjamin Soulet. Le président du premier groupe de la majorité, « Strasbourg écologiste et citoyenne », explique la visée du débat : 

« Nous ne voulons pas simplement faire un bilan factuel de ce qu’il s’est passé et des équipements endommagés qu’on va remplacer. Nous voulons aussi travailler sur les racines et les causes des problèmes que traduisent ces événements. Collectivement et avec humilité. »

Les groupes d’oppositions joueront-ils le jeu ? « J’espère qu’on ne sera pas dans les postures et les caricatures, mais dans un moment d’échange collectif. » L’élu veut y croire, en rappelant le moment d’unanimité lors du rassemblement contre les violences auquel la maire Jeanne Barseghian (EELV) avait participé. 

L’adjoint chargé de l’équité territoriale, Benjamin Soulet Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg / cc

Le premier adjoint dans le viseur de l’opposition

« Oui, on n’avait rien à redire sur les prises de position de la maire, à ce moment-là », relate le co-président du groupe « Centristes et progressistes », Pierre Jakubowicz (Horizons). « Mais presque au même moment, son premier adjoint (Syamak Agha Babaei, NDLR) publie sur Facebook un long texte, avec une grille d’analyse qu’on n’accepte pas, et qui n’est pas acceptable. » Le conseilleur d’opposition souhaite qu’il soit recadré par la maire :

« Sa tribune a créé des liens de causalité et d’irresponsabilité qui ne peuvent pas être partagés par tous, on n’accepte pas les raccourcis qui y sont fait. Du coup, on a du mal à comprendre quelle est la position de la majorité, les propos de la maire durant le rassemblement, ou ceux de son premier adjoint ? On attend de savoir si elle va le désavouer ou non sur le fond. »

Même tonalité, pour la conseillère d’opposition Céline Geissmann (PS) :

« On voit qu’il y a une dissonance entre la maire et son premier adjoint. On est en république, dans aucun cas les dégradations et les violences ne doivent être justifiées. »

« La République n’appartient pas un camp politique », s’agace Syamak Agha Babaei. Le premier adjoint revient sur sa tribune :

« Dès que je l’ai publiée, il y a eu un flot de réactions, notamment racistes. Je vois bien que quelqu’un comme moi, placé où je suis, ne peut être que cible d’attaques, dès qu’il ne dit pas ce qu’ils veulent. Je suis toujours suspect de ne pas faire partie de l’arc républicain. »

L’élu ne s’excuse pas de mentionner les effets rémanents du colonialisme dans son texte. Il bat en brèche les procès en complaisance :

« Je n’excuse pas, j’essaye de comprendre. Je pense qu’un responsable politique qui a cessé de vouloir comprendre devrait faire autre chose. Moi aussi ça me choque que des écoles ou des édifices publics brûlent, mais je ne peux pas renoncer à comprendre. Et puis les faits sont têtus : s’il y a autant de soulèvements en France, qui reviennent par soubresauts, c’est que la question n’est pas réglée. Ce n’est pas honnête de renvoyer toute une partie de la population à la sauvagerie, en leur niant tout message politique. »

Le premier adjoint chargé des Finances, Syamak Agha Babaei. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg / cc

 « Ça manque cruellement d’ambitions »

Dans un texte encadrant le débat transmis à l’opposition, la municipalité met en avant les réponses qu’elle veut apporter à la crise. À la colère des quartiers, la Ville répète donc ses mantras : œuvrer pour « l’équité territoriale », agir pour « une politique éducative, sportive, culturelle et associative en faveur de l’émancipation », « lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales de santé ». 

Concrètement, la plupart des mesures mises en avant sont déjà dans les tuyaux, comme la conclusion avec l’État d’un contrat de ville 2024-2030 autour des quartiers prioritaires de la ville (QPV), l’ouverture d’un supermarché et d’une boulangerie à l’Elsau, ou le recrutement d’agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) supplémentaires.

« Mon analyse, c’est que ça manque cruellement d’ambitions », tacle la socialiste Céline Geissmann. Elle estime le texte décevant :

« Il n’y a pas vraiment eu de changement de direction suite aux émeutes, ou soulèvements populaires. J’ai l’impression qu’ils ne prennent pas en compte tout ce qu’il s’est passé, il n’y pas d’annonces nouvelles. On nous parle des Atsem, de politique sportive, mais ce n’est pas neuf, donc ce n’est pas une réponse suffisante. »

Céline Geissmann, conseillère municipale au sein du groupe socialiste. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg / cc

Une rhétorique que réprouve sans surprise Benjamin Soulet :

« Quand je parlais d’humilité, je parlais aussi de ça. On ne fait pas en 15 jours un plan d’action détaillé. Il faut prendre le temps de comprendre et de travailler. Et puis, nous faisons déjà de l’équité territoriale un axe important de notre politique, nous n’avons pas attendu. Maintenant, on doit s’interroger sur la manière d’aller plus loin, notamment pour la préparation du prochain budget. »

Divergence sur les causes

Un clivage apparaît donc entre les groupes de la majorité et l’opposition, sur la nature sociale ou non des émeutes. En particulier du côté du groupe des Républicains, présidé par Jean-Philippe Vetter (LR). Ce dernier torpille sans ménagement le texte de la municipalité :

« Je suis surpris par le lien direct qui est fait entre délinquance et pauvreté. L’expérience que je tire de ma tournée des quartiers populaires et de mes contacts avec les habitants, c’est que personne n’est solidaire avec les délinquants. À aucun moment, je n’ai entendu des habitants proposer des circonstances atténuantes, parce que ce n’est pas la pauvreté qui explique la délinquance. »

Le président du groupe Les Républicains, Jean-Philippe Vetter. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg / cc

Une analyse totalement opposée à celle que défendront les communistes au sein de l’hémicycle. La présidente du groupe, Hülliya Turan (PCF), expose les conclusions de son camp :

« Ces violences traduisent un sentiment de relégation des jeunes de quartiers populaires. Il faut qu’on leur apporte des réponses politiques concrètes, ce ne sont pas des mesurettes. Cela peut être par exemple une gratuité des transports étendue aux moins de 25 ans. »

À l’issue du débat, les élus ne voteront pas et passeront au sujet suivant : l’absence de déontologue. La délibération fait suite au rejet par les groupes d’opposition de la candidate proposée par l’exécutif. Là encore, les échanges risquent d’être tendus.

À la manifestation contre Stocamine : « Ils s’en foutent à Paris, c’est pas leur eau »

À la manifestation contre Stocamine : « Ils s’en foutent à Paris, c’est pas leur eau »

Environ 300 personnes ont manifesté à Wittelsheim samedi 23 septembre contre le confinement définitif des 42 000 tonnes de déchets ultimes de Stocamine sous la nappe phréatique. Ils dénoncent le passage en force de l’État malgré les oppositions locales.

« C’est la plus grosse ressource d’eau potable d’Europe et ils vont nous la détruire », dénonce Elio, gilet jaune et habitant de Buhl dans le Haut-Rhin. Samedi 23 septembre, il s’est rendu à Wittelsheim à l’appel des mouvements écologistes Extinction Rebellion, Les Soulèvements de la Terre et Destocamine. La revendication : sortir les 42 000 tonnes de déchets toxiques des galeries des mines de potasse d’Alsace placées entre 1999 et 2002 à 400 mètres sous la nappe phréatique.

Après avoir refusé pendant 20 ans de sortir ces déchets ultimes, dont certains sont contaminés au cyanure, à l’arsenic ou encore à l’amiante, le gouvernement a décidé mardi 19 septembre de les confiner pour l’éternité avec des barrages en béton, estimant qu’il est devenu trop risqué de les extraire. Un jugement contesté par des experts géologues et des entreprises spécialisées. Sur la place de la mairie, environ 300 personnes se réunissent. Des militants du syndicat agricole de la Confédération paysanne préparent des tartes flambées.

« On n’est pas assez nombreux »

Sur une estrade, des représentants d’associations écologistes, des élus locaux de la Nupes comme le député strasbourgeois Emmanuel Fernandes (LFI) ou le conseiller départemental Damien Fremont (EE-LV) et des habitants des environs dénoncent « le scandale de Stocamine ». Mais parmi les manifestants, beaucoup se désolent de n’être pas plus nombreux.

« C’est incroyable le peu de gens qui se bougent là-dessus. Ce n’est pas une zone très militante ici, c’est pour ça que l’État se permet ça », estime Myriam, qui vient de Mulhouse. « 98% des gens étaient contre le confinement lors de l’enquête publique. On est à Wittelsheim, c’est une zone reculée ici, ils s’en foutent à Paris, c’est pas leur eau alors ils ne nous écoutent pas », abonde Elio.

Elio est membre des Gilets jaunes à Mulhouse. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Julie, 24 ans, habite à Vieux-Thann :

« J’avoue que c’est la première fois que je manifeste contre Stocamine. J’en ai beaucoup entendu parler dans ma jeunesse, mais je ne comprenais pas tout et je pensais que ce problème allait se régler. Quand j’ai vu que le gouvernement avait décidé d’enfouir les déchets, je me suis dit que je devais venir. »

Une jeune membre d’Extinction Rebellion Strasbourg remarque qu’il est difficile de mobiliser sur un sujet aussi technique :

« Il y a un travail de vulgarisation mené par des collectifs militants, notamment sur les réseaux sociaux. Mais si on fait juste des rassemblements comme ça, clairement, ça ne suffira pas. Il faut installer un vrai rapport de force, faire des blocages. Mais on n’est pas encore assez nombreux. »

Quelques militants d’Extinction Rebellion ont fait le déplacement depuis Strasbourg. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Venus de Fribourg et de Karlsruhe en Allemagne, Adam, Ayla, Feile et Julie ont entendu parler de Stocamine grâce à l’antenne strasbourgeoise d’Extinction Rebellion. Même s’ils habitent dans un autre pays, ils se sentent concernés par cette décharge souterraine : « On a la même nappe phréatique, notre eau sera aussi polluée », lance Ayla : « Ce que fait le gouvernement français nous semble incroyable. »

De gauche à droite, Adam, Feile, Ayla et Julie habitent à Fribourg et Karlsruhe. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Des Allemands contre Stocamine

Pour Adam, au vu de la détermination du gouvernement français à enfouir les déchets, l’une des solutions pourrait être que des dirigeants allemands fassent pression sur le président de la République française, Emmanuel Macron : « Peut-être qu’ils sortiraient les déchets pour ne pas avoir d’incident diplomatique ? », se demande Adam en haussant les épaules.

Ayla et Julie, sont militantes au parti de gauche allemand Die Linke. Elles expliquent que des membres de leur organisation essayent de mobiliser le gouvernement fédéral allemand pour que ce dernier se saisisse du sujet. Même discours pour Tommy, d’origine hollandaise, qui s’insurge que « tous les pays traversés par la nappe phréatique rhénane » ne puissent pas participer à la décision sur Stocamine.

Axel, Krista et Andreas, membres du Bund, une association environnementaliste allemande comme Alsace Nature, sont présents et rappellent qu’ils manifestaient déjà contre Stocamine dans les années 90, quand l’État présentait le projet. Axel s’insurge :

« On a toujours dit que ce n’était pas le bon endroit pour installer une telle décharge. Nous sommes en colère parce que ce que nous redoutions le plus s’est produit. Au départ, ils disaient qu’ils allaient sortir les déchets, l’attitude du gouvernement français est absurde ».

Des membres du Bund militent contre Stocamine depuis les années 90. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Corentin, habitant de 24 ans de Pfastatt, prend le micro : « On n’est pas dans la start-up nation comme disait l’autre (Emmanuel Macron, NDLR) ? On a les robots pour sortir les déchets ! » En descendant de l’estrade, il se confie sur le « traumatisme » qu’a été pour lui la découverte de la menace de Stocamine sur l’eau potable :

« Quand t’es gamin, on te dit de ne pas jeter des déchets par terre. Et là ce qu’ils font, c’est juste horrible. Ils assument qu’ils vont polluer l’eau. »

Corentin se dit très affecté par le projet du gouvernement de confiner des déchets sous la nappe phréatique. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Les manifestants devant la mine

Des gendarmes encerclent tout le rassemblement. Un hélicoptère survole la place, au-dessus de manifestants éberlués par l’impressionnant dispositif des forces de l’ordre. Alors que la manifestation déclarée touche à sa fin vers 14h, un militant prend la parole pour suggérer une « déambulation pacifique ». Une centaine de personnes se mettent en route vers l’entrée de la mine de potasse, quelques kilomètres plus loin, avec une marionnette de démon qui tient des déchets toxiques en guise de banderole de tête. À l’aide de bombes de peinture, des tags hostiles au confinement des déchets sont inscrits sur des arrêts de bus et des panneaux publicitaires.

Les manifestants ont atteint les abords du site de Stocamine. (Photo Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg)Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

« On va déstocker Stocamine ! », suggère une manifestante, non sans humour. Mais après une marche de près d’une heure, des gendarmes positionnés devant l’entrée de Stocamine empêchent leur ambitieuse mission. Tout à la fin de la manifestation, des agents plaquent une personne au sol et gazent à l’aide d’une bombe lacrymogène les militants qui protestent, avant de laisser partir le militant interpellé. Les manifestants se dispersent un peu avant 18h.

Les militants de Destocamine ont l’habitude de qualifier Wittelsheim de « Commune poubelle ». (Photo Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg)Photo : Mathilde Cybulski / Rue89 Strasbourg

Selon un communiqué du ministère de la Transition écologique, l’arrêté préfectoral autorisant le début des travaux de confinement devrait être publié au courant du mois de septembre.

À la marche contre les discriminations : « Pour la police, notre faciès est une infraction »

À la marche contre les discriminations : « Pour la police, notre faciès est une infraction »

Quelques centaines de manifestants s’étaient réunis pour marcher contre les violences policières et le racisme, ce samedi 23 septembre. Parmi eux, plusieurs personnes victimes elles-mêmes de discriminations témoignent. 

Sous les ginkgos de la place de la République, deux groupes visuellement distincts s’abritent de la pluie en ce début d’après-midi du samedi 23 septembre. Le premier est habillé en blanc, avec des t-shirts portants des slogans pour la mémoire d’Enzo, un adolescent retrouvé noyé après avoir été poursuivi par la police. L’autre, moins nombreux, arbore la tenue toute noire des antifascistes ou antifas. Tous viennent pour la même raison : grossir les rangs de la marche contre les violences policières et les discriminations. 

La marche réunissait familles des victimes, syndicats, partis politiques et associations. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

À partir de 14 heures, d’autres teintes s’ajoutent aux couleurs du deuil : les fanions rouges de la CGT, les drapeaux verts d’Europe Écologie – Les Verts (EE-LV), ou le violet du Nouveau parti anticapitaliste (NPA). Le cortège, épais de plusieurs centaines de manifestants, se lance dans un parcours reliant la place de la République à la place de la Bourse. 

Les victimes des violences au cœur de la marche 

Lentement, le cortège s’avance en longeant les quais des Bateliers. Au milieu des slogans et des sifflets, les noms des victimes de violences policières reviennent en écho. Nahel, Adama, Hocine ou Enzo. Des membres de la famille de ce dernier, tenaient une longue banderole en tête de manifestation.

Les noms des victimes étaient sur toutes les pancartes, et dans tous les slogans. Photo : RG / Rue89 Strasbourg /cc

Derrière eux, démarrait le cortège des associations, syndicats et partis politiques ayant appelé à cette journée de mobilisation – décidée nationalement. À noter à Strasbourg : la présence d’un petit cortège du Parti communiste français, avec des élus de la municipalité et de l’Eurométropole. Quelques jours plus tôt, leur secrétaire général, Fabien Roussel, avait indiqué qu’il ne participerait pas à la manifestation parisienne. 

« J’espère que mes parents ne verront pas l’article, ils ont toujours peur qu’il m’arrive quelque chose en manif, avec la police. » Alex fait partie des premiers arrivés à la marche contre les violences policières et les discriminations. Après quelques hésitations, l’étudiant de 19 ans s’ouvre : 

« Même mes parents, alors qu’ils sont complètement apolitiques, sont sensibles au sujet. Dans ma famille, il y a plusieurs personnes qui ont subi des contrôles abusifs ou des amendes injustifiées, on en parle beaucoup entre nous. Surtout depuis la mort de George Floyd (étouffé par des policiers pendant son arrestation aux États-Unis, NDLR). »

« Pourquoi contrôler autant nos identités ? »

S’il n’a pas été directement victime de discrimination, Alex l’explique par le fait d’avoir grandi dans un « petit bled » du Haut-Rhin, où il serait moins exposé. Mais Mounir lui rétorque : « Perso, j’ai grandi dans un village vers Lauterbourg, et on a aussi un rapport très problématique avec la gendarmerie ». Le quadragénaire développe : 

« Là-bas aussi, les gendarmes nous font subir des humiliations quotidiennes, comme des contrôles quotidiens. Ils nous connaissent, nous sommes moins de 2 000 dans le secteur, pourquoi contrôler autant nos identités ? À côté de ça, j’ai des amis blancs qui ne portent même pas leurs cartes d’identité sur eux. Pour eux, notre faciès est une infraction. »

Mounir, raconte avoir déjà été victime de contrôles abusifs. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

« Quand je vois les victimes, je pense aux garçons de ma famille »

Pour une marche modeste, ne réunissant pas plus de 700 personnes, les profils des manifestants semblaient plutôt variés. « Même si les gens ne sont pas directement touchés, c’est important qu’ils viennent défendre la cause », lance Fatima. Si elle n’a jamais été directement confrontée à la police, l’étudiante de 18 ans est tout de même concernée par le sujet :

« Mon père a déjà eu une très mauvaise expérience lors d’un contrôle. Et quand je vois les victimes, je pense à tous les garçons de ma famille qui pourraient être à leur place. »

Des centaines d’organisations ont appelé nationalement à cette marche. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

À côté d’elle, Adem opine du chef. Lui-même confronté à des dizaines de contrôles abusifs, il reste profondément pessimiste. « Je n’ai pas l’impression que les choses changent en mieux, depuis les grandes manifs pour Adama. C’est même pire. »

Alors que la marche démarrait sous la pluie, elle s’achève avec un temps radieux. Vers 16h, le cortège arrive vers la place de la Bourse pour un dernier temps d’échange. Après une minute de silence, s’ensuivent des prises de parole de la famille d’Enzo et du collectif pour Hocine Bouras, puis une dispersion rapide.

Incendie de Wintzenheim : l’enquête administrative démontre une « succession de défaillances »

Incendie de Wintzenheim : l’enquête administrative démontre une « succession de défaillances »

L’Inspection générale des affaires sociales dénonce dans son enquête administrative une « succession de défaillances » des services de l’État et des organisateurs, qui a conduit à l’incendie mortel en août, lors d’un séjour de vacances adaptées à Wintzenheim. Les inspecteurs recommandent une vigilance accrue sur les protocoles de sécurité.

Dans la matinée du mercredi 9 août, un incendie s’est déclaré dans un gîte à Wintzenheim près de Colmar. Se propageant rapidement, le feu a consumé l’édifice et a provoqué la mort de dix adultes en situation de handicap léger et d’un accompagnateur. Une enquête pénale est en cours mais une première enquête administrative, menée par les services de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), conclut à une « défaillance généralisée » des organisateurs du séjour et des services de l’État chargés de les contrôler.

Un défaut d’agrément des organisateurs

Dans leur rapport, les inspecteurs notent en préambule que « l’encadrement réglementaire des vacances adaptées organisées (VAO) ne concerne les questions de sécurité incendie qu’à la marge. (…) L’instruction du 10 juillet 2015 relative à l’organisation de ces séjours n’évoque ces questions que sur une seule des 104 pages que compte le texte. Ces éléments se révèlent peu précis et peu opérationnels. »

En conséquence, « l’agrément des opérateurs de VAO, donné pour cinq ans par le préfet de la région, se concentre sur les conditions d’organisation et de fonctionnement des structures, sans s’attacher au déroulement des séjours, qui peut varier d’une année à l’autre. Les questions de sécurité incendie n’ont pas été étudiées lors de l’agrément des deux opérateurs (l’association Idoine et la société Oxygène, NDLR) par les services de l’Etat en Bourgogne-Franche-Comté et en Auvergne-Rhône-Alpes. »

Le feu s’est propagé très rapidement dans les locaux des gîtes occupés par les vacanciers Photo : Rue89 Strasbourg / cc

Oxygène ne disposait que d’un agrément temporaire pour opérer ce séjour, et avait organisé deux séjours sans agrément dans les Ardennes et le Pas-de-Calais entre le 24 avril et le 8 juillet 2023, comme l’a révélé Rue89 Strasbourg à la suite du drame. Ce défaut d’agrément a été signalé au procureur de la République des Ardennes. Mais, notent les inspecteurs de l’Igas, l’agrément provisoire valable pour Wintzenheim « n’a eu aucun impact sur la question de la mise en sécurité des locaux, qui n’est pas prise en compte dans la procédure d’agrément ».

Par ailleurs, « les services de l’Etat en région Auvergne-Rhône-Alpes ont décidé de ne pas renouveler l’agrément de la SAS Oxygène à compter du 1er septembre, en avançant des motifs indépendants des circonstances de l’incendie ». Ces motifs, poursuit le rapport, « tenant à la prise en charge des vacanciers handicapés et à la transparence de l’opérateur, conduisent les services de l’Etat à mener une réflexion sur les autorisations délivrées aux autres sociétés du groupe Vadev, holding de rattachement de la SAS Oxygène, dont le fonctionnement est très intégré. »

Défaut d’agrément des locaux

Concernant le gîte La petite Alsace, au rez-de-chaussée, et le gîte La petite Venise, au premier étage, les inspecteurs de l’Igas notent que la commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité (CCDSA) « n’est jamais passée pour vérifier la situation de ces gîtes », une visite pourtant obligatoire pour accueillir du public. Une question sur le passage de la CCDSA posée par l’association Idoine à la propriétaire du gîte est restée sans réponse et sans suite… Les inspecteurs, qui ont même trouvé un troisième gîte absent des registres d’autorisation à la même adresse, Le petit Colmar, alertent sur une chaîne de responsabilités peu claire entre les services de l’État dans leur rapport :

« La législation sur la sécurité incendie est un domaine technique qui ne relève pas du champ de spécialité des opérateurs de VAO, ni des services d’une Direction départementale de protection des populations. En outre, le champ des contrôles devant être effectués par les administrations sociales est lui-même ambigu, et son encadrement par l’instruction de 2015 est limité et imprécis. Enfin, les moyens consacrés par les services de l’Etat à ces contrôles sont très limités, et en diminution. »

Les inspecteurs formulent une suite de recommandations afin de sécuriser le chemin des informations de sécurité et d’assurer les contrôles. Ces recommandations seront « toutes reprises dans une circulaire qui sera publiée prochainement à destination de toutes les préfectures », assure-t-on au ministère chargée des personnes handicapées qui précise : « tous les agréments de toutes les structures organisant des VAO seront revus et vérifiés avant les vacances de la Toussaint ».

Face à la crise de l’hôpital public, la direction déploie une opération de charme

Face à la crise de l’hôpital public, la direction déploie une opération de charme

Pour contrer l’image d’un service public dégradé, la direction des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) se dédouble et met en avant ses « projets d’avenir ».

Que ce soit le service des urgences saturé, les images de France 2 des véhicules de secours en attente sur le parking, des soignants agressés par des patients violents, ou encore des régulateurs d’appels au Samu67 en grève… De tout cela, il n’a pas été question vendredi 22 septembre, lorsque la direction des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS) a présenté sa stratégie face à la presse.

Titrée « Un tandem médico-administratif renforcé : une stratégie hospitalière d’avenir », la rencontre devait surtout présenter cette direction bicéphale en place depuis le mois de juillet, après le départ de Michaël Gally, nommé préfet de la Nièvre. Céline Dugast, aux HUS depuis 2016 est directrice générale par intérim et dirige les hôpitaux strasbourgeois avec le professeur Emmanuel Andrès, président de la Commission médicale d’établissement (CME). Accompagnés de Frédéric Charles, directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) pour le Bas-Rhin, les co-directeurs voulaient être positifs, donner une image d’espoir et de bonne entente entre soignants, direction administrative et État.

Conférence de presse de « rentrée » des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, avec (de gauche à droite) Frédéric Charles, délégué territorial pour le Bas-Rhin de l’Agence régionale de Santé, Céline Dugast, directrice générale par intérim, et le professeur Emmanuel Andrès, président de la Commission médicale d’établissement. (Photo MdC / Rue89 Strasbourg).

« Nos urgences n’ont pas fermé un seul jour cet été ! »

Pas facile pourtant de faire passer ce message, tellement il semble déconnecté de la réalité vécue par les soignants et des nombreux reportages et articles parus dans la presse locale depuis plusieurs mois. Après avoir vanté ses efforts pour « une meilleure lisibilité des parcours pour les patients » ou « la modernisation d’accès aux soins » et la mise en avant des « pôles d’excellence des HUS » et de « la proximité avec les patients », la nouvelle direction assure disposer « d’un dialogue fréquent avec les partenaires sociaux » quand la question du manque de personnel est évoquée.

Une infirmière fait sa tournée du matin au service de gériatrie de l’Hôpital d’Hautepierre, un service relativement épargné par les fermetures de lit. (Photo MdC / Rue89 Strasbourg / cc).

Céline Dugast explique également que plusieurs dispositifs ont été mis en place, comme une maison médicale de garde au Nouvel hôpital civil (NHC) ainsi qu’un « bed manager » (un gestionnaire de lits) dont la mission est de « faciliter le parcours du patient ». Autrement dit : trouver un lit dans un service de l’hôpital pour tous les patients des urgences qui n’ont plus besoin d’une attention constante. Un travail actuellement fait, au quotidien, par les soignants des urgences eux-mêmes qui voient en moyenne passer 191 patients chaque jour.

Même réponse ou presque du côté de l’ARS. Frédéric Charles, délégué territorial pour le Bas-Rhin, reconnaît « une tension qui s’exprime aux urgences », mais assure, presque fier : « Le Bas-Rhin n’a jamais fermé un service d’urgences cet été ! » Pourtant, le 24 août, les urgentistes du NHC eux, ont bien parlé de fermeture temporaire. Frédéric Charles explique que les urgences « sont plus complexes que cela et que l’on fait bouger les lignes du secteur de la santé sur la médecine libérale et sur le parcours hospitalier. » Comprendre : « Il faut se réorganiser ». L’ARS comme les HUS vantent notamment le futur Service d’accès aux Soins (SAS), « prochainement mis en place », qui devrait permettre, selon la direction et l’Agence de santé, « de réguler davantage l’arrivée des patients aux urgences ». Un point de vue totalement contredit pourtant par les agents régulateurs du Samu 67 qui craignent au contraire une surcharge de travail et davantage d’appels à gérer.

Frédéric Charles, délégué territorial du Bas-Rhin pour l’ARS Grand Est. Photo : MdC / Rue89 Strasbourg / cc

« Nous ne fermons pas de lits »

Interrogé sur la fermeture des lits (5 775 lits en 2000 dans le Bas-Rhin, contre 4 152 en 2020, soit une baisse de -28%, selon les données de la Statistique annuelle des établissements de santé), Frédéric Charles assure : « Mais nous ne fermons pas de lits ! »

Pourtant, les soignants le dénoncent depuis des années : des lits ferment aux HUS. Et Rue89 Strasbourg l’avait démontré en révélant le contenu du Contrat d’avenir en 2022. Ce contrat signé entre l’ARS et les HUS oblige notamment les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à augmenter leur activité, tout en fermant des lits et en réduisant le nombre de postes.

Service de gériatrie de l’hôpital de Hautepierre, 12e étage. Ici, 28 patients sont accueillis depuis décembre 2022 dont quatre lits rajoutés « pour soulager nos collègues des urgences ». (Photo MdC / Rue89 Strasbourg / cc) Photo : Maud de Carpentier / Rue89 Strasbourg

« Le vrai problème, c’est le recrutement »

S’il y avait un seul souci reconnu par la direction des HUS, ce serait le recrutement. Là-dessus, tout le monde semble s’accorder. « Il nous manque 70 infirmiers, même si nous en avons déjà recruté 140 en cette rentrée, » tente de positiver Céline Dugast.

Les HUS organisent pourtant des portes ouvertes, des stages, des immersions, un recrutement à la sortie des écoles d’infirmières… Mais rien n’y fait. « Il y a une vraie crise de vocation » analyse une praticienne hospitalière en gériatrie, Delphine Gallo-Imperiale. Envie de changer de métier ? Pas de souci, répond Céline Dugast, qui parle volontiers « d’accompagner des trajectoires individualisées » des 11 380 professionnels des HUS, premier employeur de la région Grand Est.

Les Hôpitaux universitaires de Strasbourg sont le premier employeur de la région Grand Est avec plus de 11 000 professionnels. (Photo MdC / Rue89 Strasbourg / cc) Photo : Maud de Carpentier / Rue89 Strasbourg

À l’issue de sa présentation, Céline Dugast conclut en admettant timidement, que non, « on ne peut pas faire de miracle » et qu’elle n’a « pas toutes les réponses mais nous voulons les construire. » Autre message partagé par l’ARS, une reconnaissance envers les soignants : « Je tiens à leur dire merci » a glissé à plusieurs reprises le délégué territorial de l’ARS, et « on sait que c’est difficile », confie Céline Dugast. « On tente de les accompagner au mieux ».

La Nupes dégaine des scientifiques pour mobiliser contre la pollution de l’eau alsacienne

La Nupes dégaine des scientifiques pour mobiliser contre la pollution de l’eau alsacienne

Lors d’une réunion publique jeudi 21 septembre, les députés Nupes Emmanuel Fernandes (LFI) et Sandra Regol (EE-LV) ont invité des scientifiques pour muscler la mobilisation politique contre les pollutions de l’eau potable en Alsace. Mais il faudra plus qu’une réunion pour dépasser la résignation du grand public…

Pour leur sixième « réunion publique », les députés Nupes Emmanuel Fernandes (La France insoumise – LFI) et Sandra Regol (Europe Écologie – Les Verts – EE-LV), ont choisi d’évoquer les menaces qui pèsent sur l’eau potable en Alsace. Avec les polluants éternels de l’industrie chimique, les métabolites de pesticides de l’industrie agro-alimentaire et les déchets de Stocamine, les Alsaciens ont de bonnes raisons d’être inquiets mais une trentaine de personnes seulement ont fait le déplacement jusqu’à la Maison des projets de Koenigshoffen, jeudi 21 septembre.

Dès 19h30, les participants arrivent au compte goutte, trempés par l’averse qui vient de se déverser sur Strasbourg. « C’est très à propos », plaisantent plusieurs d’entre eux.

Ambiance studieuse

Pour expliquer ces sujets techniques, plusieurs scientifiques ont répondu présents. Guillaume Barjot, hydrologue, entame la soirée pour expliquer les conflits d’usages de l’eau alors que celle-ci devient denrée rare. Il revient sur le cycle de l’eau et la nécessité de penser sa distribution globalement, en utilisant l’exemple des méga-bassines. « Mes enfants disent que je suis docteur de l’eau. » L’audience semble conquise et attentive, des chaises sont ajoutées au fond de la salle pour installer les retardataires.

À la Maison des projets, le public de la réunion a été accueilli par Sandra Regol dès 19 heures, jeudi 21 septembre 2023. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

À ses côtés, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, poursuit en présentant les combats juridiques menés par l’association environnementaliste – dans le dossier Stocamine et contre le contournement de Châtenois notamment – et précise leur philosophie :

« L’idée est celle du pollueur-payeur. Pour le moment ce sont les collectivités qui financent les conséquences des pollutions, donc les habitants. Nous avons besoin de courage politique. »

Le politique justement rebondit rapidement. Emmanuel Fernandes rappelle qu’à Mayotte les problèmes de pollution et d’acheminement de l’eau potable ont mené à un rationnement et souligne l’intention de son groupe parlementaire, la Nupes, de revenir sur la loi NOTRe de 2015 :

« Cette loi favorise le recours a des opérateurs privés pour la distribution de l’eau par les intercommunalités plutôt que de gérer cette compétence en régie publique. Nous proposons de sortir de cette situation et d’inscrire dans la Constitution que l’eau est un bien commun. »

Annonces politiques et informations scientifiques

La lumière de la salle au parquet sombre ne cesse de clignoter. L’ambiance se fait plus solennelle alors que la seconde partie de la soirée, centrée sur les pollutions de l’eau l’industrie via les composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS), autrement appelés « polluants éternels », commence. Pour introduire le sujet, Sandra Regol annonce qu’elle financera dix tests pour que des Strasbourgeois fassent détecter la présence de ces polluants dans leurs cheveux. « Nous sommes plusieurs à l’Assemblée à avoir fait le test et nous avons tous des polluants éternels en nous », poursuit-elle.

Sur la table au fond de la salle, le bilan de Sandra Regol côtoie la fiche d’inscription aux tests PFAS qu’elle propose de financer à dix Strasbourgeois volontaires. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Les députés ne manquent pas l’occasion de qualifier le plan d’action du gouvernement d’Emmanuel Macron de « timide ». Emmanuel Fernandes, qui considère la situation « triste et dommage », poursuit :

« Le gouvernement a tendance à renvoyer la balle à l’Europe. Souvent, quand on fait ça, c’est qu’on ne veut rien faire. »

Transition toute trouvée pour l’exposé de Stéphane Vuilleumier, microbiologiste à l’Université de Strasbourg. Il explique vouloir éviter le « débat d’experts » autour des fameux composés et s’aide de graphiques, cartes et diagrammes projetés derrière les députés sagement assis sur leur canapé gris. Des outils pédagogiques largement photographiés par ses auditeurs aux yeux plissés, concentrés sur les explications du chercheur, « Il est encore temps d’agir. Les études sont scientifiques, mais les décisions pour le futur sont toujours politiques », conclut-il.

Stéphane Vuilleumier a essayé de rendre la problématique des PFAS aussi claire que possible. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Un public encarté

C’est le moment que choisit Danielle, 73 ans, pour s’éclipser. « J’avoue que je n’ai pas tout compris mais c’était fort intéressant et bien expliqué, c’était précis », s’exclame-t-elle. C’est la première fois qu’elle assiste à une réunion publique de ce type et en sort un peu fatiguée. « Je suis venue car j’habite Koenigshoffen et surtout parce que je suis écolo », concède-t-elle.

Danielle vote vert à toutes les élections et s’inquiète de l’avenir de son jardin, quand l’eau viendra à manquer : « C’est pour ça que je me suis encartée chez EE-LV lorsque ma petite fille est née, il y a 19 ans ».

Les questions du public se sont peu à peu transformées en discussion collective. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Le troisième temps de la soirée est dédié à Stocamine, dont le confinement définitif vient d’être décidé par le gouvernement, piégeant pour l’éternité des milliers de tonnes de déchets toxiques sous la nappe phréatique (voir notre dossier). Au micro, Stéphane Giraud d’Alsace Nature détaille les recours engagés par l’association contre les arrêtés de l’État, et les plaintes déposées. La conseillère régionale Cécile Germain (Les Écologistes) et deux militants d’Extinction Rebellion (XR) appellent à manifester à Wittelsheim samedi 23 septembre.

En quelques minutes, l’élue régionale dresse l’historique du combat politico-judiciaire contre l’enfouissement définitif avant de bifurquer, une fois encore, sur la mauvaise gestion du dossier par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans. Ciblés également, la réaction du président de la Collectivité d’Alsace, Frédéric Bierry, à l’annonce ministérielle de l’enfouissement définitif et le « défaut d’information du public » sur la possibilité de sortir les déchets ultimes de la mine.

Cécile Germain, conseillère régionale Les Écologistes. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

De l’information à l’organisation

La réunion publique se transforme d’un cours magistral en réflexion collective sur les actions à mener contre l’enfouissement des déchets ultimes à Stocamine. Pour certains, la solution passe par l’Assemblée nationale. Pour d’autres, elle passe par la Cour européenne des droits de l’Homme. Sandra Regol distribue la parole aux militants réveillés par le débat. Une invitation à voter EE-LV aux prochaines élections européennes est lancée puis le débat repart : « Seules les gauches se sont mobilisées sur le sujet », insiste Cécile Germain devant un public peu susceptible de la contredire.

« Peut-être pouvons-nous poursuivre de façon informelle ? » Après deux heures, la proposition de Sandra Regol fait l’unanimité. Dans le public, la majorité des personnes encore présentes sont militantes écologistes ou sympathisants politiques.

Guillaume Barjot, hydrologue. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

« C’est important de décloisonner les choses »

De son côté, Stéphane Vuilleumier, le microbiologiste, semble satisfait des échanges du soir :

« C’est important de décloisonner les choses. Il faut que les scientifiques arrêtent de chercher à rester neutres dans le débat public. On peut faire de la bonne science tout en ayant un avis. Être ici n’est pas un acte militant, mais une volonté d’action. Mon but n’est pas d’utiliser la science comme un pouvoir, les chercheurs sont aussi des citoyens qui peuvent partager leur savoir. »

Un peu plus loin dans la salle, Marika, 68 ans, discute avec Thomas et Élodie. Elle est venue d’Illkirch-Graffenstaden à vélo après avoir entendu Emmanuel Fernandes annoncer la rencontre publique dans une émission radio le matin même : « J’en savais déjà beaucoup sur les PFAS. Mais j’ai quand même appris des choses. » Depuis l’hiver 2022, Marika est sympathisante de Strasbourg Écologie et Citoyenne.

Sur Stocamine, Philippe évoque la difficulté à mobiliser à l’international. Il fait partie du collectif Déstocamine et de la commission de suivi du site. « On a pu descendre dans la mine le 5 mai, mais on n’a pas vu grand chose », déplore-t-il. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

À ses côtés, les deux membres des Jeunes écologistes d’Alsace semblent fiers de leurs nouvelles informations. Élodie, 21 ans, fait le tour des notes prises sur son téléphone :

« Je gère le compte Instagram du mouvement et parfois je ne sais pas quoi répondre aux gens qui sont pour l’enfouissement des déchets à Stocamine. Maintenant, j’ai plein d’arguments. »

Il est presque 23 heures et la salle de Koenigshoffen se vide progressivement. Les députés saluent les dernières personnes présentes, les mains se serrent et les chaises sont sagement empilées dans un coin. Mais si les arguments scientifiques ont bien atteint les militants politiques, il reste encore du chemin avant qu’ils n’atteignent le reste de la population…

Stocamine : l’État se prépare à « la possibilité d’une catastrophe » pour la nappe phréatique

Stocamine : l’État se prépare à « la possibilité d’une catastrophe » pour la nappe phréatique

[Information Rue89 Strasbourg] Fin août, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a présenté à des élus alsaciens son plan en cas de contamination de la nappe phréatique par les 42 000 tonnes de déchets toxiques de Stocamine.

Lors d’une réunion dédiée à Stocamine mardi 19 septembre, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a exposé à plusieurs élus alsaciens son plan de prévention des risques de contamination de la nappe phréatique. Rue89 Strasbourg s’est procuré une première version du document transmis à la fin du mois d’août et exposant le programme composé de 10 actions. Il est encore susceptible d’être amendé.

« Il y a clairement l’aveu de la possibilité d’une catastrophe »

Le plan vise notamment à réagir en cas de contamination de la ressource en eau potable. « Il y a clairement l’aveu de la possibilité d’une catastrophe », commente Hubert Ott, député Modem de la 2e circonscription du Haut-Rhin, estimant que « Christophe Béchu est le seul ministre qui a fait l’effort d’écouter les élus locaux sur Stocamine ».

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Pour une vitesse de circulation limitée à 30 km/h dans toute l’Eurométropole

Pour une vitesse de circulation limitée à 30 km/h dans toute l’Eurométropole

Une dizaine d’associations interpellent ensemble la municipalité strasbourgeoise et l’Eurométropole, pour proposer une limitation de vitesse à 30 km/h généralisée, sur l’ensemble de l’agglomération.

Alors que la majorité strasbourgeoise s’est engagée à créer une véritable ville à vivre et entend montrer l’exemple au sein de la métropole, la pollution, le bruit, le stress et les accidents générés par les véhicules motorisés circulant à 50 km/h (et plus…) continuent à dégrader la santé des habitants, détériorer leur condition de vie et les mettre en danger. Parce que la sécurité et le bien-être des habitants doivent être une priorité dans une ville durable, nous sommes 15 associations ou collectifs locaux à demander à ce que la vitesse de circulation soit limitée à 30 km/h partout dans Strasbourg et dans les autres communes de l’EMS.

Réduire la vitesse à 30 km/h, c’est sauver des vies

Lors d’une collision à 50 km/h, les chances de survie des usagers vulnérables que sont les piétons et les cyclistes sont proches du néant. Plus la vitesse de circulation est réduite, plus l’angle de visibilité des usagers est accru, ce qui améliore la visibilité de tous les usagers dans les intersections. Circuler à 30 km/h maximum permet de réduire considérablement le temps de réaction des automobilistes et les risques d’accidents graves et mortels. Le risque d’être tué est multiplié par 6 à 50 km/h par rapport à une vitesse au choc de 30 km/h.

La limitation à 30 km/h se limite aux « zones 30 » dans Strasbourg. Photo : Mathilde Cybulski / Rue89Strasbourg

Vitesse limitée = un engagement fort pour la santé

Limiter la vitesse à 30 km/h maximum rend inutiles les fortes accélérations pour atteindre 50 km/h puis aller freiner quelques centaines de mètres plus loin pour patienter au feu rouge. Une vitesse de pointe plus basse, adaptée à l’environnement urbain, réduit considérablement les pics de bruit, l’émission de polluants, mais aussi le stress des cyclistes et des piétons associé à des conduites excitées/compulsives. En réduisant ainsi la pollution sonore et atmosphérique, en promouvant une conduite apaisée des véhicules, la ville à 30 constitue un pas concret vers une ville plus vivable, respirable et conviviale. Cela s’impose de bon sens, y compris sur les grands axes (avenue du Rhin, avenue des Vosges, route d’Altenheim …). La santé des gens qui y vivent est tout aussi importante que celle de ceux qui ont les moyens de vivre dans des rues plus tranquilles.

Vitesse réduite, circulation fluidifiée

Les projets de limitation de vitesse à 30 km/h font souvent naître une peur irraisonnée de l’augmentation de la congestion automobile. Les études montrent cependant que la réduction de la limitation de la vitesse maximale améliore la fluidité du trafic et réduit le stress des conducteurs, des cyclistes et des piétons. En pratique, les vitesses moyennes (observées sérieusement) restent sensiblement les mêmes (aux alentours des 20km/h) et les temps de trajets ne s’allongent pas pour l’automobiliste. Dans les faits les seules choses qui baissent, sont le stress lié à la conduite de sa voiture et sa consommation de carburant fossile. Cette harmonisation de la limitation de vitesse permettra également de faciliter la tâche des conducteurs en créant une situation claire et cohérente. En effet, les zones 30 et rues limitées à 30 existantes aujourd’hui sont dispersées façon confettis sur la carte de Strasbourg et des communes de l’EMS, ce qui ne favorise pas le respect de ces aménagements. La simplification permettra un meilleur respect de la part des automobilistes et accompagnera la diminution des pointes de vitesse mortifères.

La ville à 30, étape essentielle sur le chemin de la ville à vivre

La réduction de la limitation de vitesse maximale à 30 km/h favorise l’apaisement de nos rues et commence à rendre envisageable la récupération d’espaces de vie et de rencontres. Mais prise isolément, elle ne suffira pas à rendre nos rues et nos espaces communs à nouveau désirables et conviviaux. Il faudra, bien évidemment, prendre des mesures d’aménagements et de contrôle pour la faire respecter, mais aussi voir plus loin. Cette mesure clé doit être mise en œuvre comme la première brique d’un processus profond de réflexion et de réinvention de notre espace public, de notre manière d’y vivre ensemble et de nous y sentir en sécurité.

Les signataires, par ordre alphabétique : A’Cro du vélo, Bretz’selle, Crocollectif, Greenpeace, Koenigsauvert, Ligue contre la violence routière, Piétons 67, Association Ré_inventons l’avenue du Rhin, La Schilyclette, The Shifter, Le stick, Strasbourg à vélo (auteur), Strasbourg Respire, Vélorution Strasbourg, Vosges Neustadt.

Le président de l’Université de Strasbourg veut payer les étudiants

Le président de l’Université de Strasbourg veut payer les étudiants

Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, fait partie des signataires d’une tribune dans Le Monde appelant à la mise en place d’une « allocation d’études pour tous les étudiants ».

Dans Le Monde du 19 septembre, Michel Deneken a co-signé avec treize autres présidents d’universités une tribune en faveur d’une « allocation d’études pour tous les étudiants ». Les présidents appellent à refondre le système des bourses, qui ne concernent qu’environ 750 000 étudiants (dont un tiers à l’échelon 0, soit environ 1 000 euros par an), par la mise en place d’une rémunération inconditionnelle.

Michel Deneken et ses co-signataires rappellent que selon l’Observatoire de la vie étudiante, 27,1% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté. Une situation qui, dit-il, interroge « sur la responsabilité de la société vis-à-vis de la jeunesse ».

« Réduire les inégalités socio-économiques »

Selon le texte, l’allocation viserait à « juguler la pauvreté étudiante et permettre l’accès à l’enseignement supérieur au plus grand nombre, en réduisant les inégalités socio-économiques des étudiants ». Fondée sur l’idée de contrat, « elle pourrait évoluer au fil de la progression dans un cursus, par exemple lors des périodes de stage ». Les quatorze présidents signataires arguent en outre qu’une telle allocation libérerait du temps pour les étudiants, ce qui pourrait favoriser leur engagement dans des milieux associatifs, des mobilités internationales et des stages plus ciblés. Un étudiant sur quatre est contraint de travailler pour financer ses études.

Ce n’est pas la première fois que cette idée est portée dans le débat public. Les présidents d’universités rappellent que « dans une tribune publiée dans Le Monde du 25 mars 2022, l’économiste Philippe Aghion proposait d’offrir à chaque jeune un revenu universel de formation qu’il voit comme « un co-investissement de chaque jeune et de l’Etat dans la formation et le capital humain, avec une exigence de résultat permanente ». Michel Deneken et ses co-signataires indiquent qu’au Danemark, tout étudiant qui quitte le foyer familial reçoit un revenu mensuel d’environ 800 euros.

Si cette tribune a semble-t-il été bien accueillie dans les milieux universitaires, elle n’a cependant guère rencontré d’écho dans le milieu politique, se désole Michel Deneken dans une interview des DNA où il développe ses arguments.

La préfète Josiane Chevalier auditionnée dans une enquête sur le clan criminel corse du Petit Bar

La préfète Josiane Chevalier auditionnée dans une enquête sur le clan criminel corse du Petit Bar

Jeudi 30 mars, les gendarmes ont auditionné l’ancienne préfète de la Corse-du-Sud, Josiane Chevalier, en tant que témoin dans le cadre d’une enquête sur le clan criminel corse du Petit Bar.

Une préfète dans les petits papiers d’une proche d’un chef de gang mafieux. Cette découverte inattendue, révélée par L’Obs jeudi 20 septembre, a éveillé les soupçons des juges d’instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) sur la criminalité organisée de Marseille. Les magistrats tentaient de comprendre comment certains membres de la bande criminelle corse du Petit Bar ont réussi à échapper à un important coup de filet en septembre 2020. Dans le carnet de contacts de deux proches du gang ajaccien, les magistrats ont trouvé les coordonnées de deux anciens préfets de Corse-du-Sud : Patrick Strzoda, haut fonctionnaire et directeur de cabinet d’Emmanuel Macron depuis mai 2017, et Josiane Chevalier, actuelle préfète de la région Grand Est et du Bas-Rhin.

Le numéro de la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier a été retrouvé dans les contacts téléphoniques d’une proche du chef du Petit Bar, un gang mafieux corse. Photo : GK / Rue89 Strasbourg / cc

L’amitié de Josiane Chevalier avec la belle-mère d’un chef de gang

Josiane Chevalier apparaît dans les contacts téléphoniques de Marie-Ange Susini, belle-mère du chef du Petit Bar, Jacques Santoni. L’homme est considéré par les enquêteurs comme le cerveau du groupe mafieux. Cité par le journal Le Monde, le juge Christophe Perruaux décrit le rôle joué par Santoni dans une procédure ouverte en 2012 : 

« C’est le chef du clan, il répartit les fonds, il se comporte comme un manager, il donne des instructions, recadre les gens, fixe et rappelle les règles, il sanctionne les contrevenants et il gère les détentions et les sorties des membres de son clan. »

Les gendarmes ont donc auditionné, en tant que témoin, la préfète du Bas-Rhin le jeudi 30 mars 2023. Josiane Chevalier a admis avoir rencontré Marie-Ange Susini quand cette dernière était directrice régionale au droit des femmes à la préfecture. Entre elles, une relation amicale est née.

Mais l’actuelle préfète du Grand Est le jure : elle ne connaissait pas l’identité du gendre de Marie-Ange Susini. Elle aurait découvert le lien de son amie avec un chef de gang mafieux à la fin de son mandat en Corse, quand les « affaires ont été rendues publiques », comme le cite le journal L’Obs, qui précise : « Jacques Santoni était pourtant poursuivi dans des dossiers d’extorsion et d’assassinat quand la fonctionnaire est arrivée en Corse. »

La préfète dément toute intervention

L’ex-préfète de Corse-du-Sud a aussi répondu aux enquêteurs sur un échange entre elle et son amie Marie-Ange Susini en octobre 2020. La prise de contact fait suite à une série d’interpellations des membres de la bande du Petit Bar. Josiane Chevalier aurait-elle été sollicitée pour un service ou une information ? Auprès des gendarmes, la préfète du Bas-Rhin dément et évoque une simple demande de soutien moral. Contactée par L’Obs, Josiane Chevalier n’a pas donné suite.

Toujours selon L’Obs, l’enquête judiciaire sur le système de blanchiment mis en place par le groupe du Petit Bar se termine. Une vingtaine de notables locaux, chefs d’entreprise et autres commerçants, ont été mis en examen. Un lieutenant présumé du clan, Pascal Porri, a été arrêté en septembre 2021 et reste en détention. Jacques Santoni a été remis en liberté pour des raisons de santé et placé sous contrôle judiciaire après plusieurs incarcérations.

Le festival musical Opérations quartiers populaires met la « jeunesse bouillonnante » en scène

Le festival musical Opérations quartiers populaires met la « jeunesse bouillonnante » en scène

Du 26 septembre au 1er octobre, le festival Opération Quartiers Populaires (OQP) revient pour une 8ème édition. Il mêlera spectacles de danse, rap et humour, à l’espace culturel Le Point d’Eau à Ostwald.

« Nous sommes les enfants des artistes qui n’ont jamais fermé leur gueule. Nous sommes les impertinents qui sont dans la construction. » Yan Gilg, directeur artistique de la Fabrique Artistique Culturelle et Citoyenne (FACC) – anciennement la compagnie Mémoires Vives – clôture la présentation de l’OQP par ces mots.

Tout au long de la conférence de presse, il répète le credo de l’événement : mettre en lumière les femmes et les jeunes issus de milieux précaires, à travers une série de spectacles de danse, de chant ou de rap. Le festival, se tiendra du 26 septembre au 1er octobre au Point d’Eau à Ostwald.

La Rage de Dire édition 2023 : réincarner par le rap des musiques françaises

La Rage de Dire est un projet né en même temps que la FACC, en 2021. Vendredi 29 septembre à 20h, huit rappeurs et rappeuses réinterpréteront des chansons françaises emblématiques lors du spectacle « De Brel à nous, l’hommage du rap à la chanson française ». Yan Gilg explique qu’il y avait « une impertinence dans ces chansons, un côté contestataire que la rap a repris. On y trouve des parcours migratoires similaires. »

Extrait du récital La Rage de Dire 2, édition 2022. Photo : Document remis

Hugo Roth Raza, artiste associé de la FACC et directeur artistique délégué sur La Rage de Dire, se réjouit des premières répétitions : « Les jeunes viennent de tous les horizons, il y en a qui étaient complètement étrangers à la chanson française. Des trucs très étonnants s’en sont dégagés. »

Ce concept tisse le fil rouge du festival et plus généralement de la FACC qui souhaite mettre en place des espaces pour laisser ces jeunes s’exprimer. Yan Gilg appuie cette volonté :

« C’est des jeunesses bouillonnantes, qui ont parfois des manques de repères, mais elles ont créé des cultures urbaines reconnues mondialement. Il faut les valoriser, ces jeunes qui viennent avec de nouvelles propositions. »

Une carte blanche au féminin

Le festival s’ouvrira sur la pièce chorégraphique Royaume, le mardi à 19h30 au Point d’Eau. Le chorégraphe et metteur en scène Hamid Ben Mahi y mettra en lumière des expériences de femmes face à la brutalité du système patriarcal.

En prime, une carte blanche au féminin sera organisée le samedi 30 septembre à partir de 19h30. Trois spectacles poétiques des compagnies de danse Racines en mouvement et Mira se succéderont au Point d’Eau. La directrice artistique et chorégraphique, Yvonnette Vela Lopez, s’exprime sur son spectacle « Sois belle et t’es toi », né d’une réflexion philosophique et politique :

« On retient des récits de femmes et on essaie de les mettre en scène. On veut s’adresser à toutes les femmes, de toutes les générations. On a vu comment faire un travail de poésie, hypnotique. Ce n’est pas une scène figée et elle ne doit pas l’être : l’objectif est de mettre en lumière plus de femmes, de tous les âges. »

Extrait du spectacle « Je m’appelle Désirée » de la compagnie Racines en mouvement. Photo : Document remis

Un « clin d’œil spécial au foot féminin » permettra aussi à des jeunes filles de 11 à 16 ans de se retrouver lors d’un tournoi de street soccer au stade de football de l’Elsau mercredi 27 septembre à 14h.

Danser pour (s’)exprimer

Cette volonté de casser les barrières sociales et de faire vivre la passion des jeunes, c’est l’objectif que se donne Lokos, danseur et entraîneur du FACCrew et organisateur de la battle Olympic Cup, une compétition de breakdance :

« C’est une mise en valeur de la nouvelle génération. J’en suis fier car on est partis de rien. C’est la FACC qui a permis cela, avec les travail des intervenants. On est partis avec des jeunes qui avaient très peu de niveau et cette formation autour du breakdance leur a permis de devenir reconnus. »

La battle Olympic Cup clôturera le festival OQP le dimanche 1er octobre où des danseurs s’affronteront sur les sons d’un DJ à partir de 15h. Le tarif sera à prix libre.

Le FACCrew lors de l’édition 2022 du festival OQP. Photo : Document remis

Côté humour, le duo Spotlight composé de Jenny Letellier et Hugo Roth Raza présentera la rencontre entre un comédien et une femme de ménage jeudi 28 septembre à 20h. Il y aura également du stand-up.

Cependant, la soirée documentaire et débat initialement prévue le 27 septembre est annulée. Les organisateurs du festival ne présenteront pas les documentaires réalisés à chaud lors des émeutes de juin dernier en raison du contexte politique actuel, jugé « trop tendu » par ces derniers.

À Strasbourg, des étudiants dénoncent la « politique de précarisation » du Crous

À Strasbourg, des étudiants dénoncent la « politique de précarisation » du Crous

Suite à l’appel de Solidaires Étudiant-e-s Strasbourg, une trentaine de personnes se sont rassemblées mercredi 20 septembre pour dénoncer la « politique de précarisation » du Crous. Elle impacterait, selon les organisateurs, surtout les étudiants étrangers.

Des membres de Solidaires Étudiant-e-s Strasbourg et d’Alternative Étudiante Strasbourg (AES) se sont rassemblés mercredi 20 septembre devant le restaurant universitaire Gallia pour dénoncer les politiques du Crous jugées injustes.

Le témoignage de Ken, originaire du Congo, est venu illustrer la précarité des étudiants étrangers. Menacé d’expulsion de sa résidence Paul Appell par le Crous, il entame sa dernière année de master de droit à l’Université de Strasbourg.

Le combat de Ken pour garder son logement Crous

Il y a cinq ans, Ken a quitté le Congo, son pays natal, pour venir faire ses études de droit en France. Depuis 2021, il réside à la cité universitaire Paul Appell à Strasbourg. En juillet 2023, il a reçu un message du Crous, lui annonçant qu’il devra quitter les lieux avant le 31 août.

Raison de cette expulsion, selon le centre régional des œuvres universitaires et scolaires : des problèmes de titre de séjour et quelques impayés. Ken est dans une situation précaire et a de nouveaux garants depuis le décès de sa mère, en juillet 2021.

Ken est menacé par le Crous d’être expulsé de son logement étudiant alors qu’il entame sa dernière année d’études. Photo : Emma Viola / Rue89 Strasbourg / cc

Grâce à l’aide de Solidaires Étudiant-e-s Strasbourg, il est parvenu à avoir un sursis de la part du Crous. Il peut rester dans sa chambre jusqu’au 30 septembre, en attendant de trouver un autre logement.

Ken insiste sur l’impact psychologiques de ce combat quotidien :

« Quand on vient en France, on se dit que les droits sont respectés. Mais quand on arrive, on voit que c’est autre chose. Ce que la France m’a pris, personne ne peut me le rembourser. »

Le prochain enjeu pour le jeune étudiant est de parvenir à garder son logement pour cette année scolaire, alors qu’il vient tout juste d’entamer sa dernière année d’études de droit.

« Un réel choix politique de précarisation »

« Le Crous ne remplit plus sa fonction de service public pour les étudiants », lance au mégaphone l’un des manifestants. Plusieurs membres de Solidaires Etudiant-e-s Strasbourg prennent la parole et partagent le constat : cette rentrée, la situation des étudiants est encore plus précaire qu’en 2022. Ils interpellent sur le manque de logements proposés par le Crous à Strasbourg. Rayan, membre de l’AES, rappelle les chiffres à Strasbourg : moins de 5000 logements étudiants Crous disponibles, contre plus de 10 000 demandes étudiantes.

Une membre de Solidarité-e-s Strasbourg dénonce les conditions déplorables des étudiants et étudiantes à Strasbourg. Photo : Emma Viola / Rue89 Strasbourg / cc

Les associations dénoncent aussi le plan « Bienvenue en France ». Il oblige les étudiants extra-européens rentrant en master ou en doctorat à payer plus de 3 000 euros de frais de scolarité – contre 243 euros pour un européen. Solidarité-e-s et AES souhaitent l’abrogation de ce plan national, insistant sur « ses politiques de rentabilité racistes » et sur la nécessité de « construire une solidarité entre les étudiants ».

Concernant les exceptions faites par rapport aux étudiants étrangers, Rayan ajoute :

« On lutte contre la précarité au niveau du logement, alimentaire et menstruel. On exige un repas à 1€ pour toutes et tous. On a toujours des exceptions qui sont faites avec les étudiants, mais on veut le droit universel. Un repas à 1€, un logement pour tous et toutes et il faut arrêter de précariser les étudiants qui doivent se loger dans un logement privé. Au niveau du logement, la situation est très tendue à Strasbourg, notamment au Crous. « 

#précarité étudiante

Désert commercial à l’Elsau : rencontre avec les deux épiciers qui ravitaillent le quartier

Désert commercial à l’Elsau : rencontre avec les deux épiciers qui ravitaillent le quartier

La vie économique de l’Elsau se résume presque entièrement à deux épiceries turques : Proalim’Elsau et l’Épicerie Égée. Portraits croisés de ses deux gérants, obstinés à ne pas lâcher le quartier. 

« Привет ! » Circonspect, Yesil fait tourner son visage à 90 degrés, sans rien répondre. Face au perroquet interloqué, la petite fille articule plus lentement « pri-vyét ! » (« Salut » en russe). Toujours pas de réponse. Devant la déception de l’enfant, Bayram relance avec un sourire : « Mais si, il comprend le russe, même s’il te répond pas. » Sa mine bienveillante donne presque envie d’y croire.

Au fil de l’après-midi, la même scène se reproduit avec d’autres langues. Parmi les enfants du quartier, l’oiseau Yesil (vert en turc) est devenu une superstar, une attraction à plume, qu’ils viennent admirer après l’école. Pour Bayram Cebic, gérant de l’épicerie Proalim’Elsau, c’est autant de petits consommateurs conquis. 

Bayram Cebic a grandi dans le quartier de l’Elsau. Même s’il n’y vit plus depuis 2007, il ne s’installera pas ailleurs. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc

Avec ou sans volatile, son échoppe est de toute façon incontournable. Pour une raison simple : il n’y a que deux épiceries dans le quartier. La sienne, et celle de son concurrent, Tahsin Kiranti. Installés côte à côte au 11 rue Watteau, les deux gérants se livrent peut-être la plus petite guerre économique du monde. La plus solitaire aussi, puisque qu’autour d’eux presque tous les commerçants ont déserté l’Elsau. 

Trois jours de bus, entre Konya et Elsau

Quand on lui demande de parler de son premier jour à l’Elsau, Bayram Cebic se montre extrêmement précis. « Je suis arrivé le 17 janvier 1982, à 17h, après trois jours de voyage en bus. » Parti à 14 ans de Turquie avec sa famille, il rejoint son père et s’installe au 12 rue de Watteau. En 1998, il ouvre son épicerie, « Cebalim », juste en face de chez lui. 

L’écart entre sa ville d’origine, Konya, et sa vie à l’Elsau est abyssal. D’un côté, une métropole de deux millions d’habitants, au cœur de la plus grande région de Turquie, grouillant de gargotes, de cafés bondés et d’échoppes diverses. De l’autre, l’Elsau. Son tabac, sa boulangerie, son marché. Malgré le changement de décor, Bayram ne regrette rien :

« Je suis très bien à ma place, pourquoi je m’ennuierais ? Moi je trouve que c’est beau ici, on connaît tout le monde dans le quartier, les enfants, les vieux, même les dealers. Et tout le monde nous connaît. »

« Moi je ne vends pas d’alcool ni de porc, mais il faut bien que quelqu’un vende ça ! »

En 25 ans de carrière dans l’Elsau, l’épicier donne l’air d’avoir connu toutes ses transformations. « Avant que le tram n’arrive, c’était comme un village, tout le quartier venait ici. Maintenant, les gens viennent aussi d’autres quartiers. » Tout en parlant, il casse la coque d’une cacahuète pour Yesil, réarrange quelques fruits sur ses étals.

Bayram Cebic se pavane avec son perroquet, comme un vieux pirate. Photo : Paola Guigou / association Lu²

La plupart de ses produits rappellent le pays : des graines salées, du saucisson au bœuf épicé, des petits kurabiye – un petit biscuit fariné, sableux dans sa texture. De lui-même, Bayram lance qu’il espère plus de concurrence : 

« Le manque de diversité dans les produits est un problème pour le quartier, c’est pour ça qu’on a besoin d’un nouveau distributeur. Par exemple, moi je ne vends pas d’alcool ni de porc, en raison de mes croyances. Mais il faut bien un commerce qui vende ça ! Parce que sinon, ceux qui sont obligés d’aller en dehors de l’Elsau pour en acheter finissent juste par quitter le quartier. »

Mais lorsqu’on évoque la construction d’un futur commerce Casino, promise par la municipalité, l’épicier fait la moue. Pas très fan. Entre les lignes, on comprend que c’est à cause de celui qui porte le projet. Il s’agit de son voisin de boutique, l’épicier Tahsin Kiranta. « Nos rapports ? Bof bof », lâche Bayram, la mine sombre. « Dès le début, on ne s’est pas entendu », explique-t-il sobrement. « Mais avec son fils, pas de problème, on communique et on s’échange des produits quand ils ont des manques et vice-versa. »

Les épiceries sont gorgées de produits venus de Turquie. Photo : RG / Rue89 Strasbourg /cc

Épicier, d’un continent à l’autre

À quelques pas de là, à moins de cinq mètres, une rangée de pastèques symbolise le début du territoire de la concurrence. « Épicerie Égée ». Sur le côté, une petite bande de jeunes alignés devant deux scooters rigole de bon cœur. Alors que Bayram restait dehors avec son perroquet, Tahsin Kiranta est cramponné à son comptoir, trop pris par le ballet des clients. « C’est pour quoi ? Un journaliste ? Ah oui d’accord… » 

Ses petits yeux noirs brillent d’une lueur inquiète, alors que le visage de Tahsin se raidit. Au-dessus de ses sourcils inquiets, des rides se forment comme des nuages. « J’ai déjà eu des mauvaises expériences avec des journalistes avant… » Après un temps de discussion, l’homme s’apaise et se raconte.

Des références à la Turquie figurent sur les paquets de thé de la boutique de Tahsin. Photo : Roni Gocer / Rue89 Strasbourg / cc

Alors que son voisin est originaire d’une région aride et centrale, Tahsin vient lui d’une ville turque bordant la mer Égée, Denizli, dont il part avec sa famille en 1987. Quand il en parle, c’est toujours sans un gramme de nostalgie :

« C’était déjà mon métier là-bas, d’être épicier. Quand je suis arrivé ici, c’était pour vivre à l’Elsau. Et c’était un beau quartier, très propre, et j’y ai repris mon métier. Ici, on se connaît tous, je n’ai pas envie de partir. »

Tahsin Kiranta est toujours très pressé dans ses réponses. Photo : RG / Rue89 Strasbourg / cc

D’un client à l’autre l’attention de Tahsin se disperse. Ceux qui entrent dans sa boutique ont l’air de bien le connaître, presque tous l’appellent affectueusement « abi » (grand frère, en turc). Il répond avec autant de familiarité, malgré son air austère. D’une main adroite, il montre à un employé comment bien découper son melon.

L’histoire de la famille Kiranta est liée au commerce. Déjà, les parents de Tahsin étaient connus pour être actifs sur les marchés de Strasbourg. Avec eux, il a exercé l’activité de maraîcher pendant 30 ans, avant d’ouvrir sa boutique, à la fin des années 2000. Cette histoire se poursuit avec ses trois fils, Fetih, Ferat et Fatih. Ce dernier dresse le portrait de son père :

« En tant que patron, papa est assez discipliné, il est de l’ancienne génération. Dans le cœur, il est pas sévère hein, mais disons qu’au boulot, il est strict. C’est un vrai commerçant. »

En particulier autour du grand projet de la famille : l’ouverture d’un supermarché de 360 mètres carrés sous franchise Casino, au bout de la rue Watteau, dans un grand espace incluant notamment une maison de santé et une boulangerie. La famille gardera tout de même son épicerie.

Extension dans le quartier

« On n’a pas eu besoin de faire beaucoup d’efforts pour les motiver », commente une source à la direction des territoires, travaillant sur le quartier de l’Elsau. Deux ans plus tôt, après un tour de discussions avec les quelques commerçants du quartier, la direction des territoires apprend que les Kiranta avaient déjà pour projet d’ouvrir un magasin plus grand. L’agente de la Ville de Strasbourg raconte la genèse du projet :

« Quand on a su que Casino serait intéressé, on a fait le lien entre eux et la famille Kiranta. On savait qu’ils y croyaient, parce qu’ils se sentaient légitimes. Ils connaissent les habitants du quartier, ils n’ont pas d’appréhension pour ouvrir un commerce de ce quartier. »

Annoncée initialement pour début 2024 au cours d’une réunion publique, la date d’ouverture du Casino reste toujours incertaine. « Le gros œuvre n’est pas fini, et le projet financier n’est pas complètement bouclé », explique-t-elle sans plus de précisions. De quoi craindre que le projet tombe à l’eau ? « C’est toujours possible, mais c’est pas du tout ce qu’on sent pour l’instant. Au contraire, ils restent motivés. » Dans sa boutique, Tahsin Kiranta confirme : « Même si parfois on a des craintes, sur le nombre d’habitants dans le quartier, on va bien ouvrir ce magasin, ça ne change pas. »

Clestra : malgré une « faillite imminente » et une seconde réunion à Bercy, la grève continue

Clestra : malgré une « faillite imminente » et une seconde réunion à Bercy, la grève continue

Au sortir d’une seconde table ronde avec la direction du groupe Jestia, la CGT Clestra dénonce une « démarche volontaire de pourrissement du conflit » par les actionnaires. Le syndicat s’alarme d’un risque de faillite imminente de l’entreprise.

Deuxième tour de négociations, deuxième échec. Mercredi 20 septembre, une délégation syndicale CGT de l’entreprise Clestra s’est rendue au ministère de la souveraineté industrielle à Paris pour une nouvelle table ronde avec les actionnaires du groupe Jestia. Au sortir de cette réunion, le délégué CGT Amar Ladraa regrette l’échec des négociations et dénonce « une démarche volontaire de pourrissement du conflit » par la direction. Les salariés de la société de cloisons de bureau sont en grève depuis le 5 juillet.

Mardi 5 septembre, la délégation syndicale CGT Clestra (Amar Ladraa et Ali Mansouri au premier plan) sortait déjà déçue de la première table ronde. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

« La faillite est imminente »

Citant l’un des deux frères actionnaires de Clestra, la CGT s’inquiète de la survie de l’entreprise :

« Romain Jacot confirme qu’il ne reste que 5-6 jours de trésorerie et donc que la faillite est imminente. (…) Romain Jacot déclare un constat d’échec depuis la reprise en octobre 2022, en termes de gestion, de prise de commande et de performance du groupe ».

Prenant acte de l’échec des négociations de fin de conflit, Amar Ladraa et les salariés de Clestra appellent à une action forte des pouvoirs publics :

« Le gouvernement ne peut pas être uniquement spectateur de ce conflit, qui n’a que trop duré. Il doit assumer ses responsabilités pour trouver une solution viable et durable afin de préserver les emplois et ce patrimoine industriel. Cette entreprise a de l’avenir, elle est connue mondialement et surtout elle a un potentiel d’activité et de marché. On ne peut pas avoir un discours qui prône la défense des industries et la relocalisation des entreprises et des emplois, et accepter le contraire dans la réalité. »

Le maintien des emplois et le paiement des jours de grève

La mobilisation historique des ouvriers de Clestra est née d’une reprise opaque et agressive par le groupe Jestia, propriété des frères Romain et Alexandre Jacot. Malgré une offre de reprise garantissant 283 emplois (sur un effectif total de 369 emplois), les salariés de l’entreprise soupçonnent les repreneurs de mener un « plan social déguisé ». En cause : une proposition de rupture conventionnelle collective en juillet 2023 et un projet de déménagement de l’usine située à Illkirch dans des locaux beaucoup plus petits au Port du Rhin. Pour Amar Ladraa et ses collègues, le futur site de production est sous-dimensionné. Il serait impossible de maintenir tous les emplois dans la future usine.

Autre point de blocage des négociations : le paiement des jours de grève. Après une grève de trois mois, des fiches de paie négatives en août, la CGT tenait à ce que ce point fasse partie de l’accord de fin de conflit. Selon nos informations, la proposition des nouveaux propriétaires de Clestra se limitait au paiement de 10 jours de congés posés sur la période de grève.

« L’Arbre aux papillons d’or » de Tiên Ân Pham, road-movie mystique à mobylette

« L’Arbre aux papillons d’or » de Tiên Ân Pham, road-movie mystique à mobylette

L’Arbre aux papillons d’or est le premier long, très long métrage de Tiên Ân Pham, dont on sort sidéré par sa beauté et sa maîtrise formelle. Le Festival de Cannes ne s’y est pas trompé en lui remettant la Caméra d’or, prix du meilleur Premier film. Rue89 Strasbourg a eu la chance de rencontrer ce jeune prodige, passé par Strasbourg pour lancer son film.

Bande-annonce de l’Arbre aux papillons d’or

Lors d’un premier plan-séquence magistral, le spectateur découvre le héros, Thien, attablé dans un restaurant avec ses amis en train d’échanger autour de l’importance de la foi. La caméra filme l’agitation de la vie citadine vietnamienne, la scène est saturée de bruits, d’odeurs, de monde, jusqu’à un accident de la route. Suite au décès de sa belle-sœur, Thien va retourner dans le village de son enfance, à la recherche de son frère. D’abord accompagné de son neveu, il finira seul son cheminement, entre rêve et réalité, en quête d’abord de lui-même. Rencontre avec un réalisateur qui cherche à filmer au rythme biologique du spectateur

Rue89 Strasbourg: Votre film a reçu la Caméra d’or au Festival de Cannes et pourtant vous avez commencé en montant des vidéos de mariage, comme votre héros d’ailleurs. Vous avez un parcours atypique…

Tiên Ân Pham : Je suis né dans un petit village sur les hauts plateaux du centre du Vietnam. J’y ai réalisé mes études jusqu’au lycée puis je suis parti à Saïgon (Ho Chi Minh-Ville) pour faire de l’informatique. J’y suis resté quatre ans mais je n’ai jamais réussi à valider mon diplôme ! À ce moment-là, ma famille est partie s’installer aux États-Unis. Sans diplôme, j’ai fait plein de petits boulots, comme coiffeur ou dans la manucure. Je commençais à vouloir trouver un équilibre entre art et technologie et j’ai commencé une formation de monteur. J’ai travaillé à monter des vidéos de mariage et j’ai aussi appris la photographie. Mon père est photographe et c’est lui qui m’a donné le virus du cinéma, car il m’a montré tout un tas de films, il est passionné de cinéma hollywoodien.

Le réalisateur vietnamien place ses personnages derrière des portes, des vitres, des fenêtres, enfermés comme dans un cocon. Photo : Doc. remis

Le film est construit avec une alternance de longs plans séquences où la caméra suit le personnage principal dans ses déplacements et des plans fixes : ce sont alors les personnages qui bougent devant la caméra, comme un tableau vivant…

Tiên Ân Pham : Dans ces plans fixes, l’objectif est d’utiliser la caméra comme l’œil du spectateur: au lieu de bouger la caméra et de faire du montage de plans, ce sont les personnages qui se déplacent, quitte à disparaître du cadre pendant un moment et à déstabiliser le spectateur. Cela implique encore plus le public.

Quel est votre rapport à la magie dans votre travail de cinéaste?

Tiên Ân Pham : Quand je regarde un film, je me demande toujours comment telle scène a pu être créée, et je réfléchis à comment je pourrais faire autrement pour inventer quelque chose que je n’aurais jamais vu. J’aime le mystère et j’essaie de plonger le spectateur dans cet état de stupéfaction que peut créer un tour de magie.

Retour aux sources pour Thien Photo : Doc. remis

Le titre en anglais Inside the Yellow cocoon Shell évoque une possible métamorphose, plus que le titre en français « L’Arbre aux papillons d’or ». Quelle image préférez-vous?

Tiên Ân Pham : Le titre en français est moins précis car en réalité l’arbre que l’on voit dans le film, ce ne sont pas des papillons mais des vers à soie. Je voulais rendre hommage à mon village d’origine, où l’on cultive le ver à soie. Le héros est en quête de sa personnalité, il est effectivement en pleine transformation. Il lutte pour sortir de lui-même, de ce qui pouvait l’enfermer dans sa vie matérielle.

Le personnage est aussi en quête de divin…

Tiên Ân Pham : Oui, au départ il parle de la foi avec ses amis de façon assez simple, détaché, mais au fur et à mesure de son voyage et de ses rencontres, il dialogue avec des personnes importantes de sa vie, il fait des rêves et il ressent un appel du divin. J’utilise le cinéma pour parler de la foi car je ressens cet appel, comme mon personnage et j’ai modifié mon film à plusieurs reprises pour aller dans ce sens-là.

En Allemagne, des associations et des élus se mobilisent contre le « scandale environnemental » de Stocamine

En Allemagne, des associations et des élus se mobilisent contre le « scandale environnemental » de Stocamine

Outre-rhin, des associations écologistes, des élus et même la représentante de l’État allemand à Fribourg demandent le déstockage le plus important possible des déchets toxiques de Stocamine. La nappe phréatique rhénane, menacée de pollution, alimente des millions d’Allemands en eau potable.

Stocamine a des opposants au-delà des frontières. Des écologistes allemands prennent position contre cette décharge souterraine depuis les années 90 et sa présentation du projet par l’État français. À l’époque, la branche de Fribourg du Bund (l’équivalent allemand d’Alsace Nature) a participé à de nombreuses manifestations avec le collectif Déstocamine.

Pour rappel, trois ans après le début de l’activité de Stocamine, un incendie a mis fin à l’activité du site en 2002. Depuis, 42 000 tonnes de déchets toxiques sont restés dans la mine et l’État souhaite les confiner définitivement par un sarcophage de béton sous la nappe phréatique rhénane, réserve d’eau potable d’au moins 5,6 millions de personnes en Alsace, en Allemagne et en Suisse.

« Si un jour l’approvisionnement en eau potable en Alsace est menacé par ces produits toxiques, cela nous concerne tous », considère Stefan Auchter, directeur du Bund du Rhin supérieur sud depuis 2020. Interrogé par le Badische Zeitung en 2018, son prédécesseur, Axel Mayer, qualifiait déjà Stocamine et le fait que le gouvernement français n’ait pas décidé de sortir les déchets comme l’un des plus grands scandales environnementaux dans la vallée rhénane.

Des militants du Bund manifestent contre Stocamine en 2002. Photo : remise

Participation à l’enquête publique et à un appel aux dons

En avril 2023, le Bund a appelé les Allemands à participer à l’enquête publique dans le cadre de la nouvelle procédure pour l’enfouissement des déchets toxiques. L’association a mis en ligne des ressources complètes pour tous ceux qui voulaient participer, y compris une aide à la traduction pour le site officiel de l’enquête publique. « Plus il y a de participants, plus il y a d’espoir que l’enfouissement ne soit pas réalisé », soulignait Stefan Auchter en mai.

En conséquence, le Bund s’est également associé à l’appel aux dons d’Alsace Nature en juillet pour financer une expertise indépendante visant à démontrer que l’extraction des 42 000 tonnes de déchets est possible. Le Bund a collecté une contribution et prévoit de la remettre prochainement à son équivalent français.

Même Bärbel Schäfer, la Regierungspräsidentin de Fribourg (équivalent d’un préfet français) a publié un communiqué début mai exprimant son inquiétude concernant Stocamine. Elle estimait alors que « la France doit prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer au maximum les déchets dangereux, sécuriser efficacement la décharge et surveiller en permanence la nappe phréatique ». Bärbel Schäfer a également demandé davantage de transparence sur la composition des déchets stockés dans la décharge.

Des Allemands ont manifesté contre Stocamine devant le consulat français à Francfort le 31 août. Photo : remise / L’Alterpresse68

Des députés mobilisés

Vingt parlementaires écologistes allemands et français ont signé une lettre ouverte en mai 2021 adressée à Emmanuel Macron pour demander de suspendre la décision de confinement. Parmi eux : Josha Frey, le député écologiste (Bündnis 90-Die Grünen) de la circonscription de Lörrach, à côté de Saint-Louis. Ce dernier a aussi présidé le Conseil du Rhin supérieur, un parlement trinational de la région du Rhin supérieur composé de représentants élus des régions frontalières du Sud-Palatinat, de l’Alsace, du Bade-Wurtemberg et du nord-ouest de la Suisse. Ce conseil a adopté à l’automne 2021 une résolution demandant la « réduction du risque de pollution des eaux souterraines dans le bassin versant du Rhin par l’application du principe de précaution ». Cette formulation diplomatique signifiait le souhait que le gouvernement français ne décide pas de laisser les déchets toxiques sous terre.

Déjà en 2019, le Conseil du Rhin supérieur s’était prononcé en faveur de l’extraction des déchets. Dans une lettre de mars 2020, Josha Frey a également tenté de sensibiliser le ministère fédéral allemand de l’Environnement concernant Stocamine. Selon lui, « si l’on considère la vallée rhénane comme un espace de vie transfrontalier commun, il est important, surtout dans le cadre d’une question environnementale controversée comme Stocamine, de souligner que la solution intéresse également outre-rhin ». Le ministère fédéral s’est estimé incompétent sur le sujet et a renvoyé vers la Regierungspräsidentin de Fribourg, d’où le communiqué de Bärbel Schäfer en mai.

Une manifestation à Francfort

Une autre initiative politique émane du député libéral de Fribourg, Christoph Hoffmann (FDP). Membre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, il a initié la rédaction d’une lettre à destination du ministre français de la Transition écologique Christophe Béchu. Cette dernière a été signée par un groupe de députés de la région de Fribourg et envoyée en juin 2023 :

« À la lumière du réchauffement climatique et de l’augmentation des périodes de sécheresse, la ressource en eau dans la vallée du Rhin est un trésor commun précieux qu’il faut absolument préserver. En outre, du point de vue de l’économie, les coûts d’une éventuelle pollution de la nappe phréatique dépassent de loin à long terme les coûts d’une extraction plus poussée. »

Les militants du collectif Endfossil occupy Frankfurt s’estiment concernés par Stocamine comme la nappe phréatique rhénane est aussi leur source d’eau potable. Photo : remise / L’Alterpresse68

Entre-temps, des activistes environnementaux ont également pris conscience de la question de Stocamine. Le 31 août, des manifestants se sont rassemblés devant le consulat général français de Francfort. L’action a été initiée par Eva, une étudiante allemande de 25 ans, membre d’Endfossil occupy 
Frankfurt. Des militants de cette organisation prévoient de se rendre à une manifestation contre Stocamine samedi 23 septembre à Wittelsheim. Ces activistes ont même créé une page Instagram multilingue dédiée à Stocamine. « La question de l’eau devient de plus en plus importante », argumente Eva : « Pour des problématiques si près de chez nous, nous devons renforcer notre réseau au-delà des frontières. »