Près de 20 000 personnes ont manifesté pour la journée internationale des travailleurs à Strasbourg. Une foule dense et festive, déterminée à maintenir la pression sur le président de la République.
Une manifestation de près de deux kilomètres, une banderole « Attention Dictature » déployée sur la façade de la cathédrale aux aurores, une effigie du président qui brûle dans une casserole… À Strasbourg, le 1er mai 2023 est historique. Par le nombre tout d’abord : le défilé est aussi long que lors de la manifestation du 31 janvier qui avait rassemblé près de 20 000 personnes. Les couleurs de la manifestation sont aussi nombreuses que les syndicats présents, toujours unis en intersyndicale. Il y a aussi cette colère qui s’exprime sous des formes diverses : des manifestants en famille, des étudiants qui haranguent la foule au mégaphone, un black bloc de près de 200 personnes, une chorale féministe bien entraînée et une zone carnavalesque où le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, parmi d’autres « connards », finit au fond du Rhin. « J’ai l’habitude des 1er mai tristounets à Strasbourg, commente un manifestant, mais là il y a beaucoup de monde et d’ambiance. »
Pour maintenir la pression, « on utilisera tous les outils disponibles »
Place de la République, au milieu des drapeaux bleus, Chloé Bourguignon se réjouit de cette « très forte mobilisation, très familiale, festive et sympathique ». Après avoir interpellé frontalement le président de la République lors de son déplacement en Alsace, la secrétaire du syndicat Unsa Grand Est affiche une détermination sans faille : « On ne peut pas tourner la page de la réforme des retraites. On continue de lutter contre cette loi et toutes les réformes qui diminuent nos droits sociaux. » Pour maintenir la pression sur le gouvernement, la syndicaliste énumère les nombreux modes d’action disponibles aujourd’hui :
« L’intersyndicale nous permet de continuer d’agir et d’appeler à manifester. Nous pouvons aussi organiser des actions dans les entreprises. Puis il y a les casserolades à chaque déplacement du président ou des ministres. Pour notre prochain bureau national, je préconiserai que l’on accompagne plus les actions spontanées comme les 100 jours du zbeul par exemple. Pour les prochaines réformes aussi, on utilisera tous les outils disponibles : la rue, la négociation, des actions en justice ou avec des organisations non-gouvernementales (ONG). »
La manifestation se traverse comme une fête dans plusieurs salles aux ambiances toutes différentes. En queue de manifestation, le cortège de Force Ouvrière avance au rythme du célèbre tube d’AC DC : « Highway to hell ». Devant la banderole, une syndicaliste portant un micro arrangue la foule : « Camarades ! Regardez comme Strasbourg est rempli de travailleurs en colère ! ». Un peu plus loin, des manifestants en chasuble CFDT dansent devant une enceinte crachant une reprise de Magic System au refrain adapté pour l’occasion : « Macron il faut démissionner, aller aller aller ! » Place Broglie, c’est le jaune d’Amnesty international qui domine. L’ONG a tendu une grande banderole en défense du droit de manifester. Un petit stand permet à des bénévoles de faire signer une pétition pour un contrôle accru des armes à létalité réduite en manifestation.
« Quand la cause est bonne et juste, elle finit par gagner »
Pour Sebastien Schir, magasinier cariste dans l’entreprise Sermes, il faut continuer de manifester : « C’est le seul moyen de faire reculer le gouvernement. » L’ouvrier tire son énergie de ces « travailleurs qui meurent avant même d’atteindre l’âge de la retraite » et du « mépris de Macron ». Pour le syndiqué CFTC, le blocage des entrepôts d’hydrocarbures à Reichstett pourrait être une action utile pour paralyser l’économie. Il parle d’urgence sociale et de la nécessité « de se battre pour récupérer les acquis sociaux pour lesquels nos parents se sont battus. »
Même confiance et détermination du côté de Sandra Lecat, chercheuse au CNRS et cosecrétaire du Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS) : « Quand la cause est bonne et juste, elle finit par gagner. De toutes façons, c’est une nécessité : il faut qu’on gagne contre toutes ces réformes qui réduisent nos libertés et qui affaiblissent les plus pauvres. »
Des effigies du président et de la police au bûcher
Dans le cortège étudiant qui s’avance vers le palais universitaire, Myriam évoque les combats qui permettent aux mouvements de jeunesse de maintenir la mobilisation. Il y a tout d’abord l’engagement de fond des organisations étudiantes, contre la précarité financière, pour un repas à un euros pour tous au Crous. Elle évoque une assemblée générale prévue le 2 mai pour préparer le passage de la tournée de promotion du Service National Universel (SNU) à Strasbourg, le 13 mai. L’étudiante en école d’ingénieur et membre du syndicat Solidaires se félicite de cette mobilisation du 1er mai, signe d’une « détermination, d’une rage et d’une colère qui dure. »
Place de l’université, la manifestation atteint la fin du parcours déclaré. Une effigie du président de la République Emmanuel Macron est incendié dans une casserole. Une foule importante se forme autour du brasier, bientôt alimenté par une voiture de police en carton et un serpent à tête de Bernard Arnault.
Quelques heures plus tard, la préfète du Bas-Rhin Josiane Chevalier annoncera sur Twitter avoir signalé à l’autorité judiciaire « la mise en scène réalisée par des manifestants visant le Président de la République ».
Dans un mouvement de fin de manifestation rôdé, un black bloc de près de 200 personnes entame sa ronde destructrice des abribus et des façades de banque. Peu avant 13h, la police charge un petit cortège tout de noir vêtu dans la rue des bateliers. La police interpelle cinq personnes. Une autre partie de la « manifestation sauvage » s’active vers Gallia avant d’être dispersée par la pluie de plus en plus intense et un nuage de lacrymo. La manifestation se termine vers 14 heures sans trop de débordements. C’est maintenant l’orage qui gronde sur la place de la République désormais vide.