Ce n’est finalement pas à Strasbourg comme annoncé par la communication du gouvernement que s’est tenu le 16e village du Service national universel, samedi 13 mai. C’est à Haguenau, 20 kilomètres au nord de la capitale alsacienne, que la caravane s’est arrêtée, poursuivie par ses opposants.
Samedi 13 mai dès 9h, place Dauphine à Strasbourg, une centaine de militants attendent l’arrivée du village du Service national universel (SNU). Deux heures et demi plus tard, l’info tombe : il a été déplacé à Haguenau. Depuis plusieurs jours, 27 collectifs et syndicats appellent à boycotter la tenue de l’évènement sur les réseaux sociaux.
En cause, la volonté du gouvernement de rendre ce « parcours de citoyenneté » obligatoire pour les jeunes entre 15 et 17 ans, comme expliqué dans un rapport du Sénat daté du 8 mars et repéré par Politis. À la frontière des ministères et la jeunesse et des armées, le SNU veut créer de « l’engagement » chez les jeunes et promeut des valeurs de « cohésion », « d’intérêt général » et de vie en collectivité.
Un symbole de la politique d’Emmanuel Macron
Expérimenté depuis 2019 et présent dans le Bas-Rhin depuis 2020, le SNU ne rencontre pas auprès des jeunes le succès escompté. Un avis du Sénat pointe le « manque d’attractivité » du dispositif lorsque celui-ci voit ses crédits augmentés de 30 millions d’euros cette année (pour un total de plus de 140 millions d’euros dans le projet de loi de finances de 2023).
Du 22 mars au 10 juin, la campagne de communication autour du dispositif a donc pour but d’augmenter le nombre de volontaires. À plusieurs reprises lors de la tournée, les opposants à la réforme des retraites et au SNU obligatoire ont manifesté devant les villages, devenus symboles de toute la politique gouvernementale.
Samedi 13 mai pourtant, difficile de savoir où se déroule le fameux atelier découverte. À 9h, pas de village SNU à l’horizon. Fanchon et Lucas sont assis place Dauphine au milieu des opposants. Interrogée sur sa présence, Fauchon dénonce « l’embriguadement » que représente le SNU :
« Sous couvert de mixité sociale, le SNU veut formater les jeunes sous des valeurs qu’ils n’ont pas choisi. L’engagement, par définition, il faut que ça reste un choix. On ne peut pas obliger quelqu’un a être volontaire. »
À plusieurs reprises, la mixité sociale a été mise en avant par le gouvernemnt pour justifier le SNU. Pourtant, les rapports de 2021 et 2022 élaborés par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) pointent un manque de mixité sociale dans les séjours organisés.
Aux côtés de Fanchon, Lucas, employé de l’éducation nationale dans un établissement REP+ de la Meinau, abonde :
« La mixité sociale n’existe pas dans les écoles. Ce n’est pas en deux semaines que les jeunes vont l’apprendre et que ça va changer toute la société. S’engager, c’est plus facile dans certains milieux sociaux donc c’est à l’école de donner les moyens aux élèves pour s’engager et comprendre les grands enjeux de société. »
Un peu plus loin devant le centre commercial Rivétoile, Charles est moins catégorique. Car le SNU, il ne sait pas exactement à quoi ça correspond. Il est venu en tant que militant et parce qu’il fait partie du mouvement social contre la réforme des retraites depuis le début :
« Personne n’a besoin du SNU pour s’engager. Comment un pays condamné à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’Homme pour son inaction climatique ou son traitement des détenus peut-il prétendre donner des leçons d’écologie et de citoyenneté ? La jeunesse est déjà engagée, peut-être pas selon les termes institutionnels ou militants habituels. C’est juste que le gouvernement ne comprend pas notre engagement. »
À l’époque où le SNU a été expérimenté, Charles a hésité avant de choisir de s’engager, dans des associations écologistes.
« C’était très déshumanisant »
Philémon fait aussi partie des manifestants. Du haut de son mètre 90, l’étudiant a été volontaire au SNU en 2019. Militant des Jeunes écologistes d’Alsace, il en garde un souvenir dérangeant :
« On m’a dit que s’abstenir de voter revenait à voter blanc. Déjà là, j’ai tiqué. Puis on avait tous des numéros. Moi, j’étais le numéro neuf de la maisonnée onze, village deux. C’était très déshumanisant, j’ai eu l’impression qu’on voulait effacer ma personnalité pour créer une unité commune, ce que symbolise déjà un peu l’uniforme. Il y avait aussi cette idée de fierté d’être français, en soi pourquoi pas. Mais là, c’était vraiment du genre c’est mieux d’être français qu’autre chose. »
L’étudiant est aussi membre des éclaireurs (les scouts laïques). Une organisation également hiérarchisée, basée sur la vie en communauté et des valeurs de partage. « Mais là-bas, je n’ai pas l’impression qu’on cherche à me faire oublier qui je suis », poursuit-il.
À 10h30, toujours aucune trace du village SNU à Strasbourg. Les prises de parole s’enchaînent au micro et se félicitent d’avoir fait reculer le gouvernement sur sa campagne de communication. Élisa fait partie des opposants qui dénoncent la militarisation de la jeunesse. À 36 ans, l’enseignante stagiaire à Wissembourg est catégorique :
« Le SNU s’il devient obligatoire concerne 800 000 jeunes pour la rentrée 2024. Je pense qu’il serait plus utile de mettre de l’argent dans l’éducation nationale et de laisser les professeurs qui sont formés enseigner la citoyenneté, comme c’est déjà prévu. »
Une militarisation de la jeunesse ?
Depuis son expérimentation, le SNU est dénoncé par ses opposants comme un moyen d’enrôler la jeunesse ou comme un service militaire déguisé. En septembre 2022, Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et du SNU expliquait tout de même à des parlementaires, à propos du SNU, que la France a besoin de « doubler sa réserve » et qu’il est nécessaire de donner aux jeunes le « goût de l’engagement ».
En juillet 2022, Rue89 Strasbourg révélait qu’une punition collective a été utilisée lors d’un séjour SNU à Strasbourg. Depuis, les dysfonctionnements remontent : harcèlement sexiste et sexuel, racisme, retard de paiement des aminateurs et animatrices, hospitalisations de participants…
Un déplacement de dernière minute
Petit à petit, le message circule place Dauphine. Le village SNU aurait été monté à Haguenau dans la matinée. Après quelques applaudissements et une organisation pour faire du covoiturage, les militants se dispersent petit à petit tandis qu’une cinquantaine de personnes prennent la route vers midi.
À Haguenau, le village SNU est déployé face à la médiathèque de la Vieille-Île et gardé par moins d’une dizaine de policiers nationaux. Deux tentes bleues entourent le camion SNU. « Nous avons décidé ce matin de nous installer ici », précise Christel Lafon, chargée de communication du secrétariat d’Etat à la Jeunesse. Un changement de dernière minute qu’elle explique par l’annonce d’une manifestation à Strasbourg et le nombre d’événements déjà prévus ce jour là dans la capitale alsacienne.
Heureusement pour ses partisans, la camionnette du SNU est « très mobile » et changer de destination au dernier moment n’a pas été un problème. « Ce samedi, on compte sur la médiathèque pout toucher les publics concernés, les gens viennent nous voir si ça les intéresse », poursuit Christel Lafon. Entre 12h30 et 15h, moins d’une dizaine de personnes sont entrées dans le village SNU.
Dans le village, deux volontaires ont fait le déplacement depuis Strasbourg, Antoine et Yanis (retrouver son témoignage complet). Ils ont été alpagués par les opposants le matin même. “C’était un peu impressionnant”, admet Antoine qui voulait discuter avec eux.
Pour la deuxième partie de son engagement, il a aidé la banque alimentaire d’Illkirch-Graffenstaden. Le jeune homme aux yeux doux semble ne pas comprendre l’opposition que suscite le SNU. « On est dans une société de plus en plus individualiste, bien sûr que ça motive d’organiser des séjours pour les 15-17 ans, c’est super », estime-t-il.
Des stands de questions et de sport
Les stands déployés invitent à répondre à des questions sur l’histoire, l’environnement et la citoyenneté par exemple, « les thématiques abordées dans le SNU », poursuit Christelle Lafon. Sur des panneaux dans le fond, le parcours d’engagement est détaillé, à côté d’une activité sportive organisée autour de plots de couleur et d’une petite cage de foot.
Sur place, impossible de parler aux animateurs et animatrices. Ils ont été « recrutés localement » mais n’ont « aucun rapport avec le SNU ». Certains opposants tentent de rentrer dans le village, entouré de grilles. « Je me suis fait refoulé car je suis trop vieux », râle l’un d’eux, âgé de 32 ans.
Capucine, 14 ans, tente elle aussi sa chance. Après plusieurs minutes à discuter avec les animatrices, elle s’avoue déçue:
« Je voulais qu’on me donne des tracts et qu’on m’explique ce que c’est, le SNU. Mais je n’ai rien compris. C’est vrai que j’ai déjà mon avis sur le sujet mais j’étais ouverte à ce qu’on me contredise. Les animatrices de l’accueil ne l’ont jamais fait donc elles ne pouvaient rien me dire. »
Pendant ce temps, un chamboule-tout à l’effigie de figures politiques locales et nationales est mis en place. À son centre, une conserve étiquetée « SNU ». Sur une enceinte des slogans sont scandés et des chansons diffusées. Seuls quelques mètres séparent le village SNU et la cinquantaine de militants qui échangent avec les policiers et les organisateurs de l’évènements.
Peu de curieux au village de Haguenau
Des photos sont prises de part et d’autre, quelques sourires esquissés lorsque les boites de conserves tombent au sol. De l’autre côté de la route, le festival « L’humour des notes » est inauguré par le maire. « C’est vraiment une bonne programmation cette année », glisse l’officier de police en charge de la sécurité du village SNU, avant de préciser qu’il aurait aimé ne pas travailler l’après-midi même.
Vers 15h, les opposants remballent leur sacs et laissent derrière eux une pelouse vide et un village SNU très protégé, pour une heure encore.