Après 14 jours de grève, les salariés de l’usine de cloisons Clestra, située à Illkirch-Graffenstaden, poursuivent leur mobilisation. Ils accusent leur nouvelle direction de maintenir le flou sur l’avenir de leurs emplois. Entretien avec Amar Ladraa, délégué CGT du personnel.
« Clestra, il est à nous, s’ils en veulent pas ils dégagent ! Et si y a pas d’avenir pour nous, qu’ils le disent tout de suite ! » Les grévistes de l’usine de cloisons Clestra applaudissent leur représentant devant le siège de l’inspection du travail, en début d’après-midi du lundi 17 juillet. Une trentaine de salariés s’était déplacée pour accompagner deux des leurs à une médiation face à la direction. Le nouveau président de la société, Rémi Taieb, s’y rend à son tour, flanqué de trois policiers et sous les huées.
Cette réunion était censée permettre de trouver une issue à la grève qui dure depuis 14 jours. Le conflit dure depuis lundi 3 juillet, après un licenciement jugé excessif par le syndicat CGT. Mais au-delà de ce cas particulier, c’est l’absence de dialogue avec le repreneur de Clestra en octobre 2022, Jestia, et l’incertitude totale sur le sort réservé à leurs emplois que dénoncent les grévistes.
Représentant du personnel, le syndicaliste CGT Amar Ladraa explique les raisons de cette mobilisation.
Rue89 Strasbourg : Votre grève commence avec le licenciement d’un salarié. Pourquoi cela a-t-il enclenché cette mobilisation ?
Amar Ladraa : L’un des salariés arrive lundi 3 juillet et apprend qu’il ne peut plus rentrer sur le site, parce qu’il est viré ! Il n’a pas reçu de lettre de licenciement, rien à part un mail dimanche soir. Vu les raisons de son licenciement, on estime que c’était abusif et injuste. Dès qu’on l’a appris on s’est tout de suite mis en grève.
Deux mois plus tôt, la nouvelle direction de Clestra a proposé un accord de rupture conventionnelle collective, qui pouvait concerner 40 salariés dans la production. Nous avons refusé. Je pense qu’à partir de là, ils se sont dit qu’ils allaient se débarrasser de tous les salariés qui ne rentrent pas dans la ligne, un par un. Pour nous, c’est la vraie raison derrière ce licenciement et c’est ce que nous dénonçons aujourd’hui.
Depuis la reprise de l’entreprise Clestra par le groupe Jestia en octobre 2022, le dialogue social semble au point mort. Pourquoi ?
Après la reprise, ils sont venus avec un air arrogant, pour nous dire en gros : « Maintenant c’est notre entreprise, plus la vôtre, on va la diriger comme on veut. Et si vous n’êtes pas content, vous partez. » D’ailleurs, 25 à 30% des salariés ont quitté l’entreprise. En fait, on voit très rarement les nouveaux patrons, on n’a pas vraiment d’interlocuteurs face à nous.
Et puis ce lundi matin, le Comité social et économique (CSE, instance qui réunit direction et représentants du personnel, NDLR) a tenu une réunion exceptionnelle pour changer le nom de la société. Clestra disparaît et devient Unterland Metal. Et ça en plein conflit social. On ne comprend pas. Clestra c’est presque un bien commun : une entreprise à Strasbourg depuis les années 60. On est très attaché à cette usine et à son histoire. Il y a des familles qui bossent dans cette usine depuis plusieurs générations.
Pourquoi craignez-vous que le déménagement du site de l’usine, d’Illkirch-Graffenstaden vers le Port du Rhin, soit une manière déguisée d’organiser un plan social ?
Notre usine actuelle à Illkirch fait 25 000 mètres carrés (m²). Les locaux qu’ils nous proposent, c’est 5 000 m² seulement ! Quand on leur demande comment ils vont faire pour maintenir la production et les postes, ils nous répondent « on vous informera plus tard, en septembre. » Mais pour nous, physiquement, ça ne tient pas.
En fait, le déménagement se fait en deux phases et concerne deux parties de la production. La première partie, qui concerne le pliage et la fabrication des cloisons, va bien être déménagée mais sur la deuxième partie de la production – la peinture et l’assemblage des cloisons – on n’a aucune information. Ça concerne à peu près 50 emplois et ça fait des semaines qu’on demande à savoir, mais on n’a jamais de réponse. Nous voulons une garantie que cette activité sera maintenue sur un site strasbourgeois et pas transférée à une filiale du groupe Jestia.
L’État et la Région Grand Est se sont impliqués dans le dossier, en fournissant une aide de 5 millions d’euros sous la forme d’un prêt. Qu’est-ce que vous attendez d’eux ?
On a envoyé une lettre commune avec la CFDT au ministre de l’Industrie (Roland Lescure, NDLR) pour solliciter un entretien. Nous voudrions qu’il s’implique et qu’il nous aide à trouver une solution pour l’avenir du site. Avec ça, on interpelle aussi les élus locaux, tout ceux qui peuvent nous aider.
Qu’espérez-vous de cette médiation avec l’inspection du travail, entre vous et la direction ?
Déjà, nous voulons revenir sur ce licenciement abusif, mais aussi une garantie pour le maintien de l’emploi à Strasbourg, comme cela nous avait été annoncé lors de la reprise par Jestia. Nous voulons également plus d’informations sur le déménagement du site de l’usine. J’espère que les médiateurs arriveront à convaincre la direction, parce que tout seul, on n’y arrive pas. On essaye de discuter mais ils restent bloqués. Pourtant il faudra bien qu’on trouve un terrain d’entente, car les salariés sont déterminés : en deux semaines presque aucun n’a repris le boulot, toute la chaîne est à l’arrêt. On continuera tant qu’il le faudra.
Le Théâtre actuel et public de Strasbourg (Taps) propose cet été huit spectacles du 18 juillet au 10 août, liant amour de l’art et thématiques fortes, de l’écologie à l’exil.
Avec l’arrivée des vacances scolaires d’été, les théâtres ont tendance à baisser le rideau. Même le Théâtre national de Strasbourg (TNS) ne reconduit pas sa « Traversée de l’été » en 2023. Heureusement, le Taps (Théâtre actuel et public de Strasbourg) invite petits et grands à venir profiter de huit spectacles, du 18 juillet au 10 août, dans le cadre de la sixième saison d’ »Un été au Taps ».
Ils seront joués en journée sur la scène du Taps Laiterie, située près du Musée d’art moderne, et en soirée sur celle du Taps Scala au Neudorf, pour que tout le monde puisse y trouver son compte. Le premier lieu accueillera des spectacles jeune public accessibles à partir de trois ans et le second des propositions familiales pour les plus de sept ans et les adultes.
S’inspirant de leurs décors originaux, colorés et fantasmagoriques, la compagnie en propose une adaptation entre le théâtre, la marionnette et la musique. Traversant de luxuriantes forêts aux végétaux rouges et bleus, un personnage mi-homme mi-outils transforme le paysage sauvage en abattant des arbres et hissant des bâtiments. De quoi s’interroger sur les liens entre l’être humain et la nature. Accessible à partir de 4 ans, « Et puis » sera également joué le 18 juillet à 17h et le 19 juillet à 10h30 au Taps Laiterie.
Cirque moderne, épuré et poétique
Après le cabaret du cirque local Graine de Cirque et les performances du cirque Bouffon, installé à Kehl au début du mois, c’est au tour du Taps d’accueillir un numéro de cirque moderne, à la fois épuré, poétique et rempli de sens. Rendez-vous avec la compagnie Manie venue à Strasbourg présenter son spectacle « Au bord du vide« . En s’emparant du sujet de l’identité, du rapport à son passé et à son futur, trois comédiens-circassiens incarneront sur les planches un même personnage à trois âges différents.
Alors qu’un homme, coincé dans le circuit d’une roue Cyr, se sent paralysé dans sa vie, il se dédouble et rencontre sa version jeune (un acrobate jongleur fougueux), et âgée (un vieux clown philosophe et funambule). Cette étonnante méditation sera jouée le jeudi 20 juillet à 19h au Taps Scala et est conseillée à partir de 9 ans.
Écologie, exil, quête d’identité…
S’emparant du complexe sujet de l’exil, le conte musical et marionnetique « Dans ta valise« se place à hauteur d’enfant, puisqu’il est accessible dès 4 ans. Yumna, petite marionnette en ciré jaune, débarque du pays du sable avec toute sa vie contenue dans une valise pour se rendre à l’école de la neige. Grâce à un univers esthétique touchant et l’accompagnement d’une musique jouée en plateau, cette histoire devient un hymne à l’amitié émouvant et joyeux.
Portée par la compagnie « Rêve général ! » (basée à Épinal) qui tourne depuis 2006, ce conte fait partie d’un projet construit autour de trois pièces pour aborder, avec différents publics, les questions de l’immigration et de ce que provoque chez nous l’arrivée de personnes exilées. Elle sera jouée au Taps Laiterie le mardi 25 juillet à 10h30 et 17h et le mercredi 26 juillet à 10h30.
Les amoureux de marionnettes pourront profiter de trois autres spectacles : « l’histoire d’amour de Nicolette et Aucassin », par la compagnie Atelier Mobile, « La grande traversée d’Anoki », un petit manchot perdu dans le désert de glace, par la compagnie Croqueti, et le conte poétique et anticapitaliste « Des larmes d’eau douce » de la compagnie La mandarine Blanche.
Dans cette dernière pièce, Sofia, une petite fille pleurant de l’eau douce sauve son village de la sécheresse avant que certains ne voient en cette capacité un intérêt financier. Une belle programmation qui permettra aux Strasbourgeois amoureux des arts de la scène de tenir jusqu’au FARSe, le traditionnel Festival des arts de la rue de Strasbourg qui se déroulera du 11 au 13 août 2023.
« Les Strasbourgeoises et Strasbourgeois engagés », un podcast de Rue89 Strasbourg. Dans cette série de portraits sonores, des militants racontent leur engagement, leur parcours. Quinzième épisode avec Mustapha El Hamdani, président de l’association Calima.
En 1983, un jeune Marocain débarque en France pour poursuivre des études de chimie. Déjà engagé dans les mouvements étudiants de son pays, Mustapha El Hamdani est séduit par le bouillonnement politique des universités françaises et rejoint les mouvements de défense des travailleurs immigrés.
Militant de l’Association des Travailleurs Maghrébins de France (ATMF), c’est finalement un véritable coup de foudre pour la ville de Strasbourg qui l’amènera à se fixer définitivement en Alsace. À la fin des années 1980, il s’engage pour le droit de vote des immigrés aux élections locales et sera élu au Conseil consultatif des étrangers (CCE) de Strasbourg, créé par la maire socialiste Catherine Trautmann.
« L’immigration participe à la richesse de notre ville, mais elle n’a pas le droit à la parole car elle est exclue des choix démocratiques. Catherine Trautmann lors de sa campagne de 1989, nous avait fait la promesse de mettre en place une institution dans laquelle nous pourrions nous exprimer en attendant d’obtenir le droit de vote. »
Mustapha El Hamdani, président de l’association Calima Alsace.
« On ne va pas au bout de nos idées, c’est dommage »
Le droit de vote n’est jamais venu, mais le CCE a bien été mis en place. Jusqu’à sa suppression par le tandem formé par Fabienne Keller et Robert Grossmann quand Strasbourg repasse à droite en 2001. L’union RPR-UDF jugeant l’institution trop proche de l’ancienne municipalité. Poussé par l’envie de changer plus profondément les choses, Mustapha El Hamdani demande la nationalité française pour pouvoir s’engager en politique.
Sitôt sa naturalisation obtenue, il rejoint les Verts et participe à la campagne municipale de 2008. Mustapha El Hamdani sera élu conseiller municipal avant de quitter le parti écolo, puis le groupe majoritaire. À la fin de son mandat, dégoûté de la politique, il retourne militer dans l’associatif.
« C’est noble de s’engager en politique. J’admire les militants qui le font, mais je trouve qu’il y a trop d’hypocrisie et c’est ce qui m’a tué. On ne va pas au bout de nos idées. »
Défendre la dignité des travailleurs immigrés
De retour dans le monde associatif, Mustapha El Hamdani se réengage pleinement dans son combat pour la défense des chibanis (anciens travailleurs immigrés maghrébins) au sein de l’association qu’il a créée en 2008 : Calima Alsace (« parole » en arabe).
Pour le militant, il s’agit au départ d’aider ces travailleurs immigrés à percevoir leurs retraites. Plus qu’une assistance administrative, il s’agit aussi de défendre la dignité de ces travailleurs « bousillés par des travaux pénibles » face à l’administration. Nombre d’entre eux, percevant le minimum vieillesse, sont tenus de résider en France six mois par an alors que rien ne les attache ici, si ce n’est une vie de labeur.
« On va les contrôler, les harceler, faire des descentes dans les foyers pendant l’Aïd quand ils sont au pays pour prouver qu’ils n’étaient pas là », tempête le militant associatif. De nombreux chibanis se retrouvent ainsi contraints de rembourser une partie des sommes perçues, parfois sur plusieurs années. Une situation qui pourrait s’aggraver suite aux déclarations de Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, souhaitant porter l’obligation de résidence à 9 mois contre 6 actuellement pour toucher les prestations sociales.
Inquiet de la montée en puissance de l’extrême-droite et du racisme décomplexé que connaît la France depuis une vingtaine d’années, Mustapha El Hamdani ne baisse pas les bras : « J’ai trois enfants, je n’ai pas le droit de me résigner. » Au contraire, pour le militant, il faut faire rentrer ces histoires de migration pleinement dans l’Histoire de France. C’est ce qu’il s’applique à faire à son échelle au sein de son association. Pour ses enfants, là aussi :
« Tant que le récit de leurs parents ne fera pas partie du récit national, ils se sentiront toujours exclus. C’est indispensable de faire ce travail de mémoire pour donner du sens à leur citoyenneté, pour construire du collectif. Que ces jeunes puissent, enfin, dire : ”Je suis Français et je suis fier de l’être.” »
Vosges alternatives, notre série d’été sur la vie militante en zone rurale (2/8) – Trois amis ont décidé de quitter Strasbourg pour cultiver des légumes dans un petit village du pays de Bitche. Ils proposent des produits sans pesticides à bas prix, et des événements créateurs de lien.
Les étalages de la petite pièce qui sert d’épicerie sont vides en cet après-midi d’été. Johann l’assure, quand le magasin est ouvert, entre 80 et 100 personnes viennent acheter les légumes de la ferme Affable à Liederschiedt, dans le pays de Bitche. Ici, la salade ou la botte de radis s’achètent à 1€, la botte de carotte est à 2,20€, celle de betterave à 2€, comme le kilo de tomates.
Les prix bas, c’est l’un des engagements de cette petite exploitation portée à bout de bras par trois trentenaires. « Sinon, les personnes modestes, elles mangent quoi ? J’ai toujours trouvé horrible que la nourriture de bonne qualité soit inaccessible aux pauvres », souffle Lorène, conjointe et associée de Johann. Antoine, un ami d’ami, a rejoint l’aventure en cours de route. Les jeunes maraîchers produisent tout sans pesticide mais ne demandent pas le label « bio », comme l’explique Lorène :
« Ça nous semble superflu de payer pour un label, nos clients voient comment on travaille au quotidien et nous font confiance. On n’en a pas besoin. »
« On a des clients de toutes les classes sociales »
À les entendre, leur projet trouve son public. « En général, à l’ouverture de la boutique le samedi matin, il y a une longue file d’attente devant la porte. On vend aussi au marché de Meisenthal », poursuit Johann :
« Les gens se passent le mot de bouche à oreille parce que c’est rare des légumes sans pesticides à ce prix-là. On veut être à peu près au même tarif que dans les supermarchés. Des bobos allemands, des punks, des retraités au minimum vieillesse… On a vraiment des clients de toutes les classes sociales. »
Lorène se souvient qu’une femme au RSA lui a avoué que c’était la première fois qu’elle pouvait se permettre de faire ses courses directement chez le producteur. Pour Johann, le but est notamment de « montrer que c’est possible de vivre du maraîchage sans pesticide, avec une petite surface, en vendant les légumes pas cher » :
« La bonne nourriture peut devenir accessible. On préfère avoir des prix bas et davantage de clients plutôt que des légumes plus chers et moins de d’acheteurs. C’est juste un choix de modèle : on a peu de frais et comme on est en vente directe, on n’a pas d’intermédiaires qui se font des marges. »
Un matériel très limité
Dans la salle attenante à l’épicerie, des pelles, des fourches, des bineuses manuelles et des pioches reposent contre un mur. « On fait tout à la main, parce qu’on est pauvres, que les tracteurs coûtent très cher, et aussi parce qu’on aime ça », glousse Johann. La tondeuse rangée à quelques mètres passe presque pour du matériel sophistiqué. Le jeune homme poursuit :
« C’est faisable parce qu’on a une toute petite surface, on cultive sur 4 000 mètres carrés. Notre voisin agriculteur ne comprend pas ce qu’on fait, il nous dit : ”vous jouez”, mais il est sympa avec nous. On ne veut pas faire la morale, dire “on est les bienfaiteurs écologistes” en pointant du doigt les exploitants conventionnels. Ils ont leurs raisons. »
Johann était ingénieur du son, notamment au Molodoï à Strasbourg. Lorène était éducatrice spécialisée dans la protection de l’enfance. Comme beaucoup de citadins, le couple a décidé de se tourner vers la campagne et a acheté une maison à Liederschiedt. « On avait l’impression d’avoir fait le tour de ce que propose la vie en ville. Rentrer le soir et se retrouver dans notre appart’ pour repartir le lendemain, ça ne faisait plus sens », expose Johann. Lorène embraie :
« On voit moins de concerts, mais on a quand même une bonne vie sociale. Ici, tout le monde se parle et s’entraide. Quand on a un problème, on peut compter sur plein de gens. À nos portes ouvertes, c’est le maire qui a fait les tartes flambées. Même au niveau de l’engagement, j’avais l’impression de ne servir à rien en ville, de n’avoir aucun impact. Ça ne m’intéresse plus d’aller à une marche pour le climat, je préfère agir concrètement. Ici, notre projet est simple et concret : on produit des aliments pour que les gens puissent bien manger. »
« On a le cul bordé de nouilles »
Si tout roule aujourd’hui, la partie n’était pas gagnée d’avance. Sans terres dans la famille, il est très difficile de trouver une parcelle et de lancer une exploitation maraîchère. Arrivé à la campagne, Johann a commencé à se renseigner en discutant avec ses nouveaux voisins. Il a appris qu’une ferme avec un terrain était à vendre dans le village avec la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural), qui a le rôle d’attribuer des champs que des propriétaires veulent céder. « On a vraiment le cul bordé de nouilles » estime Johann :
« L’exploitation faisait une cinquantaine d’hectares, on n’avait pas du tout besoin d’une telle surface. Le référent de ce dossier pour la Safer a apprécié notre projet. C’est rare que des jeunes s’installent. Il a proposé qu’une personne reprenne la majorité du site en nous laissant un hectare. »
En 2020, peu de temps avant le confinement, le couple a commencé à monter son exploitation. « Clairement, il faut énormément travailler, on est loin des fantasmes de ceux qui se disent qu’ils vont vivre tranquillement à la campagne. C’est très difficile, mais moi je suis un nerveux, j’aime ça », lance Johann, espiègle. Idem pour Lorène :
« Si on n’aime pas ça, c’est impossible. Toute notre vie tourne autour de la ferme. On se lève à 5h, on a deux semaines de vacances dans l’année, et encore, c’est beaucoup. Arrêter de travailler, on ne connait plus. »
Une organisation millimétrée
Dans les moments les plus intenses, les gérants de la ferme Affable peuvent faire des semaines de 90 heures. Dans les périodes calmes, ils sont à 50 heures. « C’est simple, je ne connais aucun néorural qui a réussi à créer une activité pérenne en montant une ferme. Beaucoup renoncent après quelques années », souffle Johann, qui a passé un Brevet professionnel de responsable d’entreprise agricole (BPREA) avant de se lancer. En juin, il anticipe déjà le mois de novembre :
« On doit préparer certaines parcelles et les ensevelir sous des couvertures avant le gel, pour les garder au chaud tout l’hiver. Grâce à ça, la terre reste meuble, et on peut planter très tôt dans l’année, pour avoir beaucoup de légumes dès le début du printemps. Sinon, le sol est trop compacte et on ne peut pas semer quand il faut. Mais pour avoir le temps de faire ça, nos cycles de récolte doivent bien s’enchaîner maintenant. »
Les genoux à terre, Lorène arrache des mauvaises herbes. Dans la serre qui provoque une température bien supérieure à 40 degrés, Johann marche entre les plants de tomates, de concombres, de melons et de courgettes : « Grâce à des arceaux et des couvertures, on arrive à avoir des courgettes primeur dès avril. »
Il précise la rotation millimétrée des cultures, organisée pour optimiser les 4 000 mètres carrés exploités. « On plante et on récolte successivement plusieurs légumes au même endroit tous les ans. Ici il y a d’abord des carottes, puis des oignons, et enfin de la mâche », indique t-il en désignant des pousses du doigt. Le tout est irrigué à partir d’un bassin qui récupère l’eau de pluie tombée sur le toit d’un bâtiment.
Des banquets ouverts à tous le dimanche
« L’un des aspects importants à mon avis, c’est qu’il faut avoir un projet très solide économiquement pour survivre. Il faut faire de l’argent. C’est négligé par certaines personnes qui se lancent dans le maraîchage », observe Johann, qui dévoile les comptes de son entreprise :
« Les deux dernières années, on a fait environ 70 000 euros de chiffre d’affaires. On pourrait sortir facilement deux salaires de 1 400 euros. En 2023 on devrait augmenter à 80 000. L’objectif c’est 100 000. On a une grande marge de progression parce qu’il y a encore des choses qu’on fait mal, certaines récoltes ont été perdues cette année.
Pour l’instant, on ne se paye presque pas pour se sécuriser : on rentre 1 500 euros pour Lorène et moi, et Antoine touche l’allocation de pôle emploi au titre de l’aide à la création d’entreprise. On arrive à vivre parce qu’on mange ce qu’on produit. »
La ferme Affable a conçu des outils pédagogiques pour les enfants. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
Antoine était manager au Philibar et souhaitait quitter le monde de la nuit. Après être passé souvent pour « filer des coups de main », il est devenu associé de la Ferme Affable, afin d’y apporter sa touche personnelle : sa passion de la cuisine, en plus de son aide sur les cultures. Un dimanche sur deux, il prépare un grand banquet pour 70 personnes avec les légumes de la ferme :
« J’aime l’idée d’aller plus loin que la production. On veut créer des moments conviviaux, participer à la vie du village. Il y a des personnes qui se sont rencontrées pour la première fois à nos banquets alors qu’elles habitent à Liederschiedt depuis des décennies. Des jeunes, des vieux, des personnes d’univers très différents passent la journée ensemble. »
À terme, Antoine prévoit d’ouvrir un restaurant. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
De la transformation sur place et de l’accueil social
Ces prochains mois, les nouveaux paysans planifient de réaménager l’un de leurs hangars agricoles en laboratoire pour Antoine. « J’ai plein d’idées de préparations avec nos produits : des conserves, des plats surgelés, des pestos, des pots pour bébé… À terme, j’aimerais ouvrir un restaurant, mais on en est encore loin », détaille t-il.
Sur leur terrain, les jeunes maraîchers ont gardé un espace dédié aux banquets du dimanche. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
Outre la culture de légumes, la transformation de produits et l’organisation d’événements, la ferme Affable a aussi des projets sociaux portés par Lorène. L’une des parcelles est dédiée à l’école maternelle de la commune.
« Les enfants sèment, arrosent, entretiennent et récoltent. Chaque semaine ils peuvent repartir avec un petit panier des légumes qu’ils cultivent : des salades, des choux, des petits pois… J’aimerais aussi créer des partenariats avec la protection de l’enfance, ou des établissements d’accueil de personnes en situation de handicap. »
Lorène apprend à cultiver des légumes aux enfants de l’école de la commune. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc
« Je n’ai pas l’impression de bosser »
Désherbage, décompaction de la terre, récolte… Chacun à un bout de la ferme, Antoine, Johann et Lorène vaquent à leurs occupations. Même si leur vie toute entière tourne désormais autour de la ferme, ils ne retourneraient pas en arrière. « Il y a beaucoup de moments où on est en train de travailler sans en avoir l’impression, c’est très agréable. Si on livre des légumes quelque part, on est au boulot, mais on discute avec les gens et on boit un coup en même temps », raconte Lorène.
« Je suis toute la journée dans ce décor, je n’ai pas l’impression de bosser, on fait les choses pour nous, pas pour des patrons, et on se sent beaucoup plus libres. Quand je lève la tête, je vois le ciel et les arbres. Je n’ai jamais été aussi zen », confie Antoine, les mains dans les poches. Deux jeunes arrivent à l’improviste pour aider les maraîchers. Ces derniers semblent parfaitement habitués à ce type de visite. Ils les accueillent avec le sourire avant de se remettre au travail, profitant des heures plus douces de la fin d’après-midi.
Alors que le quartier de Cronenbourg s’est embrasé pendant plusieurs nuits suite à la mort du jeune Nahel à Nanterre, les éducateurs de rue, en première ligne face à la misère, reprennent leur travail en dépit des difficultés colossales.
Dans un petit appartement de la place de Haldenbourg, se trouve la cellule la plus en prise avec les jeunes de Cronenbourg : le Service de prévention spécialisée (SPS). Quatre à dix adultes, dont le métier est de sortir, un par un, les adolescents de la misère sociale. Après quatre nuits d’émeutes suite à la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre mardi 27 juin, ces éducateurs ont repris leurs missions, malgré le constat d’une dégradation continue de la situation sociale.
« Quand ça pète, ce n’est pas un échec »
Responsable du SPS, Norbert Krebs, 65 ans dont une trentaine passés dans le quartier de Cronenbourg, n’attend plus rien des politiques publiques :
« Je déteste tous les politiques, de droite comme de gauche. Je n’en peux plus des sociologues et des psychologues, qui prétendent connaître la banlieue et ses problèmes et qui nous bombardent avec leurs concepts fumeux. Ça fait 40 ans que la situation globale du quartier se dégrade, on sait très bien qu’à chaque étincelle n’importe où en France, même fantasmée, des émeutes peuvent éclater. »
Norbert Krebs, directeur du Service de prévention spécialisée, reste motivé malgré l’adversité Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc
Même discours de son collègue, Daniel Mallen, 57 ans, lequel cite volontiers les sociologues en revanche :
« Notre boulot, c’est de “prévenir la désaffiliation” comme ils disent. C’est à dire qu’on “prévient” tout : la pauvreté, le chômage, l’alcoolisme, les points de deal, les squats… C’est une mission politique de l’État, mais qui nous revient en cascade avec des moyens en baisse chaque année. De temps en temps, on arrive à sortir quelques jeunes… »
Le SPS accueille environ 300 jeunes par an dans son service, sur une population estimée à 2 000 jeunes de quinze à vingt ans (sur 20 000 habitants du quartier, dont 9 000 vivent dans la cité). Pour chaque jeune, il s’agit d’évaluer son lien avec la société et, pour les plus éloignés, de leur proposer un cadre de réinsertion, fait de rendez-vous de plus en plus réguliers dans des chantiers éducatifs rémunérés. Environ 150 jeunes ont bénéficié de ce type d’accompagnement en 2022.
Bien conscients de leurs limites, les deux éducateurs ne se démobilisent pas pour autant. Daniel reprend :
« Quand ça pète comme ça, je ne le vis pas comme un échec. Je l’intègre à la réalité du terrain sur lequel je travaille. On ne peut pas espérer que ça s’arrange avec des familles qui arrivent sans qu’on ne soit en mesure de les accueillir. Il faudrait beaucoup plus d’éducateurs et de services publics dans les quartiers, mais les gouvernements ont fait les choix inverses. »
Daniel Mullen, éducateur au SPS, conçoit son boulot comme une « mission politique » Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc
Même s’il raille son collègue, qu’il appelle « Daniel de la Nupes », Norbert Krebs reprend en partie son discours :
« Il faut arrêter de victimiser ces populations. Les jeunes, c’est d’autorité dont ils ont besoin, de cadres. C’est de la maltraitance de les excuser en permanence. L’échec dans nos quartiers, c’est l’absence d’une culture commune, qui permet de vivre ensemble. »
Délégations en cascade
Initialement, la mission de prévention pour la jeunesse est une compétence de l’État, qu’il a déléguée aux Départements et que le Bas-Rhin a finalement déléguée à l’Eurométropole… À chaque fois, ces changements induisent de nouvelles manières de travailler et des budgets en baisse. En 2005, le Service de prévention a ainsi perdu deux postes d’éducateurs. Directeur de l’association du centre socio-culturel Victor Schoelcher, qui gère également le SPS, Laurent Cécile ne comprend pas cette politique de désertion :
« Il y a un mécanisme d’auto-entretien de la misère, avec des familles qui quittent le quartier dès qu’elles s’en sortent et d’autres, plus pauvres, qui arrivent. Avec nos moyens actuels, nous sommes incapables d’enrayer ce mécanisme et ses conséquences néfastes sur la population. Les millions d’euros de la rénovation urbaine ont bien ravalé les façades, et c’est positif, mais ce dont nous avons besoin, ce sont des adultes partout, pour contrer les effets délétères des logements en grandes tours… »
Laurent Cécile salue en contre-exemple la division par deux des classes de primaires à l’école Marguerite Perey et l’arrivée d’un concierge attitré à la cité, employé par le bailleur Somco.
L’épineuse question de la police et son rapport aux jeunes du quartier, exaspère Daniel Mullen. L’éducateur soupire :
« En tant qu’éducateurs, on connaît les commissaires en charge du quartier, mais avec les policiers de terrain c’est compliqué, même pour nous. Ils nous voient comme des complices. Contrôlés en permanence, avec souvent de la tension, des insultes voire des claques qui partent, les jeunes ont fini par voir la police comme une bande concurrente. Les relations n’ont cessé de se dégrader depuis la disparition de la police de proximité. »
Norbert Krebs, estime lui que « la police fait bien son travail ». « Je ne sais pas comment ils font pour travailler, alors qu’ils ne sont pas soutenus par le pouvoir. » Concernant la discrimination subie par les jeunes du quartier, il relativise à l’extrême : « Oui les jeunes sont discriminés, mais tout le monde l’est à un moment ! »
Sur la porte d’un bureau de la SPS, des citations de comptoir sont placardées : le « tout cramer pour repartir sur des bases saines » de Kaamelott côtoie une maxime plus classique sur l’accompagnement et l’autonomie. Les éducateurs repartent au contact des jeunes, jusqu’à la prochaine crise.
Rencontre avec le réalisateur engagé Pierre Jolivet, qui décortique le système de l’agroalimentaire en Bretagne à travers l’enquête de la journaliste Inès Léraud sur les algues vertes.
Depuis 1989, trois personnes sont mortes sur les côtes bretonnes, retrouvées le nez dans les algues vertes, sans compter les animaux. Pourtant, jamais le lien n’est établi entre ces morts et la décomposition des algues produisant de l’hydrogène sulfuré qui, à haute dose, tue aussi rapidement que du cyanure. Mais les corps ne sont pas autopsiés…
En 2015, la journaliste Inès Léraud s’installe en Bretagne pour commencer son enquête au plus près des habitants. Ici, lui raconte une victime, tout le monde a dans sa famille quelqu’un qui travaille dans l’agroalimentaire. L’omerta est générale. Pour son dix-neuvième film, Pierre Jolivet a choisi de retracer le combat d’Inès Léraud, interprétée avec force par Céline Sallette, et de mettre à jour le système asphyxiant de l’agrobusiness en Bretagne. Rencontre avec un cinéaste qui, à 70 ans, est toujours passionné de justice et de cinéma.
Bande annonce Les Algues vertes (Doc. remis Haut et Court)
Rue89 Strasbourg : Comment est venue l’idée de faire une fiction sur la prolifération des algues vertes en Bretagne ?
Pierre Jolivet : Ce sont mes producteurs, Xavier Rigault et Marc-Antoine Robert, qui, ayant lu la bande-dessinée d’Inès Léraud et Pierre Van Hone, ont pensé à moi pour l’adapter. Quand je l’ai lue, j’ai effectivement su quel film je pourrais faire. Je ne voulais pas juste raconter l’enquête qui a conduit à mettre en cause les algues vertes dans la mort de plusieurs personnes et de nombreux animaux, mais je voulais faire un film sur Inès Léraud, la personne qui s’est battue pour faire connaître ce scandale.
Au départ, elle était contre cette idée mais j’ai réussi à la convaincre qu’elle devait être l’héroïne de cette histoire, comme une Erin Brockovich bretonne. Ainsi, le film est un mélange de trois sources : la BD, ce qu’Inès m’a raconté sur sa vie personnelle et mes propres voyages et rencontres en Bretagne.
De quelle façon vous êtes-vous inspiré esthétiquement de la BD ?
P. J. : Je n’ai pas fait d’adaptation visuelle de la BD, qui a un parti pris graphique fort. Elle ne m’a pas servi de story-board non plus. Mais en voyant le film, je me suis rendu compte que j’ai filmé des images qui sont dans la BD, les images sont revenues subliminalement car, à force de lectures, j’en ai été imprégné. Par ailleurs, je n’ai pas pu filmer sur tous les lieux cités par Inès, car je n’ai pas eu les autorisations, il a donc fallu s’adapter.
De la même façon qu’Inès Léraud a eu du mal à enquêter, avez-vous eu du mal à tourner en Bretagne?
P. J. : Oui, les municipalités ne veulent pas être associées aux algues vertes. Nous avons eu beaucoup de refus, mais j’avais une équipe bretonne très jeune et motivée et plus on nous mettait des bâtons dans les roues, plus nous étions engagés ! Nous avons découvert, via la Préfecture, qu’il y avait un droit d’usage : c’est-à-dire qu’on pouvait tourner caméra à l’épaule, sans installer de matériel. On s’est débrouillé ! Je me rendais d’autant mieux compte du mur auquel Inès avait du faire face. D’où l’importance du soutien qu’elle a reçu de sa compagne, que je voulais absolument montrer dans le film. Quand on est dans un combat, quel qu’il soit, politique, syndicaliste, journalistique… Il y a toujours quelqu’un derrière qui vous soutient. On n’en parle rarement.
Céline Sallette interprète la journaliste Inès Léraud, également co-scénariste sur le film. Photo : document remis
Inès Léraud a également cosigné le scénario avec vous, comment s’est passée cette collaboration?
P. J. : J’adore écrire à deux. Nous nous sommes mis d’accord sur deux choses : j’avais le final cut sur le scénario, mais elle gardait la main sur ce que nous allions montrer et dire d’elle. Elle m’a beaucoup nourri avec ce qu’elle a vécu, me faisait des propositions de dialogues, j’écrivais et elle relisait. Je me suis inspiré très fortement de tous les podcasts qu’elle a réalisés pour France Culture (Journal breton, dans l’émission « Les pieds sur terre », ndlr). Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est que ça sonne vrai.
Depuis 2010, l’État a lancé un Plan de lutte contre les algues vertes : 130 millions investis jusqu’en 2027 pour prévenir des risques, et surtout aider les éleveurs à faire leur transition vers une agriculture raisonnée. Où en est-on aujourd’hui?
P. J. : Je ne veux pas vous déprimer mais rien n’a changé ! Ce ne sont pas les lois qui manquent mais elles ne sont pas respectées. À côté d’où vit Inès, nous sommes tombés pendant le tournage sur un grand bâtiment d’une marque qui fait du poulet bio élevé en plein air, mais on était surpris de ne jamais voir de poulets dehors… Après vérification, on nous a expliqué qu’il y avait deux contrôles par an et que les contrôleurs appelaient avant de passer. D’où la colère des habitants qui se disent : on a voté écolo, on a fait voter une loi mais derrière il n’y a pas de contrôles !
Autre exemple parlant, ma fille a fait son mémoire sur la PAC (Politique agricole commune, Ndlr) à l’heure des défis environnementaux, et elle s’est rendue compte que l’Union européenne donnait des aides à ceux qui polluent le plus, soit disant pour dépolluer. C’est l’inverse de ce qu’il faut faire ! Il faudrait aider les plus petits, qui pratiquent une agriculture raisonnée ou bio pour lutter contre les gros. Or, les petits disparaissent aujourd’hui.
Il se passe la même chose pour le cinéma. Je fais partie d’une association avec laquelle on se bat pour donner de la place aux plus petits films. Une loi existe pour limiter le nombre d’écrans pour les grosses productions dans les multiplex, mais elle n’est pas respectée…
Des sangliers asphyxiés par l’hydrogène sulfuré dégagé par les algues vertes. Photo : doc. remis
Avez-vous eu du mal à financer le film?
P. J. : Oui, mais pas forcément à cause du sujet, qui a tout pour faire un bon polar, mais parce que les financeurs attendaient certaines scènes « obligatoires » dans ce genre de scénario. Ils voulaient l’engueulade du couple, les courses poursuites, et on était surpris qu’il n’y ait pas d’homophobie dans la campagne bretonne… Mais non ! L’homosexualité d’Inès n’a jamais été un sujet et elle ne s’est jamais disputée avec sa compagne. J’ai fait la pari de la vérité, je ne veux pas répondre aux supposées attentes d’un spectateur biberonné aux séries.
C’est vrai que moi aussi j’attendais l’engueulade de couple…
P. J. : (Rires) Il faut réussir à donner autre chose à voir pour compenser cette absence de spectaculaire. Il fallait trouver de l’inattendu et la vie en donne toujours, comme quand la mère d’Inès apprend sur Wikipédia que sa fille est morte… C’est la réalité. Si le film ne marchait pas, ce serait un désaveu du cinéma tel que je l’imagine.
Par courrier, la préfète du Grand-Est Josiane Chevalier a « vivement » recommandé aux maires du Bas-Rhin d’annuler les feux d’artifice du 14 juillet, notamment à cause de la sécheresse.
Une recommandation plutôt qu’une interdiction. La préfète du Bas-Rhin a opté pour une solution diplomatique concernant l’usage des feux d’artifices pour ce 14 juillet, dans les communes du Bas-Rhin. Entourée d’élus locaux et de sapeurs-pompiers, Josiane Chevalier a plaidé pour une fête nationale sans feux festifs lors d’une réunion en vidéo conférence le 3 juillet 2023.
Le lendemain, elle formalise son propos en adressant à tous les maires du Bas-Rhin un courrier se voulant dissuasif : « Je ne peux que vous recommander vivement d’annuler l’ensemble de vos spectacles pyrotechniques dans ce contexte de mobilisation intense des services et de sensibilité forte du département au risque de départ de feux de végétation et de forêt (…). »
Une liberté appréciée des maires
Vincent Debès, maire de Hoenheim et président de l’association des maires du Bas-Rhin se satisfait de cette solution. Présent à cette réunion, il relate que Mme Chevalier voulait d’abord « que tous soient sur un même pied d’égalité, en interdisant à tout le monde les feux festifs. » Après quelques discussions, la préfète se serait ravisée et choisi une simple recommandation.
Vincent Debès, vice-président à l’Eurométropole en charge des sports. Photo : Pascal Bastien / Rue89 Strasbourg
« Les maires savent être responsables et ne prendront aucun risque », affirme Vincent Debès, qui a choisi de maintenir le feu d’artifice dans sa commune. Organisé sur un site « clos, sécurisé et artificiel », la « sécurité des biens et des personnes » sera assurée grâce à des agents de sécurité, assure l’élu. « J’ose espérer que les gens seront responsables et que nous pourrons assurer cette Fête nationale dans le respect des biens et des personnes. »
Valentin Rabot, maire d’Achenheim, a choisi à l’inverse de reporter le feu d’artifice à l’année prochaine. « J’apprécie que ce ne soit pas une interdiction, c’est plus respectueux de la souveraineté des communes, et cela se base sur la diversité des situations géographiques. Le fait de tirer le feu au-dessus d’un plan d’eau, par exemple, simplifie les choses. » Même raisonnement pour Jacques Cormec, maire de Bourgheim, qui n’organisera pas de feux dans sa commune cette année. « C’est de la responsabilité des maires et des élus, qui ne sont pas dénués de sens. (…) Personne ne veut être l’auteur d’un départ de feu ».
« On a bien compris que les pompiers n’étaient pas disponibles… »
À Strasbourg aussi, la municipalité a fait le choix de la prudence, pour une raison différente. La préfète Josiane Chevalier insiste en effet sur la non-disponibilité des pompiers et des forces de l’ordre suite à la mort de Nahel le 27 juin 2023. « Le service d’incendie et de secours du Bas-Rhin ne sera plus en mesure de positionner des moyens de lutte contre l’incendie à proximité des feux d’artifice ou festif qui seraient maintenus », déclare la préfète dans son arrêté du 4 juillet 2023.
Fête nationale de Ribeauvillé Photo : Danae Corte/Rue89Strasbourg/ cc
Guillaume Libsig, adjoint à la maire de Strasbourg en charge de la vie associative, des animations urbaines et de la vie étudiante, confirme que c’est bien ce qui a motivé leur décision :
« On a bien compris pourquoi les pompiers n’étaient pas disponibles et on respecte leur besoin de se reposer, après les épisodes d’émeutes qu’on a pu connaître. On n’a pas voulu tirer sur la corde ».
L’adjoint rappelle qu’au-delà du feu d’artifice symbolique, c’est d’abord l’union nationale qui est célébrée. « Ce qui caractérise cette Fête nationale, c’est d’abord le fait de se retrouver tous ensemble. Le 14 juillet, c’est l’événement où il y a le plus de mixité sociale et c’est ça qu’on a voulu maintenir. »
En octobre 2022, Rue89 Strasbourg racontait le parcours de Malkhazi, qui se faisait appeler Makho. Ce Géorgien de 41 ans demandait l’asile après avoir combattu six ans en Ukraine. Après un refus de sa demande, le père de famille était retourné en avril sur le front. Il est décédé le 24 juin, à Bakhmut.
Difficile pour Juka de parler de son ami au passé, quelques jours après son décès. À une table de café du quartier gare, il cherche les mots pour décrire Makho. « On s’est connus en 2019 via un groupe de Géorgiens sur WhatsApp. On parlait souvent ensemble », retrace-t-il. « C’était quelqu’un de très joyeux, d’actif et qui cherchait toujours des solutions ».
Militaire de formation, Makho combattait aux côtés de l’armée ukrainienne depuis 2016. Animé par un sentiment « anti-russe », il laisse alors en Géorgie sa femme (décédée depuis) et ses quatre enfants, persuadé que s’engager en Ukraine protègera également son pays. En mai 2022, il est évacué vers Strasbourg (voir notre article). « Il a été exposé à des gaz toxiques sur une intervention et ne pouvait plus combattre, c’était difficile pour lui de respirer », soupire Juka. Un diagnostic confirmé par les urgences des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, que Rue89 Strasbourg a pu consulter en septembre 2022.
C’est là que les deux hommes se rencontrent, en vrai. Juka, 24 ans, titulaire d’une carte de séjour étranger malade, aide alors Makho à chercher le support médical dont il a besoin. Puis il l’oriente vers la Préfecture, où il dépose une demande d’asile.
Une demande d’asile refusée
Mais la demande ne se passe pas comme prévu. Après quelques semaines au camp de l’Étoile, Makho est logé dans une chambre de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à la Robertsau. En septembre 2022, il part à Paris raconter son histoire à l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) et quelques mois plus tard, le refus tombe. « S’il avait pu rester en France et être protégé comme réfugié, il ne serait peut-être pas retourné en Ukraine », poursuit Juka.
Il demandait l’asile en France, parce qu’il est impossible selon lui de retourner auprès de ses enfants en Géorgie. « Si j’y vais, ils vont m’attraper car notre gouvernement est très proche de celui de Vladimir Poutine », expliquait-il à l’époque en montrant son portrait listé sur un site russophone. Impossible de savoir si ses craintes étaient fondées. Mais la force des récits qui lui parviennent d’anciens combattants rentrés en Géorgie, selon lui « emprisonnés » ou « disparus dès leur entrée sur le territoire », le persuade que rentrer « chez lui » n’est pas une option viable.
En France, Makho n’a pas le droit de travailler. Il passe ses journées à tourner en rond dans sa chambre, partagée avec un colocataire dont il ne connaît aucune des langues. « Des amis lui donnaient des cigarettes, de la nourriture aussi parfois, mais c’était difficile pour lui de ne rien pouvoir faire et de ne voir personne », poursuit Juka. « Pourtant, il disait toujours que la France l’avait sauvé et qu’il était très reconnaissant », tempère-t-il.
Des amis qui tentent de le retenir
Le 6 avril 2023, près de deux mois après avoir appris que la France ne lui octroyait pas le statut de réfugié, Makho est reparti en Ukraine. « Je vais prendre un bus jusqu’en Pologne puis chercher un moyen de retourner sur le front », confiait-il alors à Rue89 Strasbourg, tout en enchaînant les cigarettes. « C’est ma seule option ».
À l’époque, Juka tente de le dissuader :
« Je lui ai dit qu’il y avait une suite pour la procédure. Qu’il pouvait faire appel et être accompagné par un avocat. Son plan, c’était de pouvoir rester en France et d’être soigné, de faire venir ses enfants ici avec lui, car il ne les avait pas vus depuis 2016. On a beaucoup parlé avant qu’il ne parte. Il m’a dit qu’il n’avait rien ici. Je pense qu’il était plein d’orgueil, il pensait faire son devoir de patriote. »
Entre son retour en Ukraine et son décès, Makho envoie des vidéos du front et cherche auprès de ses interlocuteurs français de l’aide pour poursuivre sa demande d’asile. Il comprend alors qu’il lui reste encore une chance de pouvoir obtenir des papiers en faisant un recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Depuis l’Ukraine, il répond aux mails de son avocate et travailleur social dans un français approximatif.
Le 16 juin, quelques jours avant son décès, le père de famille demande encore, via Messenger, comment savoir à quelle date il devra revenir pour être auditionné. « Je m’intéresse à tout ce qui concerne la cour », écrivait-il alors :
« Je veux vivre en France. S’il y a une chance qu’ils me donnent les documents, je reviendrai avec ma petite amie ukrainienne ».
Le 24 juin, près de Bakhmut, il est tué dans un bombardement. « Il était dans une cellule de reconnaissance et a été touché par une bombe, tirée d’un char », écrit Juka sur une application de traduction. Information qu’il obtient lors d’un appel vidéo avec un camarade du front de Makho, le 27 juin. Impossible de vérifier auprès des ambassades géorgiennes en Ukraine et en France, qui n’ont pas répondu à nos sollicitations. Le ministère des armées ukrainien n’a pas non plus répondu à notre demande d’information.
Photos à l’appui et malgré l’émotion qui le submerge, Juka prouve le décès de son ami. On peut voir sur certaines, une cérémonie se déroulant dans la cathédrale Saint-Volodomir de Kiev, le 28 juin, où le nom de Makho n’apparaît pas. Mais surtout, plusieurs photos d’une cérémonie en Géorgie, dans la ville de Koutaïssi le 2 juillet, montrent une femme identifiée par Juka comme étant la mère de Makho se recueillir sur un cercueil. Sur et devant celui-ci, des photos du père de famille.
Si la France avait donné l’asile à Makho, serait-il toujours en vie ? Pour un autre de ses amis, l’ex-politicien géorgien d’opposition (Free Georgia) Gogi Tsulaia, ce n’est pas sûr :
« Makho était quelqu’un de très patriote, il aimait beaucoup son pays. En Ukraine il y a environ 3 000 Géorgiens qui combattent. Ses amis participent à cette guerre. En décembre, l’un d’eux – qui a aussi habité à Strasbourg – est retournée en Ukraine où il est décédé. Ça l’a beaucoup impacté, il avait l’impression de les abandonner. Son rêve était de vivre avec ses enfants, mais la guerre, c’était sa mission pour son pays. »
Lors de sa dernière soirée strasbourgeoise, Makho a organisé un petit repas avec ses amis d’ici. Avec émotion, Juka se souvient des quelques mots qui laissaient présager qu’ils ne se reverraient pas. « Il m’a dit que c’était la dernière fois, et je sais qu’il le pensait vraiment », explique-t-il. En fond sonore de la vidéo qui immortalise le moment, un tango du groupe Thorgva que Juka ne cesse d’écouter depuis.
Le 2 juillet, jour de son enterrement dans la ville de Koutaïssi, des amis de Makho se sont rassemblés place de l’Étoile pour lui rendre hommage. « C’est pour dire qu’on pense à lui ici aussi », souffle Juka.
Le 2 juillet, les amis de Makho se sont rassemblés place de l’Étoile pour lui rendre hommage. À gauche, le politicien Gogi Tsulaia et en deuxième position en partant de la droite, Juka. Photo : document remis
Tout au long des échanges avec Juka et Gogi, la situation particulière de la Géorgie est revenue au centre des préoccupations. « En France, vous estimez que la Géorgie n’est pas un pays dangereux », explique Juka.
« Mais il y a vraiment beaucoup de Géorgiens qui fuient notre pays, qui viennent en France soit pour des raisons politiques, soit car ils sont malades et que là-bas, personne ne peut nous soigner. »
Selon Gogi Tsulaia, la proximité de la guerre et les ententes perçues entre les gouvernements russe et géorgien font peur à ses compatriotes. « C’est vraiment juste à côté de chez nous. Certains considèrent que la Géorgie est un territoire occupé par les Russes et qu’on a tout intérêt à ce que l’Ukraine gagne cette guerre », poursuit l’ancien politicien d’opposition, qui cherche lui aussi à obtenir le statut de réfugié en France. « Avec Makho », se souvient-il alors qu’il tente de refouler quelques larmes, « on parlait tout le temps politique ».
Les propos recueillis auprès de Juka et Gogi l’ont été grâce à une interprète que nous remercions ici pour son aide.
La ministre déléguée à la Santé chargée de la prochaine loi sur la fin de vie, Agnès Firmin-Le Bodo, tenait un temps d’échange à la Krutenau, lundi 10 juillet. À mille lieues de la réunion politique classique, la séance a été marquée par des prises de paroles intimes et fortes.
« Une petite injection. N’importe quoi qui aurait pu le soulager… Parce que, quand vous entendez un mari qui gémit jour et nuit : ”aide-moi, aide-moi, toi qui est infirmière, tu peux faire le nécessaire” ». Le propos est décousu, coupé par l’émotion, mais toute la pièce a compris, et reste suspendue aux lèvres de Marguerite. Devant l’ancienne infirmière, âgée de 90 ans, la ministre déléguée à la Santé, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo, garde sa contenance et écoute.
Malgré la chaleur caniculaire, la grande salle de la maison des Syndicats était presque pleine. (Photo Roni Gocer / Rue89 Strasbourg).
Cette dernière est venue à Strasbourg, lundi 10 juillet, uniquement pour cela. Écouter. Pas de grandes annonces, pas de meeting, mais un temps d’échanges, réunissant près de 90 personnes pour parler de la future loi sur la fin de vie, qu’elle a pour mission de préparer et de défendre, en reprenant les contributions de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Au gré des questions – souvent chargées de douleurs – la réunion publique prend une tournure inédite, où le politique se mêle à l’expérience personnelle, intime ou professionnelle.
« Je t’en supplie Agnès… »
Pour Agnès Firmin-Le Bodo, le mélange peut être difficile à gérer. Lorsqu’elle fait face à son ancienne camarade de patinage, Marguerite, qu’elle a connue « il y a plus de trente ans », elle peut très vite prendre la mesure des espoirs entourant le projet de loi. Face à elle, l’ancienne infirmière en traumatologie s’exprime sans filtre :
« Moi je trouve qu’il faut absolument faire avancer cette loi, parce que voir quelqu’un se dégrader jour et nuit, c’est horrible (…). Je t’en supplie Agnès, parce que je t’adore, parce qu’on a passé des moments agréables ensemble, dans la joie. J’aimerais que ce message soit entendu et qu’on puisse faire quelque chose. »
Au premier rang, Marguerite interpelle la ministre. (Photo Roni Gocer/ Rue89 Strasbourg).
Émue par l’interpellation, l’audience scrute alors le visage de l’ancienne députée havraise. Loin d’être désarmée, elle reprend son phrasé ministérielle, neutre et rassurant :
« Marguerite, je vais répondre assez vite à ta question. Le projet de loi que nous sommes en train d’écrire pourra répondre à ces situations, pour lesquelles la loi Claeys-Leonetti reste muette. (…) L’ouverture de cette aide active à mourir est l’une des réponses, lorsque le pronostic vital est engagé et que les souffrances ne peuvent être soulagées. »
La loi Claeys-Leonetti qu’évoque la ministre est à l’origine d’une bonne part des frustrations dans la salle. Promulguée 2016, cette loi ouvre le droit à une « sédation profonde et continue jusqu’au décès », mais reste très encadrée : le patient doit souffrir de façon insupportable et son décès doit être inévitable et imminent. La nouvelle loi propose de faire passer la condition de décès imminent, vers celle d’un décès inévitable à moyen terme.
À gauche, la ministre déléguée à la Santé, Agnès Firmin-Le Bodo. À droite, le conseiller municipal d’opposition Pierre Jakubowicz animait la soirée. (Photo Roni Gocer / Rue89Strasbourg).
Aucun consensus entre médecins
Dans la grande salle blanche de la Maison des syndicats, le public pourrait se diviser de plusieurs façons. En premier lieu, on pourrait dissocier les têtes grises des plus jeunes – venus tout de même en nombre. Ou dissocier ceux directement concernés, porteurs de témoignages lourds, des curieux venus se renseigner. Une ligne de démarcation bien plus nette se remarque vite : les soignants et les autres.
Nombreux dans l’assistance, ils étaient loin d’être d’accord entre eux. L’un d’eux, médecin en soin palliatif, réclame ainsi une plus grande facilité pour les médecins de déclarer leurs patients en soin palliatif, en exposant son expérience :
« J’ai eu un patient qui se sentait en souffrance, mais qui n’osait pas s’opposer à sa mère sur le sujet. Je suis rentré en conflit pendant deux-trois semaines avec la famille, puis finalement c’est resté comme ça. Ce type de situation m’est arrivé plusieurs fois. »
Une autre médecin s’occupant de personne en handicap psychique, insiste à l’inverse sur les pincettes à prendre avec certains patients souffrant de pensées suicidaires. « Malheureusement, certains ne sont pas toujours soignés, ils échappent à tout suivi et partent parfois très loin. C’est gens-là, si vous leur proposez la fin de vie, ils l’accepteront tout de suite. »
Ancienne députée Horizons du Havre, la ministre Agnès Firmin-Le Bodo fait partie des proches d’Édouard Philippe. (Photo Roni Gocer / Rue89 Strasbourg).
« Vous voyez bien qu’à travers ces différentes positions, entre ceux qui souhaitent une ouverture très large, et ceux qui ne veulent pas que ça change du tout, légiférer ne va pas être simple », commence la ministre, en reprenant le micro. « La position du gouvernement est très claire sur ce sujet. Nous allons construire une loi avec des restrictions. Il faut que la demande soit réitérée et qu’il y ait un discernement, que la personne ne soit pas mineur, et qu’il y ait un décès à moyen terme. »
Agnès Firmin-Le Bodo assure que le texte devrait être « sur la table du conseil des ministres d’ici la fin de l’été », sans être plus précise sur la date avancée.
Au détour d’une conférence de presse sur le bilan de la participation citoyenne relative aux aménagements prévus par l’extension du tram au nord de Strasbourg, la maire Jeanne Barseghian a maintenu sa position sur le projet de piste cyclable de l’avenue des Vosges.
Dans le cadre du développement vers le nord de l’agglomération du réseau du tramway strasbourgeois, la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg manifestent leur enthousiasme. Alain Jund, vice-président (EE-LV) chargé des mobilités, décrit les aménagements prévus comme « les plus importants jamais effectués pour la révolution des mobilités » avec un investissement de 140 millions d’euros de la part de l’Eurométropole. Sa présidente, Pia Imbs, qui introduit la conférence de presse de ce lundi 10 juillet, met en avant « l’équité territoriale » que l’extension permettra, notamment pour la commune de Schiltigheim.
De gauche à droite : Jeanne Barseghian, Alain Jund, Danielle Dambach la maire de Schiltigheim. Et enfin Jean-Louis Hoerlé, maire de Bischheim, qui se considère comme le « petit poucet du projet ». (Photo RM / Rue89 Strasbourg).
Pendant toute la conférence sur le processus de concertation engagé entre la Ville et ses habitants, les élus ont tenu leur ligne de départ en affirmant qu’il n’y avait pas eu de « changement notable dans la structuration globale » du projet.
La contestation autour de l’agencement prévu pour l’avenue des Vosges a timidement été mentionnée par la maire de Strasbourg, évoquant « des contraintes et des obligations qui ont limité la faisabilité de certaines propositions ».
L’aménagement pensé par la Ville de Strasbourg dévoile des terrasses qui ne pourront être rejointes qu’en traversant la piste dédiée aux piétons et aux cyclistes Photo : Document remis
Des schémas alternatifs écartés
Jeanne Barseghian fait ici référence à des schémas alternatifs proposés par les associations Strasbourg à vélo et Quartier Vosges Neustadt. Ces deux associations veulent garantir sur cette avenue « une véritable séparation entre les cyclistes et les piétons », qui fait jusqu’alors défaut selon Johann Buglnig, porte-parole de Quartier Vosges Neustadt.
Selon lui, l’aménagement prévu par la collectivité défie le plan piéton de Strasbourg de 2021, qui évoque dans son troisième point l’objectif « d’apaiser la voirie pour favoriser tous les usages de la rue ». Le porte-parole fustige :
« Ça ne leur rendra pas la ville plus agréable, aux piétons ! Et puis, cette voirie reproduira les conflits d’usagers bien connus et entretenus avec les cyclistes. »
Jeanne Barseghian, interrogée à la suite de la conférence sur les alternatives refusées, défend sa position :
« Il n’y a jamais de configuration idéale. Nous avons dû trancher et c’est la sécurité des cyclistes qui a primé. Le plan qui nous était proposé créait une trop grande proximité avec le tram et les voitures devaient couper la piste cyclable pour stationner. »
Jeanne Barseghian n’a pas validé les propositions alternatives faites par les associations de quartier et de cyclistes qui voient d’un mauvais oeil la cohabitation vélos / piétons avenue des Vosges. (Photo RM / Rue89 Strasbourg).
Un dialogue nébuleux
La maire de Strasbourg n’a pas évoqué la dernière version proposée par l’association Quartier Vosges Neustadt, qui prenait pourtant en compte ces éléments et prévoyait à la place une voie à double-sens pour les vélos. Son porte-parole le déplore :
« Nous avions proposé un stationnement d’un seul côté, pour avoir une piste cyclable à double-sens de l’autre, mais la mairie a voulu un stationnement des deux côtés, pourtant d’après nos calculs, on estime que le trafic automobile sera minime. On sait très bien que la piste à sens unique pour les vélos est illusoire et que ce sera un vrai bordel. »
La troisième proposition pour le ré-aménagement de l’avenue des Vosges, faite par l’association Quartier Vosges Neustadt (Document issu du site de l’association).
Le jour même de la conférence de presse, l’association de quartier, Strasbourg à vélo et Piétons 67, ont adressé à plusieurs médias alsaciens une lettre ouverte, dénonçant le manque de dialogue avec la Ville. Pour Johann Buglnig de l’association Quartier Vosges Neustadt, la concertation « n’a pas réellement eu lieu » :
« On nous a accordé une réunion publique où personne ne répondait à nos questions et un atelier auquel la maire n’a pas assisté. De plus, l’acoustique de la salle était exécrable, personne ne s’entendait parler. »
Pour l’instant, aucune proposition n’a été clairement retenue à l’issue de cette participation citoyenne. Mais l’exécutif en tire simplement des grands « principes pour l’aménagement », encore très vagues. La fin de l’enquête publique est prévue à l’automne 2024.
« Sécheresses, inondations, pollution : guerres de l’eau ou transition écologique ? ». Le sénateur écologiste Jacques Fernique organise une table ronde ce mercredi 12 juillet, à partir de 19h30, à la Manufacture des Tabacs de Strasbourg.
Tout le département du Bas-Rhin est soumis à des restrictions d’eau. Ici, les champs agricoles du Kochersberg en octobre 2021. (Photo Abdesslam MIRDASS / Hans Lucas).
Un problème qui ne risque pas d’aller en s’arrangeant. Selon ce même arrêté, début juin, dans le Bas-Rhin, on enregistrait un déficit de 60% des précipitations par rapport aux normales de saison, entraînant une baisse du niveau des cours d’eau.
Un problème local certes, mais également national. À l’heure où nous écrivons ces lignes, lundi 10 juillet, 24 départements français étaient concernés par les restrictions d’eau. Avec des étés plus chauds chaque année et des sols de plus en plus secs, il est légitime de se demander si nous aurons accès à l’eau demain, comme c’est le cas aujourd’hui.
Le sénateur écologiste du Bas-Rhin Jacques Fernique a donc décidé d’organiser une table-ronde à ce sujet, ce mercredi 12 juillet, à la Manufacture des Tabacs à Strasbourg. Il explique ses motivations sur sa page facebook :
« Qui aura alors accès à l’eau demain ? L’ensemble de la population ou une classe de privilégiés ? Et pour quels usages ? Une gouvernance raisonnée de l’eau au niveau européen est-elle possible et souhaitable ? Quel rôle joue actuellement le monde de la finance dans l’accès à l’eau ? »
Lors de cette table ronde, Jacques Fernique, entouré d’experts, de militants associatifs et d’élus, tentera donc de répondre à ces questions (entre autres) en débattant et en apportant des pistes de réflexion pour « l’avenir de la ressource en eau ».
Depuis la création du collectif « Pas d’enfants à la rue » fin 2021, les signalements d’élèves scolarisés et à la rue, se multiplient. Depuis septembre 2022, à Strasbourg, 50 élèves de la maternelle au lycée ont ainsi été recensés.
Devant l’école élémentaire de la Ziegelau mardi 20 juin, une vingtaine de parents d’élèves s’apprêtent à installer matelas et oreillers dans une salle de classe. Depuis quatre mois, une élève de CE1 est à la rue.
Face aux caméras et aux journaliste . . .
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Sébastien S. avait été retrouvé pendu dans son bureau de l’Établissement psychiatrique d’Alsace Nord, à Brumath, le 26 janvier 2023. Fin juin, l’enquête a été transmise au parquet de Strasbourg. L’hôpital a reconnu le décès comme « accident du travail ». Des proches de Sébastien témoignent de la détresse dont il leur a fait part.
« Son geste nous a tous surpris. Ses amis, sa mère, ses filles, et moi. Sébastien n’était pas quelqu’un de déprimé, et il n’était . . .
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La mort tragique de Nahel au cours d’un contrôle de police ranime le souvenir douloureux de celle d’Hassan Jabiri au Neuhof, un habitant du quartier tué par un gendarme vingt ans plus tôt dans des circonstances similaires. Les émeutes passent, rien ne change.
L’histoire se répète : un conducteur vivant en banlieue fuit un contrôle, le gendarme dégaine, tire et tue. Le 19 mars 2004 sur l’autoroute A35 près de Colmar, Hassan Jabiri, un Marocain de 33 ans vivant au Neuhof, meurt ainsi durant un contrôle routier. Après s’être arrêté sur le côté et avoir posé les mains sur le capot, il aurait eu un mouvement de recul, jure le gendarme, qui aurait paniqué et pressé la détente.
Le coup est fatal, une balle dans la tête. Sa famille s’effondre. Une marche blanche s’organise rapidement au Neuhof autour d’eux. Suivent plusieurs soirs d’émeutes, des voitures brûlées par dizaines. Le poste de police est pris pour cible. D’autres quartiers s’embrasent dans la foulée, à Cronenbourg, à Hautepierre, ou au Marais à Schiltigheim.
Au sud de Strasbourg, le quartier du Neuhof a suivi le mouvement de révolte après la mort de Nahel. Photo : RG / Rue89Strasbourg
Presque vingt ans plus tard, le 27 juin 2023, à 500 kilomètres de là, à Nanterre, Nahel Merzouk est abattu dans la voiture qu’il conduit suite à un refus d’obtempérer. Deux fois moins âgé qu’Hassan Jabiri, la mort de l’adolescent franco-algérien indigne et provoque une série d’émeutes à travers le pays, dont Strasbourg. Au Neuhof, le sentiment de déjà-vu écœure le quartier et ravive d’anciennes brûlures.
« On était sidéré »
Six jours après la mort de Nahel, et après trois soirs d’émeutes en ville, le Neuhof paraît presque paisible. De loin. Si l’on regarde mieux, les stigmates des dernières nuits sautent aux yeux : entre les poubelles cramées, les cratères et les carcasses d’autos calcinées, les indices ne manquent pas. Seul au milieu du quartier, le centre socio-culturel du Neuhof semble intact.
Malgré les gros titres et les vidéos chocs qui tournent sur Twitter, le directeur Khechab Khoutir semble imperturbable. Mais pas insensible à l’actualité. « C’est presque plus choquant qu’à l’époque, on se dit « merde, on est en 2023″, et rien n’a changé. Pire, ça a empiré. » Derrière son sourire crispé, le quinqua paraît fatigué. Déjà directeur en 1996, il a organisé avec d’autres la marche blanche pour Hassan Jabiri en 2004. 800 personnes avaient défilé, d’après Libération et les Dernières nouvelles d’Alsace. D’une voix éraflée, il raconte le sentiment du quartier à l’époque :
« Évidemment, on était sidéré. On comprend pas comment c’est possible, comment le coup peut partir comme ça, d’un gendarme expérimenté. Derrière, on a un déficit d’explication, qu’on vit comme une tentative de manipuler la vérité. On retrouve ça à nouveau avec Nahel, sauf que cette fois on a une vidéo. Ces mensonges, ça énerve encore plus, ça renforce le sentiment qu’il y a un “nous” contre “eux”. »
Khechab Khoutir a vécu dans le quartier de 1972 à 1985, avant d’y travailler. Photo : Roni Gocer/ Rue89 Strasbourg
Tout proche du CSC, s’étire la rue Jean Mermoz, où vivait la famille d’Hassan Jabiri. Elizabeth, une voisine, se souvient de leur détresse : « La famille était dévastée. Dans le quartier, ça avait bougé pour eux. Je saurais pas dire si c’était plus ou moins important qu’aujourd’hui avec Nahel. »
« Tout le quartier était solidaire »
En 2004, lorsque la nouvelle de la mort d’Hassan tombe, la crispation enclenche des réactions vives. À la nuit tombée, les feux se propagent dans plusieurs quartiers. À l’autre bout de la ville, près de la cité nucléaire à Cronenbourg, Les Dernières nouvelles d’Alsace mentionne les trois premières voitures incendiées, dès 19h30. Dans ce quartier de l’ouest strasbourgeois, la colère couvait déjà depuis le suicide la semaine précédente d’un jeune de 20 ans, en détention provisoire.
La cité Nucléaire, au cœur du quartier Cronenbourg. Photo : PF / Rue89 Strasbourg
Au Neuhof aussi, des groupes de jeunes démarrent aussi très vite des feux dans le quartier, de poubelles ou de voitures. « Je me souviens, c’était le bordel, tout brûlait », jette Lionel dans la discussion. Né à la cité des Aviateurs, il a toujours vécu au Neuhof. En creusant un peu derrière son air de trentenaire rangé, on retrouve vite ses souvenirs de jeunesse. « J’avais 14 ans, j’ai fait quelques conneries aussi, mais mes parents sont assez strictes, j’ai juste un peu participé. » Dans le décor au loin, une camionnette de police s’approche, comme pour mieux entendre, avant de bifurquer. Lionel poursuit :
« Pour moi, c’était plus chaud à l’époque qu’aujourd’hui avec Nahel. Par contre, ça brûlait moins de commerces, on se tournait plutôt contre la police. Et il y avait aussi des grands avec nous, ont étaient pas que des jeunes comme maintenant. On avait l’impression que tout le quartier était solidaire. »
Ailleurs en Alsace, d’autres bavures s’étaient accumulées les semaines précédentes. Le 7 mars 2004, un homme est blessé à Altkirch d’un tir dans l’abdomen pendant son interpellation, parce que l’un des gendarmes aurait « trébuché ». Le jour même, un autre prévenu est retrouvé pendu dans sa cellule, à la gendarmerie de Cernay.
Dans le fond à gauche, la résidence Demi-lune, au centre du Neuhof. Photo : Evan Lemoine / Rue89 Strasbourg
Pas de justice, pas de calme
Un an plus tard, en novembre 2005, la tension remonte d’un cran avec la mort de Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans), électrocutés dans un poste électrique alors qu’ils étaient poursuivis par des policiers de la BAC. Parties de Clichy-sous-Bois, les révoltes urbaines gagnent toute la France, jusqu’à Strasbourg. « Ici, le quartier ne s’est pas mis en mouvement tout de suite, mais quelques semaines après. Les jeunes se sentaient moins concernés qu’avec Hassan », estime Khechab Khoutir en remuant ses souvenirs.
Sur un bâtiment du quartier du Neuhof, un tag évoque les émeutes de 2005. Photo : RG / Rue89 Strasbourg
Trois ans après la mort de ce dernier, le jugement rendu par la justice tombe : huit mois de prison avec sursis pour le gendarme mis en cause. La décision est reçue comme une insulte. Le soir même, les brasiers reprennent dans le quartier, en réaction. « C’est toujours pareil, ça changera pas », commente Lionel, blasé. « Cette fois-ci (avec Nahel), je suis sûr que ça va être pareil, il va s’en sortir libre. »
Même s’il était encore trop jeune en 2007, Adam* (prénom modifié) connaît parfaitement l’histoire d’Hassan Jabiri, en tant qu’habitant du Neuhof. Tenant en laisse un chien massif et musclé – et totalement paisible – il paraît d’abord méfiant. « D’habitude, quand les journalistes parlent du quartier, c’est pour nous salir. Ils viennent juste quand des choses brûlent. » Quand on évoque les violences policières, il paraît encore plus résigné que ses ainés dans le quartier :
« Des bavures ici, ça arrive tout le temps, ça changera jamais. Des policiers qui vont jouer les cowboys, nous humilier avec des contrôles pour rien, nous mettre des coups pendant ces contrôles. Mais on a pas de vidéo, c’est juste nos paroles contre la leur. Alors ça vaut rien. »
Dans la nuit du jeudi 29 juin, l’une des façades de la mairie de quartier a été légèrement incendiée. Photo : Emilie Terenzi / Rue89 Strasbourg
« Ces jeunes sont tout sauf bêtes »
À 65 ans révolu, Mustapha El Hamdani fait partie des anciens du Neuhof. Lui aussi, a participé à l’organisation de la marche blanche d’Hassan Jabiri. Vingt ans plus tard, dans la nuit du 29 juin 2023, lorsque les incendies se multiplient d’un bout à l’autre de la ville, il est appelé en urgence par des membres de la Coordination alsacienne de l’immigration maghrébine (Calima). En tant que coordinateur de la « Calima », Mustapha a été prévenu que des jeunes essayaient de brûler les locaux de l’association, située à la Meinau, juste à côté du Neuhof. Pour cause : le petit bâtiment sert aussi de dépôt de police, avec une enseigne « Police nationale » bien en évidence.
Mustapha El Hamdani, coordinateur de l’association Calima. Photo : RG / Rue89 Strasbourg
Lorsqu’il arrive, une trentaine de jeunes sont déjà rassemblés devant les lieux. Après avoir maîtrisé un départ de feu avec un extincteur pris à la hâte, il discute pendant de longues minutes avec plusieurs d’entre eux. Et il les défend :
« Quand j’ai expliqué que c’était mon lieu de travail, l’endroit où j’accueillais des chibanis (d’anciens travailleurs maghrébins venus pendant les Trente glorieuses), ils ont arrêté. Ces jeunes sont tout sauf bêtes, ils ont au contraire une analyse très fine de la situation. C’est le seul moyen qu’ils ont trouvé pour qu’on parle d’eux et que les choses bougent. À côté de ça, les syndicats et les partis politiques sont absents du quartier. »
Entre la mort d’Hassan Jabiri et celle Nahel, les choses n’ont pas vraiment évolué, estime lui aussi Mustapha El Hamdani. « J’ai l’impression qu’on est en train de revenir à la période avant la marche de 1983 (cette manifestation pour l’égalité et contre le racisme avait rassemblé 100 000 personnes à Paris, NDLR), que tout se détériore. »